courrier peplums

JANVIER 2005

 

 

 
14 janvier 2005
À PROPOS DES GLADIATEURS D'HOWARD «SPARTACUS» FAST, DE TROIE
ET DU ROI ARTHUR DU POINT DE VUE ARMEMENTS ET COMBATS...
Eric Teyssier nous écrit :
 

Eric Teyssier, président d'ACTA Expérimentation (Université de Nîmes), nous donne son avis à propos des armaturæ gladiatoriennes dans le roman d'Howard Fast et ses adaptations cinématographiques. C'est peut-être l'occasion de rappeler à nos visiteurs - en attendant la sortie d'un bouquin à paraître chez Errance, Les gladiateurs au combat, des sources à l'expérimentation - son CD-ROM Le médaillon de Cavillargues - L'archéologie expérimentale et la gladiature. Ce CD-ROM interactif contient un documentaire de 19' et, autour de ce film, plusieurs rubriques qui permettent d'aborder de façon simple et didactique le sujet de la gladiature. Des photos, des petites vidéos, un lexique ainsi que plusieurs textes nous aident à découvrir ce vaste monde de la gladiature.

olympie - lutteurs olympie - boxeurs

Brice Lopez et son complice Pierre Dufour, d'ACTA Expérimentation retrouvent les gestes antiques..

Etudiant les techniques de combat de l'Antiquité tant à l'arme blanche qu'à mains nues, ACTA Expérimentation est né de la rencontre d'historiens et de spécialistes des arts martiaux. Brice Lopez et Pierre Dufour ont fait des démonstrations de pugilat et de pancrace à l'occasion des Jeux Olympiques d'Athènes (2004), et l'on peut retrouver leur exhibition dans le DVD du documentaire de Pascal Cuissot, Quand les Dieux couronnaient les hommes, programmé sur Arte en août 2004 (le DVD en supplément à l'Edition spéciale des Cahiers de Science & Vie, juillet 2004).

ACTA Expérimentation
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F 30.000 Nîmes
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Site : www.acta-archeo.com
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science et vie dvd olympie

Bonjour et bonne année pour 2005 qui semble déjà prometteuse en péplum plus ou moins réussis. Je ne suis pas encore allé voir Alexandre : qu'en pensez vous ? J'ai vu Troie et Arthur qui sont à mon sens deux navets au niveau du combat (surtout pour Troie) et des armements (surtout pour Arthur).

Bravo pour votre très intéressant dossier sur Spartacus, notamment pour votre très utile mise au point sur la chronologie comparée de Rome et des gladiateurs. D'où viennent vos renseignements sur la fin de la gladiature à partir de Constantin ? Je connais ces faits mais je n'ai pas encore trouvé la ou les sources. Les connaissez vous ?

Pour la partie concernant les armements je vais peut être vous étonner mais je suis globalement d'accord avec Fast...
Il a surtout raison s'il présente l'opposition thrace-rétiaire comme une nouveauté ou un essai injuste et presque grotesque (mais possible car ils ont sûrement tout testé dans les ludi). En effet, (et c'est le secutor qui parle) sans mon grand bouclier face au trident du rétiaire qui peut frapper très vite à la tête puis passer en un éclair aux jambes ou aux pieds, je serais très très vite hors de combat, même avec de grandes ocreæ. Le thrace avec sa parma (carrée et très cintrée, env. 50 x 50 cm) est incapable de se protéger d'une telle attaque. Le rétiaire n'est donc pas l'adversaire du thrace et aucune source iconographique ne les montre ensemble. Le thrace est d'abord opposé au thrace ou à l'hoplomaque (un autre parmulatus, mais armé du bouclier rond) puis au mirmillon. Ce dernier contrairement à ce qui est dit partout ne porte pas un poisson sur le casque. Mis à part le célèbre tableau de Gérome Pollice verso - qui semble malgré ses erreurs être érigé au rang de source archéologique par les auteurs - les nombreuses icono de mirmillon ne le représentent jamais affublé de cet ornement. De plus, aucun casque ou fragment de casque de gladiateur ne représente de poisson, qui apparaît seulement sur le décor d'un galerus (épaulière) de rétiaire. Cette fable repose seulement sur les vers de Festus que le rétiaire «chante» au mirmillon pendant le combat... Bon, j'ai fait pas mal de combats contre des rétiaires et ni lui ni moi n'avons le temps de chanter. En plus, avec mon casque sur la tête, même Pavarotti je ne l'entendrais pas... (même si Pavarotti en rétiaire, j'aimerais bien le voir...).

Plus sérieusement : le mirmillon descend du samnite, qui évolue vers le provocator d'une part et le mirmillon d'autre part. A l'époque de Spartacus le rétiaire est bien une invention récente et constitue d'ailleurs un gladiateur rare dont la popularité ne cessera de croître pour devenir l'idole (avec le secutor...) des amphithéâtres à partir du IIe ap. J.-C.

Voici la généalogie que je présente dans notre ouvrage. (Il est entre les mains de l'éditeur Errance; je vous tiendrai au courant de la sortie).

Essai de généalogie des gladiateurs

Sur l’origine et l’évolution des principaux gladiateurs, nous pouvons proposer le tableau suivant.

Gaulois IIe-Ie av Samnite IIe Ie-av Thrace fin IIe av?- IVe ap.  
Disparaît totalement sous Auguste Donne naissance à deux armaturae au Ie av Rapports importants avec l’hoplomaque  
 
Mirmillon
Ie av IVe ap
Provocator
Ie-av-IIIe ap
Se transforme face au rétiaire  
Secutor
Ie ap IVe ap.
 
Evolue dans une variante rare  
Scissor
Ie ap IVe ap
 
Hoplomaque
Ie-av IIIe ap
Rétiaire
Ie av-IVe ap


Les paires attestées et leur évolution :

IIe av. J-C Ie av. J-C Ie - III e ap. J-C
Gaulois-gaulois Gaulois-gaulois Disparition complète
Samnite-samnite Samnite-samnite Disparaît au profit du provocator
Thrace-thrace Thrace-thrace Thrace-thrace
  Thrace-hoplomaque Thrace-hoplomaque
  Eques-eques Eques-eques
  Provocator-provocator Provocator-provocator
  Thrace-mirmillon Thrace-mirmillon
  Mirmillon-rétiaire Secutor-rétiaire Scissor rétiaire 

D'autre part, la sica est bien l'arme particulière des thraces et je pense qu'elle a pour origine la kopis ou la falcata ibérique (même si Brice [Lopez] n'est pas tout à fait d'accord avec moi, mais là, c'est un débat byzantin).
Enfin, mis à part le rétiaire qui est bel et bien un gladiateur hors normes, tous les gladiateurs ont un bouclier qui est comme nous le démontrons dans le livre «au centre des débats» du combat gladiatorien. Tous les péplums qui nous montrent des combattants antiques (mis à part dans une certaine mesure les Celtes) qui font «kling kling» avec leurs épées se trompent et sont sous l'influence de «maîtres d'armes» inspirés par le Moyen Age (comme celui de Gladiator qui précédemment avait fait Braveheart mais sans comprendre que ce n'était pas la même époque...).

Voilà cher Michel, mes remarques, comme à l'habitude très critiques, sur la façon dont l'Antiquité et ses techniques de combat sont montrées par le petit et le grand écran. De toute façon, il faut beaucoup pardonner aux cinéastes car les documentaires dit «sérieux» sur la question regorgent des mêmes a priori répétés depuis Tertullien et saint Augustin, qui sont - soit dit en passant - deux faux témoins. En effet, quand ils évoquent les gladiateurs, ils parlent de ce qu'ils ne connaîsssent pas puisque leur religion leur interdit de se rendre au spectacle. C'est un peu comme si on se référait à des auteurs musulmans pour connaître le goût du Bourgogne...
Bravo encore pour votre site, amitiés et à très bientôt.

 
 
RÉPONSE :
 

Qui aime bien, châtie bien
Oui, vous êtes hypercritique, mais je ne m'en formalise pas. J'ai longtemps été hypercritique moi aussi [et je le suis toujours, du reste], car j'espérais du cinéma plus qu'il n'en pouvait donner. Toutefois, c'est le cinoche qui m'a inoculé la passion de l'Histoire, et c'est déjà pas si mal.
Ma collaboration avec Jacques Martin (j'ai écrit et documenté pour lui les deux volumes La marine antique, chez Dargaud, «Les voyages d'Alix») et la composition de deux romans «à quatre mains» (je documente, critique et mon complice rédige) m'ont sensibilisé aux affres de la «re-création historique»...

Par ailleurs mon site étant dédié au cinéma historico-mythologique ce n'est pas mon rôle de descendre les films, même si je ne me gène pas trop pour remettre les pendules à l'heure.

Croyez bien que je râle en lisant dans des romans ou des BD certaines sottises sur les navires romains (les pauvres esclaves enchaînés, les superpositions excessives de rangs de rameurs, etc.) ou même tout simplement... l'usage des tria nomina lorsqu'il s'agit de nommer des personnages. Voire tel cavalier se dressant sur ses étriers (!), comme dans le récent roman Pompéi de Robert Harris... que sais-je encore ! Les Spartacus de G. Pacaud et de Joël Schmidt contiennent chacun tout un coffret à ras-bord rempli de «perles» dont la moindre n'est pas d'allégrement confondre «cohorte» et «centurie» ! (J'ai parfois du mal à croire que l'un de ces romans soit de la plume de Schmidt, lui qui est par ailleurs l'auteur d'excellents bouquins comme La vie et la mort des esclaves à Rome.)

Arthur
Ce que je pense de Troie et du Roi Arthur ?
J'ai mis en ligne mon analyse de Troie et je guette un temps mort pour finaliser Arthur. Pour Arthur, je suis partagé entre l'enthousiasme et le fou rire. Enthousiasme au niveau des intentions (restituer Arthur au Bas-Empire), de la tentative de reconstitution d'un fortin du Mur d'Hadrien, de la musique d'Hans Zimmer..., fou rire pour un scénario qui ressemble tellement à celui des Larmes du soleil (du même réalisateur), pour les arbalétriers saxons (en fait, ce sont plutôt des gastraphétès) tellement ridicules que le traducteur de la novelisation a rendu crossbowmen par arquebusiers (au point où on en est !), et quelques autres joyeusetés comme l'incohérente bataille finale (même celle du DVD director's cut) avec ces Pictes primitifs qui manient des trébuchets... sans contrepoids. Risquaient pas de faire du mal aux Saxons ! Je déplore l'absence d'une «séquence pédagogique» expliquant la différence entre l'arc composite des Sarmates et le longbow saxon, quoique cette nuance n'a pas échappé aux concepteurs du film (voir la bataille sur la glace - les Sarmates tirent plus loin que les Saxons). D'accord avec vous : les panoplies sarmates ne sont pas très convaincantes (cf. le bouquin de Iaroslav Lebedvynski, Les Sarmates, Errance éd., 2002); mais celles des Romains le sont moins encore : ils portent des armures du Ier s. où le monogramme du Christ a simplement remplacé les emblèmes légionnaires traditionnels. En fait, restituer Arthur à son contexte historique romano-breton, c'est quasiment mission impossible vu les incertitudes nimbant le personnage «historique». Car Arthur n'est même pas mentionné par son contemporain saint Gildas (qui passera pour avoir été son cousin) ni par Bède le Vénérable (qui chronologiquement vient juste après, dans nos sources). Selon Nennius et les autres il faudrait situer l'action de ce Dux bellorum aux alentours de 500-537; or le film, qui annonce la date de 451 (celle où les Saxons mercenaires attirés en Bretagne par le Breton Vortigern, se révoltent contre ceux-ci), fait expressément référence au retrait des légions romaines de l'île de Bretagne, soit 415 !

Troie
En ce qui concerne Troie. Si l'on relit attentivement Homère, on comprend que Grecs et Troyens ne se contentèrent pas de combats singuliers dans la «venteuse plaine» de Troie. Les Grecs attaquèrent aussi les murs, comme le rappelle Andromaque à son époux, et j'inclinerais assez à donner raison à ceux qui voient dans le «Cheval» une machine de guerre primitive destinée à abattre les murailles, analogue à celles des Assyriens au VIIe s. de n.E. donc contemporaines d'Homère. (Du coup, il me faut bien ravaler les objections - un peu condescendantes, je l'avoue - que j'ai longtemps opposées aux engins de siège [tour roulante] que met en scène le film de Robert Wise (Hélène de Troie, 1955), et dont le seul tort était de ne pas avoir figuré dans les poèmes d'Homère. Les textes, ce n'est pas tout. Ainsi la chanson de Festus à propos de «la pêche au poisson [du mirmillon]» !...)

L'archéologie nous apprend que les murs et portes de Troie étaient disposés pour contenir les assauts de fantassins ennemis. Mais la véritable Troie faisait 200 m de diamètre, et n'avait aucun rapport avec la splendide cité reconstituée dans le film. Magnifiée par le mythe, elle est devenue colossale !

J'ai aussi ri de voir la hauteur sur l'eau des pentécontères grecques : de toutes façons - au cinéma, en BD ou ailleurs - la représentation de navires antiques sera toujours, pour l'auteur de ce site, l'assurance d'une franche rigolade. Un peu comme, pour vous, les gladiateurs. Mais, à ce sujet, je me suis suffisamment empoigné avec Martin et Henniquiau, son dessinateur. Ils étaient imperméables aux travaux de Tim Severin que je leur mettais sous le nez. Un navire «de l'âge du bronze» (mais peu importe) dont les rames s'articulaient à 40 cm au dessus de la ligne de flottaison, partit de Volos en Thessalie, navigua jusqu'à l'extrémité de la mer Noire et en revint.

A propos de Troie, j'ai noté les boucliers d'acier (de plastique imitant le métal, bien sûr) des Myrmidons; les douteux cavaliers troyens que certes Homère gratifiait de l'épithète de «dompteurs de cavales», mais c'était pour les atteler à leurs chars; l'absurde manie de tirer des flèches incendiaires sans autre raison que de faire joli, d'imiter les balles traçantes des jeux vidéos, etc. Pour le restant, les panoplies grecques et troyennes sont une synthèse cinématographiquement honorable de ce que nous savons de l'âge du bronze et par quelques vases ou fresques mycéniennes ou minoennes (je reviens aux navires : pourquoi ne pas s'être inspiré plutôt de ceux des fresques de Théra ?).
La cuirasse d'Achille-Brad Pitt est, par contre, assez croquignole. Où l'ont-ils trouvée ? Le «Vase des Guerriers» ? Bof.
Tout de même, on aurait apprécié de voir Agamemnon revêtant une copie de la cuirasse de Dendera ! Evidemment, elle était moins seyante que celle qu'on lui voit porter dans le film... Seul un Cacoyannis aurait osé !

Les duels, la manière de combattre a été savamment chorégraphiée par des «spécialistes». Des spécialistes du spectacle, bien entendu. C'est assez impressionnant, surtout la manière dont Achille se trucide le géant Boagrios, au début du film. Simple et efficace, ça ne vous a pas plus ? J'en reviens toujours au chapitre que consacre aux duels de cinéma Noël Howard dans Hollywood sur Nil. Cet escrimeur fit ses début à l'écran dans cette spécialité, après la Seconde guerre mondiale, avant de devenir documentaliste puis réalisateur de seconde équipe. Il devait s'affronter et se laisser battre par des acteurs certes pleins de bonne volonté, mais qui tenaient leur rapière comme une pince. Aussi au cinéma - disait-il en substance - il n'est pas question pour les émules de d'Artagnan de se battre selon les techniques de l'escrime, mais de donner du spectacle, s'accrocher aux lustres, enlacer une fille tout en coupant les bretelles du «méchant», etc.
Puis dans les années '70, nous avons connu la vogue des films d'arts martiaux de Hong Kong. Depuis lors, nos bretteurs occidentaux se battent en faisant des grimaces, en prenant des poses de samouraï... ainsi Conan le Barbare (1981), qui bénéficia des conseils d'un maître d'arme japonais, Kiyoshi Yamasaki.
Mais tout ça, cher Eric, vous devez le savoir mieux que moi.

Alexandre
Deux mots encore sur Alexandre. Je réserve au site mes réflexions sur la valeur historico-hagiographiques de ce film, qui sort en même temps que Die Untergang (La Chute) d'Oliver Hirschbiegel - un Oliver peut en cacher un autre, Hu ! Hu ! (Exprès pour faire contraste, sans doute : voici deux adeptes du «Un Maître, Un Monde» / «Ein Führer, ein Volk».) Mais les batailles d'Alexandre sont époustouflantes, en particulier la charge de la charrerie perse contre les lances de la phalange macédonienne. Le spectateur attentif aura noté la stratégie d'Alexandre d'enveloppement par la cavalerie, par la droite à Gaugamèle; l'inattentif n'aura rien noté du tout, sauf qu'il ne lui restait plus de pop-corn. La magie de l'infographie et les plans serrés permet de suggérer au spectateur l'extrême violence de ces antiques mêlées. Du coup le frileux affrontement cavalerie-phalange dans La bataille de Marathon (1959) paraît bien terne !
Il m'a néanmoins semblé que les rangs des phalangites n'étaient pas aussi denses que j'étais en droit de l'espérer. En fait, ils combattent en rangs, au lieu de combattre en files... Qu'en pensez-vous ? Un mauvais point aussi pour ce tambour macédonien qui rythme la charge. Il n'y en avait pas (plutôt des flûtistes).
Je cueille dans le press-book cette phrase qui va susciter votre indignation. Richard Hooper, l'armurier du film, y déclare avoir fait quelques compromis dans la conception des armes, pour faciliter le tournage. «On a un peu triché sur la longueur de la sarisse, on a également dû allonger les glaives et rétrécir les boucliers pour les rendre plus maniables.» Il me semble bien, en effet, que les sarisses du film font moins que les 6,30 m réglementaires.

Encore un mot sur les phalangites. Dans l'ensemble, rien à critiquer hors la longueur des lances, néanmoins impressionnantes : le casque thraco-phrygien, la linothorax avec une double ceinture de ptéryges, l'étroit bouclier pendu au cou pour laisser les deux mains libres... J'ai néanmoins aperçu quelques larges boucliers ronds, avec en ronde-bosse l'étoile macédonienne. Elle aurait normalement dû être peinte. En fait, si j'en crois les publications Osprey, la mode militaire à l'époque aurait plutôt été d'orner l'épisème des boucliers d'un portrait réaliste plutôt que d'un emblème stylisé, mais je n'ai rien vu de tel dans le film.

Quant à la bataille contre les éléphants (j'y reviendrai), elle ne se déroula point dans la jungle au contraire du film, mais sur un terrain dégagé et sablonneux, ainsi que l'indique Arrien. Depuis Gladiator, la charge de cavalerie en forêt est devenue une tarte à la crème du cinéma épique. Pauvres cavaliers, pauvres cornacs... gare aux branches basses... Aïe...

***

Chronologie post-constantinienne des gladiateurs
J'en viens à vos questions sur la partie post-constantinienne de ma chronologie des gladiateurs. Le temps me manquait pour développer les dates saillantes postérieures au premier siècle de notre ère. J'ai puisé l'essentiel à l'article «Gladiator» du Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio.

H. Fast, les rétiaires et les thraces
Il me reste à vous remercier pour vos précisions apportées à mon commentaire du roman d'Howard Fast et de ses adaptations cinématographiques.

J'en retiens donc que le rétiaire était bien, à l'époque de Spartacus, une armaturæ récente, et que son opposition au thrace n'était pas «normale». En revanche vous me concéderez que des thraces combattant «nus» (c'est-à-dire sans casque, ni jambières, et encore moins de bouclier) est une hérésie, car, comme vous le dites toujours, «le bouclier est au centre du débat».

Je prends bonne note aussi que, selon vous, le mirmillon vient du samnite et non du gaulois. Voilà qui va bouleverser bien des idées reçues. J'attends avec intérêt l'argumentaire qui figurera dans votre livre à paraître chez Errance.

olympie - chars

Des quadriges disputent la victoire sur la piste d'Olympie 1.611 ans après que Théodose eût interdit les jeux
(Quand les Dieux couronnaient les hommes, Pascal Cuissot, 2004)

 
 
ERIC TEYSSIER RÉÉCRIT
 

Merci pour votre réponse. Elle m'a donné envie de voir Alexandre : j'en reviens. Je suis tout à fait d'accord avec vos analyses.
Chapeau pour les équipements je n'ai rien trouvé à redire (comme quoi malgré mon penchant hypercritique...) mais je ne suis pas spécialiste du monde grec. Il faudra que je le repasse et je trouverai bien un truc, non mais ! Superbes casques, superbes cuirasses (nous sommes en train de fabriquer les mêmes à ACTA pour notre travail sur ce que nous appelons les «proto gladiateurs» - ce sera la nouveauté de 2005 : «800 ans de gladiature»).

Alexandre montre peut être le début d'une évolution du péplum avec un souci des équipements très nouveau. Peut-être Oliver Stone a-t-il compris que c'est pas plus cher de faire juste. Ou alors son conseiller a lu le bouquin-référence de Peter Connoly, dont je crois reconnaître quelques planches dans certains plans (notamment Alexandre coiffé d'un casque en forme de tête de lion et les extrémité des sarisses).

Un regret pour la phalange : pas assez mise en valeur, pas assez dense ni en cohésion, même si c'est le premier film sur l'Antiquité où la ligne tient plus de dix secondes, un exploit. Après il faut absolument passer à la traditionnelle cohue où tous le monde frappe son voisin. Là c'est plus attendu et du coup on perd de vue la phalange qui est bien l'essentiel de la puissance d'Alexandre.

Dommage aussi que cette charge et cette bataille dans la forêt (pas plus logique que celle de Gladiator). Bref, Alexandre est crédible, et c'est pas un rôle facile, tout comme son père et sa mère.

Pour vos analyses d'Arthur et de Troie je suis parfaitement d'accord avec vous. Quel dommage de gâcher un Arthur historique de la fin de l'Antiquité. Quelle farce que ces légionnaires du Ier siècle et ce sénateur (à la toge ornée d'une bande bleue (?)) qui vit au nord du mur en 451 dans une villa campanienne, tyrannisant de pauvres Scots (que font leurs frères ?) avec seulemnt quatre gardes ! qui d'ailleurs ont, eux, des casques à peu près convenables pour l'époque. Dommage...

En ce qui concerne Troie, c'est la première fois que je vois un guerrier combattre avec son bouclier accroché dans le dos... Il faudra vraiment qu'ACTA leur explique à quoi sert cet ustensile...
Quant à la passe d'Achille bondissant pour planter son glaive dans la gorge de son adversaire c'est effectivement très photogénique... mais assez ridicule. Ce type d'attaque ne peut pas se faire sans élan donc - à moins de dépasser le mur du son - sans que l'adversaire ne la voie venir et lève instinctivement son bouclier dans ce que nous appelons une «hyper élévation». Du coup, il faudrait que ce cher Brad monte à près de trois mètres de haut et qu'il ait des bras d'un mètre vingt pour pouvoir réussir son coup. Si malgré tout il tente sa chance et que son adversaire soit un peu aguerri, ce dernier va pousser son bouclier en avant lorsque l'acrobate sera envolé... Il se retrouvera ainsi satellisé et les quatre fers en l'air à quelques mètres de là. Succès assuré. Un de nos thraces en a fait l'amère expérience dans l'amphithéâtre de Toulouse avec un de nos mirmillons de 1,90 m répondant au doux nom d'«Ursus». Je vous passerai le film que nous avons fait ce jour là. Vous verrez c'est très drôle, et cela montre qu'il ne faut pas trop regarder les films américains quand on est gladiateur.

gladiateurs

ACTA Expérimentation en ses œuvres : thrace et mirmillon s'affrontent dans l'amphithéâtre de Tarragone

Je suis content de votre intérêt pour mes petits commentaires gladiatoriens de Spartacus (que j'ai hâte de voir [DVD chez Universal, depuis octobre 2004 - N.d.M.E.]); je suis un incorrigible bavard sur la question. Oui, en effet, un thrace sans casque, sans jambières et sans bouclier c'est non seulement une hérésie mais ce n'est plus rien du tout, peut être un Apache façon voyou 1900 à condition qu'il ait une casquette.

Vivement que le livre sorte, peut être fera-t-il un peu évoluer les choses sur la vision des gladiateurs.

 
 
RÉPONSE :
 

Si j'en crois le magazine Champs de Bataille, le fameux casque «connollyen» - de type attique, en forme de tête de lion - aurait été porté par Alexandre à la bataille du Granique (je ne sais trop sur quoi ils se basent pour faire une telle assertion, mais ils produisent à ce sujet une monnaie d'Alexandre coiffé du casque en question, casque qu'il le porte aussi sur le bas relief décorant le sarcophage dit «d'Alexandre», trouvé à Sidon). Quant à la linothorax du film, elle est conforme en tout point à celle qu'il portait à la bataille de Gaugamèle d'après la fameuse mosaïque de Pompéi, qui serait une copie d'une peinture d'Apelle (un familier d'Alexandre). Certes, ces belles pièces focalisent l'attention, mais ne doivent pas nous détourner du reste. Au cinéma - comme ailleurs -, il faut «remplir». C'est cela les affres de la re-création dont je parlais. Quand on a un schéma des cales sèches du Pirée, le dessinateur doit imaginer des détails qui aient l'air vraisemblables pour y faire vivre ses personnages. Il doit faire des choix. Voilà ce que j'ai appris avec J. Martin.

J'ai quand même vu un superbe anachronisme dans le boudoir d'Olympias : un bouc d'or et lapis-lazuli arc-bouté aux branches d'un arbre d'or, un chef d'œuvre de l'orfévrerie sumérienne... que faisait-il à Pella alors qu'Alexandre était encore enfant ? Mais qu'importe...

Ferez-vous avec Brice Lopez et l'équipe une prestation à Malagne (Rochefort, Belgique), cette année ? Ou à l'Archéosite d'Aubechies (près de Ath, Belgique) ? (ACTA Expérimentation sera, fin juin 2005 à Bleesbruck, un parc archéologique à la frontière franco-allemande.)

 
 

 

 
21 Janvier 2005
QUID DE L'HOPLOMAQUE ET DU SECUTOR ?
Jean-Philippe Wauthier nous écrit :
 
Je viens de découvrir votre site et j'en suis enchanté. Une question : quelle est la différence (s'il y en a une) entre l'hoplomaque et le secutor ? Comment voir cette ou ces différences sur des représentations ? Si la question a déjà une réponse, renvoyez-moi la référence. Merci d'avance et encore bravo !
 
 
RÉPONSE D'ÉRIC TEYSSIER :
 

L'hoplomaque est un parmulatus apparenté au thrace avec lequel il partage une origine hellénistique. Comme lui, il porte deux grandes ocreæ qui montent jusqu'aux cuisses ce qui les distingue de tous les autres gladiateurs. Par contre l'hoplomaque n'est pas armé de la sica du thrace mais d'une dague droite et surtout de la lance, (environ 2,50 m) qu'il est le seul gladiateur à utiliser. Son bouclier est rond et très bombé jusqu'à constituer une demi-sphère. Sa taille, proche de la parma du thrace est réduite (environ 50 cm).
Il combat soit contre le thrace soit contre un mirmillon.
Le secutor est un perfectionnement du mirmillon (qui lui même est une évolution du samnite) afin de l'adapter au combat très particulier contre le rétiaire (qui est son seul adversaire). Son armement se distingue surtout par la crête arrondie et effilée de son casque adapté au filet. Surtout sa technique de combat est très différente de celle du mirmillon et lui vaut d'ailleurs son nom secutor : «celui qui poursuit».
Ces deux gladiateurs sont donc très différents par leur armement, leurs origines, leurs adversaires et leurs techniques de combat

Voilà cher Jean-Philippe des affirmations qui, certes, contredisent parfois celles de mes éminents confrères mais, comme vous le savez, cette nouvelle approche des armaturæ ne repose pas seulement sur des spéculations intellectuelles mais provient essentiellement des résultats de notre travail d'expérimentation. Vous aurez bientôt toutes les justifications et démonstrations de ces dires dans notre ouvrage qui devrait être publié bientôt aux éditions Errance.

hoplomaque - mirmillon

Hoplomaque (à gauche) contre mirmillon (à droite).
Notez les hautes ocreæ identiques à celles du thrace, le petit bouclier rond, la lance et le poignard qui équipent l'hoplomaque. Peinture murale, IIe s. de n.E. Villa de Mechern bei Merzig (Sarre, Allemagne). Musée de Lyon.
(Source : Eric TEYSSIER & Brice LOPEZ, Les gladiateurs au combat, des sources à l'expérimentation, Errance éd. [à paraître].)

gladiateurs

Hoplomaque, mirmillon et arbitres. Médaillon d'applique. Musée de Lyon.

medaillon de cavaillargues

Combat sur un pont : rétiaire contre secutor, avec son casque au cimier profilé pour ne pas offrir de prise au filet. Notez la présence de deux arbitres. Médaillon d'applique trouvé à Cavaillargues (Gard, France). W-A 34, Musée de Nîmes.
(Source : CD-ROM ACTA Expérimentation, Le médaillon de Cavillargues.)

 
 

 

 
30 janvier 2005
GRAMMATICUS ROMAIN ET AUTRES FEMMES SAVANTES...
Angelina nous écrit :
 
J'étudie le latin depuis le début de l'année et notre professeur nous a demandé de choisir un sujet d'exposé. J'ai eu l'idée de traiter de l'éducation dans la Rome Antique, mais je me suis rendu compte qu'il y avait peu de choses sur ce sujet, j'ai alors pensé que pour agrémenter mon exposé, je pourrais y ajouter un film (un extrait); mon père étant cinéaste m'a vivement conseillé de chercher PEPLUM sur le moteur de recherche. Je viens donc vous demander s'il y a un péplum sur l'éducation dans la Rome Antique ?
 
 
RÉPONSE :
 

La pédagogie romaine n'est certes pas au centre des préoccupations des cinéastes. Par ailleurs, il vous faut également pouvoir disposer du film pour le montrer. Soyons donc pragmatique. A vue de nez, il n'y aurait guère de disponible, à ce sujet, qu'un DVD récent auquel j'ai du reste consacré un petit dossier sur mon site : le Jules César d'Uli Edel. On y voit César préoccupé par l'éducation de sa fille Julia, lui donner un précepteur nommé Apollonios (en réalité cet Apollonios Molon n'était pas esclave, mais tenait école à Rhodes où César vint écouter ses leçons... dans ce téléfilm, c'est un peu différent). Vous y trouverez peut-être ce que vous cherchez.

Autrement il y a Aristote entouré de ses élèves, discourant sur la philosophie appliquée à la politque. La version de Robert Rossen, avec Richard Burton existe en DVD MGM (et réédition chez Fabbri; le DVD de la version Oliver Stone n'est en principe pas sur le marché (mais vous pouvez peut-être le télécharger - ne n'y connais rien à ces manip's) présente une scène identique, avec en plus une coloration pédérastique (éloge de la bonne homosexualité). Elle a l'avantage d'être plus resserrée, donc plus facile à l'emploi, que la version 1956. Mais nous sommes ici dans le domaine grec... quoique l'enseignement aristotélicien ait une valeur universelle.

Mais je me demandais s'il ne devait pas y avoir aussi quelque chose dans le feuilleton TV de 1976 Moi Claude, Empereur (les premiers épisodes traitent de l'enfance des jeunes julio-claudiens, dont «cet imbécile de clo-clo-clo-claude»). Je ne garantis pas l'info à 100 %... et puis ce ne sera pas facile d'en obtenir une copie. A ma connaissance, la seule édition DVD de la série est chez DFW (télévision néerlandaise), c'est-à-dire en VO anglaise, sous-titrée néerlandais.

Pour l'anecdote je vous rappelle que le Fellini-Satyricon raconte la vie de deux étudiants débauchés, Ascyltus et Encolpius (et de Giton). Mais la seule scène vaguement «pédagogique» est celle où le philosophe Eumolpus disserte à la pinacothèque (avant le festin de Trimalchion). Existe en DVD.

sappho - the warrior

Kerwin Mathews et Tina Louise dans Saffo, Venere di Lesbo (1959).
Tout le charme kitsch des lobby cards américains des années '60,
aux titres non moins bizarres... (The Warrior Empress)

À l'école où nous avons appris l'A B C
La maîtresse avait des méthodes avancées.
Comme il fut doux le temps, bien éphémère, hélas !
Où cette bonne fée régna sur notre classe,
(...)
La maîtresse avait des méthodes avancées :
Au premier de la class' ell' promit un baiser,
Un baiser pour de bon, un baiser libertin,
Un baiser sur la bouche, enfin bref, un patin.

Georges Brassens (La maîtresse d'école)

 
Enfin, introuvable en vidéo et en DVD (moi-même je le recherche), il y a le merveilleux et kitchissime Sapho Vénus de Lesbos (1959). Ca se passe dans un thiase, c'est-à-dire une sorte de collège pour jeunes filles de bonne famille, qui reçoivent une double éducation sportive et poétique. On les voit jouer de la harpe, chanter, danser, lancer le javelot, conduire des chars, et même disputer des régates. La séquence n'est pas très longue... Un de mes péplums préférés, dont nous sommes redevables au grand Pietro Francisci (Les Travaux d'Hercule). Les plus douées sont appelées à devenir les prêtresses de la déesse Aphrodite, la divinité protectrice de l'île de Lesbos. En pays éolien, en effet, les jeunes filles avaient accès à une certaine éducation, notamment littéraire (en pays dorien, à Sparte, c'était plutôt sportif, afin que des jeunes femmes robustes donnent le jour à des garçons solides) et le film essayait d'imaginer la vie et les amours de la poétesse Sapho (Tina Louise) et de son amant, le beau Phaon (Kerwin Mathews) !

sappho - chars

A l'école des femmes de Mitylène, dans l'île de Lesbos, Sapho et ses amies émancipées s'initient - pourquoi non ? - à la conduite de la 4 cv qui faisait fureur en 593 av. n.E.

sappho - phaon

Le collège s'amuse ! Le beau Phaon a la détestable habitude d'y pénétrer la nuit, pour visiter la belle Sapho pas gouine pour une obole ! Cet élève indiscipliné, et même carrément rebelle, est traîné par les pions chez le préfet des études, un abominable tyran comme il se doit ! Ca va chier pour toi, mec…

Mais tout ça nous éloigne du pauvre grammaticus romain. Vous devriez trouver des anecdotes croustillantes du côté des poètes comiques, en particulier Plaute. En principe, vous trouverez les références aux textes dans n'importe quelle bonne Vie Quotidienne à Rome, par exemple celle de Jérôme Carcopino.