|
|
|
Alexandre
(Oliver Stone, GB-Fr-AL, 2004)
5. Hephæstion
|
|
|
|
|
5. Hephæstion
«Il faut savoir que la plupart des salles dans les Etats
du sud des Etats-Unis ont refusé les copies [d'Alexandre]
à cause de la bisexualité supposée du
héros, déclare Oliver Stone. Certains critiques
n'ont rien compris au propos et se sont contentés de résumer
cette fresque par un titre réducteur du genre «Alex
le gay». Tant d'efforts et de recherches, et certains
critiques n'y ont vu qu'une farce, un remake de Tootsie !
Une frange de ces scribouillards américains descend de
toute façon aveuglément tout ce que j'entreprends.
Tant pis : dans Alexandre, j'assume tous mes choix, je
ne regrette rien» (1).
«Il est bien évident que j'ai subi des pressions
pour faire telle ou telle chose, mais je ne vous en dirai pas
plus. Je me suis simplement efforcé d'écouter ce
que chacun avait à me dire. Dans ces conditions, le montage
a été assez difficile à vivre. Nous n'avons
pas cessé d'expérimenter et ça devenait très
complexe. Ceci étant dit, je tiens à souligner que
ce film est vraiment celui que je voulais faire et que le soutien
(des) investisseurs n'a jamais fléchi tout au long de la
production» (2).
5.1. Les amitiés particulières
Alexandre le Grand était-il homosexuel... Hephæstion
était-il son amant ? Question oiseuse. Alexandre le Grand
était Alexandre le Grand, et son «orientation sexuelle»
- comme on dit fort joliment aujourd'hui -, quelle qu'elle fut,
ne change rien à sa gloire. Le fait qu'Alcibiade se soit
glissé sous la couverture de Socrate change-t-il quelque
chose aux mérites de Socrate, à ses capacités
de raisonnement philosophique ? Entre un Adolf Hitler qui avait
une stricte hygiène de vie et un Winston Churchill qui
carburait au whisky, notre choix est fait depuis longtemps, n'en
déplaise aux honnêtes gens ! Partagé entre
notre héritage gréco-latin et les valeurs judéo-chrétiennes,
«notre regard sur la sexualité peut-être
qualifié de schizophrène», écrivait
Colin Spencer (3).
Trop facilement les biographes d'Alexandre cèdent à
leurs fantasmes de pruderie ou de militantisme et ne voient que
ce qui les arrange, ce qui concorde avec leur morale personnelle.
Une chose en tout cas nous paraît claire : ce n'est pas
le rôle de l'historien de celer la vérité.
Pour avoir méprisé ce principe, Roger Peyrefitte
a vu sa superbe biographie d'Alexandre le Grand mise à
l'index par les gens bien pensants. Si les historiens du XIXe
s. et leurs émules émettaient les plus grandes réserves
sur certains aspects du conquérant, Peyrefitte péchait
par l'excès inverse, faisant concorder le personnages historiques
avec ses préférences personnelles.
Au-delà des premiers émois d'adolescents à
la découverte de leur corps et du corps de l'autre, décrits
par le romancier dans Les amitiés particulières,
quid d'Alexandre ? De même Alexandre, dans le contexte
de son temps, de la civilisation dont il relevait aurait difficilement
échappé aux pratiques de l'«amour grec».
Plutarque est du reste sans ambages à ce sujet. Bien sûr,
Alexandre - s'il faut mettre les points sur les «i»
- eut les mignons : «Philippe exila Harpalus, Néarque,
Phrygius et Ptolémée, les mignons de son fils [Alexandre],
que celui-ci rappela plus tard et les tint tous en grand lieu
de faveur auprès de lui» (PLUT., Alex.,
XVI). Chose amusante, Hephæstion n'est pas du nombre !
Alors, Hephæstion ?
Aucune source ancienne ne dit clairement qu'Alexandre et Hephæstion
furent amants. Cette qualité se déduit seulement
de l'extraordinaire faveur dont ce simple cavalier jouit, gravissant
rapidement les étapes de la hiérarchie jusqu'à
devenir Chiliarque - id. est «Grand Vizir»
- et, surtout, l'immense douleur que sa mort causa à Alexandre.
Dans une interview, O. Stone rappelle qu'à la base de sa
spéculation il y a le simple fait qu'Alexandre fit dresser
un bûcher de six étages pour incinérer le
corps de ce compagnon. Cette distinction extraordinaire a fait
supposer que les deux étaient un peu plus que des amis.
La faveur en laquelle il tint l'eunuque Bagoas, qu'il baisa sur
la bouche en public, ont fait le reste.
L'admiration d'Alexandre pour son aïeul Achille, le héros
de l'Iliade, le culte qu'il lui rendit de passage à
Troie, le parallélisme avec le couple mythique Achille-Patrocle,
le fait que le jeune conquérant n'ait pas songé
à assurer sa dynastie par un mariage et un héritier
macédoniens avant de se lancer à l'assaut de l'Empire
perse a prêté matière à la malice des
exégètes. A la différence de son paillard
de père, Alexandre ne semble pas très attiré
par les femmes, et s'il en épousa plusieurs (4),
ce fut plutôt pour des raisons politiques que par amour.
Pourtant, lui et ses généraux étaient entourés
de courtisanes et concubines comme cette Thaïs (5)
- qui, au cours d'une nuit d'orgie, bouta le feu au palais de
Persépolis - et cette Pancaste, ou Campaspe, qu'il fit
poser nue pour le peintre Apelle qui en tomba éperdument
amoureux. |
|
5.2. De la procréation et du plaisir
!
Les faits historiques sont là. Alexandre le Grand était-il
homosexuel ? Bouffre ! le vilain mot - qui du reste n'existait
pas à l'époque (6)
- synonyme de «Cage aux Folles» et autres caricatures
! Alexandre avait la sexualité de son temps et de son milieu.
Toutes civilisations confondues, les Anciens avaient des libertés,
mais aussi des tabous, qu'aujourd'hui nous n'imaginons que difficilement.
«Beaucoup de personnes - notait Athénée
de Naucratis - préfèrent les liaisons pédérastiques
à celles avec des femmes. Ils prétendent que, par
rapport aux autres villes, dans toute la Grèce cette pratique
se retrouve dans les villes qui sont régies par de bonnes
lois. Les Crétois, par exemple, comme je l'ai dit, et les
habitants de Chalcis dans l'Eubée, ont une passion remarquable
pour de telles liaisons (ATHÉNEE, Banquet
des Savants, XIII).
Alexandre n'était pas davantage «homosexuel»
que n'importe lequel de ses compatriotes qui faisaient des enfants
avec leur femme et se divertissaient avec des jeunes garçons.
En particulier aux armées, où le compagnonnage et
la promiscuité s'y prêtaient... quand bien même
si, pour le(s) chef(s) certaines facilités étaient
envisageables. C'est le problème de sociétés
du sud où les hommes vivent entre eux, ou tout au moins
prennent certaines distances vis-à-vis des jeunes filles,
y compris la leur s'ils en ont une. Il ne serait pas venu à
l'idée d'un Spartiate de déjeuner ailleurs qu'avec
ses camarades de peloton, sa syssitie (7)
!
Si la sexualité des anciens était polymorphe,
le christianisme y a théoriquement mis bon ordre ! Il est
difficile pour la Civilisation grecque orthodoxe contemporaine
de tenir pour vrais certains errements d'un lointain passé.
Dans son Histoire de la Grèce, Georges Contogeorgis
(8)
rappelle que toute l'idéologie de l'Etat grec contemporain
se structure autour de trois valeurs symboliques : la discipline
de Sparte, l'expansion de la Macédoine et l'héritage
chrétien orthodoxe de Byzance. S'il y a un héros
national à propos duquel, en Grèce, on ne plaisante
pas c'est bien Alexandre le Grand, dont la rhétorique officielle
pare l'icône de toutes les vertus plutarquiennes !
Pour l'avoir délibérément ignoré,
un adolescent de dix-sept ans fut - le 17 décembre 1992
- condamné à un an de détention pour avoir
distribué des tracts affirmant qu'«Alexandre le
Grand était un criminel de guerre» (9).
Dans le même ordre d'idée, rappelons que les films
pseudo-historiques mettant en scène l'antiquité
grecque ont le don de sérieusement titiller l'amour-propre
national. Ainsi en 1956, la sortie en Grèce d'Hélène
de Troie de Robert Wise suscita une levée de boucliers
(10).
Célèbre pour ses fouilles à Théra-Santorin,
l'archéologue Spyridon Marinatos - de l'Académie
d'Athènes - monta aux créneaux pour dénoncer
le gauchissement des textes... et des valeurs : dans l'Iliade,
les Achéens combattent pour l'honneur de Ménélas,
et la belle Hélène s'y qualifie elle-même
de «chienne» qui a trahi son époux. Merci Homère.
Faut dire que tu es aveugle ! En tout cas, à Hollywood
on ne voyait pas les choses de la même façon. Dans
le film de Wise, les Grecs sont présentés comme
des brigands convoitant les richesses de Troie («Bonjour,
mes amis les Pirates !», s'exclame Torin Thatcher/Ulysse
arrivant à l'assemblée des rois achéens,
où il est salué par un vaste éclat de rire
complice). L'exemple d'Hélène et de l'Iliade
est amusant, surtout si l'on veut bien se souvenir de la palinodie
de Stésichore... voici 2.400 ans. Rien de changé
sous le pur soleil de l'Hellade.
Chez les Grecs l'amitié virile faisait partie du système
éducatif : un adulte prenait un jeune garçon sous
son aile, lui servait de Mentor. Leur relation pouvait être
platonique ou un peu plus appuyée - c'est selon les historiens
et leur degré de tolérance avec l'homosexualité
!
Une scène du film d'Oliver Stone montre Aristote entouré
de ses élèves, stigmatisant l'amour homosexuel luxurieux,
mais approuvant la «bonne» homosexualité qui
ennoblit l'homme. Dans les gymnases, un magistrat, le pédotribe,
veillait sur la vertu des jeunes gens, dont des adultes «vicieux»
venaient se repaître de leur nudité et tenter de
les corrompre. Le problème est que, chez les Grecs comme
chez les Romains, ce que nous nommons l'homosexualité (ils
n'avaient pas de mot équivalent) n'est admissible qu'à
condition de conserver le rôle actif. L'homosexuel passif
est couvert d'opprobre. C'est pourquoi à Rome on ne le
pratiquait qu'avec des étrangers ou des esclaves prostitués,
jamais avec un autre citoyen (11).
En Grèce, les choses sont plus nuancées, différentes,
à la fois permises, encouragées même, et équivoques.
Les jeunes garçons, fatalement, auraient le rôle
passif, mais ils ne sont que des enfants tant qu'ils ne sont pas
inscrits sur la liste des citoyens. Ce qui n'arrive - à
Athènes - qu'au terme de la période d'Ephébie,
qui dure deux ans (16-18 ans), à la fin de laquelle les
jeunes garçons reçoivent un bouclier, sont admis
dans le corps des hoplites, inscrits sur la liste des citoyens
et prennent femme (12).
Des règles sensiblement identiques devaient exister dans
les autres cités grecques. A Sparte, les éphèbes
sont appelés les irènes, mais les jeunes hommes
se mariaient plus tard qu'à Athènes, à trente
ans (13).
Bien sûr, il ne faut pas chercher à expliquer la
pédérastie grecque sacralisée à travers
le prisme de la pruderie et du machisme romains. A Thèbes,
le Bataillon Sacré, ce corps d'élite de 300 citoyens
était constitué par 150 couples d'amants-d'aimés
(érastes et éromènes) : étant des
hoplites, ils sont forcément tous adultes et citoyens,
actifs et passifs dans leur relation de couple. |
«Mère, celui-ci
aussi est Alexandre» (DIODORE, XVII, 37. 6).
D'origine obscure, Hephæstion (Jared Leto) ne dut
qu'à la faveur d'Alexandre de gravir très
rapidement tous les échelons du pouvoir jusqu'à
«Chef des Mille» (Chiliarque, c'est-à-dire
Vice-Roi ou Grand Vizir). Ses funérailles furent
célébrées avec un faste exceptionnel
et il fut héroïsé (phot. Intermedia).
|
|
|
5.3. La carrière
d'un officier très intime
On disait du plus proche compagnon d'Alexandre, ami d'enfance
et général fidèle, qu'il était son
«Patrocle», en référence à l'ami
du héros de la guerre de Troie, Achille, auquel Alexandre
aimait à se comparer. «Le doux Hephæstion
affectionnait Alexandre.» Compagnon et intime du conquérant,
Hephæstion faisait certainement partie des gardes du corps
(sômatophylaque [14])
qui accompagnèrent celui-ci dans la tente de la mère
de Darius, après Issos «Celui-ci aussi est Alexandre»).
Sa carrière démarra en flèche après
la conspiration de Philotas, à la répression de
laquelle il mit activement la main à la pâte, soumettant
lui-même à la question le fils de Philotas - qu'il
jalousait et détestait - avec l'aide de Cneus et
de Cratère (330). A la suite quoi Hephæstion prit
la tête de l'agèma à la place de Nicanor
(autre fils de Parménion, mort de maladie bien avant la
triste affaire). Toutefois, il ne commença réellement
à se distinguer que lors de la conquête de l'Inde,
lorsqu'il fut promu commandant en second et prit la tête
de la colonne chargée de dresser un pont sur l'Indus. Il
commanda ensuite une des colonnes qui retraitaient le long de
l'Hydaspe, puis ramena le gros des troupes de Carmanie en Perse
alors qu'Alexandre partait visiter et redresser le tombeau de
Cyrus. Lorsqu'à Suse Alexandre célébra le
mariage de 10.000 Macédoniens avec des Persanes, lui-même
épousant Stateira et sa sur Parysatis, filles de
feu Darius III, il fit encore d'Hephæstion son beau-frère
en lui donnant leur troisième sur, Drypétis.
Hephæstion mourut à Ecbatane, en 324, victime d'un
excès alimentaire. Il avait, dit Plutarque, mangé
un coq bouilli et bu deux litres de vin alors que son médecin
avait exigé une diète sévère. Fou
de douleur, Alexandre fit crucifier Glaucos, le médecin,
et offrit à son ami des funérailles grandioses.
Alexandre fit éteindre le feu sacré, cérémonie
qui ne se pratiquait qu'à la mort de l'empereur perse et
envoya consulter l'oracle de Siwa, en Egypte, pour savoir quel
type de funérailles accorder à son ami et, sur l'avis
de Zeus-Ammon, lui décerna des honneurs héroïques,
ce qui faisait d'Hephæstion un demi-dieu. Il dépensa
10.000 talents pour ses obsèques, faisant élever
un bûcher gigantesque de cinq étages et 180 mètres
de côté, somptueusement orné - le premier
étage était formé des proues de 240 pentères
(15)
- et sacrifia «dix mille victimes variées».
Diodore de Sicile nous en a laissé la description. Selon
Plutarque, Alexandre fit raser les crins de tous les chevaux et
mulets de la ville, écrêter les murs de l'enceinte
et massacra les rebelles cassites en manière de sacrifice
funéraire (PLUT., Alex., CXVI).
Lorsqu'il mourut, Hephæstion avait 28 ans, selon de Dictionnaire
des antiquités (etc.) de N. Bouillet (1841), et était
donc d'au moins quatre ans le cadet d'Alexandre, lequel décéda
sept mois plus tard à 33 ans (en fait 32 ans et huit mois,
selon Aristobule). Mais selon Quinte-Curce, ils avaient le même
âge, toutefois Hephæstion était d'une taille
légèrement supérieure. En fait Alexandre
et lui se ressemblaient tellement qu'on les prenait l'un pour
l'autre d'où la fameuse, et équivoque, réplique
: «Celui-ci aussi est Alexandre.» La fille
de Darius, qui ne les avait jamais rencontrés auparavant,
les avait pris l'un pour l'autre. On peut en déduire qu'Hephæstion
avait un port plus «royal» que son roi et ami. Bref
qu'il était plus grand ou plus âgé. Ou plus
richement habillé. L'admiration d'Alexandre pour son aïeul
et modèle Achille y invite : on a souvent comparé
le couple Alexandre-Hephæstion à celui formé
par Achille et Patrocle. «Eschyle, dans une pièce
dont ne nous est resté qu'un extrait d'un seul vers, fait
d'Achille l'amant, l'aîné et le professeur de Patrocle.
Plutarque nous dit (et Athénée cite le même
vers) qu'après la mort de Patrocle Achille regarde le corps
nu de son amant et parle du «coït de ses cuisses»,
disant avec rage : Tu n'avais pas de respect pour la sacralité
des cuisses, ingrat après nos fréquents baisers»
(16).
Qui d'Alexandre-Achille ou d'Hephæstion-Patrocle était
l'éraste, qui l'éromène ? L'Histoire ne nous
dit rien de plus à propos de cet obscur officier qui émergea
du rang par faveur spéciale. De son compagnon qu'il compare
à Cratère - le fidèle d'entre les fidèles
-, Alexandre aurait dit : «Cratère est l'ami du
roi, mais Hephæstion est l'ami d'Alexandre.»
Avec Hephæstion, les historiens marchent sur des ufs.
En 1833, Droysen lui prêtait une «nature élevée
et chevaleresque», dont l'attachement pour le roi était
«touchant et illimité. (...) Alexandre aimait
en lui le compagnon de ses jeux d'enfance. (...) Leur amitié
avait gardé la fraîcheur enthousiaste de l'adolescence,
cet âge auquel tous deux appartenaient presque encore.»
Georges Radet (1931) le désigne comme «cet ami
si cher mort à la fleur de l'âge». Maurice
Druon (1958), n'est pas moins équivoque : «Nul
homme au monde ne fut pleuré de son ami, nulle maîtresse
de son amant, nul frère de son frère, comme Hephæstion
le fut d'Alexandre.» Quant à Wilcken (1952),
il notera prudemment : «Sur la manière dont s'exprima
son chagrin, on a fait courir mainte histoire, où il est
difficile de discerner l'exacte vérité.»
Il faudra attendre Roger Peyrefitte et sa trilogie (1977-1981)
pour voir Alexandre et Ephestion (17)
promus porte-drapeaux de la pédérastie. Il faut
dire que sa thèse n'était pas totalement désintéressée
!
Le seule indice est qu'Alexandre «a réagi très
violemment à la mort d'Hephæstion, qu'il est resté
en deuil très longtemps. Il était le seul homme
en qui il avait entièrement confiance. Plus encore que
Ptolémée. (...) Alexandre était un
explorateur dans le sens le plus large du mot. Il voulait tout
connaître, tout voir. Il cherchait à savoir ce qu'était
l'être humain. Dans le film, Ptolémée dit
: «Il était l'homme le plus libre que j'aie jamais
connu.» Alexandre a exploré le monde et cherché
à repousser les frontières de celui-ci, et pour
lui, la sexualité en faisait partie» (18).
«Il y aura toujours des désaccords sur la vie
d'Alexandre, vu le peu d'informations fiables dont nous disposons.
L'un des faits avérés est qu'Alexandre a été
brisé par la mort d'Hephæstion, son compagnon de
route. On sait qu'il s'est effondré ce jour-là et
qu'il a demandé un bûcher haut de six étages
pour ses funérailles, ce qui nous conduit logiquement à
penser qu'Hephæstion était le véritable amour
de sa vie» (19).
«Au départ, j'avais un vrai problème avec
Hephæstion, raconte O. Stone. Tel qu'il était
décrit dans tous les livres, je le trouvais ennuyeux à
mourir ! Je me suis donc longtemps demandé comment nous
pouvions le rendre plus intéressant. J'ai trouvé
la solution le jour où j'ai vu Jared Leto dans le rôle.
Il était tellement séduisant dans son costume, avec
un regard magnétique, que j'ai eu l'idée de présenter
Hephæstion comme la conscience d'Alexandre. Il devenait
son bras droit, la moitié d'une sorte d'association. Ils
étaient les meilleurs amis du monde. Lorsque Hephæstion
meurt dans le film, Alexandre dit : «Je te suivrai dans
la maison de la mort.» On sait qu'Alexandre est mort
huit mois seulement après la disparition de son ami»
(20).
«Depuis leur enfance jusqu'à la mort d'Hephæstion,
les deux hommes ont été «âmes surs»,
déclarera Colin Farrell, interprète du personnage.
Alexandre savait qu'il ne le trahirait jamais. C'est l'un des
hommes qui ont compté le plus dans sa vie et pour sa survie.
Quelqu'un qui lui permettait de garder la tête sur les épaules
au milieu de la folie des conquêtes et des dangers constants
le menaçant. Il a été prouvé qu'il
existait entre eux un amour incroyablement profond. Les témoignages
de l'époque s'en font l'écho. Le film suggère
que cela a pu aller plus loin mais sans pour autant enfoncer le
clou. Je crois que c'était le meilleur parti pris»
(21).
«A l'arrivée, l'homosexualité est en effet
exposée, de manière relativement lisse mais assez
explicite, cependant était-il vraiment nécessaire
de s'attarder autant sur un problème qui n'en était
justement pas un à l'époque ?», s'interroge
Laurent Tilly (Lecinema.net).
Eh bien justement, si l'homosexualité n'était pas
un problème «à l'époque», elle
semble en être devenu un de nos jours, suscitant le débat
pour la reconnaissance de sa légitimité (mariage
homosexuel, adoption homoparentale). Le moins qu'on puisse dire,
c'est qu'elle n'est toujours pas prête de l'être,
dans l'intime conviction du grand public, qui s'interroge : «Quoi,
Alexandre le Grand «en était» lui aussi
?» Comme on l'a vu plus haut, en Grèce comme
dans le Deep South, certains bons esprits n'en sont toujours
pas revenus...
De là à dire qu'Alexandre était un «explorateur
sexuel» (22),
la thèse est bizarre. Pour qu'il en fût un, encore
eut-il fallu qu'il y eusse eu des interdits à braver !
Ce n'était pas le cas, bien sûr. En somme, Alexandre
était plutôt conformiste. Un homme en accord avec
la bisexualité de son temps - nullement un militant façon
Oscar Wilde ! |
|
Annexe :
Les notations homosexuelles du film
1. L'enfance. Alexandre et Hephæstion luttent
à la palestre. Regard troublé d'Alexandre
vaincu. Enchaînement avec le discours d'Aristote :
«Les Perses, de race inférieure, contrôlent
les deux tiers du monde connu.» Sa cosmographie
: le Nil serait en contact avec l'Océan extérieur.
L'amour d'Achille et de Patrocle : éloge de la pédérastie
bien comprise...
2. Avant la bataille de Gaugamèle. Dialogue
entre Alexandre et Hephæstion : «Patrocle
est mort le premier. Je te vengerais, Hephæstion
[si tu venais à mourir].»
3. Alexandre et ses officiers découvrent le harem
de Darius à Babylone. Allusion à l'homosexualité
endémique des Grecs : l'un des «gardes du corps»,
Léonnatos, fait une fine allusion à sa camaraderie
avec son collègue Lysimaque : «Comment revenir
dans les bras de Lysimaque après tout ça ?»
Regards croisés d'Alexandre et de l'eunuque Bagoas.
4. Après avoir lu une lettre envoyée par
sa mère. Allusion ténue. Alexandre congédie
l'eunuque Bagoas : «Je prendrai mon bain seul.»
5. Peu après. Hephæstion : «N'y
a-t-il aucun amour dans ta vie, Alexandre ? (...) N'augmentes-tu
pas tes conquêtes pour mettre le plus de distance
entre ta mère et toi ?» Réponse
d'Alexandre : «Enfant, ma mère me croyait
divin, mon père faible. Je n'ai confiance qu'en toi,
en ce monde. C'est toi que j'aime en ce monde, Hephæstion.
Nul autre !...» Hephæstion : «...
ta tête penchée, tes yeux...»
6. Nuit de noces d'Alexandre et Roxane. Hephæstion
offre en cadeau de mariage une bague précieuse à
Alexandre. Roxane surprend le conversation des amants et
mène à son époux une nuit de noces
âpre et difficile. «Tu... aimes cet homme
? - C'est Hephæstion. Il y a bien des façons
différentes d'aimer, Roxane...» Lutte,
poignard. Finalement, pour pouvoir posséder sa femme,
Alexandre doit ôter la bague d'Hephæstion.
7. Pendant qu'Antigonos et Cleitos assassinent Parménion,
Alexandre compulse ses cartes et ses notes. Ce travail achevé,
Alexandre se glisse - nu - sous la couette et, de la main,
adresse un signe d'invite à Hephæstion.
8. Le banquet où danse Bagoas. Vainqueur,
Alexandre confirme les roitelets indiens dans leurs anciens
privilèges. Un festin sanctionne leur alliance avec
le conquérant macédonien. Danse de l'eunuque
Bagoas. Incontinent, Alexandre lui «roule un patin». |
|
|
|
NOTES :
(1) F. VANDECASSERIE, Télé-Moustique,
n 4119, p. 23. - Retour texte
(2) R. LYNCH, Cinéma S.F.X.,
n 113, p. 18. - Retour texte
(3) C. SPENCER, Histoire de l'Homosexualité,
Pré-aux-Clercs, 1998; rééd. Pocket, coll.
«Agora», n 211, 1999, p. 43. - Retour
texte
(4) Parmi les concubines d'Alexandre,
outre les hétaïres professionnelles, il faut mentionner
la veuve de son adversaire Memnon, Barsine, capturée
à Issos en 333, dont il fit sa maîtresse. Elle
lui donna, Héraklès, en 328 (exécuté
sur l'ordre de Cassandre à l'âge de quatorze ans).
Pendant l'hiver 327-328, il épousa Roxane, fille
d'Oxyarthès, satrape de Bactriane, qui lui assura la
paternité posthume d'Alexandre VI Aigos (né en
octobre 323).
Retour du désert de Gédrosie (324), il organisa
à Suse le mariage de 10.000 officiers et soldats macédoniens
avec des femmes perses. Lui-même épousa alors Stateira,
ou Barsine, fille aînée de Darius III (ARRIEN,
VII, 4. 4-8), que ce dernier lui avait déjà offert
en mariage si le conquérant consentait à ne pas
occuper le pays au-delà de l'Halys. Selon Aristobule,
non seulement il épousa Stateira, mais également
sa jeune sur Parysatis. - Retour
texte
(5) Cette Thaïs qui, plus tard,
monta sur le trône d'Egypte aux côtés de
son époux Ptolémée Sôter (QUINTE
CURCE, V, 7. 3), ancien mignon d'Alexandre, et peut-être
aussi son demi-frère. - Retour texte
(6) Il apparaîtrait pour le
première fois en 1869, dans un texte allemand anonyme.
- Retour texte
(7) H. MICHELL, Sparte et les Spartiates,
Payot, coll. «Bibliothèque Historique», 1953,
p. 216 sq. - Retour texte
(8) Georges CONTOGEORGIS, Histoire
de la Grèce, Hatier, coll. Nations d'Europe, 1992,
p. 402. - Retour texte
(9) Amnesty International - Le
Monde, 9 avril 1993, cité dans Anne MORELLI (sous
la dir.), Les Grands mythes de l'Histoire de la Belgique,
de Flandre et de Wallonie, Bruxelles, Editions Vie Ouvrière,
coll. «EVO-Histoire», 1995, p. 9.
L'anecdote serait amusante si, quelque part, elle n'était
- aussi - pathétique ! Elle nous rappelle le naïf
ou provocateur collaborateur du fanzine Bo-Doï,
attaquant une interview de Jacques Martin par une question du
genre : «Pourquoi avoir fait d'Alix un ami d'un criminel
de guerre comme Jules César ?» A moins d'être
révisionniste, comment peut-on parler de «criminel
de guerre» en parlant de personnages historiques qui vécurent
dans des époques où ce concept n'existait pas,
était impensable... ? - Retour texte
(10) Cf. André ALEXANDRI,
La tribune de Genève, 2 mars 1956 (entrefilet).
- Retour texte
(11) Du moins en principe, question
d'époque. Sous la République finissante, avec
l'intrusion des désastreuses «murs grecques»,
on avait pu voir le jeune Marc Antoine - le futur triumvir -
et son tendre ami C. Scribonius Curio faire le désespoir
de leurs parents. Cf. Jean-Noël ROBERT, Eros
romain, Les Belles Lettres, 1997. - Retour
texte
(12) P. VIDAL-NAQUET, «Le Chasseur
Noir et l'origine de l'éphébie athénienne»,
in Le Chasseur Noir. Formes de pensée et formes de
société dans le monde grec, Maspero, coll.
«La Découverte», 1991, p. 151 sqq.
- Retour texte
(13) P. VIDAL-NAQUET, Le Chasseur
Noir, op. cit., p. 202. - Retour texte
(14) Hephæstion commandait
les sômatophylaques à Gaugamèle,
sans doute une unité détachée des hypaspistes
dont certains membres, à l'occasion, pouvaient prendre
la tête d'une autre division de l'armée. - Retour
texte
(15) Navire de guerre à cinq
files de rameurs se partageant trois rangs de rames : l'équivalent
de la quinquérème des Romains. - Retour
texte
(16) Colin SPENCER, Histoire de
l'homosexualité, op. cit., p. 46. - Retour
texte
(17) Nous avons systématiquement
uniformisé en Hephæstion les différentes
transcriptions - Ephaïstion, Ephestion, Hephaestion, Héphaestion,
Hephaistion, Hephaïstion, Héphaïstion, Hèphaïstion,
Héphestion. - Retour texte
(18) R. LYNCH, Cinéma S.F.X.,
n 113, p. 19. - Retour texte
(19) R. LYNCH, Cinéma S.F.X.,
n 113, p. 18. - Retour texte
(20) R. LYNCH, Cinéma S.F.X.,
n 113, p. 20. - Retour texte
(21) Jean-Paul CHAILLET, Ciné
Live, n 86, janvier 2005, p. 36. - Retour
texte
(22) O. Stone : «Alexandre
a exploré le monde et cherché à repousser
les frontières de celui-ci, et pour lui, la sexualité
en faisait partie» (R. LYNCH, Cinéma S.F.X.,
n 113, p. 19). - Retour texte
|
|
|
|