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Le Signe de la Croix

(Cecil B. DeMille - EU, 1932)

 

En 1895, Henryk Sienkiewicz céda à l'acteur et dramaturge britannique Wilson Barret le droit d'exclusivité mondiale (sauf l'Italie) pour l'adaptation théâtrale de son roman Quo Vadis ? : ce fut Le Signe de la Croix (1). L'intrigue du roman fut simplifiée et les noms de certains personnages changés; ainsi Lygia devint Mercia, Marcus Vinicius Marcus Superbus, tandis qu'Ursus passait - semble-t-il (2) - aux oubliettes (paradoxalement, ce dernier allait sous les traits de Bruto Castellani conquérir la gloire dans les versions cinématographiques de Quo Vadis ? 1912 et 1924, avant de devenir un personnage indépendant dans les années 1960). Le Signe de la Croix fut trois fois porté à l'écran. La première fois en 1904, dans une production familliale anglaise de Haggar & Sons, réalisée par William Haggar, avec Will Haggar jr (Marcus Superbus), Jenny Linden (Mercia) et James Haggar (Néron). Dix ans plus tard, peut-être en réplique au succès du Quo Vadis ? de Guazzoni, le producteur américain Famous Players, dont le nom fut si souvent associé à celui de Cecil B. DeMille, confiera à Frederick Thomson la réalisation d'un remake, Sign of the Cross (1914), avec William Farnum (Marcus Superbus), Madge Evans (Mercia), Sheridan Block (Néron) et Lila Barclay (Poppée). Avec l'avènement du parlant, Cecil B. DeMille produit et réalise pour Paramount une troisième version en 1932 (voir ci-après).

Un quatrième film, l'italo-espagnol Sous le signe de la Croix, tourné en 1956, n'a par contre rien à voir avec l'histoire qui nous intéresse ici. L'action se passe à Tarse de Cilicie, en 120, sous le règne d'Hadrien, et met en scène deux jeunes esclaves carthaginoises, comme le rappelle le titre alternatif Les esclaves de Carthage (Le schiave di Carthagine, Guido Brignone - avec Gianna Maria Canale).

signe de la croix
 

Le Signe de la Croix
Signe de la Croix (Le) [FR]
Signe de la Croix (Le) [BE] / Teken des Kruises (Het) [VL]
Etats-Unis, 1932
Sign of the Cross (The) («the screen's greatest drama of heroic faith and inspiring spectacle»)
Sign of the Cross (The) [EU]
Im Zeichen des Kreuzes [AL]

Prod. : Paramount (Cecil B. DeMille) / N&B / 14 bobines / 140'

Fiche technique
Réal. : Cecil B. DEMILLE; Scén. : Waldemar YOUNG & Sidney BUCHMAN (d'après le drame de Wilson BARRETT, 1895); Images : Karl STRUSS; Mont. : Anne BAUCHENS; Dir. art. & Cost. : Mitchell LEISEN; Musique : Rudolph KOPP.

Fiche artistique
Charles LAUGHTON (Néron) - Claudette COLBERT (Poppée) - Fredric MARCH (Marcus Superbus) - Elissa LANDI (Mercia) - Ian KEITH (Tigellin) - Vivian TOBIN (Dacia) - Joyzelle JOYNER (Ancaria) - Harry BERESFORD (Favius) - Arthur HOHL (Titus) - Ferdinand GOTTSCHALK (Glabrio) - Tommy [Thomy] CONLON (Etienne) - Nat PENDLETON (Strabo) - William V. MONG (Licinius) - Harold HEALY (Tyros) - Clarence BURTON (Servilius) - Robert ALEXANDER (Viturius) - Robert MANNING (Philodème) - Joe BONOMO (géant) - Lillian LEIGHTON - Otto LEDERER - Lane CHANDLER - Wilfred LUCAS - Jerome STORM - Florence TURNER - Gertrude NORMAN - Horace B. CARPENTER - Carol HOLLOWAY - Ynez SEABURY.

DISTRIBUTION
EU/Paramount Publix Corp. (sortie, 3 décembre 1932)
BE/Paramount
Copies disponibles :
-George Eastman House Motion Picture Department (Rochester)

BIBLIOGRAPHIE
RINGGOLD, Gene & DeWITT BODEEN, The Films of Cecil B. DeMille, New York, The Citadel Press, 1969, pp. 278-283.

SCÉNARIO
Depuis trois jours, Rome est en feu. Tandis que les flammes s'élèvent des différents points de la ville et jettent vers le ciel d'immenses lueurs rougeoyantes, du haut du palais impérial, face à l'immense brasier qui constitue la cité, Néron, tout à l'ivresse du spectacle, compose un poème. Cependant, aux cris d'horreur qui se font entendre à travers les rues, des cris de révolte et de haine se mêlent. Une rumeur indignée s'échappe de la foule : l'incendie a été allumé par des mains criminelles. Il faut que le ou les coupables soient châtiés. Le capitaine des gardes Tigellinus se fait auprès de l'empereur l'écho de ces bruits menaçants et convainc son maître d'attribuer aux chrétiens la responsabilité du forfait. Aussitôt, le peuple de Rome crie vengeance et commence à pourchasser impitoyablement tous les adeptes du christianisme, s'attachant à leurs pas, les dépistant d'après les signes de croix qu'ils tracent à terre, multipliant les exécutions, lapidant les suspects ou les livrant à la police.

C'est ainsi que deux philosophes, Favius, qui habite Rome, et Titus, qui vient de Jérusalem où il a été chargé par l'apôtre Paul de répandre en Espagne et en Afrique la sainte parole, sont assaillis un jour par la multitude. Leur sort serait gravement menacé, ainsi que celui de la jeune et belle chrétienne Marcia, qui intervient pour les protéger, si ne surgissait sur la place, escorté de sa garde équestre, le jeune préfet de Rome, Marcus Superbus, qui a tôt fait de disperser la foule et de protéger le départ des deux vieillards et de la jeune fille, non sans s'être inquiété de l'endroit où il pourra retrouver cette dernière. Effectivement, quelques heures plus tard, sans apparat, il la rejoint à la fontaine où elle va puiser de l'eau et échange avec elle quelques paroles simples et tendres.

Cependant, deux personnes ont déjà été informées de l'attitude étrange du préfet. L'impératrice Poppée, qui s'est éprise du jeune seigneur, l'a appris de sa suivante Dacia. Quant à Néron, il a été alerté par Tigellinus qui, jaloux de Marcus et désireux de le supplanter dans la faveur de l'empereur, déploie son zèle dans la destruction des chrétiens et vient d'obtenir, de la main même de César, un ordre général d'extermination qu'il apporte en personne, au préfet, alors que celui-ci aide à la fontaine la jeune chrétienne.
Tigellinus, désireux de connaître le lieu où les chrétiens se réunissent en secret, se saisit d'Etienne, un jeune garçon d'une quinzaine d'années - dont les parents, comme ceux de Marcia avec laquelle il vit auprès du philosophe Favius, furent tués autrefois. En le soumettant à d'effroyables tortures, le capitaine obtient de l'enfant le renseignement tant convoité. Marcus, qui s'est rendu chez Favius pour y emmener Marcia qu'il veut soustraire aux dangers dont sont menacés les chrétiens, apprend la nouvelle et se précipite vers le Pont de Cestie, où Tigellinus s'est rendu avec ses hommes pour tuer les fidèles. Mais, en cours de route, le préfet est retardé par Poppée dont il a malencontreusement bousculé la litière; elle insiste pour qu'il lui rende visite. Impatient, celui-ci s'esquive et arrive au lieu de la réunion, alors que la moitié des chrétiens a déjà été massacrée par les soldats de Tigellinus.

Marcia, capturée avec ses coreligionnaires, est menée en prison pour être livrée aux fauves. Mais, par les soins de Marcus, elle est enlevée et conduite au palais du préfet, où celui-ci a réuni ses amis pour une fête somptueuse qui dégénère bientôt en orgie. Marcia, introduite auprès des convives, oppose aux façons débauchées des assistants l'impassibilité de sa vertu. Une courtisane, Ancaria, exécute en vain auprès d'elle des danses d'une étrange lascivité. Elle reste immobile comme une statue de marbre. Lorsque Marcus, ému de son indifférence, l'exhorte à abandonner sa foi pour échapper à un massacre qui menace les chrétiens, elle persiste à réclamer son retour parmi ces derniers. C'est alors qu'apparaît Tigellinus qui, sur un ordre de l'empereur, vient arrêter pour la seconde fois la jeune fille.
Marcus, dont le sentiment pour Marcia s'est développé avec une extraordinaire intensité, se rend chez Poppée pour lui demander d'intervenir, mais elle se rit de lui et de l'amour qu'il porte à la jeune chrétienne. Dépitée du dédain qu'il lui a témoigné, elle persuade ensuite l'empereur de ne pas accorder à Marcus une grâce que, sans doute, celui-ci ne va pas manquer de venir lui demander personnellement. En effet, Marcus sollicite une audience de Néron qui le reçoit dans la salle du trône, et, inspiré par l'impératrice, refuse obstinément au préfet de lui accorder la vie de la captive.

Dès lors, les destins n'ont plus qu'à s'accomplir. Rome tout entière s'est portée aux arènes. Dans l'immense enceinte du Circus Maximus, un peuple ardent et exalté fait retentir l'air de ses clameurs. Des hérauts annoncent l'arrivée de César dans la loge impériale. Néron s'installe, ayant a ses côtés L'impératrice. L'édifice bruit comme une cuve ardente. Sous l'éclat du soleil, les têtes s'échauffent. Le spectacle annoncé doit être aussi magnifique que sanguinaire. Chacun en attend avec impatience le début. Et, dans l'ardente symphonie des cris d'enthousiasme et d'horreur, les jeux commencent...
Ce sont tour à tour les sanglants combats des gladiateurs, des rétiaires contre les mirmillons, l'apparition des éléphants qui écrasent sous leurs pattes monumentales les victimes expiatoires, puis les tigres, les taureaux, les ours, les gorilles, les crocodiles qui s'approchent des jeunes chrétiennes crucifiées nues sur les calvaires. L'horreur touche à son comble lorsque s'opposent dans des duels mortels vingt amazones géantes et vingt pygmées monstrueux. Enfin, les chrétiens sont livrés aux tigres et aux lions.

Dans les caveaux se déroulent des scènes déchirantes. Un grand-père voile les yeux de l'enfant qu'il porte dans ses bras pour lui épargner la vue de leur supplice. Marcia, qui va monter dans l'arène avec ses compagnons, est retenue à la porte par un garde : Néron, voulant rendre hommage à sa grande beauté, a décidé qu'elle serait livrée la dernière, et seule, aux fauves.
C'est alors qu'éperdu de douleur, Marcus la rejoint dans le caveau. Il faut qu'elle abjure sa foi : elle aura la vie sauve. Marcia, dont la pensée du sacrifice illumine le visage, oppose à cette crise de désespoir des paroles de confiance. Elle l'assure de sa certitude d'une autre vie, dans laquelle ils seront réunis. Elle lui dit la grandeur de son Dieu. La calme dignité de la jeune fille, sa majesté, son courage déchirent soudain le voile qui était tendu devant l'esprit de Marcus. Frappé par la grâce, il se rallie à sa foi et décide de monter avec elle au supplice. Lentement, ils gravissent les degrés qui mènent à l'arène...
La lourde porte du cirque se referme derrière eux, sur les vantaux de laquelle apparaît, radieux et immatériel, le signe immense de la Croix.

CRITIQUES

Le premier film parlant à grand spectacle (press-book)

«En accordant une importance considérable au texte des films, l'avènement du son à l'écran eut pour première conséquence la diminution des œuvres essentiellement «spectaculaires».
Dès que la pellicule sut parler, on négligea les éléments qui avaient fait la fortune du cinéma muet - dynamisme de l'action, abondance des extérieurs, somptuosité de la mise en scène - pour lui conférer tous les attributs du théâtre; c'est alors que les films furent, comme on disait, «cent pour cent parlants». La technique se réduisit à réunir dans quelques décors d'intérieurs des personnages qui échangeaient sans arrêt un dialogue purement scénique. On ne savait pas si le microphone s'accommoderait des mille bruits de la rue ou de la nature et, par mesure de précaution, on tournait dans des studios hermétiquement clos.
Mais, par la suite, la formule se dégagea d'une gangue que lui imposaient sa jeunesse, l'inexpérience des cinéastes, leur appréhension des procédés nouveaux, et le cinéma, un moment confiné sur les planches du théâtre, retrouva sa loi naturelle, ses libertés et ses droits. Comme le feuillage trop copieux d'une plante très riche, le dialogue fut coupé, rogné, émondé. On fit sortir, le micro dans la rue, on l'emmena à la campagne. Les films refirent une cure d'air et tout rentra dans l'ordre normal : le cinéma était redevenu l'art du mouvement.
On voulait revoir les foules immenses, les décors gigantesques, les déploiements de costumes qui avaient fait le succès d'inoubliables œuvres telles que
Les Dix Commandements ou Ben Hur.
La foule garde toujours au cœur le goût du grandiose, du formidable, elle aime le superlatif, elle adore le sublime. Et ses écrivains les plus chers ont toujours été les poètes épiques.
C'est pour répondre à ce besoin si légitime qu'une grande firme américaine, la Paramount, mettant sur pied une entreprise gigantesque, risquant des sommes considérables, multipliant ses collaborateurs, donnant du travail à des milliers de personnes - ouvriers et figurants - a réalisé
Le signe de la Croix
«Le signe de la Croix», Mon Ciné, HS, avril 1933

La majeure partie des studios Paramount d'Hollywood - bâtiments et dépendances - fut maquillée, camouflée et transformée de façon à représenter un quartier entier de l'ancienne Rome. Des villas, des palais, des rues furent édifiée de toutes pièces. Lorsqu'il fallut les détruire, on mit le feu à l'ensemble, et c'est alors que furent tournées les scènes du début du film où Néron, du haut de son palais, assiste à l'incendie de Rome et alimente du spectacle des flammes son inspiration poétique. Tout fut réalisé sur une échelle gigantesque. Des installations spéciales furent aménagées, des ateliers de bijouterie, de fonderie, de moulage. Il fallait fabriquer en grande série des objets et des ornements qu'on ne pouvait songer trouver dans le commerce. C'est ainsi que furent réalisés 600 pièces de joaillerie précieuse, 1.400 ornements de métal, comprenant différents modèles de bagues, colliers, bracelets, tiares, anneaux, broches, amulettes, pendants d'oreilles, boucles, etc. On fabriqua également 1.500 objets entièrement métalliques, parmi lesquels des boucliers de gladiateurs, des épées, des tridents, des poignards, des casques, des cottes de mailles, des chaînes, des armures, des cuirasses, des ardillons pour chaussures.
En ce qui concerne les vêtements, le travail des dessinateurs, des tailleurs et des couturiers dura plusieurs mois. Le nombre des costumes nécessaires était en effet de près de 10.000, et certains d'entre eux, réservés aux interprètes principaux, exigeaient les soins les plus attentifs. Celui que porte Claudette Colbert, dans le rôle de l'impératrice Poppée, lorsqu'elle paraît devant Néron, entièrement tissé de fil de métal, ne pèse pas moins de trente-cinq livres.

Certains décors furent construits à l'aide de matières précieuses, telle la salle principale du Palais d'Or de Néron, telle l'immense piscine de Poppée, toute de marbre et de porphyre, où nous voyons l'impératrice prendre un bain de lait, approvisionné par une cuve extérieure d'une capacité de dix mètres cubes. Pour représenter le grand cirque de Rome qui, en réalité, comprenait 150.000 [250.000, N.d.l.A.] places, Cecil B. DeMille fit édifier des constructions qui atteignirent 40 m de hauteur et sur lesquelles une figuration innombrable s'installa. Le réalisateur, procédant en effet par coupures, raccorda entre elles des scènes occupées par des milliers de figurants et dont la succession sur l'écran produit une impression de foule absolument incroyable.
Pour recruter les figurantes qui devaient représenter les Amazones dans le combat monstrueux qui oppose celles-ci aux gnomes armés de javelots et de torches et qu'elles embrochent avec leur glaive, on fit passer une annonce dans la presse, ainsi rédigée : «On demande vingt femmes très musclées, mesurant au minimum 1,80 m et pesant au minimum 135 livres.» Soixante-quinze candidates se présentèrent, répondant à ces conditions, parmi lesquelles on choisit les vingt plus grandes et plus vigoureuses.

Avec la collaboration des plus grands cirques des Etats-Unis, 30 lions furent mis en présence. Les scènes tournées parmi ces lions le furent à l'aide de huit appareils enregistreurs, postés en différents points du décor. L'un des appareils avait été abandonné au milieu des fauves sans opérateur et fonctionnait électriquement; il a photographié des premiers plans de lions d'une netteté telle qu'on n'en vit jamais de semblables dans aucun film précédent. Les ménageries installées dans les studios comprenaient également 40 éléphants, des tigres, des ours, des taureaux, des léopards et des crocodiles qui paraissent et se déplacent librement dans le cirque. Pour éviter tout accident, on fit construire, reliant les cages aux plateaux de prises de vues, 60 m de couloirs métalliques, blindés et cadenassés, entre lesquels circulaient les animaux, et les scènes ne furent tournées que sous la précaution constante des fusils et des revolvers dont on se fût servi à la première menace.

La réalisation du Signe de la Croix a duré deux mois et demi. Elle a fourni pendant ce laps de temps un travail régulier à 7.500 figurants. On impressionna le chiffre fantastique de 225.000 m de pellicule. Quant au prix de revient général, il atteignit le total inouï de 800.000 dollars, soit environ 20 millions de francs français (1932).

«Mis à la disposition de n'importe quel metteur en scène, ces instruments inappréciables, ces accessoires, ces décors, ces foules, ces animaux eussent constitué un spectacle à la Barnum, somptueusement médiocre. Entre les mains d'un Cecil B. DeMille, ils reflètent dans leurs moindres détails le rayonnement de l'intelligence qui présida à leur conjugaison. Ils deviennent des éléments d'art et de pensée. Ils échappent au domaine de la parade foraine pour appartenir à celui de l'Epopée.»
«Le signe de la Croix», Mon Ciné, HS, avril 1933

«En 1932, l'inépuisable Cecil B. DeMille nous donne un exemple parfait du genre avec Le signe de la Croix (The sign of the Cross) de fameuse mémoire ! Le film est interprété par une pléiade de stars : Elissa Landi joue le rôle de Marcia («la pure jeune fille dont l'amour et la foi vont conduire Marc à embrasser la religion chrétienne et à mourir martyrisé); Claudette Colbert est Poppée, la femme de Néron, diabolique et lascive; Fredrich March tient le rôle de Marc («un fonctionnaire romain chargé d'exterminer les chrétiens»); et enfin Charles Laughton est l'empereur Néron. L'esprit faussement candide du célèbre cinéaste apparaît tout entier dans ce récit qu'il fait du tournage du film : «Il y eut une scène qui suscita grand nombre de commentaires publics et privés; elle met en relief le problème de la censure. Afin de convaincre Marcia de répudier sa foi chrétienne et d'oublier ses principes moraux, Marc l'emmène chez lui et la fait assister a une orgie caractéristique de la Rome païenne de cette époque. Marcia se montre indifférente à toutes les sensations. En dernier recours, l'une des invitées de Marc exécute une danse devant la jeune fille. Cette danse est extrêmement voluptueuse. Il fallait qu'elle le soit pour mettre en valeur la force de la foi de Marcia. On la jugea trop osée... Elle resta cependant dans le film. Mais elle fut très sévèrement critiquée...»
Alpha, réf. ????

ANALYSE

Le fascisme et le nazisme - En Italie, sous le fascisme (1922-1944), le seul film où Néron est représenté s'intitule Néron (IT, 1930) d'Alessandro Blasetti. «Le célèbre comique Ettore Petrolini propose de l'empereur une vision loufoque et iconoclaste (3). Cette représentation est donc en rupture avec l'image traditionnelle de Néron au cinéma. Pour expliquer cela, il nous faut savoir que le dernier film italien à aborder le sujet de l'Antiquité romaine, avant Scipion l'Africain (IT, 1937) ayant pour finalité la propagande fasciste, est Les derniers jours de Pompéi réalisé en 1926. Il y a à partir de ce moment un durcissement de la censure car les films des années vingt sur l'Antiquité ne conviennent guère au nouveau pouvoir par leur aspect violent, voire sadique et sensuel. Mais c'est surtout l'image d'une Rome impériale où les détenteurs du pouvoir sont des personnages corrompus dont on s'applique à souligner les bassesses, comme c'est le cas pour Néron, qui est gênante dans la mesure où le fascisme cherche à s'inscrire dans la continuité des grandeurs passées de Rome (4). Ainsi, Alessandro Blasetti dut se contenter de mettre bout à bout des sketches avec références à l'antique du comique Petrolini pour obtenir une comédie moderne cultivant l'anachronisme (téléphones, gros godillots...). Contournant ainsi la censure, il tournait en dérision un Néron bouffon, empereur quelque peu marginal en lequel le régime ne risquait pas de chercher à s'identifier.

Par contre, utilisée dans un but de propagande antinazie, l'image de Néron, au lieu d'être censurée, peut servir à établir une comparaison avec un autre tyran. Ainsi, dans la version du Signe de la Croix (EU - 1932) destinée aux troupes alliées durant la Seconde guerre mondiale, une séquence préliminaire, rajoutée par Cecil B. DeMille en 1941, établit un rapprochement explicite entre Néron et Hitler. Dans un avion américain dont la mission est de lancer sur Rome des tracts anti-allemands, un aumônier prononce le texte suivant : «Néron se croyait le maître du monde et ne se souciait pas la vie d'autrui plus que ne le fait Hitler. Pour satisfaire un cruel caprice personnel il a incendié cette même ville - Rome, sa capitale - et il l'a fait sans la moindre pensée pour les souffrances humaines qui en résulteraient. Des dizaines de milliers de personnes ont perdu la vie pour ce caprice insensé. Alors apparut un Signe de la Croix que nul ne réussit à détruire. Et en assistant à cette horrible danse de la mort, il y avait un individu qui riait (5).» Le visage de Néron apparaît alors au milieu des flammes (6). Ce monologue est aussi porteur d'un message d'espoir pour l'Amérique chrétienne et ses troupes.

Toutefois, lorsqu'il n'est pas question de propagande, un film reste le reflet de son époque même quand l'action est située dans le passé. Nous allons parler de la place qu'occupe le contexte dans lequel un film est réalisé en prenant comme exemple Quo Vadis ? (EU, 1951).
Sandrine GOUAZÉ (7)

 


 

NOTES :

(1) Malgorzata HENDRYKOWSKA, «Le premier spectacle grand public - Quo Vadis ? d'Enrico Guazzoni sur le territoire polonais (1913-1914)», dans Immagine - Note di Storia del Cinema, Rome, Associazione Italiana per le Ricerche di Storia del Cinema, NS n° 32, automne 1995, pp. 9-12 (citant : EMTA, 1900, n° 896). - Retour texte

(2) Dans les versions cinématographiques.- Retour texte

(3) J.A. GILLI, «Naissance, développement et déclin du péplum italien», Catalogue de l'exposition Péplum, l'Antiquité au cinéma, organisé par le C.A.V.M.(Cinéma et Audiovisuel en Val-de-Marne) du 15 octobre au 30 novembre 1983, p. 92. - Retour texte

(4) N. SIARRI, L'Antiquité latine au cinéma. Histoire et histoires dans le péplum romain, thèse de doctorat Aix-Marseille I, 1987, p. 66. - Retour texte

(5) J. CARY, Kolossal ! Il film epico e la sua storia, Fratelli Fabbri Editori Milano, 1975, Chapitre «Quo Vadis, Epicus ?», p. 93. Cité par N. SIARRI, op. cit., p. 87. - Retour texte

(6) N. SIARRI, op. cit., p. 87. - Retour texte

(7) Sandrine GOUAZÉ, L'image de Scipion l'Africain, César, Caligula et Néron au cinéma, Mémoire de
maîtrise d'histoire (Jean-Marie Pailler, directeur de recherche), Université de Toulouse-Le Mirail, octobre 1995, pp. 204-205. - Retour texte