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Eric Teyssier & Brice Lopez
Gladiateurs.
Des sources à l'expérimentation

La gladiature a duré plus de huit siècles et s'est déroulée dans tous les pays du monde méditerranéen. Elle fut aussi populaire que peut l'être le football aujourd'hui. Popularisés et totalement déformés par la peinture et le cinéma, les jeux du cirque font partie d'une image stéréotypée de l'Antiquité.
Pourtant, les textes et les représentations iconographiques permettent de restituer ce que furent ces combats qui enthousiasmèrent les foules et provoquèrent la construction d'amphithéâtres dans tout l'Empire romain.
Après une minutieuse enquête historique, le chercheur rencontre un champion des arts martiaux et pousse l'étude jusqu'à l'expérimentation des combats. Loin des idées reçues, un monde de spectacle, de violence aux règles très strictes réapparaît de façon surprenante. Nous voilà assis sur les gradins du Colisée, où des hommes parfois considérés comme des héros vont s'affronter devant le peuple et les élites de Rome
(quatrième plat de couverture).

Les auteurs exposent leur démarche scientifique : à partir des matériaux archéologiques, la reconstitution des armes, leur équilibrage, l'analyse des attitudes fonction des représentations figurées, l'évolution des armements depuis la protogladiature - les combats funèbres comme celui décrit au Chant XXIII de l'Iliade. Ensuite, la gladiature ethnique (samnites, gaulois, thraces), puis l'apparition au Ier s. de nouvelles spécialités tel l'étonnant rétiaire, dont les «armes» n'appartiennent à aucun usage militaire connu, et son antagoniste attitré, le mirmillon. C'est le combat du pêcheur contre la murène. Enfin, l'apparition de nouvelles spécialités (secutor, provocator, hoplomaque, scissor, etc.) qui sous le Haut Empire vont déterminer un nouveau type d'escrime où le bouclier devient l'élément offensif, tandis que le gladius disparaît au profit d'armes courtes comme le poignard thrace (falx supina) ou la dague (pugio).

 
livre gladiateurs
 

L'«effet Gladiator»
Avec les martyrs du christianisme et la révolte de l'esclave-gladiateur Spartacus, le cinéma (1) a largement diffusé auprès du grand public des images de l'amphithéâtre («Chic, je vais aller au cirque !», chante, dans Astérix, le légionnaire gaffeur dont César souhaite se débarrasser). Le poncif du pauvre bougre qui, pour une peccadille, est envoyé affronter les fauves ou des brutes humaines. Comme si un novice était capable d'offrir au public des afficionados un spectacle digne d'intérêt ! L'extraordinaire succès du récent Gladiator conforte cette image, même si Maximus est loin, justement, d'être un combattant novice. Ce film colporte l'idée du massacre gratuit : des gladiateurs surarmés et surentraînés exterminent de pauvres novices enchaînés deux à deux, aveuglés par le soleil.

Magnifique illustration du Pollice verso de Gérôme, le film de Ridley Scott sacrifiait trop facilement à l'exigence d' «entertainement» du cinéma à grand spectacle (2). On imaginerait mal, du reste, une sorte de reportage sur une compétition d'escrime - comme on en voit parfois à la fin du JT - avec ses arbitres, ses commentaires techniques.
Pourtant, lesdits arbitres apparaissent fréquemment dans les représentations figurées, point de départ des investigations d'Eric Teyssier et du groupe ACTA Expérimentation (Université de Nîmes), qui réunit des athlètes de haut niveau comme Brice Lopez ou Pierre Dufour, spécialistes des arts martiaux, qui réfléchissent sur la manière d'utiliser les différentes panoplies. Car chaque armatura a ses caractéristiques précises : on n'associe pas les hautes jambières avec un grand bouclier mais avec un petit (parma); les virevoltants rétiaires ne portent jamais de casque qui, restreignant leur champ de vision, les handicaperaient; la manica protège le bras droit, qui tient l'épée, jamais celui qui brandit le petit bouclier comme on le voit dans la plupart des péplums.
Et il ne faut pas confondre les chasses du matin et les exécutions capitales de midi, avec les combats de gladiateurs de l'après-midi. Les bestiaires ne sont pas de vrais gladiateurs car les bêtes - par définition - n'obéissent à aucune règle codifiée; quand aux exécutions capitales, elles se passent de commentaires.

Les gladiateurs pratiquent une escrime spécifique qui n'a du reste aucun rapport avec ce que l'on voit généralement à l'écran : arme à la fois défensive et offensive, le bouclier est au centre du débat, le combattant se tassant derrière lui au lieu de l'utiliser comme contrepoids, attitude inspirée de l'escrime contemporaine.
Un docu-fiction BBC récent a partiellement soulevé le voile d'obscurité pesant sur la gladiature. Certes les figures d'escrime n'y sont pas encore très au point, les armes sont surdimensionnées, les armaturæ incertaines, mais Tilman Remme - à partir d'une épigramme de Martial - a reconstitué la vie d'un champion-gladiateur, esclave qui pour échapper aux mines a librement choisi de combattre dans l'arène (comparez avec la scène correspondante, qui ouvre le Spartacus de Kubrick !).
Parfois, la mort vient sanctionner l'incompétence ou la lâcheté des combattants, mais rarement. Car la formation et l'entretien des gladiateurs coûte cher, et le «matériel» détérioré est lourdement facturé à l'éditeur des jeux. Le jeu consiste à soumettre l'adversaire en l'épuisant par la lutte, en lui infligeant des blessures légères (dans le chapitre consacré à la protogladiature, les auteurs rappellent qu'aux jeux funèbres de Patrocle, Ajax et Diomède s'arrêtent au premier sang). Les gladiateurs, toutefois, sont formés pour accepter la mort sans faiblir, tendre la gorge. On n'en attendait pas moins dans une culture guerrière, où la valeur de la vie humaine est très relative - a fortiori celle d'individus socialement infâmes, paradoxalement autant adulés que méprisés.

  • L'ouvrage séduira les amateurs de péplums comme les passionnés d'Antiquité, notamment ceux qui pratiquent la reconstitution historique.
 

livre teyssier - lopez

Eric TEYSSIER & Brice LOPEZ, Gladiateurs. Des sources à l'expérimentation (préface de Christian Goudineau),
Editions Errance, 2005, 156 p.
ISBN 2 87772 315 1 - Prix : 29 EUR

 

LIENS
ACTA Expérimentation
(Président : Eric Teyssier - Directeur : Brice Lopez)

Forum Familia Gladiatorum

PEPLVM - IMAGES

1) Dossiers :

  • Spartacus [Howard Fast] (Robert Dornhelm - EU, 2004)
  • Gladiateurs [docu-fiction] (Tilman Remme - GB, 2003)

2) Notules :

3) Courrier du site :

 

NOTES :

(1) S'il rectifie bien des idées reçues, l'ouvrage d'E. Teyssier et B. Lopez n'aborde absolument pas la question du traitement cinématographique de la gladiature. Mais sur ce site dévoué au péplum, nous ne pouvons évidemment pas éluder cette problématique dans la recension de leur livre.
Pour plus ample informé, nous vous renvoyons à notre article paru voici quinze ans : Michel ÉLOY, «Les gladiateurs au cinéma» (pp. 277-294), in Spectacula I. Gladiateurs et Amphithéâtres (sous la dir. Claude Domergue, Christian Landes et Jean-Marie Pailler), Lattes, Editions Imago [Musée archéologique Henri Pradès], 1990. - Retour texte

(2) Le même problème se pose dans les films de cape et d'épée, où des cascadeurs pratiquent une escrime-spectacle, qui n'a rien en commun avec celle qui a cours dans les salles d'armes. - Retour texte