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Le Pharaon
(Jerzy Kawalerowicz, Pologne - 1965)
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II. Le roman
de Prus
5. A la recherche d'une
civilisation disparue
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En cette
trente-troisième année du
règne heureux de Ramsès
XII, l'Egypte célébra deux
fêtes qui emplirent ses habitants
de fierté et d'allégresse.
Au mois de Mehir, c'est-à-dire
en décembre, l'effigie du dieu
Chons était rentrée à
Thèbes, couverte de riches présents.
Cette statue sacrée avait parcouru,
durant trois ans et neuf mois, tout le
pays de Buchten. Elle y avait guéri
la fille du roi, Bent-Res, et chassé
les mauvais esprits non seulement de la
famille royale, mais aussi de la forteresse
de Buchten. Au mois de Farmuti, qui correspond
à février, le maître
de la Haute et de la Basse Egypte, seigneur
de Phénicie et de neuf autres pays,
Mer-Amen Ramsès XII, après
avoir consulté les dieux dont il
est l'égal, avait désigné
comme erpatrès, c'est-à-dire
héritier du trône, son fils
Cham-Semmerer-Amen-Ramsès. |
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Ainsi commence le roman
de Boleslaw Prus, Le Pharaon (1895), porté
à l'écran par son compatriote Jerzy
Kawalerowicz en 1965. Le Pharaon racontait
les démêlés d'un roi d'Egypte
plus ou moins imaginaire (Ramsès XIII n'a jamais
existé, et pas davantage son père Ramsès
XII), dont les réformes sociales furent anéanties
par le clergé d'Amon conduit par le grand-prêtre
Hérihor, personnage historique quant à
lui. Remettons les choses en perspective. C'est l'Expédition
de Bonaparte en Egypte (1798-1801[1])
qui révéla et fonda la science égyptologique
avec la publication de la monumentale Description
de l'Egypte (1809), en dix volumes (2),
sous la supervision de C.L.F. Panckoucke. Cette somme
avait été précédée
dès 1802 par le Voyage dans la haute et
basse Egypte de Vivant Denon, qui - protégé
du général Bonaparte (2a)
- avait lui aussi participé à l'expédition,
mais fit bande-à-part au niveau de la publication.
Le livre connut un succès considérable
et fut réédité une quarantaine
de fois. |
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Ces ouvrages de référence allaient bientôt
être suivis, notamment, par le Voyage en Egypte et
en Nubie et lieux circonvoisins depuis 1805 jusqu'en 1828,
de Jean-Jacques Rifaud (3),
l'Egypte, Nubie, Palestine et Syrie de Maxime Du Camp
(4)
et de l'Histoire de l'art égyptien de Prisse
d'Avennes (5).
Toutefois, si dès 1822 J.-Fr. Champollion entrevit
le fonctionnement du système hiéroglyphique
(Précis du système hiéroglyphique
des anciens Egyptiens, 1824), il faudra attendre 1841
- soit neuf ans après sa mort - pour voir paraître
sous la plume de son frère, M. Champollion-Figéac,
un Dictionnaire égyptien en écriture hiéroglyphique.
La découverte des monuments égyptiens avait
certes suscité l'enthousiasme. Mais lorsqu'en 1895
Boleslaw Prus publia son roman, encore en plein défrichement,
notre connaissance de la civilisation pharaonique n'était
pas très avancée, malgré les travaux
éminents du fouilleur d'Abydos, Saqqarah et Tanis,
Auguste Mariette (6)
- qui dirigea les Antiquités égyptiennes de
1857 à 1881 - et de son successeur Maspero (7),
qui les dirigea de 1881 à 1886, le découvreur
des Textes des Pyramides et de la fameuse cache des momies
royales de Deir el-Bahari ! Pour le public, l'Egypte restait
une crépusculaire terre de mystère et de magie,
celle du Roman de la Momie (8),
qui n'attendait plus que se missent devant leur écritoire
des romanciers comme l'anglo-australien Guy Boothby (Pharos
l'Egyptien, 1898 [9])
et l'irlandais Bram «Dracula» Stoker (Le joyau
des Sept étoiles, 1904), archétypes du retour
de la momie ressuscitée !
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6. Dans le labyrinthe
Avant Bonaparte, nos idées sur l'Egypte étaient
totalement redevables des sources grecques classiques - Hérodote,
Diodore de Sicile, Plutarque, Apulée, Héliodore
etc., échos déformés d'une antiquité
alors déjà révolue (10)
mais qui devait fortement imprégner le discours maçonnique
(11).
En effet, au XVIIIe s., les Francs-Maçons pensaient pouvoir
faire remonter leur doctrine ésotérique aux pharaons
et parlaient de «Rite Egyptien», de «Rite
de Misraïm» (12)
et de «Rite de Memphis». Savant traducteur de Diodore
de Sicile, l'abbé Jean Terrasson :. - comme le rappelait
un intervenant au cours du débat
(13)
animé à l'été 1980 par Alain Jérôme
- publia anonymement un curieux roman maçonnique, Sethos
(1731[14]),
largement inspiré de ces sources classiques. L'auteur
imaginait l'existence de souterrains énormes sous les
pyramides, un Labyrinthe où l'on initiait les futurs
chefs de l'Egypte. Après avoir voyagé dans toute
l'Afrique, le prince-législateur Sethos s'y retirait,
devenu vieux. Tous les éléments du rituel maçonnique
décrit dans l'initiation de Sethos allaient se retrouver
dans La flûte enchantée (1791) de Mozart,
qui était frère maçon de haut grade. Le
livret était du reste signé par un ex-maçon,
Johann Emanuel Schikaneder. Les références maçonniques
de La flûte enchantée (décors égyptiens,
palmeraies, pyramides, hymne à Isis et Osiris) ont été
analysés par Jacques Chailley dans une étude très
documentée (15).
La description du labyrinthe sous la Grande Pyramide devint
un moment obligé de tout ouvrage sur l'Egypte. Voici
moins d'un demi-siècle, un ancien baryton reconverti
dans le Neuvième Art, Edgar P. Jacobs en tirait encore
l'argument central de ce classique de la BD franco-belge qu'est
devenu Le Mystère de la Grande Pyramide (Blake &
Mortimer).
Vers la fin de ce XVIIIe s. de tous les fantasmes - alors
que le consul Bonaparte s'embarquait pour l'Egypte -, un certain
Etienne-François de Lantier, chevalier de St-Louis, publiait
en Belgique des Voyages d'Anténor en Grèce
et en Asie, avec notions sur l'Egypte (16),
prétendu roman grec trouvé pendant les fouilles
à Herculanum. Les intentions parodiques y étaient
évidentes. Deux chapitres étaient consacrés
aux Mystères égyptiens dans le Labyrinthe sous
les pyramides, transcription evhémériste du mythe
d'Orphée aux Enfers. |
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7. Une parabole politique
Prépublié en feuilleton la même année
que Quo Vadis ? (17),
le roman de Boleslaw Prus usait de ce même expédient
qui servit si bien à ce bon M. de la Fontaine fabulant
un Royaume d'animaux pour faire passer la critique sociale et
politique. A travers la décadence de l'Empire égyptien,
naguère si puissant, Prus visait les oppresseurs du peuple
polonais. Financièrement exsangue, l'Egypte est un colosse
aux pieds d'argile, proie d'un clergé avide et aux ordres
de l'ennemi assyrien. Le roi d'Assyrie, Assar, qui veut établir
sa mainmise sur la riche Phénicie, vassale de l'Egypte...
est prêt, en échange, à lui abandonner la
désertique Israël (18).
Un jeune pharaon aussi impulsif que patriote pourra-t-il rallier
l'armée et faire le ménage ? Boleslaw Prus se
garde bien de tomber dans le manichéisme simpliste. Si
les caisses de Pharaon sont vides, celles des prêtres
ne le sont certes pas ! Mais les prêtres d'Amon pratiquent
la realpolitik : s'avouant d'avance vaincus, ils veulent
éviter une guerre avec le puissant voisin assyrien -
guerre dont l'issue, à l'évidence, risque d'être
catastrophique pour le pays du Nil. Lâcheté ou
sagesse ? Rien n'est sûr. De son côté, l'impulsif
jeune prince Ramsès, qui vit dans la nostalgie des glorieux
aïeux dont il porte le nom, est loin d'être exempt
de tout reproche, même si les prêtres malveillants
en ont quelque peu rajouté (comme on l'a vu plus haut,
à propos d'Hébron). «Mon Fils, il te
reste à apprendre à te maîtriser : tu te
laisses emporter; tu ne penses ni au bien de l'Etat, ni à
l'édification des canaux, ni à la vie de tes serviteurs.
Tu ne penses qu'à l'humiliation que tu crois avoir subie.
Il importe que tu sois équitable. Tu ne seras jamais
un chef si tu ne sais pas être impartial», dit
le vieux roi Ramsès XII à son fils (19).
Le Pharaon est un patchwork d'éléments
rapportés de la XVIIIe Dyn. sur la fin de la XXe, qui
peuvent passer pour un bon reflet historique de la décadence
des derniers Ramessides. Une transposition dans le cadre socio-économique
de l'Egypte ancienne décadente, en s'inspirant de personnages
réels (Hérihor), ou «brodant» sur
d'autres. Notre «Ramsès XIII» doit beaucoup
au pharaon hérétique et révolutionnaire
Aménophis IV Akhénaton, à l'exclusion toutefois
de son volet mystique, le monothéisme atonien (20).
Une stèle amarnienne érigée par Akhénaton
justifiait l'abaissement du clergé d'Amon par son inqualifiable
conduite vis-à-vis de ses prédécesseurs
Thoutmôsis III, Aménophis II, Thoutmôsis
IV et son propre père Aménophis III (21).
Reste que tout comme Akhénaton - l'ennemi du clergé
d'Amon - avait été renversé par un prêtre-militaire,
Horemheb, «Ramsès XIII» sera, lui, évincé
par un autre militaire-prêtre, Hérihor (22.
Mais au contraire du pacifiste Akhénaton (1370-1352)
- qui laissa les barbares Habiru et Soutou s'emparer de Jérusalem,
et son allié phénicien, le roi Ribaddi de Byblos,
se faire massacrer par le roi de Damas Aziru - notre «Ramsès-le-Treizième»
est plutôt décidé à user de la force
militaire pour restaurer le prestige perdu de l'Empire égyptien.
Le Ramsès XIII de Prus et Kawalerowicz s'inscrirait donc
plutôt comme un double en négatif d'Akhénaton
!
Essayons de décrypter la fable
politique polonaise composée par Prus sur la base de
ces données égyptologiques. Encore jeune lycéen,
Alexander Glowacki (Boleslaw Prus est un pseudonyme) avait participé
à la révolte anti-russe de 1861-1864 (de l'autre
côté de l'Atlantique, ces dates correspondent à
la Guerre de Sécession), avait été blessé
en 1863, arrêté et jeté en prison. Cela
faisait alors trois quarts de siècle que - victime de
ses dissensions et de la rapacité de ses nobles féodaux
- la Pologne, réduite à peau de chagrin, gémissait
sous le poids de l'occupation étrangère. C'est
à l'appel de nobles polonais mécontents de la
Constitution de 1791 instituant la monarchie héréditaire
et d'autres mesures populaires, que Russes, Prussiens et Autrichiens
avaient occupé le pays, en retranchant de larges portions.
Un premier partage avait eu lieu en 1772; de nouvelles amputations
furent pratiquées onze ans plus tard, à l'occasion
d'un second partage en 1793, bientôt suivi d'un troisième
en 1795. Ce qui en subsista devint après la défaite
napoléonienne, en 1815, un royaume satellite de l'Empire
de Russie, avant d'être définitivement mis sous
le joug en 1830.
En 1832, l'armée polonaise fut dissoute (23),
des étudiants déportés, l'église
catholique persécutée. La Pologne perdit jusqu'au
soutient du très conservateur pape Grégoire XVI,
lequel - soucieux de ne pas s'aliéner une grande puissance
- condamna sa résistance au tsar Nicolas Ier (bref aux
évêques polonais Superiori anno du 9 juin
1832 [24]). |
N'en pouvant plus de misère, le peuple se
révolte contre la tyrannie des prêtres
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Après 1864, ce qui restait
de gouvernement national fut supprimé, le polonais aboli
comme langue officielle, l'enseignement et la justice russifiés
et l'Eglise catholique exposée à de nouvelles brimades.
Telle était la situation de la Pologne lorsque Prus composa
Le Pharaon, qui à vrai dire est moins un roman historique
qu'un traité politique ou sociologique romancé.
Tant pour Sienkiewicz que pour Prus, l'histoire n'était
qu'un prétexte; dans le cas du premier, pour «réconforter
les Polonais» réduits à l'esclavage, dans
le cas du second, pour conduire une analyse sociologique.
Dans cette optique, trouver dans Pharaon des allusions
à la situation polonaise n'est pas vraiment pertinent.
En réalité, Prus n'était pas tant préoccupé
par les causes de la chute de la Pologne au XVIIIe s. que par
le problème de la chute d'un Etat qui avait atteint un
certain niveau de civilisation. Pourquoi les grandes civilisations
égyptienne, assyrienne ou babylonienne (et polonaise) s'étaient-elles
écroulées ? C'était cette question épistémologique
qui taraudait Prus le positiviste. Avec la banqueroute de toutes
les «religions», l'angoisse de la fin des civilisations
était caractéristique de toutes les philosophies
occidentales de la fin du XIXe s.
Il est bon de s'en souvenir, même s'il est assez séduisant
de deviner un pape «félon» derrière
le masque de l'archiprêtre d'Amon, Hérihor. |
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8. Boleslaw Prus (1847-1912)
(25)
Né dans un domaine terrien de Hrubieszów, Alexander
Glowacki, alias Boleslaw Prus, est considéré comme
un fondateur du roman polonais moderne. Dans ses articles et
histoires courtes, il dénonce les préjugés
de classe de la société polonaise, encourageant
l'édification d'une société sobre, solidaire
et travailleuse. La plupart de ses romans appartiennent au genre
«réaliste». Dans L'Avant-Poste (1886),
un paysan lutte pour conserver ses terres, tandis que La
Poupée (1887-1889), son uvre la plus affinée,
brosse un portrait de la classe moyenne à Varsovie. A
notre connaissance, Le Pharaon (1897) est son unique
roman «historique».
Ecrivain positiviste «atypique»
- il avait fait des études de maths-physique à
l'Ecole Centrale de Varsovie -, Prus était fasciné
par les sciences exactes et méprisait, en quelque sorte,
la littérature qui n'était pour lui qu'un simple
gagne-pain. L'auteur du Pharaon a, en effet, subordonné
toute sa création littéraire «aux intérêts
et aux besoins» de la société (polonaise...),
cherchant les causes de sa décomposition qui a finalement
abouti aux partages. Dans ses analyses, il s'inspirait de la
philosophie de Spencer selon laquelle la condition du développement
harmonieux de la société résidait dans
la solidarité et la collaboration des différentes
couches (classes) sociales (cf. le concept des positivistes
polonais de praca organiczna - «travail organique»
qui reprend la métaphore de la société
associée à un «organisme»). L'absence
de cette harmonie est à l'origine des conflits, la société
perd ainsi toute chance d'évolution favorable et va à
sa perte. Dans le cas de la société polonaise,
le manque d'harmonie entre «les forces et les aspirations»,
ainsi que «l'absence de solidarité» sont
les causes (parmi d'autres...) de sa chute. Il s'agit donc ici
d'une démonstration sociologique basée sur les
relations entre le développement d'une société,
son niveau de connaissances (cf. le concept positiviste
de praca u podstaw - «travail à partir de
la base», autrement dit relèvement intellectuel
d'une société et, dans le roman, la critique de
l'obscurantisme du peuple et apologie du savoir des prêtres)
et même sa situation géographique (influence naturaliste
très vive chez Prus). Le condescendant Hérihor
sait à quoi s'en tenir quant à ses compatriotes
: «Il y va de nos temples, de nos maisons, de nos champs,
de la vie de six millions d'hommes et de femmes, stupides
il est vrai, mais innocents ! (26).»
Ramsès XIII, bluffé par l'éclipse solaire
dont la prévision par les prêtres avait permis
le retournement de la populace ignorante, «comprenait
maintenant que les prêtres disposaient de forces dont
il n'avait pas tenu compte. Ces savants qui observaient le mouvement
des astres, il appréciait maintenant leur science, cette
science qui pouvait changer le cours d'événements
aussi graves que ceux qui se déroulaient en ce moment.»
Quant à Pentuer, le plus social des prêtres, loyal
à pharaon parce qu'opposé à la misère
du peuple, il admet que chacun doit garder sa place dans la
société. «Il n'est accordé qu'à
très peu d'hommes d'avoir ta sagesse, déclare-t-il
à l'astronome Ménès, car si les paysans
passaient leur temps à observer les étoiles et
si les soldats s'occupaient de géométrie, tous
nous mourrions de faim !» (27).
Le roman analyse donc «la maladie de l'organisme»
(société) dont les différentes composantes
(pharaon, clergé, aristocrates, paysannerie...) ne fonctionnent
pas «harmonieusement». La lutte pour le pouvoir,
thème principal du roman, se joue sur le fond de ces
conflits de classe dans lequel la situation misérable
du paysan est mise en exergue - encore une préoccupation
«sociale» de Prus.
L'uvre de Prus, «dont la plus grande partie
décrit le monde contemporain, est imprégnée
de morale et de préoccupations sociales; Prus voulait
transformer en une démocratie un pays encore féodal»,
écrira Gilles Nélod (28),
qui ajoute : «Sous le couvert d'une Egypte antique
destinée à égarer les soupçons de
la censure, [Prus développait] le thème
du progrès inéluctable. (...) Le problème
éternel qui y est évoqué réside
dans le conflit de l'individu et du groupe, de l'idéal
et de la réalité.» Ramsès XIII
échoue dans sa tentative d'imposer des réformes,
sortir le peuple de sa superstition, restaurer l'armée
et l'intégrité du territoire. Abandonné
par ses partisans, il est assassiné, mais «Hérihor,
qui lui succède, devra appliquer les réformes,
car on ne se soustrait pas au rythme de l'évolution.» |
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Pharaon
(Le)
Pharaon (Le) [FR]
Pharaon (Le) [BE]
Pologne, 1965
t.o.Farao
Faraone (Il) [IT]
Pharao [AL]
Prod. : «Kadr» Film Unit - Film Polski
/ Eastmancolor / Dyaliscope / 15.672 pieds - 4.778 m
/ 174' (29)
(DVD : 144')
Fiche technique
Réal. : Jerzy Kawalerowicz; Scén.
: Tadeusz Konwicki & Jerzy Kawalerowicz (d'après
le roman de Boleslaw Prus, Pharaon, 1895); Images
: Jerzy Wójcik; Mont. : Wieslawa Otocka; Prod.
Designer : Jerzy Skrzepinski. - Set Decoration
: Romuald Korczak, Franciszek Trzaskowski, Albin Wejman.
- Costume Design : Maria Czekalska, Andrzej Majewski,
Barbara Ptak, Lidia Rzeszewska. - Makeup Department
: Miroslaw Jakubowski (assistant makeup artist), Irena
Kosecka (assistant makeup artist), Jan Plazewski (assistant
makeup artist), Teresa Tomaszewska (makeup artist).
- Production Management : Ludwik Hager (production
manager). - Second Unit Director or Assistant Director
: Henryk Bielski (assistant director), Andrzej Czekalski
(assistant director), Andrzej Herman (assistant director),
Urszula Orczykowska (assistant director), Mieczyslaw
Waskowski (assistant director), Marian Wróblewski
(assistant director). - Art Department : Longin
Dobrzynski (assistant production designer), Jan Hawrylkiewicz
(assistant production designer), Wojciech Krysztofiak
(assistant production designer), Jerzy Oles (assistant
production designer), Czeslaw Piaskowski (assistant
production designer), Wieslaw Sniadecki (assistant production
designer). - Sound Department : Henryk Klimczak
(sound assistant), Stanislaw Piotrowski (sound), Janusz
Rosól (sound assistant). - Divers : Chadi
Abdel Salam [Shadi Abdelsalam] (consultant), Tadeusz
Dobrzanski (conductor), Eugeniusz Gawrysiak (assistant
camera), Czeslaw Grabowski (assistant camera), Aleksy
Krywsza (assistant camera), Kazimierz Michalowski (consultant),
Arkadiusz Orlowski (production assistant), Alojzy Puk
(production assistant), Aurelia Rut (assistant editor),
Witold Sobocinski (camera operator), Jacek Stachlewski
(assistant camera), Jerzy Wlodarczyk (production assistant),
Zygmunt Wójcik (production assistant), Wieslaw
Zdort (assistant camera); Musique : Adam Walacinski.
Fiche artistique
George [Jerzy] Zelnik (Ramsès XIII &
Lycon [Lydias]) - Barbara Bryl [Barbara Brylska] (Kama)
- Krystyna Mikolajewska (Sarah) - Ewa Krzyzewska (Hébron)
- Piotr Pawlowski [Pawloski] (Herhor [Hérihor],
grand-prêtre d'Amon) - Leszek Herdegen (prophète
Pentuer) - Stanislaw Milski (archiprêtre Mephrès)
- Kazimierz Opalinski (Béroès, prophète
chaldéen) - Mieczyslaw Voit (Sementou [Samentu],
prêtre de Seth) - Alfred Lodzinski (Hiram, prince
phénicien) - Wieslawa Mazurkiewicz (reine-mère
Nikotris [29a])
- Andrzej Girtler (Ramsès XII) - Jerty [Emir]
Buczacki (Thoutmôsis) - Jozef Czerniawski (Mentesouphis
[Mentesufis], prêtre) - Edward Raczkowski (Dagon,
marchand phénicien) - Ryszard Ronczewski (Eunane
[29b])
- Leonard Andrzejewski (Téhenna, commandant des
mercenaires lybiens) - Jerzy Block [Jerzy Blok] (fellah
du canal) - Bohdan Janiszewski (prêtre) - Wiktor
Grotowicz (Nitager, général égyptien)
- Jaroslaw Skulski (Sargon, ambassadeur assyrien) -
Marian Nosek (Rabsun) - Alina Borkowski (danseuse).
Distribution
PL/ Film Polsk
Int/ Atlas Filmverleih G.m.b.H. (Duisburg)
FR/ Festival de Cannes 1966. Puis : S.N.C.
Sorti une première fois en France à l'occasion
du Festival de Cannes, Pharaon devra attendre
1978-1979 pour connaître une diffusion normale
en France et en Belgique
BE/ Toekan Film (Courtrai). Sortie à Bruxelles,
29 janvier 1979.
Reprise chez Progrès-Film (Bruxelles)
Notes
Extérieurs filmés dans le désert
de Kisil-Kim, à 32 km de Boukhara en Ouzbekistan
(juin-octobre 1964) et en Egypte (Temple d'Amon à
Karnak, pyramides de Gizeh et Vallée des Rois).
Studios Lodz (Pologne). Plus de 2.000 figurants (soldats
russes), selon la presse.
En compétition au XXe Festival de Cannes (1966)
et nominé l'année suivante pour l'Oscar
du meilleur film étranger (1967). Prix des lecteurs
de la revue Film.
Vidéographie
DVD : Pharaon, Metropolitan Film & Video
- Seven 7 éd.
DVD 9 - Zone 2 - PAL. Format image : 2.35 - 16/9 compatible
4/3, couleur. Version entièrement restaurée
(P 2004). Durée : 144'.
Langue française (1.0 mono) et polonaise (5.1
Dolby Digital - sous-titres français).
- Chapitrage.
- Bonus : Supplément inédit - Le débat
des Dossiers de l'écran (70') (Antenne
2, été 1980) : «Le Trésor
des Pyramides» d'Armand Jammot, Anne Marie
Lamory et Guy Darbois; réalisateur, Jacques Gérard
Cornu.
Alain Jérôme aborde avec ses prestigieux
invités les grands thèmes de l'Égypte
antique. Invités : Kazimierz Michalowski (égyptologue
polonais, consultant du film - Académie polonaise
des sciences, directeur du Centre d'archéologie
méditerranéenne [Varsovie-Le Caire]),
Mme Zakeya Topozada (maître-assistant d'histoire
pharaonique à la Faculté des lettres de
l'Université d'Ain Shams), Dr Ramadan El Sayed
(prof. adjoint d'histoire pharaonique à la Faculté
des lettres de l'Université du Minia), François
Daumas (prof. à l'Univ. de Montpellier) et Jean
Yoyotte (dir. d'études à l'E.P.H.E.).
Le film est présenté dans une version
144', c'est-à-dire plus longue de 11' par rapport
à la version initialement diffusée dans
les salles, en France. Les séquences réintégrées
sont donc en version originale sous-titrée, le
doublage en français n'ayant jamais été
fait.
Le support film ayant subi les aléas du temps,
Seven Sept décida d'investir dans une restauration
d'envergure tant au niveau du son que de l'image : élimination
des rayures verticales, des poinçons, des éclats
de gélatine, des collures et des taches.
Ce travail fut réalisé par la société
Vectracom, spécialisée dans la restauration
d'images d'archives, qui pour la circonstance inaugura
sa nouvelle machine «Archangel», qui fit
des miracles tout en respectant un étalonnage
d'origine de grande qualité. Parmi les bonus
du DVD il y a un court reportage sur ce procédé.
Bibliographie
Boleslaw Prus [= Alexander Glowacki], Le Pharaon
(trad. Jean Nittman), Bibliothèque Marabout,
coll. «Géant», nŽ G 96, 1959 (rééd.
dans les années '60 avec couv. d'après
le film); rééd. Olivier Orban, 1983 et
L'Atalante, 1998.
Unique roman historique (?) de Prus, Le Pharaon
a été d'abord publié en feuilleton
dans la revue Tygodnik powszechny, entre 1895
et 1896; la première édition en librairie
en 1897. |
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(Fin de la XXe Dyn. [1085 av. n.E.])
Au cours d'un exercice militaire dans le Delta du Nil,
le jeune prince Ramsès doit dérouter son armée
à cause de deux scarabées sacrés en travers
du chemin. Sur ce chapitre, les prêtres d'Amon qui l'accompagnent
sont intrasigeants. Ils sont conduits par Hérihor,
le conseiller royal. Pour pouvoir passer, l'armée doit
combler un canal d'irrigation qu'un pauvre fellah avait passé
sa vie entière à creuser. Par ce travail, l'esclave
espérait racheter sa liberté. De désespoir
le misérable se pend, mais seul le jeune prêtre
Pentuer - ami de Ramsès -, en éprouvera quelque
tristesse. C'est que, lui-même issu de la classe populaire,
Pentuer ne voit pas les choses sous le même angle que
les hautains aristocrates qui entourent son ami, le prince
héritier, à qui il s'efforce d'ouvrir les yeux
sur la misère de son peuple. En route, Ramsès
rencontre la belle juive Sarah. Séduit par sa beauté,
il la prend avec lui pour en faire sa maîtresse.
Toutefois, malgré de succès de sa manuvre
contre le grand général Nitager, Ramsès
est déçu dans son ambition de devenir le commandant
en chef des armées impériales et ne reçoit
de son père, le vieux pharaon Ramsès XII, qu'un
seul régiment à commander au lieu de l'armée
entière.
Sur ces entrefaites arrive d'Assyrie un messager secret,
Beroès. Dans le temple d'Amon, celui-ci rencontre les
prêtres Hérihor, Pentuer, Mephrès et Mentesouphis.
L'envoyé des Assyriens contraint ces derniers à
sceller un traité de paix, en vertu duquel l'Egypte
conservera la domination du Royaume de Juda, mais devra renoncer
à toute revendication sur la Phénicie.
Craignant de voir son peuple tomber sous la domination assyrienne,
le Phénicien Hiram se met en rapport avec le prince
Ramsès pour l'inciter à faire la guerre aux
Assyriens, solution vers laquelle le jeune prince penche déjà.
Avec l'aide de Kama, une séduisante danseuse et prêtresse
du temple d'Astoreth, les Phéniciens s'efforcent de
l'influencer. De plus en plus attiré par Kama, Ramsès
se détourne de Sarah. Un matin, lorsqu'il revient d'une
visite nocturne au temple d'Astoreth, ayant appris que sa
concubine juive lui a donné un fils, il désire
le faire reconnaître comme son futur héritier.
Plus tard, il est informé par Kama que sur l'ordre
du grand prêtre Hérihor, le garçon a été
baptisé selon la religion juive. Son fils se nomme
Isaac et non Séti. En fait, le dessein du grand-prêtre
était de donner pour roi aux Israélites - qui
en demandaient un - un fils de l'héritier de pharaon,
à moitié égyptien, à moitié
juif.
Furieux d'avoir été manipulé par Hérihor,
Ramsès envoie Sarah et son fils en esclavage. Il tombe
alors complètement sous l'influence ensorcelante de
Kama et essaie de noyer son remords dans des orgies effrénées,
ou à la tête de son armée. Heureusement,
il peut compter sur l'amitié désintéressée
d'Hébron, la fiancée de son fidèle ami
Thoutmôsis - secrètement amoureuse de lui.
Mécontents d'être libérés du
service en raison du manque d'or, les mercenaires libyens
se révoltent et s'en prennent au peuple égyptien,
volant, saccageant et pillant. Ils sont conduits par Téhenna,
son ex-fidèle lieutenant. Le prince est chargé
par son père d'étouffer la rébellion,
ce qu'il réussit à faire brillamment et rapidement.
Au moment où il reçoit l'hommage des rebelles
vaincus, un messager arrive avec la nouvelle que Kama s'est
enfuie avec Lycon, un grec élève des prêtres,
sosie du jeune Ramsès (30).
Avant de partir, le Grec a sauvagement assassiné Sarah
et son enfant.
Le vieux Pharaon Ramsès XII meurt, et est enterré
en grande pompe. Le jeune prince lui succède sur le
trône, sous le nom de Ramsès XIII. Il entre alors
ouvertement en violent conflit avec les prêtres. Ainsi,
pour le plus grand mécontentement d'Hérihor
et du clergé d'Amon, il humilie publiquement l'ambassadeur
assyrien Sargon, cousin du roi Assar, et le prêtre Isdubar.
Hélas, il ne possède pas l'or nécessaire
à l'accomplissement de ses plans de restauration nationale.
Le trésor de l'Etat a été complètement
mis à sec par la coûteuse répression de
la rébellion, ainsi que par les vastes dépenses
de la cour. Toutefois, les prêtres d'Amon ont, au cours
des années, amassé d'immenses trésors
d'or dans un labyrinthe secret du temple...
Le Pharaon demande cet or aux prêtres. Ceux-ci refusent
en lui répondant que l'or est destiné à
venir au secours de l'Egypte dans des heures de péril
extrême. Ce moment n'est pas encore venu. Ramsès
essaie, par un Conseil d'Etat, d'obtenir légalement
possession de l'or. Cette tentative échoue également,
du fait de l'opposition du clergé.
Ramsès décide de recourir à la force
et projette de s'emparer de la personne des prêtres
et de les accuser de haute trahison. L'armée, qui lui
est restée loyale, devra occuper simultanément
le temple et le labyrinthe. Son allié Sementu, prêtre
de Seth, le dieu du Mal, et ami des Phéniciens, est
découvert dans le labyrinthe par les prêtres
d'Amon, qui le mettent à mort.
La conspiration est découverte et déjouée
par Hérihor, qui entrevoit une manière de se
gagner les masses superstitieuses, en mettant à profit
une éclipse du soleil, dont seuls les prêtres
connaissaient la date et l'heure précise. «Osiris,
déclare-t-il, montrera sa face au peuple d'Egypte.»
«Je condamne à jamais ce peuple maudit...
et je le condamne aux ténèbres éternelles»,
proclame une voix caverneuse, issue des entrailles du temple.
Artifice de prêtre.
Venu avec des gardes arrêter Hérihor, Thoutmôsis
est transpercé par la lance d'un de ses soldats, Eunane,
resté fidèle au clergé d'Amon. Au même
moment, Ramsès XIII est assassiné par Lycon,
son sosie.
En dehors du temple, l'armée attend fidèlement
son Pharaon, qui ne viendra plus...
|
|
«La réalisation
de Pharaon est une adaptation ascétique
du roman de Boleslaw Prus, elle est concentrée
sur le conflit entre deux options politiques : la rationnelle
- celle des prêtres; et la romantique - celle du
jeune Pharaon.» |
Tadeusz
Lubelski, Film Long Métrage, Encyclopedie
de la culture polonaise XXe. Film, Cinématographie
|
«Dans le film, l'accent
est surtout mis sur la lutte entre Ramsès XIII
voulant réformer le pays et le prêtre Herhor.
C'est aussi l'histoire de l'amitié entre le Pharaon
et le prêtre Pentuer, de l'amour pour la belle fille
juive, Sarah et pour la prêtresse Kama, l'histoire
d'un traité secret avec l'ennemi, d'une éclipse
de soleil et de l'assassinat de Ramsès XIII par
son sosie. Le Pharaon a son armée, mais n'a pas
d'argent, les prêtres ont des richesses, mais n'ont
pas de soldats. Celui qui aura l'un et l'autre détiendra
le pouvoir absolu. Ramsès a raison en voulant créer
un État puissant et fort qui, soutenu par l'armée,
pourrait se défendre contre les envahisseurs. Les
prêtres ont aussi raison. Il veulent gagner la paix
par des traités et renforcer l'économie
du pays. Cette lutte reste irrésolue. Personne
n'en sort vainqueur.» |
Malgorzata
Hendrykowska, Chronique de la Cinématographie
Polonaise, Poznan, 1999
|
«Le film souffre
tout de même de certains défauts : les combats
ne semblent pas très réalistes (surtout
celui contre les Libyens), certains acteurs secondaires
ne semblent pas toujours très convaincants. Le
réalisateur profite également de ce film
pour essayer de faire passer un message anticlérical,
un peu trop proche de l'idéologie polonaise de
son époque. Pharaon reste tout de même
un bon film, avec une intrigue complexe et bien ficelée.
Ce film référence sur l'histoire égyptienne
mérite d'être vu, ne serait-ce que pour son
apport culture.» |
Jean-Luc
Richter
|
«Les décors,
les costumes, les maquillages (on oublie très vite
que les acteurs sont en réalité polonais)
ne prennent jamais le dessus sur l'histoire sans pour
autant passer au second plan. La réussite du film
tient à ce parfait équilibre entre fond
et forme. A son refus de tout manichéisme aussi.
Le héros (le prince qui deviendra Pharaon en cours
de film) est une tête brûlée dont les
intentions ne nous paraissent pas toujours très
justifiées. Les Grands-Prêtres eux-mêmes
sont loin de former un bloc de «méchants»
monolithique... Et il est vrai qu'on ne peut s'empêcher
de penser à Shakespeare (toujours très populaire
en Pologne). Probable également qu'à l'époque
de sa réalisation le film faisait écho à
la situation politique polonaise d'alors (Pré-Solidarnosc).» |
Philippe
Serve
|
«(...) Rien de schématique
n'altère la plénitude de l'uvre, caractères,
situations gardent leur complexité, et par là
même, une certaine universalité. Alors que
la reconstitution historique, les décors témoignent
d'un soin scrupuleux, et aboutissent à une uvre
d'une très grande perfection formelle. Couleurs
du désert, mouvements de troupes, de la foule,
intérieurs des palais, grimage des acteurs qui
semblent poudrés de cendre atteignent souvent une
harmonie saisissante.
Mais, peut-être, justement cette magnificence formelle,
peut-être aussi la complexité du sujet, des
héros, engendre une certaine fatigue, une certaine
confusion dans l'esprit du spectateur. On hésite
à reprocher au réalisateur son intelligence
ou son sens très sûr de la beauté
formelle, alors qu'un sournois combat semble se livrer
entre les deux. On ne sait s'il fallait souhaiter une
uvre plus longue encore qui eut permis une certaine
adaptation du spectateur, ou une uvre plus resserrée
dont l'harmonie eût été moins noble,
plus rapide ?» |
J.L., Saison cin. 1965 (31)
|
«Plus réussi
que les supeproductions italo-américaines, mais
d'un statisme frisant la monotonie. Mais, de plus, tous
ce déploiement de décors et de figurants
a des prétentions intellectuelles et morales; là,
le ridicule n'est pas loin.» |
Michel Perrot (32)
|
Le dernier combat d'une
grande dynastie (Sélim Sasson enthousiasmé
par «Pharaon»)
«Pour Hollywood, l'Antiquité, c'était
de la pacotille. Pour une course de chars palpitante,
tout le reste ne fut que déceptions cinéphiliques.
Même la Cléopâtre de Mankiewicz,
malgré de très beaux moments et un effort
certain vers la qualité du scénario, ne
parvint pas à nous apporter le grand repas gastronomique
auquel, nous, les gloutons optiques, aspirions si ardemment.
Qui aurait cru qu'un jour, ce serait le cinéma
polonais qui nous apporterait ce régal dont nous
pressentions depuis toujours pourtant qu'il appartenait
au domaine du possible ? Mais Jerzy Kawalerowicz a adopté
pratiquement la position inverse de ses illustres prédécesseurs
: au lieu de l'Egypte grandiose des bâtisseurs et
des conquérants, celle de la XXe dynastie, de ces
Ramsès de la décadence qui ont encore la
pompe mais non la puissance véritable; au lieu
du démarrage traditionnel sur un plan général
de foule, un début à ras de terre, presqu'au
microscope, sur un duel de scarabées. A partir
de ce combat d'insectes, tout est dit. Les prêtres
décrètent que l'armée commandée
par le fils du pharaon, pour ne pas écraser les
coléoptères sacrés, devra changer
sa route. (...) Le cinéma est spectacle
et il le fut souvent. Rares, beaucoup plus rares furent
les occasions où il y ajouta l'intelligence.» |
Selim Sasson (33)
|
«Projeté au
Festival de Cannes, ce film fut réalisé
en 1966, à l'époque où la cinématographie
polonaise produisait des films à grand spectacle.
D'une indéniable splendeur visuelle, alternant
de fausses scènes de bataille dans le désert,
des intrigues de palais et des scènes d'alcôves
parfois audacieuses, à l'érotisme esthétisant,
il se différencie des films hollywoodiens par sa
volonté de ne rien sacrifier au débat intellectuel
qui le sous-tend.» |
Le Monde, 23 Avril 2004
|
Le décor égyptien
«Le cinéaste polonais Jerzy Kawalerowicz
dans son Pharaon évoque le palais par un
long travelling à travers une série
de portes richement ornées ouvrant sur une série
de colonnades papyriformes directement inspirée
des temples égyptiens.
(...) La séquence du pylône dans
Pharaon est traitée sobrement : murs des môles
en gros appareil sans décor, précédé
par deux colosses assis portant némès à
la musculature traitée en à plat; mats à
oriflamme.» |
Jean-Luc Bovot (34)
|
|
|
VI. Le réalisateur
: Jerzy Kawalerowicz
Né le 19 janvier 1922 à Gwozdziec (Pologne),
aujourd'hui Gvozdets, en Ukraine.
Etudes au collège de Stanislawowo et à Cracovie.
Dans les années 1946-49, Jerzy
Kawalerowicz étudie à l'Académie
des Beaux-Arts et à l'Institut du Film.
Comme assistant, il participe ensuite à la réalisation
des premiers films polonais de l'après-guerre, dont
Zakazanych piosenek (1946) et Ostatniego etapu
(1947). Passe à la réalisation en 1951, avec
Le moulin du village / Gromada qui est primé
au MFF à Karlowe Vary. Ce succès lui permet
d'embrayer rapidement d'autres films comme Une nuit de
souvenirs (1953) et sa suite Sous l'étoile phrygienne
(1954)...
L'Ombre (1956) et, surtout, Train de nuit (1959),
révèlent en France son talent pour l'introspection
psychologique. Son uvre la plus importante demeure cependant
Mère Jeanne des Anges (1961), inspirée
de l'affaire des possédées de Loudun, qui obtint
le prix spécial du jury au festival de Cannes. La célèbre
affaire des «possédés» qui aboutit
à la condamnation de l'abbé Urbain Grandier
en 1634, et qui inspirera dix ans plus tard Ken Russel (Les
Diables, 1971), était située dans la Pologne
orientale, dans un couvent de religieuses confrontée
à un inquisiteur pour le plus grand bien de leurs âmes.
«Je voulais aborder avec ce film la nature humaine,
celle qui résiste aux limites et aux dogmes»,
déclarera Kawalerowicz. Entre l'amour religieux et
l'amour charnel, le cinéaste montrait du doigt les
deux puissances qui se partageaient alors le pays : l'ordre
ecclésiastique et le pouvoir politique.
«La richesse de sa culture, son sens profond de
l'analyse psychologique et de l'atmosphère dramatique,
en font l'un des plus importants réalisateurs polonais
de sa génération» (35).
Kawalerowicz est une figure emblématique de la génération
qui, ayant vécu la guerre et la déstalinisation,
voulait régler ses comptes avec le passé et
aussi le présent, et la crise d'identité culturelle.
Outre Pharaon (1966), la Mort du président
(1977), Rencontres occasionnelles sur l'Atlantique
(1980) et l'Auberge du vieux Tag (1984) figurent également
parmi les uvres les plus connues d'un cinéaste
qui compte désormais - avec Muniek et Wajda - parmi
les références incontournables du cinéma
polonais. Son Quo Vadis
? (2001), tourné pour la télévision
polonaise, fut néanmoins un flop commercial.
Signalons encore une très belle coproduction franco-polonaise,
L'otage de l'Europe / Jeniec Europy (1989), tirée
du roman de Juliusz Dankowski, racontant les derniers jours
de l'empereur Napoléon Ier à Sainte-Hélène
(avec Roland Blanche dans le rôle de Napoléon
Bonaparte et Vernon Dobtcheff dans celui d'Hudson Lowe).
|
|
VII. Filmographie de J. Kawalerowicz
|
1. Réalisateur
Quo Vadis ?
(2001) [et scénariste]
Za co ? / Why ? (1996) [et scénariste]
Bronsteins Kinder / Bronstein's Children (1991) [et scénariste]
Jeniec Europy / L'Otage de l'Europe / The Hostage of Europe
(Pologne - France) (1989) [et scénariste]
Austeria / The Inn / L'Auberge du vieux Tag (1983) [et
scénariste]
Spotkanie na Atlantyku / Chance Meeting on the Atlantic /
Rencontres occasionnelles sur l'Atlantique (1980) [et scénariste]
Smierc prezydenta / Death of a President / Mort du président
(1978) [et scénariste]
Maddalena (1971) [et scénariste]
Gra / The Game / Le Jeu (1968) [et scénariste]
Faraon / Pharaoh (1966) [et scénariste]
Matka Joanna od Aniolów / The Devil and the Nun /
Joan of the Angels / Mère Jeanne des Anges / Mother Joan
of the Angels (1961) [et scénariste]
Pociag / Baltic Express / Night Train / Train de nuit
(1959) [et scénariste]
Prawdziwy koniec wielkiej wojny / Real End of the Great War
(1957) [et scénariste]
Cien / Shadow / L'Ombre (1956)
Celuloza / Celullose [EU] / Une nuit de souvenirs (1954)
[et scénariste]
Pod gwiazda frygijska / Under the Phrygian Star / Sous l'étoile
phrygienne (1954) [et scénariste]
Gromada / The Village Mill / Le moulin du village (1952),
coréal. Kazimierz Sumerski [et scénariste] |
2. Assistant réalisateur
Czarci zleb / Devil's Ravine (1950)
Stalowe serca / The Steel Hearts (1948) |
3. Acteur
Czarci zleb / Devil's Ravine (1950) (J.K. : non crédité)
Stalowe serca / The Steel Hearts (1948) (J.K. : officier
allemand) |
NOTES :
(1) Cf. Henry
Laurens, Charles C. Gillispie, Jean-Claude Golvin & Claude
Traunecker, L'expédition d'Egypte (1798-1801),
Armand Collin, 1989. A propos de l'implantation franco-britannique
qui s'ensuivit : Gilbert Sinoué, Le dernier pharaon.
Méhémet-Ali (1770-1849), Pygmalion-Gérard
Watelet, 1997. - Retour texte
(2) Paris, 1809 (1ère
éd.), 1823 (2e éd.), 24 vols : 1-5 Antiquités
descriptions et 6-10 Antiquités mémoires (les
quatorze suivants étant consacrés à l'Egypte
moderne, ses faune, flore et minéraux).
Rassemblées en un seul gros volume, les magnifiques planches
«Antiquité» ont été rééditées
voici une dizaine d'années : Description de l'Egypte
ou Recueil des observations et des recherches qui ont été
faites en Egypte pendant l'expédition de l'Armée
française, publié sous les ordres de Napoléon
Bonaparte (préf. Sydney H. Aufère), Mame,
coll. «Bibliothèque de l'image», 1993. L'intégrale
des planches (mais en format réduit) en un seul volume
également chez Taschen, 1995, rééd. 2002.
- Retour texte
(2a) Cf.
Jean CHATELAIN, Dominique Vivant Denon et le Louvre de Napoléon,
Perrin, 1973, rééd. 1999. - Retour
texte
(3) Cf. L'Egypte au
regard de J.-J. Rifaud (1786-1852). Lithographies conservées
dans les collections de la Société royale d'Archéologie,
d'Histoire et de Folklore de Nivelles et du Brabant wallon,
Société royale d'Archéologie, d'Histoire
et de Folklore de Nivelles et du Brabant wallon éd.,
1998, 215 p.
Les planches de Rifaud furent publiées en fascicules
à partir de 1830, et leur parution s'échelonna
sur vingt ans.- Retour texte
(4) Maxime Du Camp, Egypte,
Nubie, Palestine et Syrie, dessins photographiques, recueillis
pendant les années 1849, 1850 et 1851, et accompagnés
d'un texte explicatif, Paris, Gide et Baudry éd.,
1852, 2 vols, 125 pl. - Retour texte
(5) Emile Prisse d'Avennes
& P. Marchandon de la Faye, Histoire de l'art égyptien
d'après les monuments depuis les temps les plus reculés
jusqu'à la domination romaine, Paris, A. Bertrand
éd., 1878-1879, 2 vols, 159 pl. - Retour
texte
(6) Cf. Elisabeth
David, Mariette Pacha (1821-1881), Pygmalion-Gérard
Watelet.- Retour texte
(7) Cf. Elisabeth
David, Gaston Maspero (1846-1916). Le gentleman égyptologue,
Pygmalion-Gérard Watelet, 1999.- Retour
texte
(8) Théophile
Gautier, «Une nuit de Cléopâtre» [conte],
1838, «Le pied de la momie» [conte], 1838-40 et
Le roman de la Momie, 1858. - Retour
texte
(9) En fait, ce roman
est plus ancien : 1898 est la date de la première parution
française, en feuilleton (Pharos l'Egyptien, NéO
Plus, nŽ 12, 1987). - Retour texte
(10) Cf. Germanicus
César visitant l'Egypte au début du Ier s. de
n.E., qui rencontra un vieux prêtre qui se déclara
être le dernier encore capable de déchiffrer les
hiéroglyphes. - Retour texte
(11) L'égyptomanie
a la vie dure de nos jours encore, comme en témoignent
Roger Caratini (L'Egyptomanie, une imposture, Albin Michel,
2002) et Renan Pollès (La Momie, de Khéops
à Hollywood. Généalogie d'un mythe,
Les Editions de l'Amateur, 2001), Jean-Marcel Humbert, L'égyptomanie
dans l'art occidental, ACR Edition, 1989 et Egyptomania.
L'Egypte dans l'art occidental (1730-1930), catalogue de
l'expositon au Musée du Louvre, Paris, Réunion
des Musées Nationaux & Musée des beaux-arts
du Canada/National Gallery of Canada, 1994.- Retour
texte
(12) De Misr, nom arabe
de l'Egypte. - Retour texte
(13) Bonus du DVD Metropolitan
- Seven Sept. - Retour texte
(14) Anonyme [Abbé
Jean Terrasson], Sethos, Histoire ou Vie, tirée des
Monuments, anecdotes de l'ancienne Egypte, 1731. - Retour
texte
(15) Jacques Chailley,
La flûte enchantée - opéra maçonnique
(1968), Robert Laffont, coll. «Diapason», rééd.
1983. - Retour texte
(16) M. de Lantier,
Voyages d'Anténor, Bruxelles, Aug. Wahlen éd.,
1798, 3 vols. Cf. Michel Dubuisson, «Les voyages
d'Anténor ou l'Anacharsis des boudoirs», Les
cahiers des paralittératures, nŽ 4 («Sade,
Rétif de la Bretonne et les formes du roman pendant la
Révolution française»), Liège, C.L.P.C.F.,
1992, pp. 143-156. - Retour texte
(17) Quo Vadis ?
fut prépublié dans la Gazetta Polska (Varsovie)
de 1894 à 1897. - Retour texte
(18) Historiquement,
Israël a toujours été revendiquée
par les pharaons comme un Etat-tampon sur sa frontière
septentrionale. Mais dans Le Pharaon, cette offre est
clairement sous-entendue comme un marché de dupes pour
l'Egypte. - Retour texte
(19) VF du film de Kawalerowicz,
repris en préambule du menu DVD Métropolitan -
Seven Sept. - Retour texte
(20) Cf. Cyril
Aldred, Akhénaton, le pharaon mystique, Tallandier,
1973; en particulier, sur l'interprétation historique/romantique,
cf. pp. 256-259. - Retour texte
(21) Ainsi que le rappelait
un intervenant au débat Antenne 2 (voir DVD Metropolitan
- Seven Sept). - Retour texte
(22) Hérihor
prit le pouvoir à la mort de Ramsès XI (le dernier
du nom). Maître effectif de la Haute-Egypte et de la Nubie,
il semble qu'il ait tranquillement attendu le décès
de l'ultime Ramesside pour réunir les deux couronnes
sur son front, ouvrant la Troisième période intermédiaire
(1085-715).
Les Assyriens, quant à eux, constituèrent une
menace pour l'Egypte dès l'époque de Ramsès
II (1298-1232), après qu'ils eussent secoué le
joug du Mitanni, dont ils étaient les vassaux (le traité
égypto-hittite était dirigé contre eux).
Mais les deux puissances n'entrèrent réellement
en conflit qu'au VIIIe s. (XXIVe-XXVe Dyn. : Assarhaddon envahit
le Delta et pille Thèbes en 671). - Retour
texte
(23) En fait, en 1830,
les Russes avaient voulu lever des troupes polonaises pour les
envoyer au secours du roi des Pays-Bas mater la révolte
belge. Refusant la conscription, les Polonais s'étaient
révoltés contre la puissance impériale.
- Retour texte
(24) C'était
l'époque où les ferments nationalistes travaillaient
l'Italie, menaçant l'existence des Etats pontificaux.
Contre le révolutionnaire Giuseppe Manzini, Grégoire
XVI avait appelé à son secours les Autrichiens
(1831), et aussi le roi de France (occupation d'Ancône,
1832). La prise de position du pape contre les Polonais amena
la rupture avec le dominicain libéral Lamennais (encyclique
Mirari
vos, 15 août 1832).
Sur le pontificat de Grégoire XVI, on se reportera à
la notice de Philippe Boutry, in Philippe Levillain (sous la
dir.), Dictionnaire Historique de la Papauté,
Fayard, 1994. Sur la question de Grégoire XVI, de Lamennais
et de la Pologne, on se référera utilement à
l'Encyclopædia
Universalis et à Daniel-Rops, L'Eglise des
Révolutions, Arthème Fayard, 1960. - Retour
texte
(25) Remerciements à
Kinga Joucaviel à qui ces quelques lignes sur B. Prus
doivent beaucoup. - Retour texte
(26) C'est nous qui
soulignons. Hérihor est opposé au percement d'un
canal reliant la Méditerranée à la mer
Rouge, prétendant que la mer submergerait l'Egypte (en
fait, il s'agit de contrer une initiative phénicienne
- les prêtres caressant le même projet dont ils
veulent garder le bénéfice). Le canal de Suez
par Ferdinand de Lesseps avait été inauguré
vingt ans plus tôt, en 1869. - Retour
texte
(27) Il paraît
douteux que les Egyptiens eussent été capables
de prévoir des éclipses solaires mille ans avant
notre ère. L'égyptomanie leur a souvent prêté
plus de connaissances qu'ils n'en avaient réellement;
il semble que dans le domaine de l'astronomie les Babyloniens
étaient bien plus avancés qu'eux. - Retour
texte
(28) G. Nélod,
Panorama du roman historique, Paris-Bruxelles, Sodi,
1969. - Retour texte
(29) Durée originale,
selon le press-book allemand Atlas Filmverleih GmbH.
Spectacular indiquait 144' (soit la durée de la
version restaurée du DVD Metropolitan) tandis que La
saison cinématographique 1965 (pp. 147-148) indiquait
170'. La version diffusée par la télévision
française en 1980, lors d'un débat «Dossiers
de l'écran», tournait aux alentours de 90' : la
totalité des séquences (sentimentales) relatives
à Sarah ayant été gommées, sauf
une seule. Certes le film y gagnait en densité, n'empêche
que ces mutilations restent très regrettables surtout
lorsqu'elles n'ont pas été voulues par le réalisateur.
- Retour texte
(29a)
On trouve parfois «Nikrotis» - Retour
texte
(29b)
Le soldat resté fidèle aux prêtres, qui
assassine Thoutmôsis venu procéder à l'arrestation
d'Hérihor. Le film s'ouvre sur son visage, lorsqu'il
vient rendre compte aux prêtres et à Ramsès
qu'il y a des scarabées sacrés sur la route. -
Retour texte
(30) Ramsès Ier
avait deux sosies, morts à sa place, nous apprend le
film. - Retour texte
(31) J.L., Saison
cin. 1965, pp. 147-148. - Retour texte
(32) M. Perrot, Midi-Minuit
Fantastique, nŽ 15-16, janvier 1967, p. 21. - Retour
texte
(33) S. Sasson, Belgique
numéro 1 (Bruxelles), 25 janvier 1979. - Retour
texte
(34) J.-L. Bovot, «Le
décor des films égyptiens, ou l'art d'évoquer
les Pharaons», Egyptes (Avignon), nŽ 2, 1993. -
Retour texte
(35) Le cinéma,
Alpha, nŽ 135, p. 173. - Retour texte |
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