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Spartacus : Blood and Sand
(13 ép. TV - prod. Starz)
(R. Jacobson, M. Hurst, J. Warn etc.,
EU - 2010)

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Sur cette page :

Spartacus : Blood and Sand

1. En guise d'introduction...

1.1. Le personnage littéraire
1.2. Son adaptation à l'écran
1.3. L'«effet Gladiator»

2. Starz Entertainement : le retour de Spartacus

3. Sexe et violence

3.1. Sexe

Pages suivantes :

3.2. Femmes «en péplums»

3.3. Violence

3.4. Gladiateurs

4. Conclusions

5. Internet

6. Filmographie

 
spartacus - blood and sand
 

Spartacus : Blood and Sand
(13 ép. TV - prod. Starz)
(R. Jacobson, G. Hill, M. Hurst,
J. Warn etc., EU - 2010)

Cumulant toutes les situations, tous les fantasmes sexuels possibles ou imaginables avec ou sans péplum, cette production Starz réécrit, en somme, le roman de Pauline Réage. Nus, battus, saignants, humiliés ou sexuellement exploités par des femelles toutes émoustillées, exhibés, marqués au fer rouge et fiers de l'être, machines à tuer consentantes ou résignées, la vie de ces esclaves bodybuildés est entre les mains d'un lanista qui est aussi un leno, au bord de la banqueroute, qui compte et recompte ses sesterces, tout en flattant les puissants.

Une bizarre fascination se décante de cette série atypique qui va plus loin qu'aucune autre n'a osé. Spartacus : Blood and Sand plaira aux gays comme aux hétéros que le gore ne rebute pas trop : pénétrons dans cet univers onirique tout de sexe et de violence, de maîtres et d'esclaves qui n'est pas sans rappeler une certaine Histoire d'O, cette fois resituée dans le monde romain. Après un succinct rappel du personnage dans la littérature comme au cinéma, suivi de l'examen des intentions du producteur Starz, nous diviserons notre analyse en deux sections - sexe et violence.
1. Dans la première, nous nous pencherons sur les mœurs antiques, la relation des Romains avec la nudité ou les plaisirs du corps, surabondants dans la série; leurs limites aussi. Avec un exemplum à la clé : les robes de ces belles dames du Temps Jadis, que les costumiers de cinéma imaginent très... glamour.
2. Ensuite la violence, bien évidemment exacerbée dans ce qu'est une école de tueurs qui sont aussi des athlètes de haut niveau, mais encore... des esclaves de qui on peut tout exiger. Tout, tout, tout... L'exemplum, ici, s'impose de lui-même : la gladiature à une époque charnière de l'institution, c'est-à-dire quand la gladiature ethnique devient la gladiature technique. Mais encore, les gladiateurs et leurs satisfactions, leurs motivations, leurs armes et la manière de s'en servir.

Rappel historique
L'histoire est bien connue. C'est celle d'un gladiateur originaire de la Thrace (l'actuelle Bulgarie), un ancien auxiliaire romain, déserteur devenu brigand, repris et vendu comme esclave à un laniste de Capoue nommé Lentulus Batiatus. En 73 av. n.E., avec soixante-quatorze de ses camarades, il s'évade et deux années durant tient le maquis en Italie, anéantissant plusieurs légions romaines. De nombreux esclaves fugitifs, voire même des miséreux de condition libre (1) le rejoignent. A un certain moment, rapporte Appien, ils seront 120.000 - dont il faut sans doute déduire un nombre substantiel de femmes, d'enfants, de vieillards inaptes aux armes. Le déclin de son épopée s'annonce lorsque, suite à un désaccord avec le Gaulois Crixus, un de ses lieutenants, ce dernier se sépare de lui avec 10.000 hommes qui se feront exterminer au pied du mont Gargano.
C'est finalement «l'homme le plus riche de Rome», M. Licinius Crassus - avec une armée équipée à ses frais et soumise à une discipline féroce, dont la décimation - qui au printemps 71, sur les bords du Silarus, aura raison des rebelles. Six mille d'entre eux pourriront sur les croix dressées le long de la voie Appienne, la chaussée qui relie Capoue à Rome.

1. En guise d'introduction...

1.1. Le personnage littéraire

Avant que de devenir un héros revendiqué par certains révolutionnaires de 1798, puis par les anarcho-communistes allemands après la Guerre 14-18 comme Rosa Luxembourg, il convient de rappeler que les trois «mamelles» littéraires de Spartacus sont : 1) la pièce de Bertrand Joseph Saurin (1760), 2) le roman garibaldien de Raffaello Giovagnoli (1874) et 3) le roman communiste d'Howard Fast (1951) (auquel on peut rajouter celui d'Arthur Koestler (1945)).
De ses origines nationalistes «giovagnoliennes», les premières versions cinématographiques italiennes gardent un certain embarras à fustiger la société romaine esclavagiste, ce au moment précis où, renaissant de ses cendres, la nation italienne est en quête de mythes fondateurs (Oreste Gherardini [?], IT 1909; Giovanni Enrico Vidali [2], IT 1913; Ertugrul Mushin-Bey, URSS 1926; Riccardo Freda, IT-FR 1952). En ce sens, la version 1913 est particulièrement gratinée en matière de gauchissement de faits historiques bien connus : ayant battu les armées de Crassus, Spartacus épargne ce dernier, qui en retour le promeut général en chef de l'armée romaine (!). Un gladiateur rival de Spartacus, Noricus, ayant assassiné Crassus, le Thrace est condamné à périr - et périt - sous les griffes d'un lion, dans l'arène.

Dans le roman de Giovagnoli, le gladiateur Spartacus était, fin 79, libéré par Sylla suite à une prestation exceptionnelle dans l'amphithéâtre. Homme libre désormais, il entrait dans la mouvance de Catilina, l'aristocrate populiste dont Cicéron allait seize ans plus tard démantibuler les intrigues et la conjuration. Spartacus y devenait l'amant de Valeria, la dernière épouse de Sylla, et en avait même une fille, Posthumia.
Comme tous les intellectuels de son temps, Giovagnoli avait une remarquable connaissance des événements et des personnages de la fin de la république, mais ça ne l'empêchait pas de faire son travail de... romancier !

1.2. Son adaptation à l'écran

Dans les versions cinématographiques qui vinrent ensuite, l'ancien esclave gardait cet esprit petit-bourgeois consistant à vouloir à tout prix fréquenter la haute société. Il était donc amoureux d'une patricienne nommée Fausta (1909), de la fille de Crassus Elena (1913) ou Sabine (1952), ou bien sûr et conformément au roman, de Madame Sylla dans la version 1926. Ce qui causera sa perte car, à l'écran, sauf Elena qui l'innocente dans une fin alternative de la version 1913, et Valeria toujours fidèle dans la version 1926, la digne patricienne romaine le trahira et le livrera à ses ennemis (1909, 1952).
En 1913, quand la jeune Italie - qui venait de s'emparer de la Tripolitaine et du Dodécanèse - était en plein délire impérialiste, il aurait été malvenu, dans un film, de minimiser la grandeur de l'Empire romain par quelque critique de la brutalité de ses mœurs. Et quarante ans plus tard, il n'en sera toujours pas temps comme l'apprendra à ses dépends Riccardo Freda (3). Aux Etats-Unis, le post-maccarthysme ambiant posera également problème à Kirk Douglas et à Stanley Kubrick (1960).
Voilà donc, dans les grandes lignes, l'état de la question quant à ce sulfureux personnage que la Chaîne câblée américaine Starz vient de le ressusciter une fois de plus.

1.3. L'«effet Gladiator»

A l'orée du Troisième millénaire, réactivé par l'«effet Gladiator» Spartacus a la cote d'amour. Ce sont d'abord des docufictions britannique, The Real Spartacus (Bill Lyons, GB - 2001, TV), et allemand, Spartacus - Gladiator gegen Rom (Günther Klein, AL - 2002, TV, ZDF). Ensuite, parallèlement au remake TV du film 1960 tiré d'Howard Fast, Spartacus (Robert Dornhelm, EU - 2004, TV), nous aurons droit encore à une comédie musicale [Spartacus le] Gladiateur, il rêvait d'être libre (Elie Chouraqui, 2005) et à une série d'animation italienne de 13 x 26', Spartacus (Orlando Corradi, 2006). Des docufictions et drames suivront comme Spartacus (Oliver Dan, GB - 2005, TV), Heroes and Villains : Spartacus (Tim Dunn, GB - 2008, TV), sans oublier l'épisode ad hoc de la série américaine Rome : Rise and Fall of an Empire (Rex Piano, EU-GB - 2008, TV) ni le film de terreur Morituris de Raffaele Picchio (annoncé, mais sans nouvelles depuis).

spartacus - batiatus
 

2. Starz Entertainement : le retour de Spartacus

A l'origine de cette nouvelle série consacrée au gladiateur thrace, il y a les concepteurs des sagas télévisuelles Legendary Journeys of Hercules (4 saisons, soit 5 téléfilms & 116 épisodes, 1994-1998) et Xena Warrior Princess (6 saisons, soit 134 épisodes, 1995-2001). Ces séries avec Kevin Sorbo et Lucy Lawless, produites voici une quinzaine d'années par Renaissance Pictures pour Universal TV étaient destinées à être programmées aux heures de grande audience pour un public adolescent, et mettaient en avant des bons sentiments de respect d'autrui et des différences. Une démarche aussi pédagogique qu'anachronique : «Il ne faut pas exclure le Cyclope; en réalité il est très gentil et souffre de ce que sa taille gigantesque et son visage difforme suscitent contre lui la méchanceté des humains» (!). Hercules s'axait sur les effets spéciaux numériques, les monstres mythologiques. Au pis, dans la relation ambiguë de la princesse guerrière et de sa faire-valoir Gabrielle, il émanait de Xena un léger parfum de lesbianisme que savait savamment doser la productrice Liz Friedmann - militante homosexuelle très active aux States - afin que chaque type de téléspectateur y trouve son compte, et seulement son compte. Mais depuis lors, nos deux compères ont, semble-t-il, sensiblement modifié leurs orientations !

Liz Friedmann a disparu de la nouvelle équipe réunie par Starz, où néanmoins l'on retrouve les noms de nombreux anciens des séries Hercules/Xena comme le réalisateur Michael Hurst (4), la productrice Chloe Smith (5), l'acteur Craig Parker ou le compositeur de la B.O. Joseph Lo Duca. Cependant, visant une toute autre plage horaire et un public adulte, Spartacus : Blood and Sand sera... nettement plus cru.

Une fois enterrées les sagas Hercules/Xena (2001), le réalisateur-producteur Sam Raimi et son compère Rob Tapert reconduisirent leur association en fondant en 2002 une nouvelle maison de production, Ghost House Pictures (The Grudge, 30 Days of Night, The Messengers and Boogeyman). Pour Spartacus, ils seront rejoints par Joshua Donen pour former Stars Road Entertainement, sous l'égide de Sony Pictures (6). Ces trois producteurs exécutifs vont développer un scénario écrit par Steven S. DeKnight. Il est entendu que «cela ne ressemblera pas au film de Stanley Kubrick avec Kirk Douglas, comme l'expliquera le chef des programmes de la chaîne Starz : nous ne voulions pas que ce soit un péplum classique. Ce sera fun, dynamique, bourré d'action et de personnages passionnants. Il y aura un tout petit plus de profondeur que dans le film des '60.»

-spartacus - starz

Une esthétique qui lorgne vers le 300 de Zack Snyder, avec une dominante des tons ocres ou sépias - le sable de l'arène, les corps bronzés, les cuirs, les crépis des murs - avec pour seul contraste, les vêtements chamarrés des possédants.

 

spartacus et sura

Léonidas fait-il ses adieux à sa reine Gorgo avant de monter aux Thermopyles ?
Non, c'est Spartacus et son épouse Sura, partant combattre les Gètes aux côtés des Romains...

Conçue pour l'audience du câble - donc avec un classement «R» [«The show bas been rated TV-MA for graphic violence, strong sexual content, and majors profanity» (Wikipedia)] - l'épopée est «réinventée» en vue de séduire une génération de spectateurs nourris aux super-héros des comics, aux jeux vidéo et aux effets spéciaux de pointe. Chaque épisode d'une heure disposa d'un budget de 2 millions de dollars, une bagatelle... La chaîne américaine fondée en 1994 - mais dont Spartacus est une des premières séries originales - entendait ne pas lésiner sur les moyens après la mise en chantier de Crash, suite télévisuelle de Collision (7) (2009). Le tournage eut lieu dans un studio d'Auckland, en Nouvelle-Zélande, avec une kyrielle d'acteurs inconnus, peut-être des stars de demain. Le rôle de Spartacus est tenu par Andy Whitfield, un acteur britannique depuis dix ans établi en Australie. A ses côtés, celui de son épouse Sura est joué par le top model Erin Cummings (Dollhouse). Lucretia et son mari Batiatus, le couple diabolique, sont interprétés respectivement par Lucy Lawless (Xena) - à la ville, épouse du producteur Rob Tapert - et John Hannah, déjà vu dans le personnage de Jonathan Carnahan, le frère gaffeur de Rachel Weisz dans la trilogie La Momie. Craig Parker (Legend of the Seeker) prête ses traits au général Claudius Glaber; et dans le rôle du Doctor, le chef-entraîneur de l'école des gladiateurs, nous retrouvons l'excellent acteur noir Peter Mensah, que dans 300 l'on avait vu disparaître dans un puits sans fond. Comme dans 300, les personnages évoluent dans un environnement presque entièrement virtuel et, malheureusement, cela se voit un peu trop. Tourné exclusivement en studio devant des écrans bleus, ce Spartacus se réclame ouvertement du film de Zack Snyder : dans le premier épisode - et sur l'affiche promotionnelle - le héros et ses auxiliaires thraces en ont du reste adopté le look, s'habillant chez le même faiseur ou, plus probablement, les ayant récupérés dans les «Surplus lacédémoniens» d'après les guerres médiques ! Très virtuelle, l'esthétique générale abuse de maquettes, de nuages qui traversent le ciel à la vitesse du TGV et, à l'inverse, de ralentis dans les scènes de combat (8), histoire de bien laisser le temps de voir le sang gicler. A noter le premier épisode, qui forme un prologue à part, combinant l'ocre avec le bleu intense du ciel de la Thrace, le ciel du temps où Spartacus était encore un homme libre.
Spartacus et ses camarades vivent quasi nus dans ces montagnes enneigées de l'Hæmus. Tandis que tombent des flocons de neige (artificielle, cela va sans dire), on se demande quel genre de fruits virtuels pouvait bien cueillir Sura sur un arbre aux branches dénudées. Des nèfles ?

sura

Quelle espèce d'arbre peut porter de tels fruits dans les monts enneigés de l'Hæmus ?
Un arbre virtuel dans des neiges infographiées, bien sûr...

Annoncé sur Starz pour l'été 2009, Spartacus a démarré avec un léger retard sur la chaîne câblée le 22 janvier 2010, soirée où d'emblée le premier épisode rencontra une audience de 553.000 téléspectateurs, résultat plutôt encourageant quand on sait que le précédent record d'audience de la chaîne avait péniblement été de... 185.000 spectateur.

La Saison 1 compte treize épisodes, diffusés sur Starz depuis le 22 janvier le dimanche soir, 22h. Sur la base du succès rencontré par le clip promotionnel diffusé depuis le 23 décembre 2009, Starz a déjà commandé une seconde saison, Spartacus : Vengeance (9). L'intrigue de cette première saison reste confinée dans le huis-clos de l'Ecole des gladiateurs de Capoue où elle peut s'épancher sur le sérail de ces hommes voués à la promiscuité et à la violence, leur dressage, leur apprentissage, leurs rivalités personnelles sous la coupe de maîtres sévères etc. Crassus ne figure pas au casting de la Saison 1, mais bien une de ses «cousines», Licinia. En revanche, dès le 1er épisode, en Thrace, est bien présent Claudius Glaber, qui semble ici voué à porter sur ses épaules et tout au long de la série, le poids de la rancune de Spartacus, de son aspiration à la vengeance. Historiquement, nous savons que c'est celui-ci et 3.000 miliciens qui, au cours d'une audacieuse attaque nocturne au pied du Vésuve, seront vaincus par un Spartacus dont les forces, à ce moment-là, ne devaient pas excéder 300 hommes.
Nous ne sachons pas que Claudius Glaber (ou, plus exactement, C. Clodius Glaber) ait guerroyé en Thrace, laquelle avait été soumise en 76 par le consul M. Scribonius Curio. Avec la même logique, le scénariste de Riccardo Freda avait bien fait de Crassus le conquérant de la Thrace (10), lui attribuant d'avoir condamné à devenir gladiateur le décurion romain Spartacus. Certes, dans pareille œuvre audiovisuelle il est de bon ton de cristalliser sur une seule personne la phobie récurrente du héros... le strict respect de l'Histoire - qui en a vu d'autres - dut-il en souffrir un tantinet !

 

3. Sexe et violence

Le premier épisode, qui est une mise en bouche, alterne sans désemparer scènes de combats et séquences érotiques, avec le plus souvent des nudités frontales intégrales. Ainsi surprend-on successivement Spartacus et sa compagne Sura dans leur intimité; Glaber et son épouse Ilithyia dans la leur, avec l'amusante l'idée de la fille nue sous son manteau de fourrure; enfin, il y a l'«orgie» chez Batiatus, avec quelques plans lesbiens.

ilithyia nue
 
orgie lesbienne

A la question «Spartacus est une série assez sexy. La nudité ne vous dérange pas ?», le top model Erin Cummings (Sura), interviewée par Muscle & Fitness, répondra : «L'action se passant en Rome antique, les producteurs ont décidé de repousser les limites habituelles pour les scènes de sexe et de violence afin de créer un environnement réaliste. Loin d'être gratuite, la nudité renforce la crédibilité des personnages. Andy Whitfield, dans le rôle de Spartacus se dénude aussi régulièrement que moi, alors je n'ai pas le sentiment de me faire exploiter» (11). Plus âgée, Lucy Lawless, on le verra, ne partagea pas le sentiment de la starlette : on retiendra seulement que dans l'esprit du grand public comme dans celui des producteurs, l'Antiquité romaine est un univers de violence (ce n'est d'ailleurs pas faux) et de sexualité exacerbée (ce qui resterait à débattre).

lucretia au bain

Lucretia n'y va pas par quatre chemins avec Mira, sa camériste, et le lui dit crûment : si elle l'envoie à Spartacus, c'est pour qu'il lui fourre «son épée dans la chatte», jolie métaphore à laquelle les textes ne s'opposent d'ailleurs pas, bien au contraire : c'est avec un vocabulaire emprunté à la gladiature que la servante Photis encourage son amant à pratiquer avec elle un autre genre d'escrime (APULÉE, L'âne d'or, II, 17)

3.1. Sexe

Sexe et violence caractérisent donc la série conçue par le scénariste Steven S. DeKnight (Buffy, Angel, Smallville et Dollhouse) lequel, peut-être jaloux des lauriers d'HBO, semble avoir voulu marcher sur les brisées de Rome. Et même y surenchérir. Anecdote : il y avait dans Rome une curieuse séquence où Atia s'ébattait avec son amant Marc Antoine, sous l'œil vigilant de sa nourrice Merula qui - assise à leur chevet - tenait la chandelle et leur passait des rafraîchissements (!). Outre nous donner à voir un peu de chair dénudée, la scène avait sans doute été conçue dans l'idée de montrer au téléspectateur l'indifférence dans laquelle les Romains tenaient leurs esclaves, considérés comme de simples objets dénués de pensée ou de sentiments, brefs non humains. Arrive que les deux amants se chamaillaient et qu'Antoine devient mauvais. Sans l'ombre d'une hésitation, la nourrice sort un poignard et l'en menace. Le général n'a plus qu'à se rhabiller et rentrer chez lui (Saison 1, ép. 6) !

batiatus et lucretia

Lucy Lawless (Lucretia) et John Hannah (Batiatus) copulent en bonne compagnie, mais surtout pour «le bon motif» : avoir un enfant... Lucretia est «une femme aimante et dévouée, déclare Lucy Lawless. Elle est l'ultime manipulatrice et aime son mari plus que la vie elle-même. Elle veut lui donner un héritier, sans succès pour le moment. Elle en devient désespérée, donc pour lui offrir un fils, elle s'engage dans une relation abusive et très blessante avec un gladiateur, en espérant tomber enceinte. Tout cela, pour le bien de son mari. C'est une fille pleine de ressources.»

Spartacus, en son épisode 2, va faire beaucoup plus fort. Lucretia (Lucy Lawless) et son mari Batiatus (John Hannah) voudraient avoir un enfant, mais n'y arrivent pas. Et voici le couple entamant une nouvelle tentative de procréation, entouré d'une demi-douzaine d'esclaves des deux sexes. Ils se dénudent (Batiatus) ou se font dénuder (Lucretia). Puis une jeune esclave agenouillée devant son maître s'applique à en réveiller la virilité défaillante - filmé hors-champ, mais de manière suffisamment explicite. Pendant ce temps Lucretia, qui a conservé sa tunique de fine soie... transparente (12), se laisse elle aussi mettre en condition. Glissant une main experte sous le vêtement de sa maîtresse, sa suivante Nævia en explore les parties secrètes, sans que pour autant nous puissions décider si Lucy Lawless est vaginale ou clitoridienne : il ne faut pas tout révéler, n'est-ce pas ? Après quoi, dûment motivés maintenant, le dominus peut saillir la domina - époux et épouse copulent debout contre une colonne, toujours sous le regard indifférent des outils-humains qui restent à portée de main.

lucretia et naevia

Nævia, la suivante préférée de Lucretia, est toujours disposée à aider sa maîtresse d'un index bienveillant...

Il est une règle bien établie dans le showbiz : si elle est actrice, comme c'est probable, c'est l'épouse du producteur «qui s'y colle». Manière comme une autre, pour son mari, de récupérer à son profit le substantiel cachet qu'il lui a accordé. Habituée de jouer dans des séries pour ados, Lucy Lawless débarque comme Bécassine de sa province, dans le sulfureux univers de Spartacus, tout de sexe et de violence. «Je savais que c'était un nouveau genre de télévision. Je savais parfaitement que Spartacus, avec les nouvelles technologies et le monde que cela leur permet de créer, [re]pousserait les frontières de la télévision. Le plus important pour moi était le fait que je pouvais jouer le rôle d'une femme puissante, complexe et tourmentée. J'aime réellement ce type de rôle.» Xena, la fighting girl, a l'habitude de rôles musclés; mais dans Spartacus elle joue plutôt les entremetteuses, un rôle pas très physique quoique... si - justement ! -, étant partagée entre son mari Batiatus et son amant Crixus, elle voit de nombreuses scènes coquines s'aligner sur son planning de tournage.

batiatus
La nénette aux petits nénés à peine voilés par une étroite bande de gaze que nous n'oserions appeler un strophium, va de ses lèvres habiles préalablement remettre en condition le maître Batiatus (ci-dessous)
fellation romaine

La première de ces scènes, celle que nous venons de décrire, est spécialement torride - mais davantage dans la suggestion que dans les actes. La domina Lawless se fait titiller les parties intimes par une esclave. Sous le péplum, cela va sans dire. Tout cela reste soft, bien sûr, on n'est pas dans un hardcore d'Antonio Adamo après tout ! Nous connaissons la vie, n'est-ce pas ? Point n'est pas besoin de nous faire un dessin. «John [Batiatus] ne fait rien en gardant son sérieux, confie en riant Lucy Lawless. Dès que la caméra est arrêtée, il se marre. Il rit durant treize épisodes ! Néanmoins, il reste un acteur très pro. Les premières fois où j'ai joué ces scènes, j'étais terriblement nerveuse. Je suis rentrée à la maison - j'ai marché directement du plateau jusqu'à la voiture, j'ai enlevé ma perruque, [je suis] sortie de la voiture et je suis allée directement au lit. Je n'ai dit bonne nuit à personne, je me suis juste endormie pour douze heures. Ceci dit, je ne pouvais pas espérer meilleur partenaire que John pour jouer ces scènes. Par la suite, j'étais aussi très stressée, mais nous avons trouvé comment nous allions procéder. Il devait y avoir un protocole, des limites pour tourner toutes ces scènes où vous avez toutes vos marques longtemps à l'avance. Tout est très sûr et il n'y a aucun contact entre les acteurs. Peu importe ce que vous pensez voir : il n'y a rien !»
Il est clair que les séquences érotiques ont plutôt gêné Lucy. De fait, dans cette série, nombre de jeunes femmes payent de leur personne - Sura, Ilithyia, Mira, Licinia et mult anonymes esclaves... Mais hors l'exhibition de ses seins, Lucy Lawless est assez avare de son académie. Ses parties de jambes en l'air se font avec une doublure, ou plutôt une «dédoublure» : entendez par-là que dans les parties à trois, dame Lucretia n'est que spectatrice, livrant les boniches à l'infatigable concupiscence de son mari. Libérale, la Lucretia ? Il est vrai que l'esclave n'est qu'un instrument, un instrumentum vocale («outil qui parle»). «Je vais vous regarder, ça m'excite», déclare-t-elle sans ambages à son époux venu partager son bain - et qui ne se le fait pas dire deux fois. Batiatus consomme illico la jeune camériste résignée (ép. 6; cf. aussi ép. 9).

lucy lawless nue

On peut nourrir quelques doutes quant à la vraisemblance de cette scène chez des Romains «normaux» (mais notre laniste n'est, justement, pas un Romain normal, pourrait-on objecter). Nous concevons que les Romain(e)s s'offraient du bon temps à discrétion avec leurs esclaves multiusages. Mais sachant qu'il était assez inconvenant de complètement dénuder son épouse lors de l'acte sexuel (13), nous aurions du mal à admettre qu'ils s'adonnaient devant eux à leurs devoirs conjugaux comme on les voit faire ici. Il s'agit, c'est évident, de montrer au téléspectateur que les esclaves ne sont que des instruments, des choses, des bibelots. A relativiser, donc. Les Romains vivaient dans un monde très structuré, codifié, où chaque chose était à sa place et portait une étiquette bien précise. L'osculum est le baiser que l'on donne aux enfants, le basium celui que l'on donne à son épouse et le savium à la courtisane. Ce qu'un honnête homme s'interdira avec sa citoyenne d'épouse, est tout-à-fait licite avec un(e) esclave ou un(e) prostitué(e). Ce n'est hélas pas le cinéma qui nous préservera des idées reçues quant au stupre romain.

Ceci étant posé, ne perdons pas de vue que les tenues de plage qui apparurent au lendemain de la WW II, avec un certain relent de scandale, auraient été impensables juste avant. De nos jours, le bikini - inventé en 1946 - est parfaitement intégré, et devient de plus en plus étroit, quand il n'est pas carrément mono. Idem pour les tenues masculines. Les mœurs comme les modes évoluent. Les trois guerres civiles qui sonnèrent le glas de la république romaine amenèrent aussi une sensible libération des mœurs : nombre de citoyens ne cherchaient plus à perpétuer le mos maiorum, à se marier pour avoir de la descendance. Les proscriptions de Marius, puis celles de Sylla avaient démontré toute la précarité, toute la relativité de la vie humaine. A telle enseigne qu'Auguste - qui pourtant ne crachait pas sur les fruits verts - dut légiférer et contraindre au mariage et à la procréation les survivants de l'holocauste davantage préoccupés par le carpe diem que par leurs devoirs de citoyens. Comme descendu des Abruzzes, un vent de puritanisme se mit à souffler sur l'Urbs, envoyant Ovide, le délicat et licencieux poète des amours, exercer sa verve auprès des paysans du Danube... nouvel Orphée au milieu des bêtes féroces.
Au pied du Palatin, on a exhumé les fresques d'une villa - dite la «villa sous la Farésine» - qui semble avoir appartenu à Julia, la fille de l'empereur, et à Agrippa, son gendre. Une villa très rapidement abandonnée, car trop exposée aux crues du Tibre. Dans l'une des chambres, deux fresques illustrent la nuit de noces des époux. La première montre le mari nu, étendu sur la couche et, assise sur le bord, la jeune épousée encore revêtue de sa robe orange, la tête couverte de la palla. Le mari semble essayer de la convaincre de s'abandonner à ses devoirs conjugaux.
En regard, la seconde fresque montre le mari toujours dans la même attitude, mais que son épouse, dénudée jusqu'à la taille, embrasse fougueusement. Sur la première fresque, un serviteur habillé se tient à côté des époux; sur la seconde un serviteur nu est encore à leur chevet, tenant en main un broc de vin (?). Ce dernier serviteur se tourne vers nous qui admirons la fresque, avec l'air de dire que si lui est à sa place, nous, nous n'y sommes pas à la nôtre. C'est l'observateur observé, ou le voyeurisme mis en abîme... «Inclure ces «valets de chambre» dans des scènes de sexe était un moyen «chic» de signaler sa richesse et son raffinement», écrit John R. Clarke (14). Une autre fresque trouvée dans la villa du banquier Cæcilius Jucundus, à Pompéi (actuellement conservée au Cabinet de Naples), propose une scène semblable, avec une chambrière élégamment vêtue, faisant face à l'épouse dénudée, assiste sur le bord de sa couche, dont la main à tâtons cherche le sexe de son mari couché près d'elle (15).

Ces représentations démontrent qu'au moins au début du Ier s. de n.E., il n'était pas rare que des serviteurs assistent leurs maîtres dans leurs ébats amoureux.

nuit de noces

Fresque de la «villa sous la Farnésine» (d'après John R. Clarke, op. cit., p. 31). Découverte en 1879 par des ouvriers aménageant les quais du Tibre, cette villa au pied du Palatin, en-dessous des Jardins Farnèse, semble avoir appartenu à M. Vipsanius Agrippa, le bras droit d'Auguste, et à son épouse Julia. Construite aux alentours de 20 av. n.E., elle fut rapidement victime d'un débordement du Tibre, et pour cette raison abandonnée. On notera que si son mari est complètement nu, cette digne épouse ne s'est dénudée qu'à moitié (au contraire de ce que l'on peut voir dans les lupanars de Pompéi)...

Nous nous sommes demandé s'il fallait voir une signification particulière dans le fait que ce n'était pas la domina elle-même qui offrait ce genre de caresse à son mari. Fellator est une injure réservée aux hommes (16). Mais de toute évidence la réprobation s'étend aussi aux «honnêtes» épouses, bref aux citoyennes, ce genre de gâterie ne pouvant s'obtenir que d'esclaves ou de prostitué(e)s. Il faudra alors admettre que cette série est bien plus subtile qu'il n'y paraît (17). Quel dommage que les «critiques» sur le Net se soient laissés rebuter par la vulgarité systématique de certains personnages, notamment Batiatus et Crixus, qui ne peuvent aligner une phrase sans y placer deux ou trois métaphores sexuelles du genre : «Et les Sénateurs me suceront la bite !», «Tu es revenu me lécher le trou ?» (18)... Savourons-en plutôt le bien-fondé : les injures sexuelles étaient choses ordinaires au Sénat, au temps de la république finissante.

Suite…

NOTES :

(1) La Guerre sociale que menèrent les Romains contre leurs alliés italiques, auxquels ils refusaient le «droit de cité», avait été gagnée par l'Urbs quelques années plus tôt. Victorieuse militairement, Rome avait néanmoins dû s'incliner politiquement et concéder aux Alliés les droits qu'ils revendiquaient. Mais de la Lucanie au Samnium en passant par le Marsium, la réforme laissa pour compte de nombreux mécontents, ruinés, aigris, avides de revanche... - Retour texte

(2) Bien sûr, c'est surtout le roman italien... qui va inspirer les cinéastes italiens. Notons tout de même que le film de Vidali, tout en s'inspirant de Giovagnoli, a récupéré chez Saurin le personnage du gladiateur-traître Noricus.
A noter qu'il a été traduit en français par J. Bienstock : Raphaël GIOVAGNOLI, Spartacus, Albin Michel, s.d. (1917 ?), 2 vols.- Retour texte

(3) Déjà en place du temps de Mussolini, le directeur de la cinématographie italienne Nicola De Piro estropiera le film pour le vider de tout son contenu politique. - Retour texte

(4) Le danseur Michael Hurst avait débuté dans la saga comme acteur, dans le rôle d'Iolas, l'inséparable compagnon d'Hercule, avant de passer à la mise en scène de nombreux épisodes. Dans Spartacus, on lui doit les épisodes 5 «Shadow Games», 9 «Whore» et 12 «Revelations». - Retour texte

(5) Pour Spartacus : Blood and Sand, Chloe Smith est la productrice du second épisode, «The Red Serpent».
Mais dans l'équipe de Raimi/Tapert, elle a été la productrice néo-zélandaise d'un épisode de Cleopatra 2525, productrice en Nouvelle-Zélande et Unit production manager de vingt épisodes de Xena : Warrior Princess et line producer de treize d'entre eux. Toujours comme productrice néo-zélandaise, elle a encore à son actif un épisode de Hercules : The Legendary Journeys et, pour la même série TV, a été Production manager de plusieurs autres épisodes. - Retour texte

(6) Quoique... Sam Raimi s'étant fait virer de chez Sony début de cette année n'augure rien de bon pour la continuation de Spartacus. Mais nul n'est indispensable, n'est-ce pas ? Enfin bon. On verra... - Retour texte

(7) Série créée par Anthony Horowitz. - Retour texte

(8) Quasi essentiellement dans le premier épisode. - Retour texte

(9) En fait, l'annonce de la décision de commander une Saison 2 a précédé la diffusion du clip (23 décembre), puisque sur le Net, Première en faisait déjà état la veille (22 décembre). - Retour texte

(10) Idée reprise également dans le ballet d'Aram Khatchaturian (créé à Léningrad en 1956). En dehors du fait qu'à la mort de Cinna, ayant levé 2.500 clients espagnols avec lesquels il rallia les rangs de Sylla revenu en Italie (83-82), il faut rappeler qu'outre la répression de la révolte servile (72-71), M. Licinius Crassus n'exerça jamais d'autre commandement militaire qu'en Syrie où d'ailleurs il trouva la mort entre les mains des Parthes (53). - Retour texte

(11) M&F (photos: Brie CHILDERS), «La reine des gladiateurs : Erin Cummings», Muscle & Fitness (éd. fr.), nÁ 271, mai 2010, p. 160. - Retour texte

(12) Elle l'aura perdue au plan suivant, on ne sait trop comment d'ailleurs. - Retour texte

(13) Ne nous fions pas aux fresques décorant les lupanars de Pompéi, qui nous montrent descouples entièrement nus : il s'agit ici de prostituées officiant dans un lieu de débauche. Nuance. - Retour texte

(14) John R. CLARKE, Le sexe à Rome (100 av. J.-C.-250 apr. J.-C.) (2003), Ed. de la Martinière, 2004, p. 32. Les fresques : pp. 30-31, phot. 10 et 11. - Retour texte

(15) John R. CLARKE, Le sexe à Rome, op. cit., pp. 33-35, phot. 12. - Retour texte

(16) Les Romains distinguaient deux sortes de fellation : passive (fellatio) ou active (irrumatio). - Retour texte

(17) Même si, de toute évidence, le peu d'enthousiasme de Lucy Lawless pour les scènes hot suffirait à expliquer le pourquoi et le comment de la séquence. - Retour texte

(18) Le regretté Michel Dubuisson, dans son petit opus consacré au vocabulaire coquin nous a convaincu de la verdeur du latin de rue (M. DUBUISSON, Lasciva Venus. Petit guide de l'amour latin, Mons, Talus d'approche éd., coll. «Libre Choix», nç 10, 2000). - Retour texte