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Tarek & Vincent Pompetti
La Guerre des Gaules
(Tartamudo éd., février 2012)

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CONCOURS - 10 albums à gagner

date de clôture du concours : 5 septembre 2012
 

Sur cette page :

L'adaptation

La documentation archéologique

Le scénario historique

Quelques personnages

Page suivante :

INTERVIEW DE TAREK & VINCENT POMPETTI

APPENDICE : À PROPOS DE MARC ANTOINE

LE CONCOURS : DIX ALBUMS À GAGNER


Ce concours a été clôturé le 5 Sptembre 2012

 
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Le 28 mars 58, le proconsul nouvellement promu des Gaules Transalpine (la «Provincia») et Cisalpine, C. Julius Cæsar s'oppose au passage en territoire romain des Helvètes migrant vers les bords de l'Océan. Sans doute ne se souvient-il que trop bien du «passage» des Cimbres et des Teutons, que son oncle Marius écrasa successivement en 102 et 101, après huit années de déprédations et le massacre de plusieurs armées consulaires. Après avoir défait les Helvètes, il règle leur compte aux Suèves d'Arioviste qui se pressaient juste derrière eux. Arioviste, «allié et ami du Peuple romain» occupait une partie des territoires des Séquanes et des Éduens (ces derniers eux aussi «alliés et amis du Peuple romain»; mais ce qu'il y a de merveilleux dans la vie c'est que ses «amis», on peut les choisir. Enfin, théoriquement !). Jusqu'alors, les Éduens avaient - 17 ans durant - vainement supplié le Sénat de Rome de les aider contre les Germains. César saisit l'opportunité. On songe à la Guerre du Viêt-nam. Qui étaient les «gentils» ? Qui étaient les «méchants» ? A chacun sa vérité.
Ensuite donc, César enchaîne avec une campagne contre les Belges, puis les Armoricains (Vénètes). C'était en 57.

L'album s'achève sur l'expédition contre les Morins, fin de l'été 56. Soit les trois premiers livres de La Guerre des Gaules. Telle est la matière du premier tome du diptyque de Tarek et Pompetti : Caius Julius Cæsar. On attend avec intérêt le tome 2 : Vercingétorix.

Cette nouvelle Guerre des Gaules s'insère dans un courant «documentaliste» du péplum, en l'occurrence le péplum-BD (1) (voyez à la TV le nombre incroyable de docu-fictions depuis la sortie de Gladiator, il y a onze ans). Avec son dossier pédagogique en conclusion, dont une chronologie détaillée de la conquête romaine de 59 à 51, l'album de Tarek et Vincent Pompetti s'inscrit dans une mouvance dont Le casque d'Agris (Assor BD éd.) serait la figure de proue.

Après avoir longuement surfé sur le thème des «contes bleus détournés», publiés dans les collections pour la jeunesse d'Emmanuel Proust éd. (Les 3 petits cochons, Les sept nains et demi, Rufus le Loup et le Chaperon Rouge, etc.), le scénariste Tarek - historien de formation, mais aussi chantre du street art - s'est imposé dans le domaine de la BD historique avec Raspoutine, dessiné par Vincent Pompetti (3 albums, 2006-2008), Lawrence d'Arabie, dessiné par Alexis Horellou (2 albums, 2007-2009) ou, à propos des troupes coloniales dans les conflits des XIXe-XXe s., Turcos, chez Tartamudo, avec Batist Payen au dessin (2) (2011) ! Mais le grand titre de gloire de Tarek reste sans doute son Sir Arthur Benton (6 albums, 2005-2010), honoré par une exposition au Mémorial de Caen (2008). Dessiné par Stéphane Perger, un premier cycle concernait la Seconde Guerre mondiale (1930-1945); un second cycle par Vincent Pompetti, s'intéressait à la Guerre Froide. Un agent secret britannique, le colonel Kensington, alias Sir Arthur Benton s'abouchait avec les nazis pour contrer l'Union soviétique. L'agent double devra rendre des comptes...

Après avoir déjà réalisé ensemble plusieurs albums, Tarek et Pompetti s'associent donc une nouvelle fois pour cette Guerre des Gaules. On aurait pu s'attendre à une condamnation plus ou moins feutrée, ou violente, de l'action de César et de la conquête impérialiste (comme Væ Victis de Rocca et Mitton ou Vercingétorix de J. Dorfmann), à moins que ce ne soit son apologie (Les Maîtres de Rome : La conquête gauloise de Colleen McCullough), sinon son approbation implicite (J. Martin, «Alix»). Entre le génocide de la civilisation celtique ou l'apport civilisateur des Latins, les auteurs ne semblent pas trancher. Il est vrai que le scénariste Tarek se sent intellectuellement plutôt proche des Romains, tandis que le dessinateur Vincent Pompetti a l'âme celte...

L'adaptation

L'écriture d'une BD, et spécialement une BD historique, relève d'une prodigieuse alchimie où s'entrechoquent la sensibilité du scénariste et celle du dessinateur. Mais aussi, ne l'oublions pas - ne l'oublions jamais -, celle du lecteur. Et il y a toutes sortes de lecteurs ! Plus ou moins profanes, ou plus ou moins initiés, avec toutes sortes de nuances intermédiaires. Ceux qui ne recherchent qu'un moment d'évasion bédéique et ne désirent que se faire conter une belle histoire, avec une ambiance etc. Et les autres qui, connaissant un peu le sujet, se demandent comment il sera traité...

Comme pour Le Casque d'Agris et les autres albums d'Assor BD - petit éditeur-archéologue spécialisé dans le Moyen Age normand -, cette Guerre des Gaules, annoncée en deux tomes, comporte un dossier pédagogique (3). Cet épisode fondateur de l'Histoire de France (mais seulement depuis la Guerre franco-prussienne !) qu'est l'épopée de Vercingétorix est souvent rapporté dans les collections didactiques du genre «Histoire de France en BD» assorti, mais pas toujours, d'un petit dossier. Ce fut, par exemple, le cas pour l'album tiré du film de Jacques Dorfmann (4) ou, encore récemment, dans L'Histoire de France pour les Nuls (5). Des albums en définitive décevants car, en dépit des prétentions éducatives que suggère la présence dudit «dossier», ils continuent de véhiculer les clichés du Second Empire relayés par Astérix. Habitant de pauvres huttes, des Gaulois chevelus et moustachus, coiffés de casques cornus ou ailés, brandissent des armes protohistoriques en bronze - alors que nous sommes à la fin de La Tène -, sont affublés de pantalons serrés par des lanières et se font hisser sur un pavois mérovingien, comme le pauvre Abraracourcix ! Au mieux, mais pas toujours non plus, les Romains bénéficieront des récents éclairages de l'archéologie et troqueront leurs célèbres cuirasses segmentées contre la cotte de mailles et des casques d'époque césarienne. Chance dont les Gaulois bénéficient rarement, tant les clichés romantiques ont la vie dure...

statue de vercingetorix christophe lambert, vercingetorix vercingetorix

De gauche à droite : 1) la statue de Vercingétorix (click) sur le mont Auxois, par André Millet (1865) qui lui prête les traits de Napoléon III; 2) avec ses cheveux longs et ses belles bacchantes, son nœud suève (chignon), ses pantalons lacés et son pavois, Christophe Lambert cultive un look davantage mérovingien que celtique (Vercingétorix, J. Dorfmann, 2001); 3) le même, vu par J.-M. Michaux dans la BD tirée du film; 4) ci-dessous : Vercingétorix vu par Gabriele Parma dans L'Histoire de France pour les Nuls, 2011.

vercingétorix

Toute cette imagerie de la IIIe République est renforcée par le fait que les films lives d'Astérix ont en commun avec le Vercingétorix de Dorfmann de s'habiller chez le même costumier, Christophe Maratier - une autorité en la matière, et de renommée internationale puisque même des productions américaines viennent s'équiper chez lui - reste que ce qui convient au caricatural Astérix n'est pas forcément utile pour une production historique qui se veut sérieuse !

Ne nous leurrons pas, les auteurs de romans-BD-films «historiques» ont une responsabilité lorsqu'ils continuent de véhiculer des stéréotypes éculés. Une lourde responsabilité dirions-nous même car, pour une poignée de lecteurs curieux qui chercheront à se documenter plus loin, la large majorité se contentera de digérer ce qu'elle a lu dans l'album et - entre la poire et le fromage - pérorera : «Dans l'Antiquité, c'était comme çà !»
Astérix a largement contribué à prolonger les clichés du XIXe s. Et aussi les premiers «Alix» qui, dans les années '50-'60, perpétuaient une imagerie approximative tirée du Hottenroth (1883) et du Racinet (1876-1888). La gageure tenue par Tarek et Vincent Pompetti est d'autant plus méritoire !

casques gaulois

Des casques gaulois confirmés par l'archéologie (6), mais bien loin des stéréotypes de l'imagerie populaire (V. POMPETTI, La Guerre des Gaules)

 

La documentation archéologique

A la lueur des considérations qui précèdent, on appréciera le souci de précision historique du scénariste comme le soin apporté par le dessinateur à la restitution archéologique tant des Gaulois que des Romains, les casques «Coolus» et «Montefortino» et les cottes de mailles portées par les légionnaires, leurs boucliers ovales et convexe, les panoplies celtiques - Romains et Gaulois se copiaient mutuellement -, la restitution des habitats et oppida gaulois, le «nœud suève» coiffant les Germains... tout est finement observé et remet les pendules à l'heure, même si ici ou là le connaisseur peut toujours trouver à mégoter sur la lame d'un glaive ou un plumet de casque... (comme le dessinateur s'en expliquera dans l'Interview ci-dessous).
Le scénario de Tarek suit très fidèlement le texte de César, avec des aménagements bien sûr. Soit pour insérer les personnages de fiction qui sont comme les coryphées se tournant vers le lecteur, soit parce qu'il faut bien raccourcir l'interminable litanie des batailles, l'énumération des peuples soumis par César («des listes de peuplades qui freinent la lecture. (...) lecture un peu difficile par moments» [Spooky]).

On se souvient de la chanson d'Henri Salvador, Faut rigoler, où le crooner d'origine guyanaise rappelait l'Ecole publique de son enfance où on lui enseignait «Nos ancêtres les Gaulois», «... Cheveux blonds et têtes de bois...» etc. Le débat sur la manière d'enseigner l'Histoire dans une France devenue multiculturelle et, surtout, multiraciale (7), doit-il obérer le discours traditionnel ? Le discours lénifiant d'un Chirac parlant d'une Europe «dont les racines sont autant musulmanes que chrétiennes», peut bien effrontément nier la réflexion de de Gaulle sur la France, «peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne» (8). Vision peut-être surannée, qui faisait ironiser le caporal commandant un peloton de supplétifs annamites : «J'emmène mes Gaulois...» (dans Diên Biên Phú, de P. Schoendoerffer). La démarche de Tarek n'en est que plus estimable; il est vrai que la Guerre des Gaules était un sujet que le scénariste portait en lui depuis de longues années. Quant à Vincent Pompetti - Liégeois établi en Bretagne - il est fan absolu du monde celtique, et de longue date suit le petit monde très particulier de la «reconstitution». Restait à savoir comment, quand l'artiste prend la place de l'historien, il en développera les événements sur la feuille blanche. On ne le dira jamais assez : une BD, pas plus qu'un film, n'est l'«Histoire». Mais bien souvent, elle donne envie d'en savoir plus, fait éclore des vocations.

carnix
 
carnix

Feuilletons le superbe album photographique La vie d'un guerrier gaulois (9) où l'on peut admirer ce carnyx... repris par Vincent Pompetti

Tarek, qui a souvent œuvré dans des ateliers pour enfants, et son complice V. Pompetti, tentent de restituer leur vrai visage aux protagonistes guerriers de l'époque, qu'il s'agisse des Gaulois ou des Romains. Loin des clichés romantiques hérités du XIXe s. et du Second Empire - qui firent les délices non seulement d'Astérix, mais également des premiers Alix - les auteurs se sont scrupuleusement documentés dans les travaux d'H. Robinson Russell et ses continuateurs, en particulier les groupes de reconstitution celtiques ou romains d'archéologie expérimentale, qui aujourd'hui foisonnent (10).

Dans La vie d'un guerrier gaulois de Ludovic Moignet (11) et Yann Kervan, nous retrouverons des détails mis en valeur par Vincent Pompetti. Même si le Vercingétorix de Jacques Dorfmann fut un ratage complet, tant du point de vue cinématographique qu'historique, il faut bien admettre qu'il fut le premier à montrer les Gaulois habitant autre chose que des huttes misérables (click), aspect que, depuis, développent les auteurs de la «BD archéologique» (click). Il en va de même pour les Romains. Les légionnaires de Jules César portent l'équipement tardo-républicain tel que décrit par les reliefs de l'Autel d'Ahenobarbus ou de l'Arc de triomphe d'Orange : les cottes de mailles, les casques «Montefortino» et «Coolus» etc.

coolus-mannheim
 
coolus-mannheim

Il n'existait pas, à proprement parler, d'«uniforme» romain. Chaque légionnaire s'équipait en fonction des disponibilités. Voici, parmi d'autres, le fameux «Coolus-Mannheim», un casque bon marché produit en masse, simple bol de bronze sans porte-cimier et à couvre-nuque réduit. Le plus souvent sans paragnathides (couvre-joues), celles-ci étant remplacées par trois anneaux de diamètres décroissants. Dans les planches de l'album, on va à maintes reprises les retrouver, dont le modèle sans couvre-joues

Toutefois, à côté de ce second modèle peu spectaculaire, le dessinateur privilégie le «Montefortino» voire le «Coolus-Buggenum», même époque mais plus luxueux, plus «romains» - bref, correspondant davantage à l'attente du lecteur. Mieux, lorsqu'il met en scène la Xe légion, le dessinateur s'offre la coquetterie de marquer ses boucliers d'un sanglier qui, effectivement, était l'un de ses emblèmes.

guerre des gaulois, boucliers romains

Les boucliers de la Xe légion, à l'emblème du sanglier. La Leg. X «dont César fit sa cohorte prétorienne» fut celle avec laquelle le proconsul engagea la guerre contre les Helvètes, puis les Suèves. Parmi ses emblèmes on remarquera le Taureau, le Sanglier, et plus tard la Galère. Toutefois, on compte au moins deux légions portant le matricule X : la X Fretensis (Taureau, Sanglier, Galère) et la X Gemina (Taureau), probablement l'une et l'autre issues de la Xe de César. Lépide puis Marc Antoine compteront successivement la X Gemina dans leur armée. (Cf. R. CAGNAT, s.v. «Legio» in DAREMBERG & SAGLIO - Click)

guerre des gaules, tarek, vincent pompetti
 
guerre des gaules, tarek, vincent pompetti

Se souvenant sans doute que le mot proconsul n'existe pas en latin, mais bien pro consule (12), les récitatifs désignent César comme «proconsul», mais «consul» dans les phylactères ! Bien observé

portes d'avaricum
 
portes de gergovie

Le Vercingétorix de Dorfmann, s'il véhiculait largement les poncifs sur les Gaulois, n'était cependant pas sans mérites au niveau de l'architecture et des habitations. Ci-dessus - Haut : les portes d'Avaricum, J.-M. MICHAUX, Vercingétorix. La BD du film. Bas : les portes de Gergovie, V. POMPETTI, Guerre des Gaules

maison gauloise
 
ferme gauloise
 
maison gauloise

De confortables maisons à toit de chaume (J.-M. MICHAUX, Vercingétorix, Casterman), ou des maisons à colombages (L. LIBESSART, Casque d'Agris, t. 1, Assor BD, et V. POMPETTI, Guerre des Gaules, Tartamudo)

Quelques cases constituent les moments de bravoure de cet album : scènes de mêlée, bien entendu (p. 15 v. 3 e.a.), mais aussi superbes paysages - les sommets helvètes (p. 6), la vallée du Rhin (p. 14), la vallée d'Alsace où se livre la bataille d'Arioviste (pp. 16 v. 2 & 17 v. 4). D'autres sont plus archéologiques : Noviodunum l'oppidum suession (p. 44 v. 5), le site de Gergovie (p. 46), le camp romain (p. 52 v. 6) et l'oppidum des Arvernes (p. 55 v. 1)... tout ceci, cependant, n'exclut pas certains clichés : le Forum romain doit beaucoup à celui du IVe s. popularisé par le cinéma d'après les célèbres et incontournables maquettes de Bigot (1911) ou de Gismondi (1937) (p. 27) et l'intérieur du Sénat est circulaire comme sur les toiles de Gérôme ou de Cesare Maccari (au lieu de rectangulaire).

 

Le scénario historique

Au niveau du scénario, l'album est principalement fondé sur la relation de César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, et en suit scrupuleusement le déroulement tout en insérant ses personnages de fiction comme l'«espionne» Éponine ou le «général républicain» Petrus Volusenus (13).

Quelques personnages

En son temps déjà, Jacques Martin répugnait à mettre en scène dans «Alix» des personnages historiques : César, Pompée, Vercingétorix, Cléopâtre apparaissent fugacement dans les aventureuses péripéties de ses héros de papier. Sa démarche était, en somme, identique à celle de Vittorio Cottafavi qui, dans ses péplums romains se distanciait ici de Messaline, là d'Antoine et Cléopâtre pour suivre le centurion de service, spectateur impuissant des faits et gestes des grands de ce monde. On a pu parler à l'endroit de ce réalisateur célèbre pour ses adaptations théâtrales pour la R.A.I. de «distanciation brechtiennne». Il existe certes de nombreuses BD racontant la vie de personnages historiques, mais y intégrer de la fiction reste et restera un exercice extrêmement périlleux.

Vercingétorix
César n'est pas très explicite sur la manière dont le vaincu comparut devant lui : «Le lendemain, Vercingétorix convoque l'assemblée il déclare que cette guerre n'a pas été entreprise par lui à des fins personnelles, mais pour conquérir la liberté de tous; puisqu'il faut céder à la fortune, il s'offre à eux, ils peuvent, à leur choix, apaiser les Romains par sa mort ou le livrer vivant. On envoie à ce sujet une députation à César. Il ordonne qu'on lui remette les armes, qu'on lui amène les chefs des cités. Il installa son siège au retranchement, devant son camp c'est là qu'on lui amène les chefs; on lui livre Vercingétorix, on jette les armes à ses pieds. Il met à part les prisonniers héduens et arvernes (...)» (G.G., VIII, 89). On imagine sans mal les Gaulois balançant leurs armes du haut de leurs murailles, puis les légionnaires pénétrant dans la ville désarmée, où les attendent Vercingétorix et ses lieutenants. Les légionnaires les chargent de chaînes et les amènent au proconsul romain qui les attend dehors, sans doute devant la porte prétorienne. C'est la version la plus plausible, que d'ailleurs choisiront d'illustrer Luccisano et Libessart dans leur Alésia (14) . Avec le tome 2, l'avenir nous apprendra comment Tarek et Pompetti auront choisi de traiter l'épisode.

statere de vercingetorix vercingetorix

Les seuls «portraits» connus de Vercingétorix sont frappés sur les monnaies arvernes, tel ce statère d'or - ph. Télérama, HS octobre 2011, p. 21)... et son interprétation par Vincent Pompetti : ça nous change des Mérovingiens chevelus...

En effet, écrivant un siècle et demi après les faits, Florus et Plutarque en ont donné des versions plus spectaculaires, mais qui se contredisent. Pour Florus, Vercingétorix arriva à pied et décocha un bref compliment au vainqueur (FLORUS, Hist. rom.). Selon Plutarque, Vercingétorix arriva à cheval, jeta ses armes et se mit à genoux en silence, joignant les mains comme un suppliant (PLUT., Vie de César, XXXV). Plus tardif encore un quatrième récit nous est donné par Dion Cassius, trois siècles après les faits. C'est à ce dernier que nous sommes redevables de la célèbre et pathétique reddition du généralissime arverne, qui va inspirer les peintres du Second Empire. Dans son Histoire romaine, Dion Cassius montre Vercingétorix arrivant monté sur son plus beau cheval et paré de ses plus belles armes. Ayant fait deux fois le tour du tribunal de César, il jette ses armes aux pieds de César, saute à terre, s'humilie devant le vainqueur mais lui expose que, confiant en leur ancienne amitié, il espère la clémence du proconsul. Mal lui en prend : c'est justement au nom de cette amitié qu'il a trahie, que César le fait enchaîner et, plus tard, exécuter (DION, H.R., XL, 41).

reddition de vercingetorix

«Relire une trentaine d'années après sa première édition, L'Histoire de France en bandes dessinées, parue chez Larousse en 1980, c'est renouer avec une conception romantique, et donc un peu obsolète, du passé», note en préface Christian Amalvi (univ. Paul-Valéry, Montpellier III). Le dessinateur espagnol Victor de La Fuente s'inspire ici de la célèbre toile de Lionel Noël Royer (1899) (V. de La Fuente, Histoire de France en bande dessinée, Larousse, 1979 - rééd. Larousse-Le Monde, mai 2008)

Cette poignante description n'est probablement pas fiable, mais on en a retenu l'allusion à l'amitié passée de Vercingétorix et de César. C'est sur cette base que l'on conçoit que le prince arverne aurait, à la tête de quelque troupe auxiliaire, été l'allié militaire de César dès les premiers mois de la guerre - chose cohérente, en considération de l'amitié des Arvernes avec leurs puissants voisins romains de la Narbonnaise (15). Relayée par les historiens modernes, elle éclaire et nuance la «légende urbaine» du pur résistant. Anne de Leseleuc (scénariste du film) comme Simon Rocca (Væ Victis), et bien sûr la présente Guerre des Gaules en ont fait leur bonheur, et c'est logique. Autrement Vercingétorix n'aurait été qu'un OVNI confiné au seul livre VII.

(Sur Vercingétorix : (click))

Le «beau Tony»
Moins évidente nous paraît, en revanche, la présence de Marc Antoine aux côtés de Labienus, juste après la bataille contre Arioviste (août-septembre 58). En effet, à ce moment-là Marc Antoine s'apprête à effectuer un voyage d'étude en Grèce, d'où il rejoindra le proconsul de Syrie A. Gabinius, sous les aigles duquel il servira jusque fin 55 (voir Appendice : A propos de Marc Antoine).

Rapport à l'iconographie du personnage, le lecteur un peu averti s'étonnera de ce que Vincent Pompetti lui ait dessiné moustaches et courte barbe. Mais Plutarque accourt à la rescousse du dessinateur en nous rapportant que, lorsqu'il était jeune, Marc Antoine - qui, comme tout bon Antonii se prévalait de descendre d'Hercule - aimait à en cultiver le look : tunique très courte, mettant en valeur ses membres musclés, et bien sûr la barbe.

marc antoine, eponine

La Guerre des Gaules : Marc Antoine, moustachu et barbu, et Éponine

La fille Thénardier : Éponine
En ce qui concerne Éponine, elle aurait tout aussi bien pu obéir à Labienus, homme habile et énergique - plutôt qu'à Antoine -, sans que cela change grand-chose au scénario. Mais peut-être était-ce là l'occasion d'adresser un clin d'œil à la série TV Rome, lorsqu'elle décoche à Antoine concupiscent : «Ah ! Ah ! Ah !... Je ne suis pas une catin que l'on monte entre deux arbres, tout général que tu es» (cf. Rome (HBO), Saison 1, ép. 2).

Personnage fictif, Éponine est (nous citons la documentation de presse) : une «espionne éduenne (...) fille d'un chef éduen assassiné par un mercenaire séquane, ennemi de Rome, au service d'Orgétorix. Elle a été engagée par Antoine pour mener des opérations de renseignement auprès des tribus récalcitrantes. Elle travaille avec deux hommes qui lui obéissent et n'hésitent pas à prendre des risques pour l'aider. Ce sont des guerriers accomplis. Elle est fascinée par Rome, mais aime un chef gaulois qu'elle est censée séduire. Avant de mourir, elle se réconciliera avec sa famille traditionnelle lors des funérailles de son frère, mort dans le contingent des alliés romains».

Là nous empiétons nettement sur le tome 2. Ainsi donc, Éponine mourra au cours du récit ? Et qui est ce chef qu'elle aime mais doit trahir ?
Onomastiquement, Éponine fait songer à Épona, l'amante de Vercingétorix dans le film de Dorfmann. Eh bien oui, toutes les Gauloises ne s'appellent pas nécessairement Falbala, Sécotine ou Yellowsubmarine ! Épona est la déesse gauloise des chevaux, qualité qui se prête à transmettre son nom à une héroïne celte. Est-ce Vercingétorix qu'elle devra séduire... peut-être pour le trahir ? L'avenir nous le dira.

Petite précision, que l'on trouve dans la lecture du tome 1 : on apprend que son père était un Éduen (16) qui a été assassiné par le Séquane Adra, sur l'ordre d'Orgétorix (le roi helvète qui voulait «traverser» la Gaule...). Qui est cet Adra ? César ne le cite pas dans ses Commentaires, mais Dion Cassius le mentionne une seule fois : il s'agit du chef de la coalition belge de 57 (DION CASSIUS, Hist. rom., XXXIX, 4). Le même semble-t-il que celui que César nomme Galba, roi des Suessions (capitale Noviodunum, dans le Soissonnais) (G.G., II, 4, 13).

Qui fait quoi ?
Sans doute le tome 1 se contente-t-il de planter le décor; nous laissant échafauder des hypothèses que le tome 2 démentira peut-être. Ennuyeux, quand il faudra probablement attendre encore un an pour enchaîner le récit...

Mais pour ce que nous en avons lu, Tarek suit scrupuleusement les Commentaires (en triant quand même un peu, faute de place). Cependant, au long des 54 planches qu'il nous a été donné de lire, ses personnages de fiction ne se sont guère agités. Pis, certaines interventions/apparitions sont obscures comme cette femme et son enfant (neveu de César, semble-t-il) qui reçoivent la visite d'un messager. Ils ne sont pas nommés.
Il ne peut s'agir de Calpurnia, épouse de César depuis 59 (mais union stérile), puisque l'enfant demande des nouvelles de... son oncle.
Peut-être s'agit-il de sa maîtresse Servilia et du jeune Brutus, l'improbable fils naturel de César ? Mais, né quelque part entre 85 et 78, Brutus devait - à l'époque - comptabiliser la trentaine bien sonnée. Du reste, l'allusion à la malignité de Caton, le demi-frère de Servilia, nous a sans doute égaré !

Voyons plutôt les choses sainement : le neveu de César ne peut-être, évidemment, que le jeune C. Octavius Thurinus, et sa mère la digne Atia Balba Cæsonia !

Mais voici une déduction qui n'est pas à la portée du lecteur moyen, lequel déjà se perd dans les interminables énumérations de peuples barbares (cf. critique de Spooky sur BDthèque) ! Le style anglo-saxon de Tarek ! C'est vrai que par moment on croirait lire un roman croisé entre Len Deighton (17) et John le Carré (18).

-----oOo-----

NOTES :

(1) Précédemment, dans le milieu des années '80, Dargaud s'y était essayé avec Hérode le Grand, Massada etc. (Jean-Marie Ruffieux & Claude Moliterni). - Retour texte

(2) Turcos. Le jasmin et la boue, d'après une idée de Kamel Mouellef, préface de Yasmina Khabra. - Retour texte

(3) La Guerre des Gaules, t. 1 : 54 pl. et dossier 14 p. - Retour texte

(4) Claude CARRÉ (sc.) (d'après le scénario d'Anne de LESELEUC) & Jean-Marie MICHAUD (d.), Vercingétorix - la BD, Casterman, 2001 (27 pl. & dossier de 17 p. signé par A. de Leseleuc). A noter que le dessinateur J.-M. Michaud plus tard aidera Laurent Libessart et Ludovic Gobbo à finaliser dans l'urgence Alésia, après le désistement de Christophe Ansar auteur des 51 premières planches. - Retour texte

(5) Laurent QUEYSSI (sc.) & Gabriele PARMA (d.), L'Histoire de France pour les Nuls - 1. Les Gaulois, Paris, First Editions-Gründ, octobre 2011 (46 pl. & dossier de 9 p.). - Retour texte

(6) On se reportera, par exemple, à Franck MATHIEU, Le guerrier gaulois, du Hallstatt à la conquête romaine, Errance, 2007. - Retour texte

(7) Cf. Marc FERRO, Comment on enseigne l'Histoire aux enfants à travers le monde entier, Payot, 1981. - Retour texte

(8) Cité par Alain PEYREFITTE, C'était de Gaulle, de Fallois éd., 1994. - Retour texte

(9) L. MOIGNET et Y. KERVAN, La vie d'un guerrier gaulois, Calleva, 2011. - Retour texte

(10) Référencés dans le dossier, en fin d'album. - Retour texte

(11) Président de la société de reconstitution celtique Les Ambiani. - Retour texte

(12) Le pro consule, qui est un ancien consul (Jules César, consul en 59, est pro consule de 58 à 54, puis de 53 à 49 inclus), agit dans une province donnée à la place des deux consuls en charge. De même qu'un «sous-lieutenant» est interpellé comme «lieutenant», celui qui agit comme substitut du consul sera apostrophé : «consul» (merci à Fal pour ses bons avis). - Retour texte

(13) Dans La Guerre des Gaules, il est question d'un tribun de César nommé C. Volusenus Quadratus, qui en 56 va reconnaître les côtes de Bretagne en éclaireur de la flotte de César; préfet de cavalerie d'Antoine il est, en 53, grièvement blessé de la main de Commios l'Atrébate. En 43 il sera tribun du peuple et chaud partisan d'Antoine.
A charge du scénariste - qui en a repris le gentilice pour nommer son «général» de fiction P. Volusenus - observons que le prénom «Petrus» est inconnu en latin classique, celui de l'époque de César. Il n'apparaîtra que beaucoup plus tard, sans doute sous l'influence du christianisme. - Retour texte

(14) Dans son Alésia, dessiné par Christophe Ansar, L. Libessart & alii, Silvio Luccisano rejette la mélodramatique reddition de Vercingétorix «selon Dion Cassius». - Retour texte

(15) De fait, les Arvernes comme les Éduens étaient amis des Romains. Ce qui, après Alésia, dans un geste d'appaisement vis-à-vis de ses anciens alliés autorisa César à libérer ses prisonniers arvernes et éduens - livrant à l'esclavage tous les autres captifs. - Retour texte

(16) La BD n'en dit pas plus, mais ce pourrait être - pourquoi pas ? - le druide Diviciacos, chef du parti éduen pro-romain, opposé à son frère Dumnorix, gendre d'Orgetorix, chef du parti éduen anti-romain. C'est lui qui a convaincu César d'intervenir en Gaule. Après l'exécution de Dumnorix (automne 55), César ne parle plus de lui. - Retour texte

(17) Auteur de romans d'espionnage réputé pour céler à ses lecteurs certaines informations. - Retour texte

(18) Autre auteur britannique d'espionnage, chez qui - au contraire du précédent - l'action est statique. - Retour texte