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DE MURENA À LOLLIA
PAULINA
(suite et fin) |
II. Les lolos de Lollia : il y
a murène sous roche
Dufaux et Delaby ont eut la curieuse idée de faire
de leur héros de papier Lucius Murena le fils d'un personnage
historique, Lollia Paulina. Ce choix n'est certes pas innocent. On a
déjà indiqué plus haut que cette femme, qui s'opposa
à Agrippine comme candidate impératrice, est restée
dans la mémoire des historiens justement pour n'avoir jamais
porté d'enfant ! Et voici que, deux mille ans plus tard, la brave
Lollia accouche enfin d'un merveilleux petit héros de papier
!
Un temps de gestation qui ferait pâlir d'inquiétude les
derniers éléphants d'Afrique, en voie d'extinction comme
chacun sait.
Sur la scène historique, Lollia fut vraiment un
personnage secondaire ; les textes qui parlent d'elle sont rares et
fort succincts. Il nous a paru amusant d'examiner comment ceux-ci furent
interprétés, comment à partir de quelques lignes
puisées chez les auteurs anciens, des romanciers (Robert Graves,
Jean-Pierre Néraudau et Violaine Vanoyeke
puis Dufaux et
Delaby) ont remplumé les lolos de Lollia, qu'on nous pardonne
ce calembour digne de l'almanach machin-chose.
En son temps, Lollia Paulina avait été une
femme d'une beauté rare, et richissime par surcroît, ce
qui ne gâte rien. Ce qui n'empêcha pas non plus Caligula
de la répudier fissa au profit de Milonia Cæsonia,
laquelle n'était certes pas très jolie (très en-dessous
d'Helen Mirren qui l'incarne dans le sulfureux Caligula de Tinto
Brass et Bob Guccione [1977-80] !), mais qui sous la couette
témoignait d'indiscutables talents !
Mais avant d'examiner les sources (Suétone, Tacite
et Dion Cassius), ouvrons d'abord le Dictionnaire classique de l'Antiquité
sacrée et profane de M.N. Bouillet (1841) :
2 - LOLLIE PAULINE, -na, fille du consulaire M. Lol-lius
(n. 4), devint la troisième femme de Caligula, qui l'enleva
à son mari, M. Régulus. Il la répudia quelques
mois après, en lui défendant de contracter jamais un
nouvel engagement. Après la mort de Caligula elle disputa la
main de Claude, veuf de Messaline. Elle était soutenue dans
ses prétentions par l'affranchi Calliste. Mais Agrippine l'emporta
par ses intrigues, et se vengea de sa rivale en la faisant condamner
à mort par l'empereur. Lollie Pauline était si riche
que souvent elle portait sur elle pour quarante millions de sesterces
de pierreries. TAC., Ann., 12, c. 1, 2, 22; 14, c. 12 - DION
CASS.
Et, puisque nous y sommes, voyons aussi ce qui est
dit de son père (à moins que ce ne fut son grand-père)
:
4 - LOLLIUS (M.), consul 21 ans, av. J.C., fut envoyé
dans le N. des Gaules, où il fut battu par les Usipiens et
les Tenctères, irrités de son avarice. Il passa ensuite
en Orient avec le jeune Caïus Agrippa César, qui faisait
sous lui l'apprentissage de la guerre. Une conversation du roi des
Parthes avec le jeune prince lui fit soupçonner que Lollius
avait offert de trahir les Romains. Celui-ci, craignant d'être
découvert, fit périr le jeune prince. (v. Agrippa
4). Pline dit que Lollius s'empoisonna lui-même. C'est,
on le croit, celui dont Horace (4, od. 8 (1))
vante assez mal à propos le désintéressement,
la justice, le courage et la bonne foi. VELL. P., 2 , c. 97 et 102;
3, c. 48. - TAC., I, c. 10; 3, c. 48; 12, c. 2.
1. Les sources antiques
a) SUÉTONE (SUÉT., Cal., 25) :
(
) Lollia Paulina était mariée avec
le consulaire C. Memmius qui commandait des armées : Caligula,
ayant entendu citer son aïeule comme l'une des beautés
d'autrefois, la rappela tout à coup de sa province et se la
fit céder par son mari pour l'épouser lui-même,
puis il la renvoya bientôt après, en lui interdisant
à tout jamais d'appartenir à personne.
(Trad. Henri Ailloud.)
b) SUÉTONE, Claude (SUÉT., Cl.,
26) :
1. Dans son adolescence, il [Claude] eut
deux fiancées, Æmilia Lepida, arrière-petite-fille
d'Auguste, et Livia Medullina, surnommée aussi Camilla, et
qui était de la race antique du dictateur Camille. 2.
Il répudia la première encore vierge, parce que ses
parents avaient encouru la disgrâce d'Auguste ; la seconde mourut
de maladie le jour même qui avait été fixé
pour ses noces. 3. Il épousa ensuite Plautia Urgulanilla,
d'une famille triomphale, puis Ælia Pætina, fille d'un
consulaire. Il se sépara de toutes deux par un divorce ; de
Pætina, pour de légers torts, et d'Urgulanilla, pour
de honteuses débauches, et sur un soupçon d'homicide.
4. Après elles, il prit en mariage Valeria Messaline,
fille de Barbatus Messala, son cousin. 5. Mais, quand il sut
que, indépendamment de ses turpitudes et de ses scandales,
elle s'était mariée avec Caius Silius, en constituant
même une dot en présence des augures, il la fit périr,
et déclara publiquement aux prétoriens que, les mariages
lui réussissant mal, il resterait dans le célibat, et
que, s'il ne tenait parole, il consentait à être percé
de leurs glaives. 6. Néanmoins il ne put s'empêcher
de négocier bientôt une nouvelle alliance. Il rechercha
cette même Pætina qu'il avait répudiée,
et Lollia Paulina, qui avait été femme de Caius César.
7. Mais les caresses d'Agrippine, fille de son frère Germanicus,
lui inspirèrent un amour qui devait naître aisément
du droit de l'embrasser et de plaisanter familièrement avec
elle. A la première assemblée du sénat, il aposta
des gens qui votèrent pour qu'on le forçât à
l'épouser, sous prétexte que cette union était
de la plus haute importance pour l'Etat. Ils voulurent aussi qu'on
accordât aux citoyens la faculté de conclure de pareilles
alliances, jusqu'alors réputées incestueuses. 8.
Il se maria le lendemain; mais il ne se trouva personne qui suivît
cet exemple, excepté un affranchi et un centurion aux noces
duquel il assista avec Agrippine.
(Trad. M. Cabaret-Duparty, Paris, 1893 - avec quelques adapt.
J. Poucet, Louvain, 2001.)
c) TACITE, Annales (TAC., An.,
XII, 1 et 2) :
1. Le meurtre de Messaline avait bouleversé la
maison du prince, car les affranchis se disputaient à qui choisirait
une épouse à Claude, incapable de supporter le célibat,
et soumis aux ordres de ses épouses. Et il n'y avait pas moins
de brigue entre les femmes. Naissance, beauté, richesse, elles
faisaient tout valoir, et chacune étalait ses titres à
un si noble hymen. Mais le choix flottait surtout entre Lollia Paullina,
fille du consulaire M. Lollius, et Julia Agrippina, dont Germanicus
était le père. Celle-ci avait Pallas pour appui, l'autre
Callistus. Cependant Élia Pætina, de la famille des Tubérons,
était protégée par Narcisse. Le prince penchait
tantôt pour l'une, tan-tôt pour l'autre, suivant le dernier
conseiller qu'il avait entendu. Voyant qu'ils ne pouvaient s'accorder,
il les réunit en conseil, enjoignant à chacun de dire
son avis et de le motiver.
2. Narcisse alléguait [en faveur d'Ælia
Pætina] qu'elle avait été autrefois mariée
au prince et qu'ils avaient une fille (car Antonia était née
de Pætina), ajoutant que le palais ne s'apercevrait d'aucun
changement au retour d'une épouse déjà connue,
qui ne verrait point avec les yeux d'une marâtre Britannicus
et Octavie, liés si étroi-tement à son propre
sang. Callistus soutenait qu'un long divorce l'avait condamnée
et ne ferait qu'enfler son orgueil, si elle était reprise;
il valait beaucoup mieux faire entrer au palais Lollia, qui, sans
enfants, n'aurait pas de jalousie et servirait de mère à
ses beaux-enfants. Cependant Pallas louait surtout, dans Agrippine,
l'avantage d'amener avec elle un petit-fils de Germanicus, bien digne
de la maison impériale; qu'il s'attachât une noble race
et unît les descendants des familles Julia et Claudia, pour
éviter qu'une femme, d'une fécondité prouvée,
et en pleine jeunesse, ne portât dans une autre maison l'illustration
des Césars.
(Trad. d'après Burnouf par H. Bornecque.)
d) TACITE (TAC., An., XII, 22) :
22. Sous les mêmes consuls, Agrippine, implacable
en sa haine, et mortelle ennemie de Lollia, qui lui avait disputé
la main de Claude, lui cherche des crimes et un accusateur, qui lui
reprocherait d'avoir interrogé des Chaldéens et des
magiciens, et consulté la statue d'Apollon de Claros sur le
mariage du prince. Là-dessus, Claude, sans entendre l'accusée,
commença, devant le sénat, un long exorde sur l'illustration
de cette femme, fille d'une sur de L. Volusius, petite-nièce
paternelle de Cotta Messalinus, et qui avait eu Memmius Régulus
pour époux (car il omet à dessein son mariage avec Caïus
César) ; puis il ajouta que ses projets étaient funestes
à la république, et qu'il fallait ôter toute occasion
au crime. Donc, après la confiscation de ses biens, qu'elle
quittât l'Italie. En conséquence, sur son immense fortune,
on lui laissa, dans son exil, cinq millions de sesterces. Calpurnia,
femme du premier rang, est frappée à son tour, parce
que le prince avait loué sa beauté, sans avoir le moindre
caprice pour elle, mais au hasard de la conversation : aussi la colère
d'Agrippine n'alla-t-elle pas aux dernières violences. Quant
à Lollia, un tribun lui est envoyé pour la forcer à
mourir.
(Trad. d'après Burnouf par H. Bornecque.)
e) TACITE (TAC., An., XIV, 12) :
[Néron, après avoir fait assassiner sa
mère, fait rappeler tous ceux qu'elle avait fait exiler.]
Il permit aussi qu'on rapportât les cendres de Lollia Paulina
et qu'on lui élevât un tombeau.
(Trad. d'après Burnouf par H. Bornecque.)
f) DION CASSIUS, Hist. rom., LXI, 32. 3
:
Indeed, she even destroyed some of the foremost women out
of jealousy; thus she slew Lollia Paulina because she had been the
wife of Gaius and had cherished some hope of becoming Claudius' wife.
As she did not recognize the woman's head when it was brought to her,
she opened the mouth with her own hand and inspected the teeth, which
had certain peculiarities.
(Trad.site LacusCurtius)
2. Les références romanesques
a) Robert GRAVES, Moi, Claude (I, Claudius, 1937),
NRF-Gallimard, L'Histoire fabuleuse, 1963 :
[p. 288 :] Quelques jours plus tard, à souper,
je [Claude] parlais après boire de l'hérédité
de la beauté féminine, soutenant avec exemples
à l'appui qu'elle sautait habituellement une génération.
J'eus le malheur d'ajouter : "Ainsi la plus belle femme
de Rome au temps où j'étais enfant a reparu, trait
pour trait, en la personne de sa petite-fille, Lollia, la femme
du gouverneur actuel de la Grèce." Caligula intrigué
m'interrogea à son sujet. Loin de me rendre compte que
j'en avais déjà trop dit, je renchéris
encore. Le soir même Caligula écrivit au mari de
Lollia de rentrer à Rome pour y recevoir un honneur insigne.
Cet honneur se trouva consister à répudier Lollia
et à la donner en mariage à l'Empereur.
[p. 302 :] Il [Caligula] répudia
Lollia, sous prétexte qu'elle était stérile,
pour épouser une femme du nom de Césonie. Celle-ci
n'était ni belle ni jeune : c'était la fille d'un
capitaine des Veilleurs et la femme d'un boulanger, je crois,
dont elle avait déjà eu trois enfants.
(Trad. anglais Mme Rémond-Pairault.)
Robert GRAVES, Moi, Claude Empereur (III.
Le divin Claude et sa femme Messaline) (Claudius the
God, 1934), NRF-Gallimard, coll. Du Monde Entier, 1978,
p. 232 :
[Mes affranchis
] conclurent que je songeais
à me remarier et, chacun sachant avec quelle facilité
je m'étais laissé manuvrer par Messaline,
pensa que, s'il me trouvait une femme, sa fortune était
faite. Narcisse, Pallas et Calliste profitant d'un moment de
tête à tête me proposèrent tour à
tour leur candidate. Je me divertis à observer la façon
dont fonctionnait leur esprit. Calliste se souvenait que Caligula
avait forcé un gouverneur de Grèce à répudier
sa femme, Lollia Paulina, pour l'épouser ensuite lui-même
(en troisièmes noces) parce que quelqu'un, au cours d'un
banquet, lui avait dit que c'était la plus belle femme
de l'Empire; et il se rappelait que ce quelqu'un c'était
moi. Il pensait que, puisque les dix années écoulées
depuis ce moment-là n'avaient en rien flétri la
beauté de Lollia Paulina mais l'avaient, au contraire,
rehaussée, il jouait sur le velours en me la proposant.
Ce qu'il fit dès le lendemain. Je souris en lui promettant
d'examiner sérieusement la question.
Narcisse vint ensuite. Il me demanda d'abord quel était
le choix de Calliste. Quand je lui répondis : "Lollia
Paulina", il s'exclama qu'elle ne me convenait absolument pas
car elle n'aimait que les bijoux.
- Elle ne sort jamais sans au moins trente mille pièces
d'or autour du cou, sous forme d'émeraudes, de rubis
ou de perles, changeant d'ailleurs chaque fois de parure, et
elle est aussi stupide et têtue qu'une mule. César,
la seule femme qui te convienne vraiment, tu le sais comme moi,
c'est Calpurnia (2).
Mais tu peux difficilement épouser une prostituée,
cela ne ferait pas bon effet. Je suggère donc que tu
épouses une femme de la noblesse, pour la forme, mais
que tu vives avec Calpurnia comme avant de rencontrer Messaline
: tu connaîtras ainsi le vrai bonheur jusqu'à la
fin de tes jours.
- Et qui me proposes-tu comme épouse de pure forme ?
- Ælia Pætina. Après que tu l'eus répudiée,
elle se remaria, tu t'en souviens. Son mari est mort récemment
et l'a laissée dans une grande gêne matérielle.
Ce serait une bonne action que de l'épouser.
(Trad. anglais Paule Guivarch, Janine Hérisson et
Marie-Lise Marlière.)
Robert GRAVES, Moi, Claude Empereur (III.), op. cit.,
1978, p. 244-245 :
Agrippinilla [= Agrippine
la Jeune, mère de Néron] me demanda
de convaincre le Sénat de lui conférer le
titre d'Augusta. Elle ne s'attendait pas à ce que
je lui accordasse ce que j'avais refusé à
Messaline ; et pourtant je le fis. Elle s'est arrogé
d'autres privilèges sans précédent.
Elle siège à mes côtés au tribunal
lorsque je rends la justice, et se fait transporter en voiture
jusqu'au sommet du Capitole. Elle a nommé un nouveau
commandant des gardes en remplacement de Géta et
de Crispin. Il s'appelle Burrhus et appartient à
Agrippinilla corps et âme. (Il a servi autrefois dans
les gardes à la bataille de Brentwood où la
lame d'un glaive anglais lui a sectionné trois doigts
de la main droite.) La nouvelle Augusta de Rome n'a pas
de rivale. Ælia Pætina est morte, peut-être
empoison-née, je n'en sais rien. Lollia Paulina a
été également écartée
: son champion, Calliste, étant mort, les autres
affranchis n'ont fait aucune objection à sa disparition.
Elle a été accusée de pratiquer la
sorcellerie et d'avoir fait circuler un horoscope prédisant
que mon mariage avec Agrippinilla plongerait le pays dans
le désastre. J'étais navré pour Lollia,
aussi, dans le discours que j'ai adressé au Sénat,
j'ai simplement réclamé l'exil. Mais Agrippinilla
ne voulait pas qu'elle lui échappât. Elle a
envoyé un colonel des gardes chez Lollia pour veiller
à ce qu'elle se suicide. Celui-ci est venu ensuite
lui rendre compte de sa mort comme elle le lui avait demandé,
mais Agrippinilla n'était pas satisfaite. "Apporte-moi
sa tête", lui a-t-elle commandé. |
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On lui a apporté la tête au palais. Agrippinilla
l'a saisie par les cheveux et, l'élevant à la hauteur
d'une fenêtre, lui a ouvert la bouche. "Oui, c'est bien
la tête de Lollia, a-t-elle dit d'un ton satisfait comme
j'entrais dans la pièce. Voilà les dents en or qu'elle
s'était fait mettre par un dentiste d'Alexandrie pour remplir
le creux de sa joue gauche. Quels épais cheveux elle avait
! comme une crinière de poney. Esclave, emporte-moi ça
d'ici, et le linge avec; fais-en disparaître les taches
de sang."
Agrippinilla se débarrassa également de sa belle-sur,
Domitia Lépida, la mère de Messaline. (
)
(Trad. anglais Paule Guivarch, Janine Hérisson et Marie-Lise
Marlière.) |
b) Jean-Pierre NÉRAUDAU, Les Louves du
Palatin (roman), Belles Lettres, 1988, pp. 235-236 :
Là-dessus Julia Drusilla
mourut. La douleur de Caligula fut effrayante. Il fit décréter
qu'elle était devenue une déesse et qu'il faudrait
lui rendre un culte. De ce jour, il devint étrange.
Peu auparavant (3),
étaient arrivés à Rome Publius Memmius
Regulus, gouverneur de Macédoine, et sa femme Lollia
Paulina. C'est Caligula qui les avait mandés. Depuis
quelque temps, des amis du couple lui vantaient l'exceptionnelle
beauté de la grand-mère de Lollia. Elle-même,
lui disait-on, en avait hérité. Elle était
de surcroît fort riche. Son grand-père avait
jadis accompagné Caius César en Orient ; il
y avait fait fortune, avant d'être disgracié
et de se donner la mort. Caligula, alors que les femmes de
Rome lui faisaient la cour, avait eu le désir de connaître
la seule beauté qui fût alors absente. C'est
un trait de son habituelle malice. Il la vit ; elle lui plut
; Memmius Regulus ne se fit pas prier pour la lui céder.
Au repas qui fut donné pour les fiançailles,
elle parut dans l'éclat de sa beauté et de ses
joyaux. Elle en portait dans les cheveux, aux oreilles, aux
bras, aux doigts, au cou. A la blancheur nacrée des
perles elle avait associé les plus belles émeraudes
du monde. J'avais 11 ans [c'est Junia Calvina qui
parle] ; j'étais invitée à ce
dîner, et j'étais émerveillée.
J'avais vu au Panthéon la statue de Vénus parée
de deux boucles d'oreilles superbes ; on m'avait expliqué
que chacune était la moitié d'une des deux plus
grosses perles du monde. Elle avait appartenu à Cléopâtre,
et l'on disait qu'elle avait fait dissoudre l'autre dans du
vinaigre avant de boire ce breuvage d'un nouveau genre. Lollia
portait aux oreilles des perles aussi grosses. Je ne savais
pas alors qu'elle arborait une parure de quarante millions
de sesterces et que c'étaient les dépouilles
des provinces jadis visitées par son grand-père. |
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La suite de sa vie prouve qu'elle avait d'elle-même fait
parler de sa beauté à Caligula. Elle était
ambitieuse et intrigante. Agrippine la regarda avec toute la haine
d'une femme qui rencontre sa semblable; elle ne devait jamais oublier
les joyaux de Lollia et sa fierté d'épouser le Prince.
Mais Lollia était si fière de son corps qu'elle redoutait
par-dessus tout qu'il fût abîmé par une maternité.
Caligula voulait un héritier ; elle prenait toutes les précautions
nécessaires pour ne pas en avoir. Quand il s'en rendit compte,
il la répudia, et, pour éviter qu'elle regagnât
le lit de son précédent mari, il lui interdit d'avoir
aucune relation charnelle avec quiconque. Elle n'eut pas de mal
à rester chaste, car cet interdit écarta d'elle tout
homme qui tenait à sa vie, et ils y tenaient tous.
Je dois ici m'écarter un moment du cadre de mon récit
pour suivre le destin de Lollia Paulina. Elle demeura discrète
tant que Caligula fut Prince. Elle releva sa tête exquise
sous le principat de Claude. Lorsque Messaline fut morte, Lollia
s'at-tacha par les moyens habituels, l'argent, et peut-être,
sa beauté offerte, la fidélité de Callistus,
l'un des affranchis influents qui gouvernaient Claude. Il cherchait
une épouse, et les candidates ne manquaient pas. Callistus
défendait Lollia : "Elle n'a pas d'enfant, disait-il,
elle n'aura pas de jalousie et servira de mère à Britannicus
et à Octavie." Il pensait évidemment à écarter
de la couche impériale la redoutable Agrippine. Ce fut elle
qui l'emporta. L'année même qu'elle épousa Claude,
elle chercha à perdre sa rivale. II suffisait de l'accuser
d'avoir interrogé des magiciens et d'avoir tenté d'influencer
le choix du Prince. Claude, circonvenu par sa nouvelle épouse,
décida de confisquer les biens de Lollia et de la bannir
d'Italie. On lui laissa cinq millions de sesterces sur son immense
fortune. Le reste, argent et bijoux, tomba entre les mains d'Agrippine.
Celle-ci ajouta à la sentence l'atrocité qui lui était
coutumière. Elle envoya un tribun signifier à Lollia
qu'elle devait mourir. De ses poignets dépouillés
de ses bracelets d'émeraude, la vie s'écoula lentement,
et sur son visage éblouissant la mort posa son masque blême
et émacié. Je la revois souvent dans mon souvenir
qui l'associe à mon frère mort peu auparavant, victime
des agissements d'Agrippine, et à mon propre exil.
|
c) Violaine VANOYEKE, Les Louves du capitole
(roman), R. Laffont, 1990, pp. 29, 41 et 58-60 :
- Tu connais ma préférence,
dit enfin Calliste. Elle va à Lollia Paulina. La raison
en est simple. Elle est, tout d'abord, la fille du consulaire
Lollius et d'une sur de L. Volusius, ainsi que la petite-nièce
paternelle de Cotta Messalinus. Ensuite, elle est depuis longtemps
divorcée et n'a jamais été mère.
Aussi n'éprouvera-t-elle aucune jalousie à l'égard
de Britannicus et d'Octavie. Lollia est la femme la plus riche
et la plus belle de Rome depuis qu'elle a hérité
de son grand-père, autrefois gouverneur en Orient. Sa
mère était déjà une des beautés
de son temps. Elle saura tenir son rang. Il n'est pas non plus
négligeable qu'elle ait été mariée
au proconsul de Macédoine Memmius, homme intelligent
et pertinent, avant que Caligula ne l'épouse
-
et ne la répudie deux mois plus tard ! l'interrompit
Narcisse. Il est tout de même curieux que Caïus s'en
soit si vite lassé ! Elle ne donnerait sans doute pas
la quenouille à Jupiter lui-même !
- Cesonia qui lui a succédé était plus
experte en amour, je te l'accorde. Elle se prêtait à
tous les caprices de Caligula mais elle n'était ni jeune
ni belle. Crois-moi, divin empereur, Lollia sera trop satisfaite
d'être reprise pour ne pas se plier à toutes tes
volontés, d'autant que Caligula lui avait interdit d'appartenir
à un autre homme après leur divorce. Elle a connu
une longue période de solitude
-
qui l'a rendue revêche et frigide ! rétorqua
Narcisse. Rien de pire qu'un sexe de femelle moisissant dans
son coffre !
Claude exprima une moue dubitative. Tout en cherchant à
éviter une épouse dépravée, il n'en
sou-haitait pas pour autant une vestale. Il aimait les femmes
et appréciait les raffinements amoureux.
(V. VANOYEKE, op. cit., p. 29.)
(
) Divin Claude, ton festin est plus
riche que ceux des princes orientaux ! Avant qu'ils n'aient tous
l'esprit tournicoté par Bacchus, je te conseille d'appeler
le lecteur qui illustrera de tes uvres [les uvres
de Claude] ce festin.
Octavie et Britannicus, qui étaient couchés aux
côtés d'Agrippine, manifestèrent eux aussi
leur impatience d'assister aux spectacles prévus.
Seule Lollia Paulina, couverte de bijoux, somptueusement parée
d'améthyste, regarda le lecteur s'avancer au milieu de
la salle avec dédain. Agrippine le remarqua aussitôt.
Dans son il monoculaire et grossissant, elle ne cessait
d'observer, depuis le début du repas, les rivales qu'elle
avait habilement évincées, de guetter la réaction
des sénateurs, de surprendre des réflexions.
- Pourquoi Lollia Paulina n'applaudit-elle pas le lecteur des
uvres de César ? glissa-t-elle insidieusement à
l'empereur en se penchant vers lui et en se levant elle-même
pour l'acclamer.
Tous les invités suivirent son exemple et lui firent une
ovation où revint plusieurs fois le terme d'Augusta.
- Voilà qui me rassure ! dit Claude à Pallas, les
lèvres luisantes de sauce. Agrippine est acceptée
par la Cour. Il ne reste qu'à convaincre le sénat
que l'union d'un oncle avec sa nièce est voulue par les
dieux !
(V. VANOYEKE, op. cit., p. 41.)
- Claude s'entretient avec Lollia Paulina,
lui dit-il [Pallas], gêné.
Agrippine blêmit. Ainsi donc l'empereur la trompait dès
qu'elle quittait Rome !
- Assieds-toi là, lui dit Pallas embarrassé. Ne
crois pas que Claude
- Je ne crois rien. Que veux-tu que je croie ?
Ses joues s'empourprèrent de colère contenue. A
ce moment, la porte du bureau de Claude s'entrouvrit en craquant.
La silhouette de Lollia apparut derrière le jet d'eau central.
Elle était revêtue d'une simple tunique de soie qui
épousait de trop près ses formes. Claude garda longuement
sa main dans la sienne en la caressant et la porta à ses
lèvres pour prendre congé d'elle. L'affranchi sentit
celle de sa maîtresse se crisper sur le banc. Dès
que Lollia eut disparu dans le corridor, il lui demanda, inquiet,
ce qu'elle comptait faire.
- Rien ! Que veux-tu que je fasse ? Je vais trouver l'empereur
puisqu'il est libre maintenant
Attends-moi là !
Agrippine ordonna aux deux robustes Syriens qui gardaient la porte
de Claude de l'annoncer. L'empereur vint aussitôt l'embrasser,
somptueusement vêtu d'une tunique blanche et d'une toge
améthyste qui bleuissait son visage.
- Ma douce, ma chère
Je ne pensais pas que Jupiter
te guiderait si tôt près de moi
, lui dit-il
tendrement en réajustant sa ceinture d'une main potelée
couverte de tavelures et d'une petite touffe de poils bruns. Votre
voyage a été rapide
- Comme tu me l'avais réclamé, divin Claude, répondit
Agrippine en s'allongeant sur un divan recouvert de coussins soyeux
aux couleurs variées et en découvrant négligemment
l'une de ses jambes jusqu'à la cuisse.
- J'ai une excellente nouvelle ! Tout est réglé
! Notre mariage peut avoir lieu après-demain !
Agrippine balança sa jambe en l'invitant à venir
auprès d'elle. Il la lui caressa doucement en mêlant
ses lèvres aux siennes. Elle délia alors le nud
de sa ceinture et laissa l'étoffe s'ouvrir, le corps offert,
la tête rejetée en arrière. Puis elle guida
ses mains dans son intimité, l'attira sur elle en simulant
le désir. Elle le sentait déjà prêt
à l'honorer. Son dépit s'accrut en songeant que
Claude la caressait comme il avait caressé cette Lollia
au charme artificiel.
- Claude, il faut que je te dise
Avant que je n'oublie
Claude, écoute-moi
Ta vie m'est trop chère
Notre mariage aussi
- Je t'écoute, répondit-il en mordillant sa bouche
avec un grognement de satisfaction.
- Tu ne m'écoutes pas
Il respira plus fortement. Ses gestes devinrent rapides et désordonnés.
- J'ai appris bien des crimes au sujet de Lollia Paulina, tu sais
- Et lesquels ? demanda Claude, peu attentif aux propos de sa
nièce.
- Elle a interrogé des magiciens et consulté la
statue d'Apollon de Claros sur notre mariage. Ses projets sont
funestes à l'Empire. Elle veut ma mort. Elle a demandé
aux devins si notre mariage avait des chances de durer ! Donne
l'ordre de l'éloigner
Tu confisqueras ainsi ses biens.
Si tu acceptes, je m'en occuperai
Claude demeura, un instant, interdit. Il regarda attentivement
Agrippine qui se trémoussa sous lui en réveillant
son désir.
- Pourquoi me parles-tu de Lollia Paulina ? s'étonna-t-il,
contrarié. Elle était justement
- Oui ?
- Non, rien
Elle sera jugée et
exilée,
dit-il finalement. On lui laissera
voyons
un million
de sesterces
Agrippine l'embrassa longuement pour le remercier.
(
)
Agrippine sourit. Elle le sentait disposé à tout
lui accorder.
- Un esclave pourrait entrer, murmura-t-elle. Viens plutôt
me rejoindre dans ma chambre. J'ai envie de rester longtemps auprès
de toi
Claude grogna en la voyant refermer sa tunique. Il n'aimait pas
s'interrompre dans son plaisir. Mais la perspective de passer
une nuit d'amour avec sa nièce déclencha chez lui
une série de hochements de tête qui valaient mieux
que toutes les paroles d'approba-tion. Agrippine se précipita
vers Pallas qui l'atten-dait.
- Lollia Paulina va être exilée, lui apprit-elle,
satisfaite. Dès qu'elle aura quitté le pays, envoie
à sa suite le tribun qui m'a escortée. Qu'on me
rapporte sa tête le jour même de notre mariage !
(V. VANOYEKE, op. cit., p. 60.)
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3. Analyse
Il fallait bien insérer dans l'Histoire avec un
grand "H" ce personnage de fiction qu'est Lucius Murena. Le scénariste
aurait pu lui inventer une mère avec un prénom aussi banal
que Livia, Julia ou Emilia quoique à Rome l'attribution d'un
prénom féminin soit soumis à des règles
bien précises : toujours il correspond au patronyme paternel
- Livius, Julius, Emilius - mis au féminin. Ainsi on n'a pas
fini de se demander auquel des Claudii rattacher la fameuse Claudia
Procula, l'épouse du préfet de Judée Pontius Pilatus,
qu'en vérité seuls les auteurs chrétiens ont mentionnée.
Au lieu de cela, Delaby a choisi de faire de Lucius Murena
le fils d'une dame bien déterminée historiquement qui,
justement, est restée célèbre pour n'avoir jamais
procréé !
Les innovations des romanciers sont assez évidentes. Pour R.
Graves et J.-P. Neraudau, la plus belle femme de Rome tenait sa beauté
de sa grand-mère (SUÉT., Cal., 25) ; pour V. Vanoyeke,
elle lui venait de sa mère. Lapsus calami ? Nos sources
ne se prononcent pas non plus quant à son intelligence, mais
sa réputation de beauté et son amour du luxe suffiront
à R. Graves pour la voir "aussi stupide et têtue qu'une
mule" et "n'aima(n)t que les bijoux".
C'est Pline (H.N., IX, 58. 117-118) qui nous apprend que Lollia portait
sur elle pour 40 millions de sesterces en bijoux : ce montant exact
revient chez J.-P. Néraudau, qui précise qu'il consistait
en deux grosses demi-perles hors prix et des émeraudes, tandis
que R. Graves le convertit en 30.000 pièces d'or (le sesterce
étant une monnaie de bronze). V. Vanoyeke, pour sa part, parle
d'améthystes, mais n'en indique pas la valeur.
Il en va de même de la somme qui est allouée à Lollia
exilée, après confiscation de ses biens : 5 millions de
sesterces, selon Tacite, repris par J.-P. Néraudau, mais réduit
à 1 million par V. Vanoyeke tandis que R. Graves n'en parle pas.
Caligula épousa Lollia en 38, "puis la renvoya
bientôt après" en lui interdisant de se remarier, dit
Suétone. Bouillet évalue leur union à "quelques
mois", que V. Vanoyeke limite à "deux mois". Ce qui
nous amène à nous interroger sur sa fécondité.
Selon J.-P. Néraudau, la belle Lollia "était si fière
de son corps qu'elle redoutait par-dessus tout qu'il fût abîmé
par une maternité. Caligula voulait un héritier ; elle
prenait toutes les précautions nécessaires pour ne pas
en avoir", tandis que pour R. Graves elle était tout bonnement
stérile. Le moins qu'on puisse dire c'est que Caligula avait
très vite jaugé la situation. Il est vrai qu'un précédent
mariage demeuré sans fruit (?), donne à réfléchir
Sans doute parce que, ayant mentionné sa répudiation,
Suétone enchaîne avec la description de Milonia Cæsonia
- pas très belle, plus très jeune, mais féconde
et, surtout, éhontément débauchée -, il
apparaît à V. Vanoyeke que Lollia Paulina n'était
tout simplement pas une affaire au lit ("elle ne donnerait sans doute
pas la quenouille à Jupiter lui-même") !
Le film de Tinto Brass (Caligula, 1977-80) ignore
le personnage de Lollia Paulina. Ayant à l'instigation de sa
sur Drusilla jeté son dévolu sur Cæsonia,
Caligula - obsédé par le désir d'avoir coûte
que coûte un héritier mâle - ne se sépare
plus un seul instant de la femme qu'il a fécondée, l'enchaîne
et l'emmène partout avec lui, comme un petit chien en laisse.
Ce afin que nul autre homme que lui ne l'approche, ce qui ne l'empêche
pas de l'exhiber nue devant ses courtisans et même de la faire
danser grosse. Mais il ne consentira à l'épouser que quelques
instants avant qu'elle ne mette au monde
une petite fille ! "Damned
! Je suis refait !"
S'agissant, pour l'affranchi Callistus, de donner une
nouvelle mère aux enfants de Claude - Britannicus et Octavie
-, il n'en demeure pas moins que la principale qualité de Lollia
Paulina était de ne pas en avoir elle-même et d'être
donc, en principe, sans jalousie vis-à-vis de ceux dont elle
deviendrait la belle-mère (TAC., An., XII, 2).
Les précités romans relèvent plutôt
de la biographie romancée que du roman pur. La BD de Dufaux et
Delaby appartient davantage à cette dernière catégorie,
introduisant des personnages de fiction et synthétisant les faits
pour les besoins dramatiques de leur intrigue. Lollia Paulina fut mise
à mort ("forc(ée) à mourir" par un tribun)
et non massacrée par des hommes de mains. Sa tête fut,
en quelque sorte, offerte en cadeau de mariage à Agrippine, en
49. Tandis que Claude périt empoisonné cinq ans plus tard,
en 54. Dufaux et Delaby ne font donc qu'exercer leur droit de romanciers,
qui n'exclut du reste nullement une certaine rigueur. Ainsi la macabre
anecdote qui montre l'affranchi d'Agrippine, Pallas examinant la dentition
de la tête tranchée de Lollia (pl. 42) : "C'est bien
elle ! La dentition est particulière. Suite à une chute."
Et de citer Dion Cassius en note : "Elle [Agrippine]
lui ouvre de force la bouche et examine minutieusement les dents
que Lollia portait placées d'une manière particulière."
Chez R. Graves, qui en remet toujours un peu, elle avait des dents en
or. On ne prête qu'aux riches
Mais, le fantasme précédant
la connaissance, un roman, un film ou une BD historiques ne seront jamais
qu'une incitation, pour le lecteur, à aller voir plus loin, à
se reporter aux textes.
4. Les ombres de l'Histoire
Nous avons tenté, dans les paragraphes qui précèdent,
de montrer les limites du roman historique, lequel consiste bien souvent
à transformer en un bouquin de 500 pages des événements
historiques qui nous sont parvenus sous une forme plus succincte. Ainsi
le siège de Masada, qui tient en trois pages dans les Antiquités
judaïques de Flavius Josèphe, inspirera à Ernest
K. Gann un roman de trois cents pages et à Boris Sagal une télésuite
de six heures, tandis que l'histoire de Samson et Dalila, vingt-six
versets des Juges (16 : 4-30), engendreront à l'écran
les superproductions que l'on sait. A dessein, nous avons pris l'exemple
de Lollia Paulina, personnage vraiment secondaire dont les actions ne
portèrent nullement à conséquence : les romans
où elle apparaît furtivement racontent bien la même
histoire, mais se contredisent sur des chiffres ou de liens de parenté,
sur des causes aussi - stérile, coquette ou tout simplement dépourvue
de la fibre maternelle ? Les incertitudes deviendront croquignolesques
lorsqu'il s'agira de reconstituer la vie d'un personnage de l'envergure
de Spartacus - dont on ne sait vraiment que peu de choses, tant sur
ses origines qu'au sujet de ses motivations - ou de déterminer
qui fut le véritable instigateur du meurtre de Jules César
(Cassius, son ennemi politique
ou un héritier pressé,
Octave ? Antoine ?).
5. Il y a Lollia et Lollia
Le septième épisode de la série BBC
Moi Claude, empereur (1976), commence par le récit que
fait devant son mari Titus et quelques amis invités, une certaine
Lollia. Elle et sa fille Camille ont été invitées
par l'Empereur Tibère qui leur fait voir des peintures érotiques
tout en caressant lascivement un de ses esclaves nu. Lollia supplie
Tibère de laisser repartir sa fille ; pour elle, elle consent
à rester avec l'Empereur et à se livrer à ses caprices.
Tibère accepte et Lollia doit partager les caresses les plus
abominables de Tibère et de ses esclaves des deux sexes. Son
récit achevé, Lollia prie son mari Titus de lui pardonner
de s'être ainsi prostituée dans l'intérêt
de leur fille : pour elle, elle ne saurait survivre à la honte
et au dégoût. Alors Lollia se poignarde devant ses invités.
Le nom de Lollia (seul) fait évidemment songer
à notre Lollia Paulina, dont le scénariste aurait considérablement
remanié l'anecdote en la situant sous Tibère, avec un
mari qui cette fois n'était pas au courant de son infortune,
et - ô paradoxe ! - l'adjonction d'une progéniture autrement
inconnue au bataillon ! Et comme la Lollia Paulina de Tacite, sa mésaventure
finit par un suicide.
Reprenons le roman de R. Graves dont la série BBC est tirée,
Chap. 21 : lorsqu'il apprit le décès de sa chère
Vipsania, Tibère "ne chercha plus à dissimuler sa dépravation,
sur laquelle couraient des bruits qu'on se refusait à croire.
Ni femmes ni garçonnets n'étaient en sécurité
auprès de lui - pas même les femmes et les enfants des
sénateurs. Celles qui tenaient à leur vie ou à
celle de leurs maris ou de leurs pères devaient se prêter
de bonne grâce à ce qu'il attendait d'elles. Mais on vit
une femme de consul se tuer ensuite en présence de ses amis :
elle n'avait pu sauver sa fillette de la concupiscence de Tibère
qu'en acceptant de se prostituer à lui, ce qui était déjà
assez de honte ; mais le vieux bouc avait profité de sa complaisance
pour la contraindre à des actes si abominables qu'elle préférait
mourir que d'en garder le souvenir". Sur ce personnage anonyme,
le scénariste Jack Pulman avait plaqué le nom de Lollia,
mais elle aurait tout aussi bien pu s'appeler Cornelia ou Calpurnia
! Rien à voir donc avec Lollia Paulina. Toutefois, si le scénariste
de la BBC avait eu la curiosité de se rapporter à Suétone,
il eut découvert qu'"une certaine Mallonia, qu'il [Tibère]
avait séduite, mais qui se refusait avec obstination de se
prêter à ses honteux caprices", fut traînée
devant les tribunaux par des délateurs à la solde de l'empereur.
Accusée de crime de lèse-majesté, elle se perça
d'un poignard après avoir publiquement dénoncé
les vices de l'Empereur (SUÉT., Tib., 45). Voilà
pour cette Lollia de contrebande, que les téléspectateurs
de bonne foi auraient pu confondre avec l'autre, la plus belle femme
de Rome !
Quant aux immondes perversions de Tibère, vous
aimeriez savoir ? Quelques lignes plus loin, citant un vers d'atellanes
qui le visait, Suétone nous donne une idée des révulsantes
pratiques sexuelles auxquelles l'odieux personnage soumettait ses innocentes
victimes :
Le vieux bouc lèche les parties naturelles
des chèvres
Je ne sais trop ce que vous en pensez, mais les images
de la décadence romaine en prennent un coup. Il est vrai que
pour les Romains un simple patin - un french kiss - était
considéré comme une familiarité d'une audace insupportable !
Seuls des dépravés y consentaient (4).
Oubliez donc le plan final des péplums de votre adolescence,
lorsque le beau centurion embrassait sa fiancée chrétienne
arrachée aux fauves
Et dites-vous que tout ça, c'était
du cinéma !
MICHEL ÉLOY
Sur le site associé
-
Néron - notice biographique : Clic
!
-
-
Quelques liens sur Muréna de Dufaux
et Delaby : Clic
!
-
La bande dessinée
Murena : un portrait de Néron trop conventionnel
! : Clic
!
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NOTES :
(1) Il s'agit en fait de Odes,
IV, 9 (N.d.M.E.). - Retour texte
(2) Une des deux prostituées
(l'autre se nommait Cléopâtre) avec lesquelles Claude
concubinait habituellement (N.d.M.E.) - Retour
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(3) Fin août 38. - Retour
texte
(4) Dans la récente version polonaise
de Quo Vadis ? (2001), le réalisateur Jerzy Kawalerowicz,
bien informé, a proscrit le baiser même le plus chaste
: Robert Taylor et Deborah Kerr aux poubelles de l'Histoire !
Pourtant Horace, Catulle
? Ah ! la bienséance n'est
pas simple.
Sur le vocabulaire et les pratiques érotiques des Romains,
on se rapportera à un petit livre gratiné, mais
qui offre toutes les garanties de rigueur scientifique : Michel
DUBUISSON, Lasciva Venus. Petit guide de l'amour latin,
Mons, Ed. Talus d'approche, coll. "Libre Choix", n¬ 10, 2000.
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