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Rome
[TV : HBO - BBC]
(Michael Apted, Allen Coulter, Julian Farino, etc. -
EU-GB, 2005)
(page 2/18)
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2.3. L'intrigue : Les Grandes
Familles
2.3.1. L'esprit de famille
Une spécificité du caractère romain, bien
mise en évidence, est l'esprit de famille. Le sentiment
d'être une partie d'un tout. «Ma famille s'est
battue à Magnésie et à Zama, et je me suis
fait avoir comme un enfant», vitupère Vorenus
(ép. 1).
Comment le descendant de si braves citoyens a-t-il pu se laisser
surprendre ? Inconcevable !
Il y a toujours eu un petit côté
mafieux dans les murs romaines, où le clientélisme
règne en maître. Les hommes se lient entre eux pas
seulement en fonction d'idéologies, mais plutôt pour
des raisons de convenances personnelles. Vorenus se lie à
Marc Antoine comme préfet de la légion, puis - comme
magistrat - à César, sans pour autant tout-à-fait
partager ses vues politiques. Une accolade, un baiser - le baiser
de la mort ? - vient sanctionner ces allégeances. De même,
un mariage scelle l'alliance de César et Pompée;
mais la mort de l'épousée consomme la rupture entre
le gendre et son beau-père. Lesquels peuvent alors - et
alors, seulement - donner libre cours à leurs divergences
idéologiques.
Lorsque Octavia regrette de devoir quitter
un mari qu'elle aimait, à la seule fin de satisfaire aux
ambitions politiques de César - le pater familias
du clan de Julii -, sa mère la gronde presque avec
bonhomie : «Essaie d'avoir l'air gaie : tu le fais pour
notre famille !» (ép.
1). Chez les patriciens romains, en effet, on ne se mariait
pas par amour mais pour sceller les alliances politiques du chef
du clan. En les simplifiant, le téléfilm s'inspire
ici de faits réels qui valent la peine d'être rapportés.
La sur d'Octave, Livia
Octavia (Octavia l'Aînée) était mariée
à C. Claudius Marcellus. Pompée veuf de Julia, César
eut l'idée de renouveler son alliance avec son partenaire
politique par la combinaison matrimoniale suivante : sa nièce
Octavia divorcerait de Marcellus (1)
pour épouser Pompée, tandis que la fille de Pompée
romprait ses fiançailles avec Faustus Sylla - fils du défunt
dictateur - pour l'épouser lui, César. Lequel dans
ce cas de figure répudierait son épouse Calpurnia
! Un vrai jeu de dominos.
Mais Pompée, qui souhaitait recouvrer un peu plus d'indépendance
politique, en disposa différemment et... convola en justes
noces avec Cornelia, fille de Cornelius
Metellus Scipio. Plus tard, Octave donnera sa sur à
Marc Antoine afin de consacrer leur réconciliation. On
sait que, comme un goujat, celui-ci l'abandonna pour suivre Cléopâtre
! Pauvre, pathétique Octavia...
2.3.2. Servilia, Caton, Brutus...
Atia peut bien persifler, à propos de son ennemie Servilia
: «Servilia ? Cette vieille chouette est en bons termes
avec Caton et sa bande...» En réalité,
Caton était le demi-frère utérin de Servilia.
Il était l'ennemi acharné de tous les ambitieux,
dont Pompée autrefois, et aujourd'hui César. Aussi
Servilia, comme maîtresse de ce dernier, ne pouvait qu'être
en froid avec lui - et depuis
longtemps - exécrant l'influence philosophique que
l'oncle stoïcien avait sur son boutonneux de neveu, son fils
Brutus. Au long de la guerre civile et pour le peu que nous en
sachions, elle demeura en très bons termes avec son ancien
amant César et, même, accrut son patrimoine grâce
à lui. Un bémol pour HBO !
2.3.3. Patriciens et plébéiens
En fait, si le spectateur moyen comprend sans difficulté
que le monde romain se divise entre patriciens et plébéiens,
il est pour lui beaucoup moins évident de capter que les
plébéiens ne sont pas nécessairement de pauvres
prolétaires.
Les patriciens. - Les patriciens
sont les grands propriétaires fonciers descendants de Romulus
et de ses compagnons, les fondateurs de Rome. On peut néanmoins
comprendre qu'un aristocrate désargenté, un patricien
comme César se tournât vers la plèbe pour
y trouver le soutien politique à ses ambitions opposées
à celles de son ordre sénatorial d'origine.
Les plébéiens.
- L'ordre équestre, qui a donné à la plèbe
ses grandes familles, est lié au monde des affaires, à
l'argent, et aux hommes nouveaux. Assez curieusement, Rome
(HBO) ne montre guère de vrais patriciens : les conservateurs
comme Metellus Scipion et Brutus appartiennent en réalité
à de grande familles plébéiennes, les Cæcilii
Metelli et les Junii Bruti. Et leurs alliés
modérés - Cicéron, Pompée - sont des
«Hommes Nouveaux» appartenant eux aussi à l'ordre
équestre. Cicéron est un provincial volsque venu
d'Arpinum, et Pompée un étrusco-gaulois du Picenum.
Dans l'esprit des scénaristes de la série, il
semble n'y avoir guère de différence entre les gens
patriciennes et les gens plébéiennes, à
moins que - et c'est ce qui nous paraît le plus vraisemblable
- ils aient trouvé le distinguo oiseux : il y a les riches
(patriciens et plébéiens confondus) et il y a les
pauvres (les prolétaires ou capite cenci). (Pour
approfondir la question, le lecteur se reportera à l'Appendice
Familles patriciennes & plébéiennes.) |
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2.4. Suburre sous la pluie [Extérieur.
Nuit.]
Avec la conquête du petit écran, la série
initiée par John Milius et alii parachève
l'uvre pédagogique naguère commencée
par Herbert Wise avec Moi, Claude, empereur (2)
(BBC, 1976), la grande fresque des Julio-Claudiens et des débuts
de l'Empire, tirée du roman de Robert Graves (1937), ensuite
relayée - dans la perspective des origines du christianisme
- par Anno Domini.
Dans le sillage de nos deux héros plébéiens
et des protagonistes historiques (César, Cicéron
etc.) nous voyons se mouvoir le peuple de Rome, les maîtres
et les esclaves, les maris trompés et leurs femmes volages,
les amants transis et les félons - les profiteurs de la
guerre civile, les affairistes véreux. «Rome va
sembler bien différente que dans les péplums habituels.
La série a été tournée dans les studios
romains de Cinecittà comme Ben Hur, mais on est
loin ici de l'imagerie de Hollywood, commente Jean-Claude
Van Troyen (3).
Dans Rome, il y a plus de sexe et de paganisme qu'on
n'a l'habitude d'en voir dans les péplums. Et Jules César
ressemble à ce qu'il était : lors de ses cérémonies
de triomphe, il était peint en rouge, la couleur de Jupiter,
de la tête aux pieds (4).
On a reconstruit le forum à grande échelle, plus
un labyrinthe de rues ouvrières, de villas, de jardins.
C'est formidable et étrange à la fois. Les temples
sont sales et multicolores. Les murs sont noirs de fumée
et couverts de graffiti (5)
en latin, obscènes pour la plupart. Au coin des rues, des
chandelles et des dessins de pénis géants. (...)»
De fait, Rome (HBO) tourne résolument le dos aux
clichés scolaires, renonçant notamment aux «bons
mots» historiques de César comme Alea jacta est
ou Tu quoque fili, qu'il ne prononça sans doute
jamais...
Certes la série-TV ne fait pas dans
la dentelle, mais les auteurs, se flattent (d'enfin) nous montrer
la Ville des Sept Collines comme elle était réellement
: bariolée, peinturlurée, malodorante, bruyante,
vulgaire. Les sites de Pompéi, Herculanum et Ostia Antica
ont fourni les références pour déterminer
les couleurs appropriées des temples, statues, rues, aussi
bien que l'inspiration des graffiti. «Si vous allez à
Pompéi, vous vous rendez compte combien cette ville était
vulgaire, explique le créateur des décors Joseph
Bennett. Les temples et les sculptures étaient peints
de couleurs criardes. Rome était comme Pompéi en
bien plus grand. La ville était si bruyante qu'il était
impossible de dormir. Ce devait être l'enfer. Pensez à
une combinaison de New York et de Calcutta, avec une richesse
folle et une pauvreté folle. C'était la ville de
l'extrême.» La comparaison avec les mégalopoles
contemporaines est un leitmotiv chez les concepteurs d'HBO. «Rome
ressemblait plus à des villes comme Mexico ou Calcutta
qu'à des ensembles de marbre blanc, expose Bruno Heller.
C'est que la Rome de brique et de bois de César n'avait
que peu de rapports avec celle - de marbre - que laissera son
successeur Octave Auguste.
«Comme les immeubles étaient
hauts !, note Colleen
McCullough, nous conviant à suivre le malheureux Jugurtha
et le cortège du triomphateur Marius. Le défilé
s'avançait le long du Vicus Tuscus du Velabrum, partie
de la ville pleine d'insulæ qui paraissaient vouloir
tomber les unes sur les autres. (...) Ils pénétrèrent
dans le Circus Maximus, immense structure qui s'étendait
sur tout le Palatin. Près de cent cinquante mille personnes
s'entassaient sur des estrades de bois. (...) Le défilé
quitta l'énorme bâtiment, suivit la Via Triumphalis
et finit par tourner dans la Velia pour descendre vers le Forum
en piétinant sur les vieux pavés de la Via Sacra.
Enfin il [Jugurtha] allait voir le centre du monde ! Mais
quand il jeta les yeux sur le Forum Romanum, il fut déçu.
De petits édifices décrépis, qui semblaient
placés au hasard; l'endroit avait l'air d'être à
l'abandon. Même les plus récents étaient mal
entretenus. Tous les bâtiments qu'ils avaient longés
le long du trajet étaient autrement imposants, les temples
plus grandioses. Un endroit sans chaleur, comme enfoncé
dans une vallée bizarre, humide et peu attirante»,
ajoute encore la romancière néo-zélandaise.
Plus loin elle nous fait assister à
l'emménagement d'un jeune couple dans le populaire quartier
de Suburre. «La lumière qui tombait, tout au long
des neuf étages, dans la cour centrale, avait vite diminué,
comme celle venue du dehors, car d'autres insulæ massives
bloquaient la perspective. (...) C'est le bruit qui stupéfia
le plus Aurelia. Il venait de partout - des rues, de la cour,
des escaliers; le sol lui-même semblait gronder. Des cris,
des jurons, des chocs, des échanges hurlés, des
insultes, des enfants qui pleuraient, des bribes de chants, des
musiciens qui descendaient la rue à grand renfort de tambours
et de cymbales, des meuglements de bufs, des braiments,
des bêlements, des éclats de rire, d'incessants passages
de charrettes.» Steven
Saylor nous fait pénétrer dans un de ces taudis,
et nous humons les odeurs de Suburre : «(...) une paillasse
usée, dans une pièce minuscule au sol en terre battue.
La seule lumière provenait d'une étroite fenêtre
tout en haut d'un mur, et de la porte où une toile en lambeaux
faisant office de rideau était tirée en arrière
laissant voir un couloir sombre, d'où provenait une odeur
de chou bouilli, d'urine et de corps mal lavé. Par la fenêtre,
on entendait un couple se disputer, un bébé pleurer
et un chien aboyer (6).»
2.4.1. La Rome des taudis et des hôtels
de maîtres
«On a rarement vu à l'écran la complexité
et la couleur qu'avait l'ancienne Rome, continue Bruno Heller.
(...) C'était un lieu de couleurs franches, de cruauté,
d'énergie, de dynamisme et de chaos. C'était une
existence sans pitié, avec une toute petite élite
et des masses pauvres. On connaît le même problème
aujourd'hui : le crime, le chômage, la maladie et la pression
pour conserver sa place dans une société précaire.
La pitié était une faiblesse, la cruauté
une vertu, la seule chose qui importait, c'était l'honneur
personnel, la loyauté envers soi-même et envers sa
famille.»
Le téléfilm Rome (HBO)
montre la précarité du petit peuple, des esclaves,
des anciens combattants qui essaient de survivre à côté
de leurs nobles généraux lesquels tiennent le haut
du pavé. Devenir brigand ou chômeur, il n'y avait
pas grand choix pour les démobilisés. Tel fut le
problème des grands condottieres de la fin de la république
: «caser» leurs vétérans, des gens qui
ne possédaient rien, et à qui il fallait donner
quelque chose au terme de leur engagement, pour s'assurer leur
clientèle. Mais les grands propriétaires du Sénat
étaient généralement hostiles à ces
distributions. Ainsi, en 62, quand Pompée démobilisa
ses vétérans, le Sénat leur refusa les terres
de l'ager publicus que les grands propriétaires
s'étaient illégalement accaparés. C'est du
reste une des raisons pour lesquelles Pompée rechercha
l'amitié de César qui, lui, réussit
à les lui obtenir.
A coté des insulæ sordides,
reconstituées en fausse pierre de résine et de fibre
de verre, il y a aussi les demeures patriciennes, celle de Servilia,
et surtout celle d'Atia. «C'est l'extérieur classique
d'une maison de «super-riche», affirme Jonathan
Stamp. A l'extérieur, des banquettes de pierre, où
les clients attendent depuis l'aube d'être reçus
par la patricienne. C'est un esclave qui a son heure de gloire
tous les matins : il choisit qui entre.» A l'intérieur,
des pièces superbes, complètement peintes au revêtement
de (faux) marbre. Des chambres somptueuses, des écuries,
des ateliers, des poteries... Les intérieurs du Sénat,
et du Temple de Jupiter, et aussi celui de Cybèle où
Atia sacrifie un buf dans l'épisode
1, l'appartement de Vorenus et sa cour intérieure et
les venelles tortueuses, les tavernes...
Certains Romains, très riches, «vivaient
dans un luxe inimaginable. En 43 avant J.-C., on sait que Marcus
Æmilius Scaurus possédait l'équivalent de
195 millions d'euros. Que Cicéron, qui n'avait pas de goût,
suivit le conseil de Quintus (7)
et acheta une table de santal, le plus grand chic, qui valait
plusieurs centaines de fois un salaire annuel. Qu'on faisait venir
de la glace des Apennins, dans des barriques, qu'on enterrait
dans sa propriété. Qu'on achetait des poissons à
manger pour le prix d'un cheval. On était riche et snob»,
rappelle Jean-Claude Van Troyen (Le Soir).
2.4.2. Les latrines publiques
Les Romains avaient des tabous pour nous aberrants, et
des libertés que nous n'imaginons même pas. Par exemple
en matière de pudeur. «Une notion qui n'existait
que peu, rappelle Jonathan Stamp, le conseiller historique.
Pour le peuple, les latrines étaient publiques. On en
a reconstitué une ici, comme à Pompéi : treize
trous en carré, chacun à côté de l'autre,
des marchands vendaient des éponges au bout d'un bâton
à l'extérieur.» Les hommes et les femmes
s'asseyaient les uns à côté des autres, partageant
la même éponge sale comme papier de toilette. Le
making of laisse entendre que l'on va enfin voir les citoyens
romains déféquer béats d'aise dans les latrines
publiques, échangeant les derniers potins du Forum, bref
tels que ni Jacques Martin, ni Federico Fellini - pour prendre
deux extrêmes - n'ont jamais osé nous les montrer
(hmmmm... par contre Pasolini, s'il eut vécu... !). Mais
si des séquences y furent tournées, il faut croire
qu'elles tombèrent au montage.
On l'a vu, la crudité de certaines scènes ne laissa
pas indifférents les ciseaux
de Dame Anastasie.
«Chez soi, dans les immeubles de sept
étages, on ne disposait pas de latrines : on faisait dans
des pots. On mélangeait la merde à de la paille,
pour le feu; on revendait l'urine aux tanneurs, précise
encore J.-Cl. Van Troyen, invité sur le tournage (s'il
est exact que l'urine peut servir au tannage, chez les Romains
- et comme l'explicite fort bien l'épisode
11 -, elle servait aussi aux foulons comme détergent,
pour le dégraissage des vêtements de laine). Chez
les riches, les toilettes étaient à côté
de la cuisine, pour l'eau. La nudité était courante,
les prostituées déambulaient nues dans la rue.»
2.4.3. Le Forum
La surface utilisée pour les extérieurs dans les
studios de Cinecittà peut s'évaluer à près
de 3 km2. Le Forum romain a été reconstitué
à l'échelle 6/10, en essayant d'intégrer
un maximum de détails authentiques, comme les oliviers
de l'enclos sacré, «vieux de deux siècles»
et ses temples colorés, notamment celui de Jupiter Capitolin,
en rouge. On reconnaît en passant les chevaux cabrés
qui flanquaient le podium du Temple de Castor et Pollux, la façade
de la Basilique Julia, les colonnes triomphales que des manuvres
sont en train de dresser à partir d'un échafaudage.
Bien sûr, la plupart de ces éléments sont
inspirés de la Rome du IVe s de n.E., dont la maquette
se trouve au Musée de la Civilisation romaine, à
l'EUR, ce qui pour être très évocateur rend
l'ensemble légèrement anachronique en ce qui concerne
l'époque de Jules César. Mais «nous réalisons
un drame, rappelle le conseiller historique, pas une reconstitution
historique. Ce n'est pas un problème si le forum n'est
pas exactement le même que le vrai. Mais nous suivons au
plus près tous les détails de la vie quotidienne
: les costumes, la nourriture, les murs, les gestes.»
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Le Forum Romanum. A gauche, le Temple de
Vesta, circulaire. |
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2.4.4. Les
costumes
Pour la Première Saison de Rome, April Ferry, la
responsable des costumes, en conçut plus de 4.000, qui
lui valurent une nomination aux Oscars. Douze cent cinquante paires
de chaussures furent fabriquées en Bulgarie et deux cent
cinquante cottes de mailles (lorica hamata) pesant chacune
16 kg ont été créées pour habiller
les légionnaires, ainsi que 40 cuirasses en cuir pour leurs
officiers. Ces pièces sont confectionnées «neuves»,
bien entendu. Il faut ensuite les patiner, leur donner un aspect
rapé. Les tissus - laines, toile, coton et soie - furent
importés de Prato, mais aussi d'Inde, de Tunisie et du
Maroc. Ils étaient achetés dans un état cru
et teints dans les atelier de la production, à Cinecittà.
«Ils étaient parfois bruts, rêches,
explique April Ferry. Mais touchez ici le velouté du
tissu des toges des sénateurs. Nous n'avons travaillé
qu'avec des tissus existant à l'époque : du lin,
de la laine, du coton, de la soie pour les très riches.»
Les articles de cuir pour les principaux acteurs
furent l'uvre d'Augusto et Giampaolo Grassi, qui utilisèrent
les techniques traditionnelles employées par leur père
pour créer ceux des grandes épopées des années
'60, notamment Cléopâtre.
Les armures, casques et autres pièces
métalliques du costume furent ouvrés à la
main et en métal par Luca Giampaoli, du moins pour les
principaux acteurs. Pour la troupe, ils furent façonnés
en série par les fabricants spécialisés,
en Inde (nombre de re-enactors débutants s'y approvisionnent,
vu la modicité des prix, notamment dans les ateliers créés
par l'historien militaire américain Dan Peterson).
Pour la Deuxième Saison, April Ferry a eu à habiller
vingt-huit... dignitaires abyssins ! «Nous avons dû
chercher, nous documenter, voir dans les musées, imaginer
et créer de nouveaux costumes. Nous avons tous les jours
de nouveaux défis de ce type. Et c'est ça qui est
intéressant. Parce qu'on voit qu'en fin de compte, ça
se concrétise...» (8).
Arthur Wicks, le chef accessoiriste, règne
sur un véritable capharnaüm où s'entassent
poignards, glaives, massues, boucliers, têtes humaines coupées,
aigles dorés et vexillia, coffres, sacs de cuir,
fouets, etc. Et de la vaisselle, de la monnaie, des stylets pour
écrire et les tablettes de cire qui vont avec, une clepsydre
(horloge à eau) aussi, et des verres à boire, des
dés en vertèbres d'agneau, pipés comme il
se doit, des jouets d'enfant, des cartes dessinées sur
des peaux tannées... et même un orgue hydraulique...
«qui fonctionne à merveille, mais ne rend pas
le son» (!). Toutefois, c'est du «matériel
de trépanation,
que l'on a utilisé pour opérer Pullo»
qu'A. Wicks est plus particulièrement fier !
2.4.5. Anachronismes
Il était inévitable que certains détails
étonnent ou irritent. Pas forcément à bon
droit. On a parlé d'erreurs historiques comme le non-respect
de l'âge des personnages (Caton d'Utique [9]);
d'anachronismes aussi, comme par exemple le papier utilisé
pour le courrier, qui semble de facture très moderne. L'argument
nous paraît spécieux. De fait, bien qu'inventé
en Chine au IIIe s. av. n.E., le papier n'apparaît en Europe
que vers le XIe s. Bien évidemment, on sait que ce que
l'on voit à l'écran n'est pas nécessairement
ce qui a été réellement utilisé. Vu
la chaleur des spots il est courant au cinéma que de la
purée de pomme de terre remplace la glace à la vanille,
et la crème fraîche la mousse à raser... Du
papier peut très bien avoir été commis à
la place du papyrus ou du parchemin, connus des Romains. Car même
si le papyrus était, en principe, réservé
aux écrits importants - comme les livres -, les cartonnages
égyptiens d'époque hellénistico-romaine ont
révélé de simples comptes ou des horoscopes
consignés sur de minces papyrus. Lorsque Posca applique
le sceau de César sur son courrier, celui-ci n'a pas la
lisse texture du papier, même s'il est plus blanc que l'authentique
papyrus. Tordons le cou à ce poulet.
Les anachronismes sont hélas inévitable,
en particulier dans une série-TV. Ainsi dans tel épisode,
cet ara - perroquet purement américain - quinze siècles
avant son introduction dans notre Ancien Monde. Mais la quête
de l'anachronisme - la montre-bracelet incongrue ! - fait les
délices des cinéphiles. Tel spectateur réagira
plus volontiers aux gravures «laser» sur le glaive
d'honneur de l'ancien gladiateur Proximo, dans Gladiator
- alors que la très discutable représentation de
l'institution gladiatorienne, fait de société bien
plus interpellant, ne le fera pas sourciller ! Et, regardant La
chute de l'Empire romain, qui s'est jamais soucié de
la gourde de vin dont Commode dévisse le bouchon
? Ca serait intéressant d'élucider la question de
savoir si au IIe s. de n.E. le pas-de-vis - principe connu depuis
Archimède - avait déjà trouvé son
application au conditionnement des boissons... Il y aura toujours
une part d'incertitude archéologique dans une reconstitution
filmique (ou graphique), aussi serait-il naïf de supposer
que l'accessoiriste le plus consciencieux a vérifié
dans des catalogues de musée la conformité de la
moindre poulie de trirème, de tel motif de broderie ou
de tel ustensile de cuisine...
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Ciaran Hinds est C. Julius Cæsar
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II. QUELQUES THÈMES À LA LOUPE
3. LES ESCLAVES ET LES AFFRANCHIS
Avant de mourir sur son lit de souffrance, la pauvre Julia fait
ses dernières recommandations à son mari Pompée
: «Sois bon avec mes esclaves, et... mon père»
(ép. 1). Tous les Romains et Romaines n'étaient
pas nécessairement brutaux avec leurs esclaves, du moins
ceux qui leur étaient proches - les rats des villes.
Les rats des champs, c'est évidemment autre chose...
Ainsi César a une relation familière et amicale
avec son secrétaire-esclave Posca - l'indispensable Posca,
qui a son franc parlé. Créé de toutes pièces
par les scénaristes, Posca
occupe une fonction stratégique dans l'intelligibilité
de la série Rome, dont il est en somme le coryphée,
celui qui explique à quoi pense César...
3.1. Tenir la chandelle...
Il y a au moins une demi-douzaine d'esclaves autour d'Atia -
agitant des éventails, proposant des rafraîchissements
- pendant que ruisselante de sueur elle copule tantôt avec
Antoine, tantôt avec son autre amant Timon, le marchand
de chevaux. Pour paiement et solde de tout compte d'un magnifique
étalon blanc qu'elle désire offrir à son
oncle César (10)
! Et elle est contente, Atia. Elle a obtenu deux étalons
pour le prix de quelques mouvements de reins : «Oh, ce
n'était pas un supplice, j'ai une attirance perverse pour
les petits barbus» (ép.
1). Après quoi elle congédie sans façon
le petit drôle
!
Et, quand à l'issue d'une partie de jambes en l'air Antoine
se fait désagréable et s'énerve, la vieille
Merula - qui a veillé au chevet de sa maîtresse pendant
l'amour - sort un coutelas de sa ceinture et, consul ou pas !,
en menace l'amant désobligeant (ép.
6).
Les Romains et les Romaines faisaient-ils
l'amour entourés de leurs esclaves, comme on le voit faire
Atia ? Entre pruderie et souverain mépris des esclaves-objets,
il est difficile de se prononcer d'une manière générale.
Dans le cas précis d'une femme particulièrement
dévergondée, on peut - avec Michel Dubuisson - admettre
comme parfaitement concevables «le voyeurisme ou l'exhibitionnisme
si cher à Clodia-Lesbie d'après Quintilien et Martial
(«c'est le spectateur, plus que l'amant, qui cause ton plaisir»)»
(11).
On peut imaginer qu'ils se régalaient du spectacle, les
esclaves, mais la caméra ne capte pas leurs visages impersonnels.
Qui donc irait imaginer que les «outils-parlants»
puissent avoir une érection quand on ne la leur a pas expressément
demandé ? Vous plaisantez, chère madame... (ép.
6). Il n'empêche que, chaque fois qu'Andromaque «montait
le cheval d'Hector», derrière les portes de sa chambre
se masturbaient les esclaves phrygiens (12),
comme les en soupçonne Martial nullement dupe (MART., Epigr.,
X, 104-5).
|
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En d'autres circonstances, ce
sont les esclaves eux-mêmes qui servent de sex toys
aux maîtres : |
— |
Brutus conseille à sa mère
d'apaiser la fureur génésique qui agite son
bas-ventre en s'achetant «un bon et grand Cyrénéen»
(id. est un nègre bien membré) (ép.
3)... |
— |
Réflexion sur laquelle
renchérit Atia qui, pour se moquer de Servilia repoussée
par son amant César, lui envoie un esclave nu, remarquablement
doté par la nature. La honte d'être ainsi exhibé
se lit sur le front baissé du malheureux godemiché
humain (ép.
6). |
— |
Egeria, la prostituée-esclave
du lupanar, raconte à Octave qu'elle ne sait pas de
quel pays elle est originaire. Les soldats romains ont tué
tous ses parents quand elle était toute petite, puis
l'on emmenée (ép.
6). |
— |
Amoureux de son esclave Eiréné,
dont il aimerait faire sa femme, Pullo l'invite un soir de
déprime à boire du vin avec lui, à lui
sourire, à se dénuder. Les esclaves ne sont-ils
pas-là, à disposition ? Il ne viendrait pas
à l'esprit du soudard que la jeune fille puisse avoir
des sentiments personnels... qu'elle puisse aimer un autre
homme que le maître... (ép.
6). Et dans une crise de rage et de déception,
l'ancien légionnaire massacrera le pauvre dipe
(ép. 10). |
|
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3.2. Souffre-douleur
Les outils-parlants n'ont pas de tête : encore heureux
que Pompée - possessif - ait eu la bonne idée de
faire tatouer un «Cn. Pompeius» sur le crâne
rasé de son intendant. Pour que César sache à
qui la renvoyer ! «Je crois que ceci t'appartient»
(ép. 1).
Atia n'est pas tendre avec ses servantes qui l'aident à
s'habiller, les coups fusent (ép. 1). A la moindre maladresse,
les esclaves se font gifler par Octave ou d'autres, et qualifier
d'imbéciles incapables. Sur la route de la Gaule, Octave
lui-même rabroue l'affranchi, qui a osé frôler
son bras en lui offrant de l'eau : «Ne me touche pas
!» (ép. 1).
Abandonnée à la merci des bandes incontrôlées
par Pompée en déroute, Atia passe sa rage sur les
reins de son intendant Castor, qu'elle fouette rageusement. A
la fin, l'esclave lui demande humblement, avant de se rajuster
: «En avez-vous fini avec moi, maîtresse ?»
(ép. 3 [13]).
Et elle prévient sèchement le garde du corps Andros,
que la vie de sa femme et de ses enfants dépend de sa loyauté
(ép. 1).
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4. LES GLADIATEURS
Le onzième épisode met en évidence la misère
des vétérans des légions, abandonnés
par le pouvoir politique une fois qu'il n'a plus besoin d'eux.
Souvent, ils devenaient des brigands, comme Pullo. Pas besoin
de remonter à la mafia russe et aux laissés pour
compte de la guerre d'Afghanistan et autres oubliés de
toutes les guerres, y compris - mutatis mutandis - des
guerres économiques de nos chères multinationales.
Pullo, qui a ainsi glissé sur la pente savonneuse du crime,
est condamné à être exécuté
par les gladiateurs. A l'époque de Jules César,
il n'existait pas encore à Rome d'amphithéâtre
en dur : les combats se déroulaient dans un coin du Forum,
dans une installation provisoire et démontable, construite
en bois, comme celle qu'érigea en -52 ou -51 Scribonius
Curio (14),
une créature de César. Il est demeuré célèbre
pour avoir consisté en deux théâtres adossés
qui, pivotant sur eux-mêmes, formaient alors un amphithéâtre
(PLINE, H.N., XXXVI, 117) (l'arène en bois d'Empire
était, tout compte fait, plus convaincante que l'improvisation
de Rome (HBO) !). Le réalisateur de l'épisode
nous a néanmoins livré une séquence anthologique.
Devenu fou de rage lorsque l'on insulte la
XIIIe, Pullo est pathétique et a impressionné plus
d'un spectateur, de même que l'intervention de son frère
d'armes Vorenus - qui l'avait renié - incapable de supporter
l'iniquité de sa condamnation. Incapable aussi de supporter
l'injure faite à la XIIIe par des civils ! On ne
peut pas rire de tout. «Une scène particulière
de Rome mérite d'être commentée,
note le critique de DVDrama, Maxime Berthemy. La scène
des gladiateurs dans l'avant-dernier épisode de la saison
est en effet tout simplement énorme. Jamais (à ma
connaissance) on avait vu la barbarie des combats de gladiateurs
représentée aussi puissamment, ni aussi crûment.
Des têtes, des bras, des jambes sont tranchés en
gros plan dans un déchaînement gore probablement
jamais représenté à la télévision
américaine. Une grande scène épique de 7
minutes magistralement réalisée : pas de caméra
à l'épaule qui tremble tellement qu'on n'y voit
plus rien, pas de montage épileptique, toute la violence
brute des combats est retranscrite sans fard (avec même
quelques ralentis pour qu'on puisse bien apprécier les
giclées de sang !). Les images de cette scène sont
bien entendu soutenues par un investissement émotionnel
du spectateur sans lequel elles perdraient de leur force : c'est
un des héros de la série qui est au centre de l'arène.
Bref, de l'ultra-violence pure et dure mais pas gratuite : le
dosage parfait pour vibrer sans scrupules devant ce spectacle
jouissif. Après cette scène, une chose est sûre,
vous oublierez les foules qui scandaient «Maximus»
et votre cur battra au rythme des clameurs «Thirteen»
et «Pullo».»
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On peut rire de tout, mais pas avec tout
le monde.
Par exemple avec Pullo, il vaut mieux éviter de railler
la XIIIe légion ! |
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Les exécutions avaient lieu sur le coup de midi - «à l'heure
méridienne». Le plus souvent, les gladiateurs faisant
office de bourreaux se contentaient d'égorger le condamné
à mort. D'autres fois, les condamnés devaient se
battre entre eux, le survivant affrontant celui qui le suivait
etc., jusqu'au dernier. Encore fallait-il pour cela disposer de
condamnés pugnaces, capables d'offrir un spectacle intéressant.
Les gladiateurs, eux, étaient des «pros» qui
coûtaient très cher et que l'on évitait de
tuer. Cette fois-ci - nous revenons à notre feuilleton
Rome -, il s'agit d'exécuter un combattant éprouvé,
un légionnaire vétéran, aussi trois gladiateurs
professionnels vont-ils l'attaquer en même temps pour ne
lui laisser aucune chance, car force doit bien rester à
la Loi. Plausible, sinon attesté.
Les armes utilisées sont toutefois à la limite des
armaturæ connues et le clin d'il à Ridley
Scott et à Gladiator est évident. En particulier
le quatrième gladiateur - celui qui intervient après
que ses trois collègues malchanceux aient été
expédiés ad patres -, un géant maniant
une sorte de masse d'armes, qui est de pure fantaisie.
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Un gladiateur «complètement
à la masse» ! |
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5. LA RELIGION
A l'extrême piété ou superstition de l'humble
légionnaire ou de l'homme du peuple répond le scepticisme
des puissants : «César se moque de l'aigle»,
révèle cyniquement Octave (ép.
1) (dans le Spartacus de Kubrick, le sénateur
populiste Gracchus (Charles Laughton), qui au sortir du Sénat
vient d'acheter quelques pigeons à sacrifier, explique
à César : «En public, je fais semblant
d'y croire, mais dans le privé je suis comme toi...»).
Vorenus ne manquera du reste jamais une occasion de reprocher
à son acolyte Pullo son impiété, qui «est
la cause de tous les malheurs de la République».
Pourtant, Pullo invoque un obscur dieu romain - Forculus -, pour
qu'il lui ouvre les portes de sa prison (ép.
1); une seconde fois au cachot, il invoque «Janus,
Dis et Gaia» et leur sacrifie ce qu'il a sous la main
- une blatte - qu'ensuite il enterre soigneusement (ép.
11). Plus tard, il invoquera une autre divinité populaire,
Rusina, dont il espère le pardon de ses fautes (ép.
12).
5.1. Les prêtres romains
Concernant la religion romaine la seule grosse bévue que
nous ayons repéré est le fait que les concepteurs
semblent avoir ignoré qu'il n'y avait pas, à Rome,
de clergé au sens où nous l'entendons aujourd'hui.
Nous disons bien «semblent», car César désignera
son neveu Octave - qu'aucune vocation théologique ou sacerdotale
ne prédisposait - à diriger le collège des
augures comme pontife.
Sur quoi ledit Octave se mettra à piocher tous les traités
sur l'art augural qui lui tomberont sous la main. La prêtrise
était une magistrature. Les prêtres romains n'étaient
pas des théologiens confirmés mais des citoyens
occupant par élection ou cooptation une fonction religieuse.
Tout en étant légat de César en Gaule, Marc
Antoine postula l'augurat en 53, mais ce fut Cicéron qui
fut choisi. Il l'obtiendra néanmoins en 50. Jules César
lui-même, dans sa jeunesse, fut un temps prêtre de
Jupiter (Flamen Dialis)
et, plus tard, en 63, Grand Pontife (Pontifex
Maximus).
Rien à voir, donc, avec la clique ensoutanée
des évêques et autres cardinaux qu'aiment à
brocarder les «bouffeurs de curés», situation
stéréotypée à laquelle font pourtant
manifestement allusion certaines répliques («Tu
es aveugle comme un prêtre dans sa capuche», dit
Antoine à Vorenus (ép.
4) - «On demandera aux prêtres de nous purifier,
mais ça coûtera cher», se résigne
Niobé (ép.
4)). Ce, d'autant plus volontiers que, comme il s'agit de
paganisme romain - autant dire de catholicisme papiste -, l'Américain
WASP peut y aller franchement.
Le chef des augures sera donc un personnage
mielleux, imbu de son importance, et bien entendu... cupide (15).
A César, il vendra très cher un oracle fabriqué
à la demande (ép.
4). Mais Vorenus, également, a dû dénouer
les cordons de sa bourse pour se faire purifier des ennemis qu'il
a tués à la guerre, encore heureux qu'on fasse des
prix pour les grandes quantités (ép.
2).
Le Triomphe est en soi
une cérémonie de purification des légionnaires
rendus à la vie civile, aussi les purifications privées
auxquelles s'astreint Vorenus retour de la guerre n'ont rien d'invraisemblable.
Qu'on se rappelle seulement le passage de Tacite où l'on
voit Germanicus découvrant dans la forêt de Teutberg
le charnier des légions
de Varus exterminées quelques années auparavant.
Comme membre du Collège des Augures les mains de ce général
romain ne pouvaient approcher d'aucun objet funèbre (TAC.,
An., I, 62). Etonnant, pour un chef de guerre. Mais c'est
ainsi. Et c'est pourquoi, dans le Temple de Jupiter Fulgor, l'impétueux
Marc Antoine somnolera pendant l'interminable cérémonie
de purification (16)
qui l'intronise dans sa fonction sacrée de tribun du peuple
(ép. 2)...
Toutes les prescriptions rituelles doivent être strictement
observées, qu'on soit croyant ou sceptique.
Le scénariste
y ira d'autant plus franchement que, tout le même, la vie
des prêtres romains n'était pas triste, étant
soumis à toutes sortes de pittoresques contraintes et tabous.
On se rappellera que le Flamen Dialis, par exemple, n'avait
pas le droit de consommer certains aliments, de toucher des objets
de fer, d'approcher des morts, de toucher un cheval, de revêtir
des vêtement autres que noués, mais se devait de
porter constamment le lituus (une sorte de casque surmonté
d'une baguette pointue ou apex) et une chaude cape de laine
rayée fixée par une broche, la læna
tissée par sa femme/
5.2. Bona Dea
Rome (HBO) ne se contente pas de mettre en évidence
le caractère interlope, pouilleux des quartiers populaires.
Au détour de ses rues, on peut apercevoir ex-voto et fétiches
bizarres, qui nous rappellent que la population est - déjà
- très mélangée. Ainsi, telle divinité
bizarre, avec des crocs impressionnants mais qui n'est pas une
Gorgone, censés représenter le foisonnement de divinités
étrangères introduites dans l'Urbs.
Une grosse femme fellinienne, nue et peinturlurée
de rouge, devant laquelle se prosterne Niobé est censée
représenter Bona
Dea, la Bonne Déesse, variante romaine de la déesse-mère.
5.3. Cybèle et le taurobole
On retiendra le pittoresque et sanguinaire rite commun aux cultes
de Mithra et de Cybèle auquel, dans le temple de cette
dernière, se soumet Atia pour favoriser la mission de son
fils (ép. 1).
Son culte était sanglant, en effet (émasculation
rituelle de ses prêtres, les Galles). Et la demande de protection
de son fils, objet de la démarche d'Atia, correspond au
genre de choses qu'on peut demander à Cybèle, autre
avatar de la déesse-mère. On peut supposer que les
cinéastes ont simplement cherché à montrer
quelque chose de saignant... de faire passer le message maintes
fois répété dans les bonus : «Nous
sommes en des temps pré-chrétiens.» Cette
scène met en évidence quelque chose que nous avons
tendance à oublier, avec notre sensibilité anesthésiée
par deux mille ans de judéo-christianisme. Nous l'avons
déjà dit : tout a un prix. Les dieux se paient en
sang. On a pu reprocher à Mel Gibson de l'avoir intempestivement
rappelé avec La Passion du Christ, mais les autels
des dieux romains comme celui du Temple de Jérusalem étaient
régulièrement inondés du sang de victimes
animale immolées. Lloyd C. Douglas, quand il montre un
païen, avec un haut-le-corps, reprocher aux prêtres
juifs du Temple de Jérusalem leur écurant
et quotidien charnier (La Tunique), méconnaît
une évidence à laquelle pallie John Maddox Roberts
décrivant en Alexandrie le temple-abattoir d'une autre
divinité orientale nommée «Baal Ahriman»,
la puanteur des bêtes dépecées, les flaques
de sang fétide qui rendent le sol glissant (Le
Temple des Muses). A noter que dans Rome (HBO),
lorsque l'augure Octave vient bénir le visage de César
en le barbouillant de sang, le bas de sa robe est largement imprégné
du sang des bufs immolés, et trace un sillage sanglant
sur le dallage du Temple de Jupiter Capitolin (ép.
10).
Notons tout de même que c'est - semble-t-il
- le prêtre de Cybèle, non le dédicant, qui
se baigne dans le sang du buf sacrifié. Le chrétien
Prudence (Ve s.), nous a laissé une description de ce rite
assez sinistre : «On creuse une fosse dans la terre,
et le grand prêtre s'enfonce dans ses profondeurs pour y
recevoir cette consécration. Sa tête porte des rubans
merveilleux; à ses tempes sont nouées des bandelettes
de fête, une couronne d'or retient ses cheveux (...). Avec
des planches disposées au-dessus de la fosse, on aménage
une plate-forme à claire-voie (...). Puis on pratique des
fentes ou des trous dans ce plancher, on perfore le bois de petites
ouvertures. C'est là qu'on amène un taureau énorme,
au front farouche et hérissé; une guirlande de fleurs
forme un lien autour de ses épaules ou de ses cornes enchaînées;
de l'or brille sur le front de la victime; son poil est recouvert
de l'éclat d'un placage doré. C'est là qu'on
place l'animal à immoler; puis on lui déchire la
poitrine à coups d'épieu sacré. La vaste
blessure vomit un flot de sang brûlant; sur les planches
assemblées du pont où gît le taureau, elle
déverse un torrent chaud et se répand en bouillonnant.
Alors, à travers les mille fentes du bois, la rosée
sanglante coule dans la fosse; le prêtre enfermé
dans la fosse la reçoit; il présente la tête
à toutes les gouttes qui tombent; il y expose ses vêtements
et tout son corps, qu'elles souillent (...). Une fois que les
flamines ont retiré du plancher le cadavre exsangue et
rigide, le pontife sort et s'avance, horrible à voir; il
étale aux regards sa tête humide, sa barbe alourdie,
ses bandelettes mouillées, ses habits saturés...»
(PRUDENCE, Livre des couronnes, X, 1016-1050).
Ce rite sanglant existe également dans
le culte mithraïque, mais alors le tauroboliatus est
nécessairement un homme (le culte de Mithra n'est pas accessible
aux femmes, de même que celui de Bona Dea ne l'est pas aux
mâles [17])
et le but est de purifier l'initié. A noter que si le scénariste
avait rattaché cette séquence au culte de Mithra,
il n'eut guère commis d'anachronisme - rapporté
à Rome par les légionnaires qui combattaient les
Parthes, le culte mithraïque apparut à Rome dans la
seconde moitié du Ier s. av. n.E. Mais le téléfilm
rattache la séquence au culte de la phrygienne Cybèle
- la Magna Mater -, qui fut introduit à Rome en
205 av. n.E., suite au désastre de la Deuxième Guerre
punique. Une inscription trouvée à Burdigala (Bordeaux),
dans un lieu dévoué au culte de Cybèle, atteste
qu'en 160, une femme, «Sulpicia Alba, fille de Sulpicius
Tertius qui en [l'honneur de ? a accompli] le taurobole».
On revient sur le culte de Cybèle et les mutilations rituelles
des Galles à propos d'Octavia qui, révoltée
contre sa mère, trouve refuge chez les Galles où
avec enthousiasme elle se taillade les avant-bras «comme
de la viande de porc» (ép.
10).
5.4. Magie noire et defixio
La scène où Servilia lacère une feuille
de plomb (ép. 5) se nomme une defixio, terme que
le Gaffiot définit comme «nécromancie, envoûtement».
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Tabellæ defixionum
sur une lamelle de plomb, découverte à
Paris en 1846, et datant probablement du IVe s. de n.E.
(Extrait de Patrice LAJOYE, «La tablette de malédiction
en langue gauloise du quartier Saint-Marcel», in
Paris Antique, Dijon, Faton éd. (Histoire
Antique, HS n 10, juillet-septembre 2006, pp. 16-19.)
|
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Voici ce qu'en écrit
Paul Moraux : «En principe, la victime ignore tout de ces
pratiques dirigées contre elle. Le texte de la défixion,
en effet, n'est pas, comme celui de l'imprécation, gravé
sur pierre et exposé, tel un avertissement solennel, à
la vue de tous : le défigeant l'a tracé ou fait tracer
à la pointe sèche sur une petite feuille de plomb
(exceptionnellement, le support de l'écriture est fait de
quelque autre matière, métal, coquillage, poterie,
papyrus ou peau), qu'il a enroulée ou pliée, parfois
percée d'un clou, puis jetée dans un puits, déposée
dans une sépulture, enterrée dans le temenos d'un
temple ou même dissimulée en un lieu fréquenté
par son ennemi» (18). |
Suite… |
NOTES :
(1) Dans Rome (HBO), Marcellus
est donc devenu l'insignifiant Glabius, qu'Atia contraindra
au divorce et, finalement, fera assassiner. - Retour
texte
(2) DVD VF annoncé chez Antartic
Video pour avril 2007. - Retour texte
(3) J.-Cl. VANTROYEN, Le Soir
(Bruxelles), jeudi 28 juillet 2005, p. 25. - Retour
texte
(4) Seulement le visage, en fait.
Comme on le voit dans l'épisode 10 de la série
(CLICK et CLICK).
- Retour texte
(5) Private joke : Le premier
graffiti qui apparaît au générique est,
paraît-il, identique à celui de la couverture de
l'album des Pink Floyd, Live at Pompeii (N.d.M.E.). -
Retour texte
(6) S. SAYLOR, La dernière
prophétie, 10/18, n 3824, pp. 135-136. - Retour
texte
(7) Son frère Q. Tullius Cicero,
I presume ? (N.d.M.E.). - Retour texte
(8) D'après J.-Cl. VAN TROYEN,
Op. cit. - Retour texte
(9) Caton est présenté
comme un vieil homme, tandis qu'au début dans l'Histoire
il entame la quarantaine. - Retour texte
(10) Atia est la fille de Julia,
la sur de Jules César. - Retour
texte
(11) M. DUBUISSON, Lasciva Venus.
Petit guide de l'amour latin, Mons, Ed. Talus d'approche,
coll. «Libre Choix», n 10, 2000, p. 14. - Retour
texte
(12) Joe D'Amato semble s'en est
souvenu dans sa Cléopâtre hardcore. Le légionnaire
qui monte la garde dans la chambre d'Octavia et Marc Antoine
s'agite frénétiquement derrière son scutum.
- Retour texte
(13) Séq. d'ouverture. - Retour
texte
(14) Il s'agit du tribun de la plèbe
Curion, un homme de César, ami très intime de
Marc Antoine. Tué par les Maures en 49. Le premier amphithéâtre
de Rome construit en dur le sera en -29 par Statilius Taurus.
- Retour texte
(15) Pourquoi se gênerait-il
?, au long de l'épisode Jules César graisse la
patte à quiconque peut lui être utile. Même
aux prétoriens, qui n'existent pas encore. - Retour
texte
(16) Des prêtres aux coiffures
surmontées d'effigies humaines, dansent interminablement
autour de lui. - Retour texte
(17) M. VERMASEREN, Mithra, ce
dieu mystérieux, Sequoia, coll. «Religions»,
S 201, 1960, p. 134. La question de la participation féminine
est du reste controversée. - Retour
texte
(18) P. MORAUX, Une défixion
judiciaire au Musée d'Istanbul, Académie royale
de Belgique, Mémoire Lettres, LIV/2, 1960, p. 4. - Retour
texte
(19) Theodor MOMMSEN, Histoire
romaine, Robert Laffont,
coll. «Bouquins», vol. I, pp. 1059-1060.- Retour
texte
(20) P. WILLEMS, Le droit public
romain, Louvain, 1883. - Retour texte
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APPENDICE :
FAMILLES PATRICIENNES & PLÉBÉIENNES
(par Gricca)
L'antique tradition avait admis l'existence de 300 gentes
réparties en 30 curies et formant 3 tribus (Denys d'Halicarnasse).
L'ensemble comprenait 200 gentes patriciennes, dites
«majeures», auxquelles Tarquin l'Ancien aurait ajouté
100 gentes «mineures», prises dans les rangs
de la plèbe. Une autre version répartissait par
moitié égale 150 et 150 les gentes «majeures»
et «mineures». Théodore Mommsen dresse en
appendice (19)
une liste de 54 gentes patriciennes; Pierre Willems (20)
en ajouta 39, mais Camille Jullian n'en retint que 71.
La division entre
familles patriciennes et plébéiennes n'est évidemment
pas aussi tranchée, puisque des familles étaient
à la fois les deux et que par exemple la famille plébéienne
des Domitii, une des plus considérables, parvint au patriciat.
Familles patriciennes : Aebutia (branche patricienne);
Aemilia; Claudia (branche patricienne); Cloelia; Cornelia; Fabia;
Furia; Gegania; Horatia; Julia; Lucretia; Mamilia; Manlia; Menenia;
Nautia; Octavia; Otacilia; Papiria; Pinaria; Postumia; Potitia;
Quinctia; Quinctilia; Sempronia (branche patricienne); Sergia;
Servilia; Sulpicia; Tullia (branche patricienne); Valeria; Veturia.
Milieu et fin de la république
Le Oxford Classical Dictionary donne vers le milieu et
la fin de la république la liste suivante des gentes
patriciennes : Aebutia; Aemilia; Claudia (les Claudii Marcelli
sont une branche plébéienne); Cornelia; Fabia;
Furia; Julia; Manlia; Papiria; Postumia; Quinctia; Quinctilia;
Sergia; Servilia; Sulpicia; Valeria; Veturia.
Ces 17 gentes étaient membres du Sénat
en -179, mais les Aebutii, Furii et Sergii n'y sont plus représentés
en -55.
Familles plébéiennes : Acilia; Aebutia
(branche plébéienne); Aelia; Annia; Antistia;
Antonia; Aquilia; Atilia; Attia; Aurelia; Aurunculeia; Baebia;
Caecilia; Caedicia; Caelia; Calpurnia; Cassia; Claudia (branche
plébéienne); Curiatia; Domitia; Duilia; Flavia;
Fulvia; Genucia; Hortensia; Hostilia; Icilia; Junia; Licinia
(la plus importante et la plus considérée des
familles plébéiennes de Rome); Livia; Manilia;
Marcia; Minucia; Mucia; Numitoria; Opimia; Oppia; Plautia; Pompeia;
Pomponia; Popilia; Porcia; Publilia; Pupia; Rutilia; Scribonia;
Sempronia (branche plébéienne); Terentia; Tullia
(branche plébéienne); Verginia.
Ve siècle - Aux origines historiques
de la république
Vers la fin du Ve s. av. J.-C. se distinguaient au sein du patriciat
six «gentes majores» : Aemilii; Claudii;
Cornelii; Fabii; Manlii; Valerii. C'est au cours du IVe s. av.
J.-C. seulement que durent être absorbées par la
noblesse romaine les grandes familles de Tusculum qui atteignirent
les plus hautes charges d'état : Coruncania; Fabia; Fonteiana;
Fulvia; Furia; Juventia; Laterense; Mamilia; Oppia; Octavia;
Papiria; Porcia; Quinctia; Sulpicia. Les gentes ne venaient
pas tous, en effet, de Rome : les Decii et Atilii sont des seigneurs
campaniens, les Publilii des princes volsques, les Otacilii
des seigneurs de Bénévent et les Anicii de Préneste.
Aux origines légendaires de Rome
Les patriciens, en tant que classe noble, avaient été
crées par Romulus en nommant les premiers sénateurs.
Pour Denys d'Halicarnasse, Romulus aurait commencé par
diviser le peuple en patriciens et en plébéiens
et ce n'est qu'ensuite que furent élus les 100 sénateurs
pris parmi les patriciens. Lors de la réunion des Sabins
et des Romains, symbolisée par l'accord Titus Tatius-Romulus,
on créa 100 nouvelles familles patriciennes. Quelques
familles venues d'Albe la Longue furent admises à ce
titre par Tullus Hostilius. Une importante augmentation du patriciat
est attribuée à Tarquin l'Ancien. Dès lors,
abstraction faite de l'immigration du chef sabin Attus Clausus,
ancêtre de la gens Claudia, le cercle des familles
patriciennes ne s'ouvrit plus jusqu'à l'époque
de César. Il se rétrécit par l'extinction
d'un certain nombre de familles et prit de plus en plus un caractère
de caste héréditaire. Les patriciens, considérés
comme formant le noyau du peuple romain, mirent la main sur
toutes les organisations sacerdotales. Mais leur puissance fut
gravement atteinte en -367 par l'admission des plébéiens
au consulat. Ils virent disparaître ensuite successivement
tous leurs privilèges et, vers la fin de la République,
le patriciat se trouvait comme noyé dans la nouvelle
noblesse des fonctionnaires, dont les plébéiens
faisaient partie également.
Le terme de gens s'appliqua d'abord à une seule
souche, ensuite il servit à désigner l'ensemble
des branches qu'elle avait produites. Aux temps historiques
la gens n'a plus de véritable chef : elle comprend
un certain nombre de familles, presque indépendantes
les unes des autres et qui ne sont liées que par la communauté
de nom, de culte et surtout d'intérêts politiques.
Sa composition : 1) Tous les individus qui
descendent effectivement, par les mâles, d'un auteur commun,
à condition d'être nés d'un mariage légitime.
- 2) Les enfants adoptés qui, de ce fait, entrent à
la fois dans la famille de l'adoptant et dans sa gens.
- 3) Les femmes introduites dans la gens par le mariage.
On cessait d'appartenir à la gens dans les cas
suivants : 1) En passant par adoption dans une autre gens.
- 2) En se mariant, la femme passe dans la gens de son
mari; quand celui-ci la répudie elle cesse d'en faire
partie. - 3) Un enfant mancipé sort de sa gens
pour la durée de sa mancipation, après sa troisième
mancipation il en sort définitivement. - 4) En devenant
plébéien par adoption ou par transitio in plebem
(déclaration publique devant les comices de rupture de
tout lien religieux avec sa gens) le patricien abandonne
à la fois et son état et sa famille.
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