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[ Les Héros du samedi soir
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11. Conan le Barbare
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11.3. Les Barbares à
l'écran
Principalement connus de nous à travers les écrits
de leur ennemis romains, les "Barbares" - terme commode qui désigne
aussi bien les Germains que les Celtes, les Sarmates ou les Huns - n'ont
pas peu contribué à l'édification de notre monde
moderne. Hormis une bonne demi-douzaine de films adaptant les Nibelungen
et un peu plus consacrés aux Vikings, les Barbares n'avaient
guère, à ce jour, inspiré une tentative cinématographique
d'envergure.
Précisons encore que, de même que le cycle
celtique de la Table Ronde, celui, germanique, des Nibelungen doit être
situé historiquement au Ve s. de n.E. Les textes ayant été
fixés après le XIIe s., il est constant de les voir filmés
dans des châteaux, des costumes et des armures du XIVe s. Mutatis
mutandis, l'idée était tentante (et c'est ce à
quoi, sans doute, se sont appliqués la plupart des romanciers
anglo-saxons d'heroic fantasy, dont R.E. Howard (13))
de remonter aux origines des "Barbares"... en ces lieux mythiques d'Eurasie
d'où sortiront les Indo-Européens - les Aryens, le grand
mot est lâché - et les Touraniens qui, du second millénaire
avant n.E. avec les Celtes, au XIIe s. après avec les Mongols,
déferleront par vagues successives jusqu'aux rivages de notre
mer originelle, la Méditerranée, la Mare Nostrum
- l'autre pôle de notre civilisation occidentale, son pôle
femelle, son pôle négatif si tant de fois célébré
dans les péplums d'Hollywood et de Cinecittà.
Une uchronie "aryenne"
Le monde hyborien (id. est hyperboréen) est assez
transparent. Une carte (14)
en a été tracée par les exégètes,
qui gomment fort significativement la Méditerranée : l'Europe,
l'Asie et l'Afrique y sont soudées en un immense continent originel.
Mais les Pictes sont bien à la hauteur des îles Britanniques;
la Cimmérie, le Vanaheim, l'Asgard et l'Hyperborée en
Scandinavie-Finlande-Prusse; Ophir aux confins des côtes espagnoles.
Et Kush est en Afrique; la Stygie est l'Egypte, le long de son fleuve
des Morts; Vendhya l'Inde et Khithaï (le Cathay médiéval)
la Chine.
Et l'Aquilonia, qui tire son nom d'Aquilon, le vent du Nord, est Rome
(15) guerroyant contre
les Pictes (pré-Celtes insoumis). Aussi n'est-elle pas par hasard
située en Bretagne continentale, ultime refuge aux Ve-VIIe s.
de la résistance romano-bretonne contre les envahisseurs saxons.
Sous dix climats allant des neiges nordiques à
la jungle africaine et des îles des flibustiers aux steppes d'Asie
et aux déserts d'Arabie, Conan le Celte (16)
est le héros du même scénario sans cesse renouvelé
: tantôt mercenaire ami, tantôt chef de bande ennemi, il
est l'étranger venu d'ailleurs, confronté aux vieilles
civilisations du sud - raffinées, décadentes et cruelles,
où survivent d'immondes divinités lovecraftiennes - et
qu'assiègent des hordes nomades, affamées et émerveillées,
avides et craintives, mais prêtes à tailler à coups
d'épée dans tout ce qui dépasse leur entendement
: les Barbares.
Conan est l'adorateur de Crom, le grand dieu sombre qui, du haut de
sa montagne, siège sur le Valhalla des guerriers germaniques
- et de Mitra, le vieux dieu indo-iranien des contrats, plus tard adopté
par les légions romaines. Passionné d'Histoire R.E. Howard
(17) pouvait donc
mélanger les genres et les époques, déguiser des
reines gothiques en bayadères ou montrer un Celte jurant par
les dieux du Valhalla.
Ne sommes nous-pas aux origines du monde, avant la Grande Séparation,
avant l'avènement des "Fils d'Aryas", dans une civilisation qui
n'est qu'une pure vue de l'esprit des linguistes et qui, aux dires des
historiens, n'aurait jamais existé (18)
?
11.3.1. John Milius
Lorsque "j'ai commencé
à penser à "Conan" il y a plusieurs années
- déclarera le réalisateur de Conan le Barbare,
John Milius -, ce qui m'intéressait, c'était
de faire un film sur l'époque païenne. Conan se déroule
pendant la préhistoire, et cela me permettait de prendre
toutes sortes de libertés, de répertorier les traits
les plus divers qui me fascinent dans les cultures primitives,
et de les amalgamer au gré de ma fantaisie. En ce sens,
Conan le Barbare est davantage une "fantaisie historique" qu'un
film d'aventures".
Est-il encore besoin de présenter John Milius, ce chantre
du cinéma reaganien ? Fascinant personnage que ce metteur
en scène admirateur de John Ford, Nietzsche et Genghis
Khan, qui dit-on mit en scène Conan le Barbare coiffé,
sur le plateau, du célèbre béret vert des
Forces Spéciales américaines - l'armée privée
de la C.I.A. - précédemment illustrées à
l'écran par le film homonyme de John Wayne (The Green
Berets, 1968). "John Milius est un grand spécialiste
des armes et des chevaux - peut-on lire à son sujet
sous la plume de Doug Headline (19).
La vie de l'Ouest ancien le fascine. Il regrette les temps
difficiles mais plus justes où l'homme ne pouvait compter
que sur lui-même pour sauver son indépendance, son
honneur, et sa vie. Un individualiste farouche, plein de foi en
la force de l'homme lorsqu'il se décide à prendre
les choses en main. Le dernier cow-boy ?" Interrogé
sur ses goûts politiques, il répondra préférer
"L'anarchie (20).
Je suis contre toute forme de gouvernement (...) contre les
socialistes (...) contre la droite (...). Je suis d'accord avec
R.E. Howard qui préférait la barbarie (21).
(...) Mon film traite de l'aventure d'un homme seul, un individu
dans un monde barbare et impitoyable. Ce thème de l'homme
indépendant, je l'avais déjà traité
dans Le lion et le vent (22),
où Sean Connery luttait seul contre les Etats-Unis et
ses Marines" (23).
Ce qui ne l'empêchera pas, à la veille de la perestroïka,
de commettre une Aube Rouge (Red Dawn, 1985 (24))
racontant l'invasion des Etats-Unis par les Russo-Cubains, qui
fit bien rire la critique à sa sortie. C'est vrai que le
film arrivait au mauvais moment. |
Avant Conan, il y eut pour faire le
ménage : John Wayne ! |
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11.3.2. Mad Max au Viêt-Nam
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Crom, je ne t'ai jamais prié
de toute ma vie - je n'ai jamais su le faire. Personne, pas
même toi, ne se souviendra si nous étions des
hommes bons ou mauvais; pourquoi nous nous sommes battus,
et pourquoi nous sommes morts. Non, ce qui compte, c'est que
deux hommes se sont dressés contre beaucoup d'autres.
Voilà ce qui est important.
Tu aimes la vaillance, Crom ! Alors réponds à
ma prière : accorde-moi la vengeance !
Et si tu ne veux pas m'entendre, que les démons t'emportent
!
Conan le Barbare, de John Milius |
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En 1967, la guerre du Viêt-Nam
était devenue un épisode de Star Trek.
(...) Un déluge de défoliants dégringolait
du ciel. (...) Des princes médiévaux collaboraient
avec des marxistes. Des tribus qui étaient encore au
stade de l'âge de la pierre maniaient les armes les
plus récentes. Et d'étranges détecteurs
issus de l'ère spatiale tombaient du ciel. Il y avait
longtemps que le Laos ne faisait plus partie du monde réel.
(...) Mais il faut dire qu'au Laos, seules s'appliquaient
les lois de la science-fiction.
Nam (25) |
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Le corps enduit de peintures de guerre s'apparentant plutôt
au camouflage militaire, Conan le Barbare combattait les adeptes baba-cool
pacifistes de Thulsa Doom voués à être dévorés
par le Moloch du communisme totalitaire - condamnant à travers
eux les adeptes du flower power des "Sixties". A sa suite, Rambo
I-II-III-Stallone, Braddock-Chuck Norris (Missing in Action I-II)
et Charles Bronston le Justicier de la jungle urbaine seront les nouveaux
héros musclés de cette Amérique qui, sa défaite
bue, redresse la tête et exorcise le Viêt-Nam à travers
Voyage au bout de l'Enfer (The Deer Hunter, Michael Cimino,
1978), Retour vers l'Enfer (26)
(The Uncommon Valour, Ted Kotcheff, 1983) et leurs séquelles
cinématographiques...
Son béret vert, John Milius le portait en fait
depuis le tournage par Francis Ford Coppola de Apocalypse Now,
dont il était le scénariste. Une digression s'impose à
propos de Apocalypse Now et de notre réalisateur "barbare".
Les Golden Sixties, Hercule, Maciste et les héros huilés
sont loins. Il y a eu mai 68 et le désenchantement de la "sale
guerre" du Viêt-Nam, traduit dans le cinéma qui nous intéresse
par l'apparition des salopards crasseux et dépenaillés
du western-spaghetti (1964) qui va influencer le cinéma américain
lui-même (les westerns hyper-violents de Sam Peckinpah)
(27)
Période de décantation, les Seventies
seront l'ère des anti-héros à la Dustin Hoffman.
Mais dès 1977, avec le space opera de Georges Lucas, La
guerre des Etoiles, le cinéma redécouvre le triomphalisme
et le manichéisme. Ainsi les Eighties sont-elles mûres
pour l'heroic fantasy qui conjugue l'héritage du péplum,
du western-spaghetti et du film de kung-fu. Spécialistes des
arts martiaux, les nouveaux héros seront, les biscotos en plus
(28), des "mercenaires,
voleurs et assassins", tels que définis dans le pedigree howardien.
Apocalypse Now
On connaît la trame du film de F.F. Coppola, tiré du
scénario de John Milius (un des premiers qu'il ait écrit).
Un capitaine des bérets verts, Willard, est chargé par
la C.I.A. de retrouver son collègue, le colonel Kurtz commandant
un maquis secret au Cambodge. Il semble que Kurtz ait sombré
dans la démence paranoïaque. Il a exécuté
des agents doubles vietnamiens sans rendre compte aux autorités
militaires, et celles-ci ne sauraient tolérer un tel franc-tireur
incontrôlable. En fait, Willard a pour mission d'éliminer
Kurtz.
Après avoir assisté, sur fond de musique wagnérienne,
à la destruction gratuite (29)
d'un village par la cavalerie héliportée du colonel Kilgore,
Willard remonte donc en bateau un affluent du Mékong, le Nung.
Kurtz et ses bérets verts - difficiles à reconnaître
sous leurs peintures de guerre - qui semblent être retournés
à la barbarie originelle, règne en véritable roi
sur une tribu de coupeurs de têtes au fond de la jungle des Hauts-Plateaux...
Pour Serge Daney (30),
l'itinéraire de Willard se lit en termes psychanalytiques : "filmer
l'irreprésentable phallus" (le crâne chauve de Brando-Kurtz)
(p. 47), "la remontée vers les nuds de la filiation,
des fils vers les pères, dipe vers Laïos" (p.
46), "la mise à jour du lien homosexuel en tant qu'il est
à la base de toute société, de toute fraternité,
donc de toute guerre" (p. 47). Pourtant S. Daney voit juste lorsqu'il
rappelle :
"Si découverte il y a, au terme de la remontée
du fleuve, c'est qu'on ne tue pas le père, parce qu'il
voulait mourir depuis toujours et qu'il attendait son meurtrier
avec impatience" (p. 47).
(C'est nous qui soulignons.)
Au juste, ce n'est pas en termes de psychanalyse ou de
politique qu'il conviendrait de décoder Apocalypse Now.
Bien sûr, il y a la condamnation de la guerre du Viêt-Nam
dans toute son absurdité - telle l'attaque du village par des
hélicoptères wagnériens, la drogue, etc. (31)
- mais il y a une autre lecture possible, dont la clef nous est donnée
explicitement par le film lui-même. C'est la dimension ethnologique,
concrètement définie par l'exemplaire du Golden Bough
[Le Rameau d'or] de J.G. Frazer, posé bien en évidence
sur un coin du bureau de Kurtz, que la caméra vient balayer.
Et soudain, tout bascule - oublié le divan du "psy", le meurtre
du père et l'homosexualité sous-jacente du compagnonnage
militaire - nous sortons du mélodrame politique pour plonger
dans le drame par excellence qu'est le mythe. Non plus celui
du père, mais de son archétype, le roi sacré dont
Frazer a élaboré la mythologie dans son monumental Rameau
d'or (1890-1915) (32),
à partir du culte romain de Diane Aricie, dans le bois de Némi,
près du lac Fucin. Son grand prêtre était un proscrit,
un esclave en fuite, que quiconque pouvait tuer pour prendre sa place
après avoir cueilli un rameau de l'arbre que le vaincu était
censé garder. Cette coutume était la survivance d'une
antique royauté sacrée ancrée dans la virilité
du roi, rejaillissant sur celle de son peuple. Tant qu'il était
fort, il régnait. Mais à la moindre défaillance
ou en cas de disette, épidémie, désastre guerrier,
il était mis à mort par un plus jeune que lui, et les
lambeaux de sa chair étaient répandus dans les champs
à féconder (33).
Plus tard on lui trouvera des substituts, d'abord humains, ensuite animaux
(34); de nombreux
mythes grecs se souvenaient de héros, de rois ou de dieux (Absyrtos,
Penthée, Actéon, Orphée, Dionysos) ainsi mis en
pièces au terme de bacchanales effrénées. Il est
significatif que Willard "exécute" Kurtz cependant qu'en montage
alterné, l'on voit ses sujets procéder au sacrifice d'un
buffle.
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[Un Moï, en 1931,]
un de ces êtres à ce point inaccessibles
que mon imagination ne leur avait même pas donné
de forme (...). Un homme nu, sale et fier, parlant fort
une langue inconnue (...) son étroit cache-sexe de
couleur indéfinie ne pouvait passer à nos
yeux pour un vêtement : tous les gens que nous voyions
étaient en général couverts de la tête
aux pieds de costumes militaires ou vietnamiens.
Georges Condominas (35).
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Les "sauvages" des Hauts-Plateaux
Oubliés donc le Viêt-Nam-"prétexte" et la lecture
"psy" de Apocalypse Now. Ceux que Serge Daney nomme faute de
mieux un "peuple de l'abîme" - l'expression aurait enchanté
E.R. Burroughs, si elle ne lui avait été empruntée
- prennent maintenant consistance et retrouvent le nom qui leur avait
été jusqu'ici refusé. Ces sont des Moï
(36) - ce peuple
des Hauts-Plateaux qui vit nu, ces anciens habitants de l'Indochine
[Proto-Indochinois] qui, chassés des plaines côtières
par les envahisseurs vietnamiens - qu'ils détestent, et c'est
réciproque - tiennent sous leur coupe des territoires inaccessibles.
Pacifiés après leur grande révolte de 1934-1935,
ils fourniront aux Français d'abord, puis aux Américains
leurs auxiliaires les plus sûrs et les plus fidèles contre
le Viêt-Minh puis le Viêt-Cong. Vers le début des
années '70, ayant entamé leur processus de désengagement,
les Américains rappelèrent les bérets verts qui
encadraient leurs maquis anti-communistes - abandonnant les Moïs
aux coups des Nord et Sud-Vietnamiens tacitement d'accord pour perpétrer
contre eux un véritable ethnocide (37).
Voilà le peuple du colonel Kurtz - le "peuple de
l'abîme". Coupent-ils les têtes à la manière
des Dayaks de Bornéo, auxquels ils sont d'ailleurs apparentés
? Nous avouons l'ignorer - c'est peut-être un fantasme de J. Milius,
sait-on jamais (38)
? Si vous pensiez avoir fait le tour de l'horreur avec cette guerre
du Viêt-Nam, relisez Paul Bonnecarrère (Par le sang
versé) et comment, au début de la première
guerre d'Indochine, une patrouille mixte de légionnaires et de
Moïs (des Kha laotiens) anéantit un groupe de jeunes
Viêt-minhs. Les Kha prélevèrent le foie sur leurs
cadavres, et à l'étape les partagèrent fraternellement
avec les légionnaires.
Les derniers païens
"Mon premier contact avec Apocalypse Now - raconte F.F. Coppola
(39) - remonte
aux environs de 1969 (40)
lorsque j'ai entendu John Milius relater quelques anecdotes au sujet
de faits se passant au Viêt-Nam (...). John Milius voulait
en tirer un film sur le Viêt-Nam et je suggérai de le
baser sur Le cur des ténèbres, utiliser la
métaphore du bateau et axer toute l'aventure sur le mystérieux
colonel Kurtz."
Dans le roman de Joseph Conrad (1906), Kurtz est un trafiquant d'ivoire
qui règne en dieu vivant sur une région inaccessible;
il avait voulu évangéliser l'Afrique, mais c'était
le paganisme qui avait triomphé de cette épreuve de force.
La transposition de l'Afrique de Stanley dans la guerre du Viêt-Nam
était aisée : les maquis secrets de la C.I.A. et de ses
Forces Spéciales au Cambodge offraient le contexte rêvé.
Plus tard, Jean Lartéguy écrira d'eux :
Il est dangereux de vivre trop longtemps au contact des
primitifs, comme avec les Moïs des Hauts-Plateaux, quand on a
conservé, c'était le cas [du colonel Edwards
D.] Sotter, une âme d'enfant.
Les contraintes que nous impose la civilisation nous ont rendus fragiles
tandis que les montagnards, dans leur simplicité, gardent intacte
leur force originelle. Les missionnaires finissent par devenir fétichistes,
les ethnologues croient aux bons sauvages et les soldats comme Sotter
et ses bérets verts se barbouillent de peintures de guerre
et apprennent à tirer à l'arbalète" (41)
Ne peut-on pas juxtaposer avec les dernières lignes
de Conan le Guerrier :
"La barbarie est l'état naturel de l'espèce
humaine, (...) La civilisation n'est pas naturelle. Elle résulte
d'une fantaisie de la Vie. Et la barbarie finit toujours par triompher."
(42)
Si Francis Ford Coppola a donné à Milius
la trame de Apocalypse Now (43),
ce dernier par contre en assume bien les idées et le contenu
: la guerre du Viêt-Nam et ses aberrations certes - mais aussi
la fascination ethnologique (Frazer) pour le paganisme et ses mythes.
Plus tard, Milius déclarera à propos de Conan le Barbare
: "J'espère avoir donné dans ce film un reflet authentique
de la morale païenne. Quand j'étais jeune, j'étais
fasciné par le monde païen, et j'ai consacré une
grande partie de mes loisirs à l'étudier, à tenter
de le comprendre. Il me semble que nous pourrions y trouver des notions
intéressantes, car je doute que nous ayons beaucoup gagné
au christianisme" (44).
L'attaque du village par les hélicoptères
munis de hauts-parleurs qui tonitruent La chevauchée des Walkyries
de Wagner - fait de guerre plausible - c'est déjà le paganisme
germanique de J. Milius, admirateur de R.E. Howard. (Il est significatif
de noter que, devenu producteur, Milius nommera sa société
"Valkyrie" (45).)
Le fait que le colonel Kilgore (sic) - de la cavalerie héliportée
des Etats-Unis - ait pour seul objectif stratégique... la conquête
d'une place propice au surf en est comme une signature : Milius
est lui-même un grand amateur de ce sport (46),
aussi engagera-t-il un champion de surf, Gerry Lopez, pour tenir le
rôle de Subotaï (47)
dans Conan le Barbare; tout comme les chapeaux "cow boys" et
le clairon saluant le départ des hélicos en sonnant la
charge du 7th of Cavalry - allusion à John Ford dont Milius
a vu tous les films 20 ou 30 fois. Le film tout entier tient dans cette
juxtaposition - présente dans l'uvre d'Howard - des mondes
germanique et asiatique : "Notre monde hyborien est culto-allemand;
la Cimmérie est la Finlande ou la Pologne... [et Ron
Cobb, le décorateur, a travaillé dans une perspective]
mongol/byzantin ou nordique/oriental si vous préférez"
(48).
Suite...
NOTES :
(13) J.R.R. TOLKIEN
et son Seigneur des Anneaux restant toutefois l'exemple
le plus réussi de la rigueur dans la fiction (porté
à l'écran par Ralph Bakshi, EU - 1978 [animation]
et Peter Jackson, EU - 2000-2003). - Retour
texte
(14) Réalisée
d'après les notes et esquisses de R.E. Howard par P.
Schuyler Miller, John D. Clark, David Kyle et L. Sprague de
Camp, cette carte est reproduite e.a. dans les volumes des deux
séries "Conan" - Edition Spéciale (1972), puis
Titres SF (1981) - chez Lattès. - Retour
texte
(15) Dans la saga de
Conan, la désinence en -us des noms aquiloniens
en témoigne. - Retour texte
(16) Les Cimmériens
ou Cimbres historiques devant, semble-t-il, être identifiés
aux Kymris. "Conan", du reste, est un nom celtique -
il signifie le Premier. Du Xe au XIIe s. il sera porté
par quatre ducs de Bretagne. - Retour texte
(17) Il n'empêche
que sa vision des Pictes en lutte contre Rome, reposant essentiellement
sur la rêverie devant une carte de l'Empire romain où,
au delà du Mur d'Hadrien, figuraient les mots "Pictes"
et "Insoumis" est purement fantasmatique - cf. l'Introduction
de François TRUCHAUD, "Bran, Cororuc, Cormac... et les
Picts", Bran Mak Morn, NéO, n° 60, 1982.
- Retour texte
(18) Sur le cheminement
du mythe aryen cf. Léon POLIAKOV, Le mythe
aryen (1971), Complexe, 1987; sur l'origine atlante de la
race germanique, d'Olav Rudbeck à Jurgen Spannuth - sans
omettre Zschaetzch et Lewis Spence - et son exploitation nationaliste
: cf. : "Entretien avec P. Vidal-Naquet : Le mythe de
l'Atlantide", in L'Histoire, n° 111, mai 1988, pp.
56-63; et Pierre VIDAL-NAQUET, "L'Atlantide et les Nations",
in Lettre internationale, n° 19, hiver 1988-1989,
pp. 4-8. - Retour texte
(19) Métal
Hurlant, n° 74bis, avril 1982, p. 87. - Retour
texte
(20) Cf. son
Dillinger (1973). - Retour texte
(21) Métal
Hurlant, op. cit., pp. 88-90. - Retour
texte
(22) La politique de
la canonnière au Maroc, en 1904, sous Théodore
Roosevelt. - Retour texte
(23) Métal
Hurlant, op. cit., p. 86. - Retour
texte
(24) Starfix,
n° 22, janvier 1985, pp. 46-49. - Retour
texte
(25) Nam. L'histoire
vécue de la guerre du Viêt-Nam. 1965 -1975,
Bruxelles-Lausanne, éd. Atlas, 1988, I, pp. 236-237.
- Retour texte
(26) Coécrit
et coproduit par John Milius - cf. Starfix, n° 15,
mai 1984, pp. 40-42. - Retour texte
(27) Le premier film
réalisé par un Américain (en Italie) sur
la guerre du Viêt-Nam et ses désenchantements est
Les machines du diable (en Belgique : Cinq crapules,
cinq héros) (The Loosers, Jack Starrett -
IT, 1971). Une bande de voyoux motocyclistes et drogués
sont recrutés par la C.I.A. pour récupérer
un agent prisonnier des Communistes (en fait, il est passé
à l'ennemi et la C.I.A. ne désire le récupérer
que pour l'exécuter). Et voici nos Hell's Angels
en action, chevauchant des bolides trafiqués, équipés
de mitrailleuses et de lance-roquettes ! Ce nanar très
premier degré débouchait fort curieusement sur
un propos pessimiste.
Jack Starrett, notait J. Tulard (Dict. des réalisateurs,
R. Laffont, coll. Bouquins), était passé "de la
comédie homosexuelle (des gigolos, pour se faire réformer,
se font passer pour pédérastes - Gay Deceivers,
1969) au black movie policier (Slaughter, 1972,
Cleopatra Jones, 1973). Mais sa plus grande réussite
demeure(ra) La course contre l'enfer (Race with de
Devil, 1975), impressionnant film d'horreur sur les sectes
américaines". Assez curieusement, on retrouvera un Jack
Starrett dans le rôle de Galt, dans Rambo I (coïncidence
homonymique, ou s'agit-il du réalisateur des Loosers
?).
Un mot encore sur William Smith, interprète de Link,
le chef du commando-motocycliste dans The Loosers : ce
spécialiste du bike movie - Run, Angel, Run
(La haine des salopards, du même J. Starrett) et
Angels die Hard (de Richard Compton) - et des rôles
de tueur sadique était l'antagoniste de Clint Eastwood
dans Ca va cogner. Ancien culturiste, on avait pu le
voir capitaine de la garde dans Atlantis, Terre engloutie
(G. Pal, 1961); dans Conan le Barbare, il incarnait le
forgeron père de Conan. - Retour
texte
(28) Après une
première tentative de bilan dès mars 1986 (Hélène
MERRICK, "Hollywood Biceps - L'épopée du muscle",
Starfix, n° 34, mars 1986, pp. 56-57), on trouvera
un panorama de ce nouveau cinéma musclé dans les
articles suivants : 1) Cyrille GIRAUD, "Ciné-Muscle",
Impact, n° 24, décembre 1989, pp. 6-15 [en
dépit de son ton rigolo (on délaie la sauce comme
on peut), fait remarquablement bien le tour de la question pour
les années '80, mais échoue lamentablement lorsqu'il
s'essaie à l'archéologie du genre - les Fifties-Sixties.
Les pp. 7-8 ne sont qu'un fatras d'erreurs ou de coquilles (Mickey
Hartigay pour Hargitay, Mario (sic) Ciani pour Sergio...).
Charlton Heston-Ben Hur ne saurait avoir ouvert la voie au muscle
opera puisque Ben Hur ne sortit qu'en 1959 alors
que Steve Reeves faisait un tabac depuis 1957 (Les travaux
d'Hercule)]; 2) Marc TOULLEC, "Catégorie : Poids
Lourds" (dossier), Impact, n° 32, avril 1991, pp.
26-37. - Retour texte
(29) Hum... pas si gratuite
que cela. Le film indique clairement que le village, véritable
hérisson fiché au milieu des communications US,
était bourré de Vietcongs armés jusqu'aux
dents. Malheureusement, le choix de cet objectif stratégique
- parmi d'autres - était dicté par sa plage et
ses superbes rouleaux idéaux pour la pratique du surf
! Et c'est cette motivation ludique que le film de Coppola avait
choisi de mettre en relief. - Retour texte
(30) Les cahiers
du cinéma, n° 304, octobre 1979, pp. 45-48.
- Retour texte
(31) "L'Amérique
[réduite à ses] gadgets en délire,
à [ses] technologies hédonistes si incroyablement
déplacées sur la scène vietnamienne" -
Pascal BONITZER, Les cahiers du cinéma, op. cit.,
p. 48. - Retour texte
(32) Réédité
chez Robert Laffont en 1981-1984, dans la fameuse collection
"Bouquins" : 1. Le roi magicien dans la société
primitive - Tabou et les périls de l'âme; 2.
Le dieu qui meurt - Adonis - Atys et Osiris; 3. Esprits
des blés et des bois - Le bouc émissaire;
4. Balder le Magnifique. - Retour
texte
(33) Pier Paolo Pasolini
a mis en scène ce rite dans Médée
(1970). - Retour texte
(34) Notre fête
du Carnaval (qui autrefois coïncidait avec l'année
nouvelle) trouve son origine dans le remplacement du roi annuel
(interrègne).
A Babylone, au nouvel an - ou Akitu - un esclave était
sustitué au roi pour la durée de la journée,
jouissait à satiété de ses privilèges,
des femmes de son harem, etc. - puis, le soir, était
sacrifié en tant que le roi. - Retour
texte
(35) Georges CONDOMINAS,
L'exotique est quotidien, Plon, coll. Terre humaine,
1965, rééd. 1982, p. 10.
L'ethnologue était âgé de dix ans, au moment
de cette rencontre. - Retour texte
(36) Les termes Moï
- mot vietnamien qui veut dire "Sauvages" - ou Phnong
(au Laos, on les nomme aussi les Kha, "Esclaves"), ne
désignent pas, en fait, un peuple particulier, mais un
ensemble de tribus appartenant à deux groupes ethniques
distincts :
- les Austroasiatiques (la famille môn-khmère),
d'origine continentale, comprenant e.a., au Viêt-Nam,
les Bahnars au nord, les Köho et les Mnong au sud, et au
Laos, les Kha;
- les Austronésiens (la famille malayo-polynésienne),
d'origine insulaire, comprenant principalement les Chams, les
Rhadès et les Joraï.
P.K. Benedict rapproche linguistiquement les Austronésiens
des Thaïs.
"Rappelant de loin le potlach" (Condominas), le sacrifice
du buffle au sabre et à la lance, lequel est ensuite
dépecé, est le grand moment de la vie cultuelle
des Moïs (cf. description de ce sacrifice dans G.
CONDOMINAS, op. cit., p. 164 sqq.). - Retour
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(37) Il semble qu'actuellement
la politique de "vietnamisation" des Hauts-Plateaux se poursuive,
mais par des méthodes plus douces. - Retour
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(38) "Les jeunes gens
[moïs] qui désiraient se marier devaient
avoir trempé leur lance dans du sang humain. (...) Les
"expéditions de sang" des Katu au sud-ouest de Hué
(...) rappellent sur bien des points les fameuses "chasses aux
têtes" des Nagas de l'Assam ou des Dayaks de Bornéo"
- G. CONDOMINAS, op. cit., p. 112. - Retour
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(39) Positif,
n° 220-221, juillet-août 1979, p. 13. - Retour
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(40) Le film ne verra
le jour que dix ans plus tard, en 1979. - Retour
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(41) Jean LARTÉGUY,
Le roi noir, Paris, éd. de Fallois, 1991, p. 38.
- Retour texte
(42) R.E. HOWARD, "Au
delà de la Rivière Noire", in Conan le Guerrier,
VI, Lattès, coll. Titres SF, n° 40, p. 308. - Retour
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(43) A l'exception toutefois
du dénouement, qui est de Coppola; il existe du reste
deux ou trois "finales" différentes du film, tournée
par Coppola, avant que celui-ci ne fasse un choix définitif
(Positif, n° 220-221, p. 15).
En 1978, John Milius se fait dégager du plateau de
Apocalypse Now, dont il cosignait le script. Coppola ne raye
pas son nom du générique, mais avoue avoir été
peu emballé par les fins proposées par son coscénariste.
Quelles étaient-elles ? Nous ne le saurons jamais. Toujours
est-il qu'un beau matin philippin de 1978, Milius se tirait
en traitant Coppola de "fasciste" (sic) - N. BOUKRIEF, Starfix,
n° 22, janvier 1985, p. 47. (A manier avec précaution
: Coppola, justement, lorsque sortira son film, affirmera que
le scénario de Milius ne comportait pas de fin, et qu'il
dut en improviser une/plusieurs en cours de tournage.) - Retour
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(44) Pressbook Conan
le Barbare. - Retour texte
(45) Starfix,
n° 22. - Retour texte
(46) Métal
Hurlant, n° 74bis, p. 86. - Retour
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(47) Gerry Lopez, Hawaiien
de mère japonaise, rappellera dans une interview la passion
de Milius pour l'histoire des Mongols et son admiration pour
Genghis Khan, dont Subotaï (personnage non howardien,
ajouté par Milius) était l'un des plus brillants
généraux. - Retour texte
(48) Interview de J.
Milius, Métal Hurlant, n° 74bis, p.
88. - Retour texte
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