Recension
La Mort en Face. Le dossier Gladiateurs
Eric Teyssier
Actes Sud, septembre 2009
544 p., 200 illustrations
D'analyses minutieuses en déductions fondées
sur la connaissance des armes par l'archéologie expérimentale
et la pratique des arts martiaux, l'essai d'Eric Teyssier
se dévore comme un roman policier. L'auteur remet
en perspective les différents documents sources
littéraires, représentations figurées,
artefacts et montre l'évolution des duels
rituels depuis la proto-gladiature, puis la gladiature ethnique
(samnites, gaulois, thraces) pour en arriver à la
gladiature technique (provocatores, mirmillons, thraces-hoplomaques,
secutores et rétiaires) qui se redéfinit au
Ier s. av. n.E. pour finalement se stabiliser au siècle
suivant, notamment quand Auguste édicte sa lex
pugnandi. C'est ainsi, par exemple, que le gaulois devient
mirmillon quand il troque sa longue épée celte
destinée à frapper de taille pour une lame
plus courte mais effilée, destinée à
l'estocade, mais tout en conservant le grand bouclier et
la courte jambière gauche; la manica et le casque,
toutefois, évoluant selon l'effet de mode : partant
de l'avant-bras, la manica s'allonge vers l'épaule,
tandis que le bord du casque s'évase et que la visière
se referme sur le visage. C'est également à
l'époque tardo-républicaine que les paires
gladiatoriennes se s'affrontent plus systématiquement
d'égal à égal (samnite contre samnite
, par exemple) mais recherchent la différence compensée
: bouclier long contre bouclier court complété
par une paire d'hautes ocreæ.
Particulièrement exhaustif, le livre fait référence
à des documents peu connus ou à des découvertes
très récentes comme les reliefs de Fiano Romano
(2007) ou ce curieux proto-rétiaire casqué,
cuirassé et pourvu de jambières représenté
sur le gobelet de Chrysippos (Lyon, dernier quart du Ier
s. av. n.E.).
Outre l'historique des armaturæ, l'ouvrage
examine les armes retrouvées, les techniques de combat,
l'entraînement, la sociologie de la gladiature, rectifiant
au passage bien des idées reçues de
la part d'E. Teyssier, on n'en attendait pas moins ! Il
nuance également notre propre travail sur les gladiateurs
à l'écran, composé voici un peu
plus de vingt ans , y compris sans doute notre propre appréciation
historique, mélange d'une approche traditionnelle
(G. Ville) et de nos échanges avec Acta-Expérimentation
en ses manifestations. C'est que ce dernier quart de siècle,
la recherche scientifique a tout de même fait quelques
progrès depuis La révolte des gladiateurs
de Marcel Brion (1952), et sa version condensée chez
Marabout Junior par Michel Duino, Spartacus, le Fléau
de Rome (1958), qui charma plus d'un adolescent. |
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Communiqué de l'éditeur :
La gladiature est un phénomène social fondamental
pour la compréhension de la civilisation romaine. Plus
qu'un amusement sanglant, la pratique de la gladiature comprend
des aspects religieux, politiques, sportifs, militaires, sociaux
et économiques de premier plan. Ceux-ci ont souvent été
caricaturés pour ne voir dans cette pratique qu'une exaltation
des penchants sanguinaires et barbares des Romains. Cet ouvrage
propose d'analyser l'évolution de la gladiature pendant
ses huit siècles d'existence.
Force est de constater que, depuis les premiers auteurs chrétiens
des IIe-IIIe siècles apr. J.-C., le phénomène
de la gladiature est toujours abordé avec une certaine
distance et un a priori moral plus ou moins net, qui empêche
d'apprécier la nature concrète des combats. Curieusement,
malgré la condamnation de ces tueries qui excitaient tant
nos ancêtres, le public continue à se passionner
pour ce spectacle, par le biais d'ouvrages romancés ou
de péplums qui tirent presque toujours leur inspiration
de la vision moralisante et d'un voyeurisme certain, issus du
XIXe siècle. Pour éviter ce travers, il est nécessaire
de remonter à la genèse de la gladiature. Il faut
se demander pourquoi ce rituel funéraire prend une telle
ampleur et pourquoi ces gladiateurs esclaves, qui se révoltent
avec Spartacus, deviennent ensuite des volontaires idolâtrés
par les foules lorsque la victoire leur sourit. Il convient également
de percevoir le caractère fondamentalement technique de
chaque type de gladiateur: le mirmillon, le rétiaire ou
le thrace sont chacun le fruit d'une longue évolution et
ont leur propre signification aux yeux du public.
L'universalité de ce phénomène, qui touche
tous les peuples de l'Empire romain, doit aussi être comprise
du point de vue économique. Quelles sont les raisons qui
poussent les Romains à entretenir en permanence des milliers
de gladiateurs destinés à satisfaire les attentes
du public dans des centaines d'amphithéâtres ? Quels
ressorts financiers et politiques ont pu soutenir ce système
pendant les trois siècles de la pax romana ? Il
apparaît alors que ces gladiateurs sont davantage l'une
des composantes fortes de cette paix romaine plutôt qu'un
phénomène aberrant et décadent.
Cet ouvrage introduit aussi le lecteur dans le ludus, là
où vivent et où s'entraînent les gladiateurs,
là où leurs armes sont élaborées et
perfectionnées pour répondre aux attentes d'un public
toujours plus exigeant. On suit alors les gladiateurs dans l'arène,
depuis la pompa, qui aiguise l'enthousiasme des foules,
jusqu'au moment dramatique où le vaincu remet son sort
«entre les mains» du public.
Ainsi, en s'appuyant sur les textes et l'épigraphie
près de 200 mentions littéraires et 450 mentions
épigraphiques de gladiateurs répertoriées
, mais surtout sur un corpus archéologique et iconographique
le plus exhaustif possible plus de 1.500 représentations
de gladiateurs répertoriées , il est possible
de mieux comprendre la réalité de la gladiature.
Pour analyser ce phénomène, aussi riche qu'étonnant,
l'auteur fait abstraction des affirmations sans cesse répétées,
mais propose un véritable retour aux sources.
L'AUTEUR : Eric Teyssier est maître
de conférences HDR à l'université de Nîmes
où il dirige le département d'histoire. Il s'intéresse
à la gladiature depuis de nombreuses années et a
publié avec Brice Lopez Gladiateurs,
des sources à l'expérimentation aux éditions
Errance.
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