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Néron, une icône satanique

La représentation de l'impérial histrion,
d'Arrigo Boïto à Jerzy Kawalerowicz

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E. L'Antéchrist

"Entre-temps, la tradition chrétienne des premiers âges se popularisait au fur et à mesure que le christianisme se propageait dans tous les sens, et Néron devint sous tous les rapports un monstre satanique qui le représentait sous les traits de la Bête. La croyance du peuple qu'il reviendrait un jour fit qu'on le regarda comme l'antithétique ennemi de Jésus-Christ dont la Seconde Venue risquait de se heurter à celle de Néron. (...) A la fin du XIe s., le pape Pascal II écoutait parfois les corbeaux croasser dans un noyer qui s'élevait sur le mont Pincius, près de la tombe des Ahenobarbi, où les cendres de Néron étaient censées reposer, et où se dresse maintenant l'église de Santa Maria del Popolo. Une nuit, il rêva que ces oiseaux étaient des démons au service de Néron, et qu'ils veillaient sur son esprit errant sans cesse sur la colline. Il rasa donc les restes de la tombe, dissémina les cendres et construisit cette église. Mais les corbeaux allèrent se loger dans d'autres arbres : durant tout le Moyen Age on pensa qu'ils étaient les domestiques en livrée noire du spectre de l'Empereur qui errait toujours et ne cesserait d'errer dans ces parages, jusqu'au jour où lui et Jésus-Christ reviendraient et où Néron l'Antéchrist serait vaincu et précipité dans le gouffre sans fond.
La vengeance des traditionalistes que l'empereur avait bafoués fut terrible, car ils peignirent de lui le portrait d'un ennemi de l'humanité décente; mais la vengeance de cette petite bande de chrétiens qu'il avait si sévèrement traités fut écrasante, car ils firent de lui l'ennemi surhumain de Dieu, et aujourd'hui même, dix-neuf cents ans plus tard, cette ténébreuse vindicte l'enveloppe dans une brume de préjugés hostiles."
C'est sur ces lignes que s'achève le Néron d'Arthur Weigall (1), nous laissant entrevoir tous les fantasmes du christianisme médiéval et ses séquelles...

 
 C'est le moment d'être habile ! Aux gens avisés de calculer le chiffre de la Bête ! Car c'est le chiffre d'un homme, et ce chiffre est six cent soixante-six."
Apocalypse,
13 : 18 - trad. Maredsous

L'Antéchrist est mentionné par l'Apocalypse (qui l'assimile à la Bête et l'associe au nombre 666 [2]), attribuée à saint Jean de Pathmos, et par une épître du même Jean (3) ; saint Paul y fait allusion comme à l'"impie" (4). L'église catholique n'a jamais rien décidé concernant son histoire ni sa venue, ce qui a laissé le champ libre à toutes les spéculations.
De l'Antiquité à nos jours, pas mal de personnages historiques ont été cités comme Antéchrist. Mais d'abord, qu'est ce que l'Antéchrist ? Le nom est formé du grec Ant[i], "contre" et Christos, et Littré le définit comme un "imposteur qui, venant avant la fin des temps, voudra établir une religion opposée à celle de Jésus-Christ". Parmi ceux qui sont apparus avantle Christ, ont cite Nemrod - le constructeur de la tour de Babel -, Nabuchodonosor et Antiochus IV Epiphane. Après le Christ, il y eut entre autres Charlemagne, restaurateur de l'Empire romain, Napoléon, Hitler (5), Staline, Saddam Hussein (nous en passons) et, assez bizarrement J.F. Kennedy et... Jacques Chirac (!). Au XIVe s., les papes Urbain VI et Clément VII se traitèrent mutuellement d'Antéchrist. Aux yeux de certains, saint Paul lui-même n'échappera pas à la flatteuse épithète en ce qu'il apporta au christianisme des vues originales, qui ne concordaient pas toujours avec celles du Christ - qu'il n'avait du reste guère connu, au contraire des apôtres. Pour être un antéchrist, il suffit parfois d'avoir un nom de six lettres, ou permettant une ingénieuse combinaison en relation avec le nombre 666. Ainsi Al Gore, qui aurait remplacé Bill Clinton en cas de malheur, aurait été un Antéchrist potentiel comme il appert en totalisant la somme des lettres Ascii minuscules composant son nom (!). Quelle valeur accorder au chiffre 666, qui est "le chiffre d'un homme" (entendez : un nom de personne) ? Nous confessons avoir un faible pour la paisible explication du traducteur bénédictin de l'édition de l'Abbaye de Maredsous : "Trois six suggèrent une domination manquée, inférieure à la perfection exprimée par le chiffre sept."

Toutefois l'Antéchrist le plus probable fut sans doute Néron, puisque en hébreu "César Néron" s'écrit au moyen des lettres suivantes :

kof samekh rech (100 + 60 + 200)
et noun rech vav noun (50 + 200 + 6 + 50)

soit un total de 666. Ne fut-il pas le premier empereur romain à persécuter les chrétiens ? Mais si l'auteur de l'Apocalypse est bien le même que l'apôtre Jean fils de Zébédée, le "disciple préféré du Christ" auteur du 4e Evangile comme le veut la tradition (du reste discutée), il fut victime de la seconde persécution, celle de Domitien, le "Néron Chauve". Au cours de celle-ci périt T. Flavius Clemens, cousin de l'empereur, tandis que Jean était convié à se plonger dans un chaudron d'huile bouillante (6). Plus chanceux que Paul et Pierre sous Néron, qui n'y coupèrent pas (7), Jean - parce qu'il était vierge, assure La Légende Dorée - surmonta l'épreuve, miraculeusement épargné des brûlures, mais fut quelque temps exilé à Pathmos. Ensuite, il retourna à Ephèse en compagnie de Marie, mère de Jésus, et le touriste peut de nos jours encore y visiter la petite maison où ils habitèrent, dominant le site majestueux voué au culte de la Déesse-Mère, Cybèle ou Artémis. Sans doute aurions-nous aimé gloser sur les mythologies comparées - la mère du Christ/la Déesse-Mère -, mais nous nous égarerions. Revenons à nos Néron... chauves ou roux.

Nous avons donc Néron, le matricide et incendiaire. Et Domitien, qui voulait se faire appeler Dominus et Deus. Et aussi le réformateur du paganisme, Julien l'Apostat... Et Constantin lui-même, qui favorisa l'hérésie arienne : l'Antéchrist est souvent associé au pouvoir temporel, celui de l'Empereur romain d'abord, de ses successeurs ensuite (8). Par après, il sera relié à la notion d'apostasie...
Ernest Renan, dans son Antéchrist (1878) (in Histoire des origines du christianisme, IV), brossa un tableau attachant du règne de Néron, amateur d'art et de belles formes tandis que Friedrich Nietzsche, trois mois avant de se faire interner dans un asile d'aliéné, publiait un Antéchrist, essai d'une critique du christianisme (in Le crépuscule des idoles, 1899)) où il massacrait la rédemption chrétienne, la religion des petits et sans grades, au profit de l'exaltation de l'individualisme des forts, qui seuls ont le droit de vivre.

Si vous surfez sur la toile à la recherche, par exemple, d'"Antechrist 666" vous risquez de tomber sur des pages assez croquignoles où s'expriment tous les délires statistiques de cuistres arithmomanciens, arithmosophes et autres gématriciens disciples de Raymond Abellio (La Bible, document chiffré) : ainsi le mot eau, symbole du baptème purificateur du péché originel, revient 666 fois dans le TOB et le mot loi 666-1 fois dans la Bible de Jérusalem. La longueur de la diagonale de l'antichambre de la grande pyramide est de 666 pieds cependant que, lors de la visite pontificale aux Etats-unis, on pouvait obtenir des renseignements relatifs aux déplacements du Saint Père en formant un numéro de téléphone contenant le chiffre 666. Salomon récoltait annuellement 666 talents d'or (I Rois, 10 : 14) (et ça fait combien en kilogrammes, sachant que 1 talent fait environ 26 kg ?) et Adonikam eut 666 fils (Esdras, 2) !

Depuis que Rosemarie a mis au monde son bébé (Rosemary's Baby, Roman Polanski), en 1968, le film de malédiction biblique a connu un certain succès, où la figure de l'Antéchrist se taille une place honorable. L'un des plus importants est sans doute The Omen (Richard Donner, 1976) où l'on voit la femme de l'ambassadeur des Etats-Unis, Katherine Thorn (Lee Remick) accoucher d'un enfant mort-né un 6 juin à 6h du matin. Pour lui éviter une déception, son mari y substitue un enfant sans mère qu'un individu "bienveillant" "qui passait par là" lui propose. Ce sera Damien, l'Antéchrist, le fils de Satan. Connu chez nous sous le titre La Malédiction, le film aura de nombreuses suites (Damien : Omen II, Don Taylor, 1978; The Final Conflict, Graham Baker, 1981 et, à la TV, Omen IV : The Awakening, Jorge Montesi et Dominique Othenin-Girard, 1991) et séquelles (L'Anticristo, Alberto De Martino, 1974; The Exorcist, William Friedkin, 1973, où il s'agit d'un démon que sa suite - Exorcist II : The Heretic, John Boorman, 1977 - va identifier au dieu babylonien Pazuzu). Mais quel spectateur attentif a remarqué que, dans Les aventuriers de l'Arche perdue, le sous-marin nazi quittant l'Egypte pour l'archipel grec et dont on entrevoit brièvement le plan de navigation, se dirigeait vers Pathmos pour ce fameux rituel de l'ouverture du couvercle plombé sous lequel se trouve l'Arche de l'Alliance ?
Dans End of Days (Peter Hyams, 1999), Arnold Schwarzenegger, dans le rôle prédestiné de Jericho Cane, le flic qui veut mettre Satan en prison, finira par accepter d'accueillir dans son enveloppe charnelle les forces du mal afin de les annihiler en s'autodétruisant. En s'offrant en sacrifice. Belle abnégation chrétienne. Le film sortit en décembre 1999, à la veille du bug de l'an 2000 et nous eûmes très peur, vraiment, même si la pauvre explication imaginée par le scénariste Andrew W. Marlowe - il suffit de retourner 666 pour obtenir 1999 ! - n'était pas très subtile. L'anéantissement de notre planète par une invasion d'extra-terrestres (Independance Day) ou par la collision avec un météore géant (Armaggedon), deux films-catastrophes sortis quasi en même temps, eut aussi le don de délicieusement faire frémir les foules, Antéchrist ou pas. (Qui donc se souvenait qu'Armaggedon était le lieu où devait se dérouler la bataille finale entre le Christ et l'Antéchrist ? (Apocal., 16 : 15).) Toutefois quand le 11 septembre 2001 deux Boeing firent un carnage tandis que George W. Bush se ruait sur le sentier de la guerre, il ne s'agissait plus de fiction... devant ses écrans de télévision, le monde retenait son souffle, sauf Paco Rabane qui - plein d'espoir - reprenait sa règle à calcul !

Le péplum n'a guère exploité la facette "antéchristique" de Néron.
Toutefois, les cinéphiles se souviendront du remontage du Signe de la Croix où le fils d'Agrippine était, cette fois, clairement défini comme Antéchrist : c'était à l'occasion de la ressortie du film, la Seconde guerre mondiale finie. Cecil B. DeMille y avait rajouté un prologue et un épilogue - transformant le film de 1932 en un long flash-back. Pendant la campagne d'Italie, un bombardier américain à bord duquel ont pris place un prêtre catholique et un pasteur protestant, allait jeter dans le ciel de Rome des tracts pacifistes dénonçant les antéchrists Hitler et Mussolini - ces nouveaux Néron.
Tandis que DeMille retouchait son film, Giuseppe Maria Scotese, dans L'Apocalypse (1946), partait de la révélation de saint Jean de Pathmos, pour mettre en cause Julien l'Apostat (incarné par Alfredo Varelli). L'Apocalypse (9) fait des aller-retour avec des séquences contemporaines dénonçant le fascisme et la bombe atomique. A la fin, tandis que l'Apostat agonise dans les plaines de Mésopotamie, Rome brûle, ravagée par un tremblement de terre, et les fauves échappés du Cirque Maxime éventré errent dans les rues. Le thème sera repris par Anthony Dawson [Antonio Margheriti] dans Les derniers jours d'un empire (Il crollo di Roma, 1964), mais traité avec beaucoup moins de rigueur et quasi aucune référence à un contexte historique précis (10). Spécialiste des effets spéciaux passé à la réalisation, Margheriti s'en donna toutefois à cœur joie pour filmer l'effondrement de la maquette du Colisée ! Inutile de dire que la scène n'avait rien d'historique : comme le Veau d'Or, le Colisée est toujours debout.

Un fait historique qui consolida le personnage de Néron dans son rôle d'Antéchrist fut l'attente de son retour. "(...) appuyé sur quelques passages de saint Paul lui-même, saint Jérôme présenta Néron comme l'Ante-Christ, ou du moins comme son précurseur - rappelle Alexandre Dumas dans les dernières pages d'Acté. Sulpice Sévère fait dire à saint Martin dans ses dialogues qu'avant la fin du monde Néron et l'Ante-Christ doivent paraître, le premier dans l'Occident où il rétablira le culte des idoles; le second dans l'Orient où il relèvera le temple et la ville de Jérusalem pour y fixer le siège de son empire, jusqu'à ce qu'enfin l'Ante-Christ se fasse reconnaître pour le Messie, déclare la guerre à Néron et le fasse périr. Enfin, saint Augustin assure, dans sa Cité de Dieu, que, de son temps, c'est-à-dire au commencement du cinquième siècle, beaucoup encore soutenaient au contraire qu'il était plein de vie et de colère, caché dans un lieu inaccessible, et conservant toute sa vigueur et sa cruauté pour reparaître de nouveau quelque jour et remonter sur le trône de l'empire" (11). Refusant de croire à la mort du fils d'Agrippine, le peuple romain - qui l'adorait - espéra longtemps le retour de Néron. Des rumeurs circulaient annonciatrices de son retour, souvent liées à des sosies de l'empereur qui s'étaient manifestés (Suét., Nér., 57 et Tac., Hist., II, 8 [12]). Il y eut au moins trois. Le premier, Terentius Maximus se signala vers 60; le deuxième, évoqué par Tacite, parut en 70 et le troisième, mentionné par Suétone, fit parler de lui dans les années '80. L'auteur du Juif Süss, Lion Feuchtwanger consacrera même un roman historique au sosie de Néron (13) ou l'histoire d'un potier nommé Terentius, manipulé par le sénateur Varus contre le gouverneur de Syrie, Céion, avec l'accord tacite d'Artaban, roi des Parthes.
Dans Il Gladiatore che sfidò l'impero (bizarrement rebaptisé de ce côté-ci des Alpes Hercule défie Spartacus - Domenico Paolella, 1964), Gaius Terentius - puisque c'est le seul sosie dont nous connaissions le nom véritable -, interprété par Walter Barnes, est un gladiateur au physique herculéen dont un sénateur dépravé, Lucius Quintilius se sert pour s'approprier un trésor en Thrace. Contre lui va se dresser un justicier local, nommé Spartacus (comme l'autre). Lucius va même retourner contre Rome une de ses propres légions, mais après quelques coups d'épée tout rentrera finalement dans l'ordre.  

ursus & aurochs
F. Lygie et l'aurochs

La princesse lygienne
Vers 50 de n.E., vaincu par les Romains à l'issue d'une guerre contre leurs alliés suèves, le roi des Lygiens (une tribu germanique de la Pologne antique) avait été contraint de livrer sa femme et sa fille en otages garantissant le traité de paix. Comme garde du corps, le roi avait attaché à la personne de sa fille un guerrier d'une taille colossale, Ursus.
Un couple de patriciens romains - Aulus Paulus et son épouse Pomponia Græcina - hébergeaient la princesse barbare et l'aimaient comme leur fille. Son véritable nom était Callina, mais ils l'avaient rebaptisée "Lygia", c'est-à-dire "la Lygienne".
Pomponia Græcina était la fille d'un Pomponius Græcinius - soit J. Pomponius, consul en 16, soit L. Pomponius, consul en 17. Elle a réellement existé et semble avoir été une des premières patriciennes à s'être convertie au christianisme (en fait, Tacite dit seulement qu'elle était "adonnée à des superstitions étrangères", et que Néron l'abandonna au jugement de son mari, Aulus Plautius, lequel la déclara "innocente" - Tac., An., XIII, 32). Sous le règne de Claude, cet Aulus Plautius s'était couvert de gloire comme gouverneur de la Bretagne, ce qui lui valut l'ovation, honneur qu'il fut le dernier général à recevoir. Quand à la jeune héroïne lygienne, Sienkiewicz l'imagina à partir de deux passages de Tacite : l'un concerne un conflit entre les Suèves, alliés de Rome, attaqués par leurs voisins, les Lygiens. Le gouverneur de Pannonie Palpellius Hister (14), dut traverser le Danube pour rétablir la paix, mais l'historien romain ne parle pas d'otages donnés par les Germains (Tac., An., XII, 29 et 30), alors qu'au chapitre précédent on peut lire que les Chattes, "craignant d'être enfermés d'un côté par le Romain, de l'autre par les Chérusques, leurs éternels ennemis, envoyèrent à Rome des ambassadeurs et des otages. Pomponius reçut [pour cela] les ornements du triomphe" etc. (Tac., An., XII, 28). Déduisant que les conditions de paix imposées aux Lygiens que devaient pas être fort différentes de celles conclues avec les Chattes, Sienkiewcz imagine donc que son héroïne fut remise par Hister au gouverneur de toute la Germanie, Pomponius. Lequel, conclut le romancier, "la guerre des Chattes terminée, revint à Rome et la confia à sa sœur, Pomponia Græcina, femme de Plautius."

Les Lygiens étaient vraisemblablement un rameau de la nation gothe (15). Ce peuple germanique vécut un temps en Pologne méridionale, les Slaves n'y apparaissant que plusieurs siècles plus tard.


Maman, j'veux pas aller au cirque...
L'empereur Claude se délectait de contempler les affres de la mort sur le visage des rétiaires (qui combattaient sans casque, à visage découvert). Au contraire de son père adoptif, Néron - quoique passant pour avoir été un scutarii (16) - n'appréciait pas les combats de gladiateurs. Il en organisa néanmoins plusieurs (notamment en 57) pour plaire au peuple, mais n'y assistait guère (17) (Suét., Nér., 12). Lui qui, signant en tant qu'empereur son premier arrêt de mort déplorait avoir appris à écrire (Suét., Nér., 10), il les eut volontiers bannis du cirque où courraient les chars, pour les remplacer par des jeux athlétiques comme ceux des Grecs, ou des concours de musique et de poésie. Mais qu'importent les faits historiques : en tant que persécuteur des chrétiens patenté, l'historiographie populaire lui prête les instincts les plus cruels. Le très curieux et francophobe film de science-fiction produit par Roger Corman, La course à la mort de l'an 2000 (18), met en scène une course automobile traversant les Etats-Unis, où écraser vieillards et handicapés - exprès abandonnés sur la route - apporte un maximum de points de bonification. Les concurrents pilotent d'inénarrables véhicules. Voici Frankenstein et son bolide noir, un Nazi aux commandes de son véhicule-V2, etc. Et "Néron" (Martin Kove), costumé en gladiateur et conduisant une automobile ressemblant vaguement à un char romain !
On est loin, vraiment, de la pacifique course de 57 où se commit Néron (et qu'a reprise dans Acté Alexandre Dumas [19]).

Bien sûr, il y eut la répression des chrétiens. N'oublions pas que l'Antiquité fut une dure époque, où la vie humaine n'avait pas grande valeur (surtout s'il s'agissait de rebuts de l'Humanité comme des esclaves, des rebelles ou des ennemis). Il n'y a pas plus de deux siècles, sous l'Ancien Régime, on rouait vif les criminels, éclatant à coups de barre de fer chacun des quatres membres en trois endroits différents pour l'édification autant que l'amusement du bon peuple, qui manquait singulièrement de distractions il est vrai : la sinistre guillotine devait mettre un peu d'humanité dans l'application de la peine de mort.
Ce n'est pas Néron qui a inventé les supplices appliqués aux condamnés dans l'arène. Georges Ville (20) a montré que la condamnation ad bestiam était réservée aux rebelles et aux déserteurs. Ainsi Paul Emile et d'autres firent-ils piétiner par des éléphants tout transfuge romain capturé parmi les ennemis. Les chrétiens ayant été - à tort ou à raison - déclarés ennemis du genre humain, ils ne pouvaient donc échapper à un supplice du même genre. Encore faut-il relativiser l'importance de la répression : les disciples du Christ étaient encore peu nombreux à Rome, aussi les historiens estiment-ils les victimes de Néron à cent ou deux cents personnes seulement. Tacite ne parle que de quelques individus couverts de peaux de bêtes livrés aux chiens dans le cirque ou brûlés dans les jardins du Vatican (Tac., An., XV, 44, 7). On est loin des fantasmagories de Sienkiewicz qui dépeuple l'Afrique de ses fauves pour les faire converger vers l'amphithéâtre de Rome, "des tigres de l'Euphrate, des panthères de Numidie, des ours, des loups, des hyènes, des chacals", qui n'auront guère le temps de digérer leur festin de chair humaine. A peine eurent-ils rempli leur sanglant office qu'ils étaient exterminés à coups de flèches, ce qui était plus simple que de les faire tous rentrer dans leurs cages. Fallait-il pour autant que l'odieux et la surenchère le disputât à la vérité historique ? En 1986 encore, dans la série-TV Anno Domini - qui du reste n'était pas sans qualités -, un groupe d'enfants chrétiens était livré aux crocs des molosses dans le cirque... là où Tacite parlait seulement de chrétiens, donc d'adultes. Etait-il besoin de rajouter à l'horreur sous-jacente des textes, en substituant à des "chrétiens"... des "enfants chrétiens" ?


Cirques, amphithéâtres et théâtres
Le public profane confond allégrement le cirque et l'amphithéâtre. En fait, le cirque n'est rien d'autre qu'un hippodrome, le lieu où courent les chars. C'est un long rectangle, avec une extrémité courbe, l'autre carrée - là où se tiennent les carceres, stalles par où les biges et les quadriges se mettent en piste. Un mur central, appelé spina, chargé d'ex-votos et autres accessoires sépare ceux qui remontent la piste de ceux qui la descendent. Le cirque n'est, en principe, pas fait pour recevoir des combats de gladiateurs (sauf les essédaires [qui combattent en char] et les equites [cavaliers]), mais il arrive qu'on y donne des venationes [des chasses ou combats contre des animaux sauvages], qui exigent un décor compliqué. C'est probablement là qu'ont lieu les exécutions ad bestiam, lorsqu'il s'agit de traiter un grand nombre de condamnés.
L'amphithéâtre, lui, est légèrement ovale et ressemble à deux théâtres affrontés. C'est le lieu réservé aux combats de gladiateurs. Toutes sortes de machineries dans son sous-sol permettent d'y amener des fauves ou des accessoires de décors.
D'origine grecque, le théâtre se présente comme un hémicycle de gradins, face à une scène adossée à un long et haut mur qui lui sert de décor. Il est réservé aux représentations théâtrales (il en existe un modèle plus petit, l'odéon, réservé à la musique). Dans les villes grecques soumises à Rome, il ne fut pas rare que le théâtre serve également aux combats de gladiateurs quand il n'y avait pas d'amphithéâtre. C'est sans doute dans les théâtres qu'ont lieu ces snuff-movies avant la lettre dont raffolent les Romains, où un condamné à mort remplace dans la scène finale le protagoniste voué à quelque atroce trépas. Catapulté dans les airs, Icare se fracasse au pied des gradins, devant les spectateurs enthousiastes, ou encore un taureau saillit Pasiphaé, cachée à l'intérieur d'une génisse de bois (Suét., Nér., 12). Apulée parle d'un mime du jugement de Paris où Vénus est possédée par un âne et ensuite dévorée par un fauve : une jeune femme qui avait assassiné son mari, puis empoisonné sa fille pour garder l'héritage devait faire les frais de cette démonstration édifiante (Apul., Mét., X, 28, 29 et 34) (21). Dans le mime de Laureolus, représenté dans l'amphithéâtre flavien (22) à l'occasion de son inauguration par Titus, "les délices du genre humain", un ours étripait le condamné à mort crucifié, substitué à l'acteur de théâtre interprétant le fameux brigand du Latium.
Dans Néropolis (23), Hubert Monteilhet, somme toute conformiste, puisqu'il met lui aussi l'épisode de Laureolus au programme des jeux néroniens, glose sur l'épisode où la femme du brigand doit être violée par un ours de Calédonie ou quelqu'autre animal (bouc, âne). Les animaux étant moins féroces ou pervers que l'imagination sadique des humains, il faut longtemps à l'avance préparer ce "partenaire". La condamnée préposée à avoir avec l'animal un rapport sexuel doit être préparée en cohabitant avec celui-ci "et en frott(ant) journellement son entrejambe avec des sécrétions de chèvre ou d'ânesse en chaleur (... car) un bouc ou un âne n'ont aucun penchant naturel pour la femme".

Nous avons évoqué plus haut à quels sévices spéciaux Néron avait voué les chrétiens, dans le pastiche érotique de Ph. de Jonas Jusqu'où oseras-tu, Néron ! La couverture est une façon de gravure ancienne : sur fond de gradins bondés par la foule, une vierge martyre est attachée par la taille à un poteau. Sa robe déchirée ne couvre plus que ses bras et, à partir de mi-cuisse, ses jambes. Le sexe et les seins dénudés, la main droite posée sur le haut de la poitrine, la tête inclinée regardant vers le ciel, songeuse, frémissante encore, elle savoure les délicieux tourments qu'elle vient d'endurer, après avoir subit les assauts d'une grappe de satyres. Désormais inutiles, un lion et une lionne ronronnent paisiblement à ses pieds.

dirce - Siemiradzki

H. Siemiradzki, "Dircé chrétienne" (1897) : l'inspirateur inspiré…


Lygie livrée à l'aurochs
Dans la fable grecque, Dircé, reine de Thèbes et marâtre d'Amphion et Zéthos, était punie par ces derniers qui la firent mourir en l'attachant à la queue d'un taureau sauvage. C'est sans doute en pensant à ce supplice mythologique, qu'H. Sienkiewicz - qui avait rencontré à Rome le sculpteur Pius Welonski et le peintre Henryk Siemiradzki (Dircé chrétienne, 1897) - imagina les tourments infligés à son héroïne Lygie. Il pouvait du reste étayer cette scène-clou de son roman par l'exemple de sainte Blandine et des martyrs de Lyon (Eusèbe, Histoire ecclésiastique, V, 1, 17-56 - mais selon D. Beauvois, cette description proviendrait de L'Antéchrist d'E. Renan). En 177, sous Marc Aurèle, la vierge chrétienne Blandine refusa d'abjurer sa foi et périt déchirée par les cornes d'un taureau. Blandine faisait partie d'une secte de chrétiens-ultras, les Montanistes, qui aspiraient au martyre. Après avoir subi divers supplices (le fouet, le feu), été attachée à un poteau et exposée aux fauves qui - miraculeusement - ne la touchèrent pas, elle fut finalement garrottée dans un filet et livrée au taureau qui la lança en l'air à plusieurs reprises. C'est Blandine rompue par l'animal cornu qui inspira et le supplice de Lygie, sous Néron (Quo Vadis ?, 1895) et la toile de Siemiradzki (1897) où l'on voit le fils d'Agrippine, perplexe, arpenter en compagnie de quelques dignitaires l'arène jonchée de ses sanglantes victimes (24).

Pour le spectateur assis dans la salle obscure, le Peuple-Roi n'avait vraiment rien d'autre à faire que d'assister à des supplices de chrétiens ! Ainsi, et bien qu'aucun film n'ait été consacré à Blandine, son supplice est-il mis en abîme. De "on-dit" en hagiographies, il se répercutera indéfiniment dans notre imaginaire. C.B. DeMille y ajoutera même une variante, en remplaçant le taureau par un cynocéphale dans Le Signe de la Croix (25). Le film concluait sur le martyre des chrétiens en montrant l'héroïne Mercia (Elissa Landi), nue et parée de guirlandes de fleurs, liée à un poteau et livrée à la concupiscence d'un cynocéphale - caricature d'humanité que le spectateur imaginera selon ses goûts libidineux ou sanguinaire, ou les deux. Mais si le cinéaste ne concluait pas, d'autres le feront pour lui : tel dessinateur de BD, remplaçant le cynocéphale par un gorille albinos des plus viril ne nous épargnera aucun détail du martyre enduré par la malheureuse jeune personne (26). Cette scène anthologique fera fantasmer nombre de dessinateurs érotiques qui lui donneront divers développements comme l'Anglais David Gray (27) ou, d'une inspiration plus classique, tel épisode de La saga d'Iron-Jaw (28), bande d'heroïc fantasy inspirée de Conan, où l'on voit dans un moyen-âge postapocalyptique, garrottée à un poteau, une jeune fille offerte à des ours, chastes probablement quoiqu'à leur façon féroces amateurs de chair fraîche... Nous avouons ignorer pourquoi le finaud DeMille mit dans son film un singe plutôt que l'ours de Laureolus, l'âne d'Apulée ou le taureau de Blandine mais une allusion à la "Belle" et la "Bête" de King Kong, qui allait sortir sur les écrans quelques mois plus tard, nous paraît assez évidente (29).


Du sadomasochisme dans les péplums (30)
"On peut violer l'histoire à condition de lui faire un bel enfant", assurait Alexandre Dumas. Si trois des "Quatre Evangiles du péplum" ont été écrits en anglais, il serait bon de rappeler que des Martyrs (1809) de Chateaubriand à Salammbô (1862) de Flaubert, la France n'est pas demeurée en reste. Bien avant Lewis Wallace et Henryk Sienkiewicz, Alexandre Dumas (31), dans Acté (1839), avait décrit une superbe course de chars et livré aux bêtes une blonde héroïne chrétienne.
Inspirés par les toiles de Styka et de Siemiradzki, les différents adaptateurs à l'écran de Quo Vadis ? réussirent à plus ou moins bien mettre en scène le difficile épisode de Lygie, crucifiée nue sur l'échine d'un aurochs. La pudique version 1912 avait fait son bonheur d'une poupée de chiffons (contrairement à ce que suggère le matériel publicitaire de l'époque, racoleur par définition), tandis que la version 1924 s'était fort honorablement tirée d'affaire avec un montage alternant des gros plans de l'actrice - laissant entrevoir un sein neigeux - et des plans généraux où l'on devinait un mannequin sur le dos de la bête. Mais comme cette version signée par Georg Jacoby et Gabriellino D'Annunzio se voulait un peu plus coquine que la précédente, dès les premiers plans du film le "méchant" Néron expédiait aux murènes une de ses esclaves à la gorge dénudée ! Belle entrée en la matière... La version de Kawalerowicz fait également très fort : on ne voit pas la différence entre les plans avec l'actrice (que l'on devine tétanisée par la peur) et ceux avec le mannequin. Détail piquant, le film respecte le décentrage du corps de Lygia vers la droite de l'animal, conformément à la représentation par Styka. La position centrale était intenable, chaque cahot de l'animal étant particulièrement douloureux. On regrettera seulement l'usage d'un (discret) harnais de cuir noir qui semble sorti d'un magasin d'accessoires sadomasochistes, et que les guirlandes de fleurs ne dissimulent pas entièrement - vu le contexte archéologique, de la solide corde de chanvre nous eut paru préférable. Erreur de story-board ? A aucun moment la caméra ne capte le visage de Lygia, qu'on imaginerait folle de terreur, mais que Kawalerowicz filme inerte, évanouie peut-être ?

Dumas fut sans doute le seul à décrire Néron comme un demi-dieu athlétique, capable d'exploits sportifs - comme triompher dans une course de chars ou comme lutteur -, autant qu'il était doué pour le chant également. Détail piquant, Néron s'y fait accompagner partout par une tigresse, Phœbé. Antinéa, la reine de l'Atlantide, se contentait d'un guépard (dans la version cinématographie de Quo Vadis ?, 1951, Poppée en a deux, na !) - mais Hiram-Roi n'avait d'autre utilité que servir de métaphore érotique. Habitué à la présence d'Acté, la tigresse Phœbé se devait, en la retrouvant, de donner une heureuse conclusion au supplice de la jeune grecque attachée à un arbre planté au milieu de l'arène. Acté y était la chèvre, et le gladiateur Silas devait écarter et tuer les fauves, ou périr sous leurs crocs. Ce qu'il advint.
C'est cette solution de l'arbre ou du poteau que retinrent, pour des raisons de sécurité, C.B. DeMille (Le Signe de la Croix, 1932), Mervyn Le Roy (Quo Vadis ?, 1951) et Franco Rossi (Quo Vadis ?, TV, 1984). Dans Ursus/La Fureur d'Hercule (Carlo Campogalliani, 1960), Ursus revenant de la guerre apprenait que sa fiancée Actée [Attea, V.O.] a été enlevée. Parti à sa recherche, il fut faudra lutter dans l'arène pour sauver non pas une mais deux jeunes filles attachées à un poteau où un taureau doit les encorner.

La séquence de Lygie et du taureau est un des clous du sadomasochisme pépluméen, où tout réside dans la suggestion plutôt que dans les images sanguinolentes de chairs déchiquetées. Ursus réussira-t-il à contenir la Bête (véritable métaphore de l'Antéchrist Néron) ? En renversant l'animal au luisant pelage d'ébène, ne risque-t-il pas d'écraser la frêle jeune fille qu'il porte sur son dos ? Montherlant fantasmait-il sur le taureau ou sur le matador ? nous n'en savons rien. Mais le commun des mortels lèvera le pouce pour Lygie, s'arc-boutera avec Ursus. Le(s) film(s) comme le roman ne manquaient pas de suggestions masochistes.
Ainsi tous ces inflexibles candidats au martyre qui se refusent à apostasier pour sauver leur vie... Bien sûr, il y a Pierre, toujours courageux, qui au chant du coq laisse tomber ses disciples pour aller ailleurs planter ses choux, quand un discret rappel à l'ordre d'En-Haut vient rappeler le titre de l'œuvre : "Où vas-tu ?"
Que ces questions existentielles ne nous détournent pas de la simple vie quotidienne. On savait s'amuser, à Rome. Et le libertin Pétrone savait y faire avec ces dames, ses esclaves (Chap. XII et XIII). A commencer par la plus dévouée, Eunice, que, quelque peu "échangiste", il veut repasser à son neveu Vinicius. Amoureuse de son maître, Eunice se rebiffe un tant soit peu, aussi lui fait-il administrer par son atriensis Teirésias (son majordome, si vous voulez) "vingt-cinq coups de verge, mais sans abîmer la peau".

eunice - quo vadis 1912

eunice - quo vadis 1924

Eunice, l'esclave amoureuse de son maître
("Quo Vadis", versions 1912 et 1924)

Deux paragraphes plus loin, il s'informe :

"- As tu reçu les verges ?
Elle se jeta de nouveau à ses pieds et baisa le bord de sa toge.
- Oui, seigneur ! J'ai reçu les verges ! Oui, seigneur !...
Sa voix était vibrante de joie et de gratitude.
[Elle espère ne pas être renvoyée chez Vinicius.] (...)
Mais il [Pétrone, qui croit Eunice amoureuse d'un quelconque esclave de sa maison] connaissait trop à fond l'âme humaine pour ne pas deviner que l'amour seul pouvait susciter une pareille obstination."

Le principal intéressé est toujours le dernier informé. Pétrone ignore être l'objet de la flamme de celle qui, à la fin du roman, quémandera comme une faveur de pouvoir mourir avec son maître qui vient de se faire trancher les veines. Un peu plus loin, Eunice lui confie avoir rencontré un diseur de bonne aventure :

"- Et que t'a-t-il prédit ?
- Qu'une souffrance et un bonheur m'attendaient.
- La souffrance t'est venue par la main de Teirésias; la prédiction du bonheur doit également se réaliser.
- Elle s'est déjà réalisée, seigneur.
- Comment ?
Elle murmura :
- Je suis restée.
Pétrone posa sa main sur la blonde tête d'Eunice.
- Tu as bien disposé les plis
[de ma toge] aujourd'hui, et je suis content de toi, Eunice.
Dès que la main de Pétrone l'eût touchée, ses yeux se voilèrent d'une buée de félicité et sa gorge tressaillit."


De l'Hippodrome forain au Gaumont-Palace
Nous évoquions plus haut les différents types de bâtiments où se déroulaient les sanglants jeux romains. Ils marquèrent l'imagination au point que le mot "cirque" restera accolé à nos spectacles forains, avec lesquels ils n'avaient pourtant aucune continuité historique. Fin du XIXe s., il y avait à Paris cinq hippodromes forains. Il s'agissait d'établissements stables qui, tel l'Hippodrome du Pont de l'Alma (inauguré en juin 1877), reconstituaient à leur manière les fastes de l'antique Circus Maximus : "La piste... mesurait 84 mètres sur 48 mètres, et une immense verrière coulissante pouvait la protéger en cas d'intempéries ! L'établissement était pourvu de l'éclairage électrique, et ses dépendances abritaient toutes sortes d'ateliers qui rendaient possibles la réalisation sur place de décors, selleries, costumes, l'entretien des chars de parade, etc. Son directeur, monsieur Zidler, y présidait de grandes pantomimes servies par une importante machinerie (32)".

Une affiche Néron, signée par Emile Lévy, nous a conservé l'ambiance d'un des spectacles de l'Hippodrome de l'Alma : le cirque antique avec ses chrétiens crucifiés ou pourchassés par les lions - comme sur les toiles de Styka ou de Gérôme.
"Pour Néron, une immense grille de 4,50 m de haut et qui ceinturait la grande piste dans tout son périmètre, sortait du sol mue par un système hydraulique, pour le tableau dans lequel paraissaient les lions du cirque romain. Les lions entraient en piste par un ascenseur muni d'une cage qui était chargée dans le sous-sol" (33).

quo vadis - heysel

nero - hippodrome

L'opéra "Quo Vadis ?" (Caïn & Nouguès, 1909) au Heysel (Bruxelles, 1936)
et le spectacle forain "Néron" à l'Hippodrome du Pont de l'Alma (Paris)

 

De roman (1895), Quo Vadis était devenu peinture (Siemiradzki, 1897; Styka, 1899), avant que d'être opéra (Caïn & Nouguès, 1909), spectacle forain (Alma (Paris) ou au Heysel (Bruxelles, 1936)), puis films cinématographiques voire série-TV, sans oublier les nombreuses adaptations en bandes dessinées tirées soit du roman, soit du film, etc. Aussi n'est-ce pas par hasard que l'on verra tel autre hippodrome forain, celui de la place de Clichy édifié pour l'exposition de 1900, après avoir été provisoirement transformé en patinoire, devenir, le 11 octobre 1911, le plus grand cinéma d'Europe : le Gaumont-Palace. L'"endroit privilégié où se tiend(ront) les grandes premières de la Gaumont et les galas officiels de la IIIe République" (34). Et c'est ce véritable temple dédié au culte cinématographique, qui va afficher en grande première, en 1912... le Quo Vadis d'Enrico Guazzoni, avec la musique de l'opéra de Nouguès !

Honte à cet effronté qui peut chanter pendant
Que Rome brûle, ell' brûl' tout l'temps.
..

 Signalons un intéressant site consacré au roman d'H. Sienkiewicz : quovadis.oeuvre.free.fr

quo vadis BD

 

Suite…

 


 

 

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NOTES :

(1) Arthur Weigall, Néron, Payot, 1950, pp. 342-343. - Retour texte

(2) Apocal., 13 : 18; 17. - Retour texte

(3) I Jean, 2 : 18 etc.; 4 : 3; II Jean, 7. - Retour texte

(4) II Thessal., 2 : 8. - Retour texte

(5) La gravité des crimes contre l'humanité du IIIe Reich, sa haine du christianisme ont fait d'Adolf Hitler un "Antéchrist" très convaincant, d'autant plus que la marque au front (l'aigle à croix gammée, sur les casquettes) et celle à la main droite (le tatouage sur de poignet des victimes des camps de la mort) distinguent bien maîtres et esclaves, comme il est question au verset 16 (Apocal., 13 : 16).
Renée Davis (La croix gammée, cette énigme, Presses de la Cité, 1967, pp. 33-37) a son opinion quant à la manière dont il faut lire le chiffre 666 (grec). L'alphabet grec classique que nous utilisons est en fait l'alphabet athénien/milésien. Les Grecs notaient les chiffres au moyen des 24 lettres de leur alphabet plus 3 caractères archaïques autrement tombés en désuétude : le sti (ou bau) pour 6, le koppa pour 90, et le sampi pour 900. Mais d'une ville à l'autre il pouvait exister des variantes, ainsi selon Davis qui s'appuie sur des grammaires conservées à la Bibliothèque Mazarine (Grammaire grecque de Ragon, n° du cat. 76 620; Grammaire de Koch, n°  24 591, p. 70, par. 39, note 1 - citées par Davis, op. cit., p. 37), le chiffre 6, à Pathmos, aurait été exprimé par une autre lettre archaïque, le digamma. R. Davis représente ce digamma comme un simple gamma et y voit une allusion à la croix gammée alors que normalement un digamma, étant fait de deux gammas superposés, ressemble plutôt à la lettre latine F. Nous n'avons pas eu l'occasion de vérifier dans les deux grammaires citées mais, à trop vouloir prouver... - Retour texte

(6) Cf. Jacques de Voragine, La légende dorée (XIIIe s.), Garnier-Flammarion, 2 vols, 1967, I, p. 81. - Retour texte

(7)  ... selon la légende chrétienne, bien sûr. - Retour texte

(8) On se reportera à la notice de Ramon Trevijano, s.v. "Antéchrist" in [Angelo Di Berardino (sous la dir.) - François Vial (adapt. fr.)], Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien (Dizionario patristico e di antichità cristiane, 1983), Cerf, 1990. Selon Trevijano, la réunion du démon Béliar avec Néron sous le terme "Antéchrist" disparaît à partir du IIIe s. - Retour texte

(9) Des Quatre cavaliers de l'Apocalypse (Vincente Minelli, 1962) à Apocalypse Now (F. Coppola, 1979) sans oublier Le cinquième cavalier de Lapierre et Collins, l'Apocalypse est la métaphore par excellence de la folie guerrière. - Retour texte

(10) L'action se déroule-t-elle en 340 ? Ou en 364 ? - Retour texte

(11)  Alexandre Dumas, Acté, Presses Pocket, n°  2291, pp. 216-217. Ici Dumas assimile Néron à la Bête, qu'il distingue de l'Antéchrist. Selon l'interprétation, l'Antéchrist (gr. Antichristos, lat. Antichristus) annonce, précède (ante) le Christ, ou le combat (anti). - Retour texte

(12) Cf. aussi Arthur Weigall, Néron, Payot, 1950, p. 335 (qui cite Dion Cassius, LXVI, 19; Jean d'Antioche, frag. 104 (Müller) et Suétone, Néron, 57). - Retour texte

(13) Lion Feuchtwanger, Néron l'imposteur (Der Falsche Nero, 1963), Jean-Cyrille Godefroy éd., 1984. - Retour texte

(14) Sienkiewicz le nomme Atelius Hister. - Retour texte

(15) Sur les Lygiens de la Pologne antique - Celtes ou Germains ? -, cf. Herwig Wolfram, Histoire des Goths (1979), Albin Michel, 1990, p. 53 et passim. - Retour texte

(16) Georges Ville, La gladiature en Occident, des origines à la mort de Domitien, Ecole française de Rome, 1981, p. 444. Les scutari, ou porteurs de scutum ou bouclier long, sont les Mirmillons, généralement oppposés aux Thraces ou parmulari ("porteurs du petit bouclier" ou parmula). Leurs supporteurs sont appelés respectivement scutarii et parmularii. - Retour texte

(17) Cizek, Néron, p. 124. - Retour texte

(18) Death race 2000, de Paul Bartel (EU, 1975 - rééd.: Les seigneurs de la route). - Retour texte

(19) Qui la situe anachroniquement en 67, lors de l'impériale tournée en Grèce... - Retour texte

(20) Georges Ville, La gladiature en Occident, op. cit. - Retour texte

(21) L'épisode a été mis en BD par Georges Pichard, Les Sorcières de Thessalie, Glénat, 2 vols, 1984 et Milo Manara, La métamorphose de Lucius, Les Humanoïdes Associés, 1999.
Les métamorphoses (L'Ane d'or) d'Apulée de Madaure, ont également été portées à l'écran par Sergio Spina : L'Asino d'oro : processo per fatti strani contro Lucius Apuleius, cittadino romano (Italie-Algérie, 1971), avec Samy Pavel et Barbara Bouchet - mais nous ignorons si l'épisode de la meurtrière condamnée à être, dans l'amphithéâtre, possédée par un âne [Lucius, qui a ainsi été métamorphosé par une sorcière], épisode final du roman d'Apulée, y figure effectivement. - Retour texte

(22) Le Colisée, à Rome. - Retour texte

(23) Hubert Monteilhet, Néropolis, Julliard-Pauvert, 1984, pp. 611-616. - Retour texte

(24) Dircé chrétienne est du reste abondamment citée dans le matériel publicitaire du film de Kawalerowicz. - Retour texte

(25) Sienkiewicz avait vendu au Britannique Wilson Barrett les droits d'adaptation théâtrale de Quo Vadis ? : ce fut Le Signe de la Croix. - Retour texte

(26) Michel Duveaux, Caligula, Centre audi visuel de productions, coll. Bédé X, s.d. (1992), pll. 5-7. Du sadisme antique, Duveaux compose de curieux tableaux tachistes ou pointillistes, patchwork de photos de péplum. - Retour texte

(27) David Gray, Brutus, Whyteleafe (Surrey), Gadoline éd., 1971. - Retour texte

(28) Michael Fleisher (sc.) et Mike Sekowsky & Pablo Marcos (d.), La saga d'Iron-Jaw (Seabord Periodicals Inc., 1975), Lyon, Lug éd., 1976, pl. 23-25. - Retour texte

(29) Le signe de la Croix sort en France vers décembre 1932 et King Kong (sorti à Hollywood le 2 mars 1933) le 4 novembre 1933, à Paris. - Retour texte  

(30) La question a été évoquée d'une manière assez générale par Jean Streff, "Aux pieds d'Omphale - Le masochisme dans les péplums", Le masochisme au cinéma, Veyrier, 1978, pp. 191-199. - Retour texte

(31) Alexandre Dumas n'a que fort peu traité de l'Antiquité. Outre deux pièces de théâtre (Caligula, 1837 et Catilina, 1848), il a évoqué la chute de Jérusalem, en 70, dans sa version du "Juif errant" : Isaac Laquedem (1852). - Retour texte

(32) Dominique Jando, Histoire mondiale du cirque, éd. Jean-Pierre Delarge, 1977, p. 26 et 39. - Retour texte

(33) D. Jando, Ibidem, qui reproduit l'affiche de "Néron" à l'Hippodrome de l'Alma (doc. Musée des Arts Décoratifs). - Retour texte

(34) Francis Lacloche, Architectures de cinémas, Paris, éd. du Moniteur, 1981, p. 77-79, 193, 213. - Retour texte