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Vercingétorix
(Jacques Dorfmann, France-Canada 2000)
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IV. Vercingétorix sur le grand écran
Dans les années '60, le cinéma italien nous avait
habitué à tous les re-traitements possibles et imaginables
de la conquête des Gaules par Jules César. Ainsi
L'Esclave de
Rome (Sergio Grieco, 1960) était une sorte de western.
Les Gaulois y tenaient le rôle des Peaux-Rouges, les Romains
l'US Cavalry et les mercenaires germains de César celui
des scouts indiens. Une patrouille de cavaliers romains menait
une action de retardement pour empêcher une armée
de secours gauloise de rallier Alésia; le film finissait
au son du clairon - Gary Owen «rewrité»
trompettes thébaines ! - accompagnant la charge de la colonne
de secours, venue tirer d'un mauvais pas l'héroïque
patrouille encerclée au fond d'un canyon. Une séquelle
de ce film, Seul
contre Rome (Herbert Wise, 1962), imaginait les exactions
des Romains dans la cité vaincue.
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Affiche française Fort Alésia.
- Affiche française Jules César, conquérant
de la Gaule. -
Julius Cæsar, der Tyrann vom Rom, affiche allemande
de Jules César, conquérant de la Gaule |
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Avec Fort Alésia/Les Géants
de Rome (Anthony Dawson [= Antonio Margheriti], 1963), on
avait plutôt droit à un remake «à
l'antique» des Canons de Navarone en péplum.
Un commando de légionnaires romains doit réduire
au silence une catapulte géante actionnée par des
«druides-artilleurs», dont le tir meurtrier et efficace
interdit à César l'accès d'une des vallées
autour d'Alésia. Un troisième film enfin, Jules
César conquérant de la Gaule (Amerigo Anton
[= Tanio Boccia], 1963) drainait plutôt des réminiscences
de l'entre-deux-guerres : c'est Astrid reine des Belges (ou des
Suèves, mais qu'importe (1)
(2) !), qui guide l'armée
de secours, volant à la rescousse de son fiancé
Vercingétorix, interprété par Rik Battaglia
(c'est une première, car le héros arverne n'apparaissait
pas dans L'Esclave
de Rome, ni dans Fort Alésia). Une flèche
romaine fichée sous le sein gauche, la farouche amazone
tombait devant un mont Auxois qui avait singulièrement
perdu de son relief. Mais lorsque le Gaulois rebelle venait faire
sa soumission, Jules César, perché sur son cheval,
ne lui répondait pas. Au contraire, il s'éloignait
- tandis que se faisait entendre, en voix off : «J'ai
combattu. J'ai gagné. Mais je n'ai pas conquis l'âme
des hommes, car elle est indomptable et aussi insaisissable que
les nuages dans le ciel.» Dans le ciné-photoroman
qui en fut tiré, César, bon bougre, pardonnait et
rendait sa liberté au chef ennemi.
Il y avait aussi une bluette entre un beau centurion de son
état-major et sa pupille, Publia - hélas promise
à Q. Cicéron... La politique ! Car au cinéma,
nous l'avons déjà dit, il y a toujours une romance...
Ainsi Epona, dans le film de Dorfmann.
La romance, du reste, était le principal ressort du premier
Vercingétorix Pathé de 1909 (220 m, dont
170 en couleurs !) : une princesse gauloise y offrait sa coupe
à Vercingétorix, ce qui chez les Gaulois équivaut
à une demande en mariage (3).
C'était alors un rival éconduit qui trahissait le
jeune chef et permettait la victoire des Romains. En prison, Vercingétorix
était étranglé en présence de sa femme...
Il était également question de la lutte d'un Vercingétorix
contre un certain Vitellius dans L'Honneur du Gaulois (FR
- 1910), film dont nous ne savons rien. Sous les traits de Bruto
Castellani, l'interprète d'Ursus dans Quo Vadis
(1912 et 1924), le jeune chef arverne apparut également
dans La Conspiration de Jules César (Caio Giulio
Cesare, 1914) d'Enrico Guazzoni, où les tribus gauloises
sont littéralement laminées par la puissance romaine.
Ici, Vercingétorix n'avait rien du héros adulescens
que décrit César : c'est un homme mûr, et
un vrai colosse (4). |
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Quand dans l'Hexagone
retentit l'épique chant des sirènes...
Le Second Age d'Or du péplum s'achève en 1965.
Les années passent, sans que la France - pourtant partenaire
attitrée des producteurs italiens, notamment en matière
de péplums - n'ait risqué une seule lire sur un
de ces désobligeants nanars susévoqués (5).
Les scénaristes italiens ont donc eu toute latitude pour
traiter par-dessus l'épaule le héros national des
Français. Puis arrive le phénomène Astérix
(BD 1959) et ses dessins animés (1967). Une première
tentative live de Pierre Tchernia pour la télévision,
Deux Romains en Gaule (1967), échoue lamentablement
: on est encore loin, à l'époque et à l'O.R.T.F.,
d'imaginer les moyens dont disposeront trente ans plus tard Claude
Zidi (1998), puis Alain Chabat (2001) !
Même en 1981, tandis que sort à l'écran
Conan le Barbare et que Jean Yanne démarre le tournage
- en Tunisie - de Deux Heures moins le quart av. J.-C.,
l'annonce d'une Guerre des Gaules, superprode avec Paul
Preboist et... Greta Garbo, secrètement tournée
par Francis Ford Coppola sur un scénario de Marguerite
Yourcenar, ne sera rien de plus que le «Poisson d'Avril»
du magazine Télérama.
Ah ! la couverture : l'affiche d'Autant en emporte le vent,
avec la tronche pas possible de Préboist à la place
de Clark Gable ! Quelques semaines plus tard, à Cannes,
Patrice Drevet de TF1 et Michel Thoulouse de L'Evénement
surenchérissaient avec un autre canular, Le Barbare
des Dieux. Aveu d'un désir inavoué et inavouable
de la cinématographie française ? Le chant des sirènes
? Un mirage...
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La Guerre des Gaules
de Francis Ford Coppola (1981)... avec le plus franchouillard
des acteurs dans le rôle du héros romantique
: seulement un canular, ou bien une pensée inavouable
?
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Images
d'Epinal
Le producteur de L'Armée des Ombres avait soigneusement
astiqué sa mythologie républicaine. Un premier jet
de scénario fut préparé avec le concours
d'une historienne du C.N.R.S., Anne de Leseleuc - mieux connue
des téléspectateurs et des amateurs de théâtre
sous le nom d'Anne Carrère. Le romancier américano-parisien
Norman Spinrad et le scénariste Rospo Pallenberg, qui avait
travaillé sur Excalibur et Le Seigneur des Anneaux,
révisèrent sa copie. On était donc en droit
d'espérer beaucoup de ce premier super-péplum 100
% f-r-a-n-ç-a-i-s. Enfin... franco-canadien, tout comme
La Guerre du Feu de J.-J. Annaud d'après le roman
préhistorique de Rosny Aîné, autre superproduction
de Dorfmann.
Le producteur-réalisateur voulait faire quelque chose de
très éloigné de ce que produit ordinairement
le cinéma français, par essence allergique aux sujets
historiques antérieurs au XVIIe s. (6).
Il ne s'agit donc pas de refaire Deux Heures Moins le Quart
av. J.-C. et moins encore Astérix et Obélix
contre César, en dépit du fait que le film,
en somme, traite des mêmes personnages historiques et ceci
quasiment dans les mêmes costumes.
«En 52 av. J.-C. toute la Gaule est conquise (...)
sauf un petit village qui résiste encore.»
Tirant sa légitimité des derniers soubresauts de
la Gaule après la chute d'Alésia - dont question
au Livre VIII (7)
de La Guerre des Gaules -, Astérix, symbole du Français
cocardier et râleur, n'était rien d'autre que la
démarque comique et le prolongement de Vercingétorix.
Quasiment dans les mêmes costumes, disions-nous. Car si
les accoutrements et cottes de mailles gaulois du film sont plus
ou moins justes, hors les ridicules casques à cornes, ceux
des Romains en revanche perpétuent le cliché de
la lorica segmentata. L'armure faite de bandes métalliques
articulées ne se généralisera pas avant le
règne de Tibère, au siècle suivant (on en
a toutefois trouvé des fragments au pied du mont Kalkriese,
dans le Teutoburgerwald, là où en 9 de n.E. furent
exterminées trois légions d'Auguste). Ce cliché
historiographique dont témoigne, parmi d'autres, la BD
de Goscinny et Uderzo, remonte - en fait - à L'Histoire
de Jules César de Napoléon III (8).
Après l'expert tacticien qu'avait été son
oncle Napoléon Ier, l'empereur-historien - qui n'était
pas un foudre de guerre ainsi qu'il le démontra en 1870
- s'était lui-aussi plongé dans l'étude des
campagnes de Jules César en France. De 1861 à 1865,
il avait fait fouiller le site d'Alise-Sainte-Reine où
furent reconnues les fondations d'Alésia, l'oppidum
des Mandubiens et les travaux de contrevallation et circonvallation
de César. Tout en proclamant la gloire du grand Jules,
l'Empereur des Français tira de l'oubli la mémoire
de Vercingétorix, allant jusqu'à prêter ses
traits à la statue du chef des Arvernes que, sur son ordre,
le sculpteur André Millet érigea sur le mont Auxois
en 1865. C'est de cette époque que date l'image de Vercingétorix,
le Gaulois moustachu armé d'une épée de bronze
et revêtu d'une armure des temps protohistoriques.
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Napoléon III inspira
les traits de la statue de Vercingétorix par Aimé
Millet, érigée à la pointe ouest du
Mont-Auxois en 1865 (photo Ph. Gillet - extr. Dossiers
d'Archéologie, n° 305). Mais Vercingétorix
était glabre et avait les cheveux courts, comme l'atteste
cette monnaie à son effigie (statère d'or
de Vercingétorix provenant du trésor de Pionsat,
Puy-de-Dôme. Musée des Antiquités nationales) |
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Les
légionnaires romains
Pour les équipements Romains, l'Empereur avait fait relever
ceux des légionnaires figurés sur la Colonne trajane,
postérieurs de près de cent cinquante ans. En fait
les légionnaires de César, en -52, portaient des
chemises de mailles (lorica hamata) ou d'écailles
(lorica squamata), et différents modèles
de casques italiques «Montefortino» et étrusco-corinthiens,
ainsi que l'a révélé dans les années
'70 l'examen par Jean-Pierre Adam (9)
de plus de 300 monuments funéraires romains de Provence,
datés du Ier s. av. n.E.
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Trois aspects du légionnaire
romain. Depuis la fondation de Rome (-753), jusqu'à
sa chute en +476, l'équipement du légionnaire
- dans l'imaginaire collectif - n'aurait jamais évolué...
A. Le légionnaire de Jules
César (-50 : fin de la République. Remarquez
le casque italique «Montefortino», la cotte
de mailles (lorica hamata) d'origine celtique, avec
surajouté un protège épaules en U,
à la grecque, et le grand bouclier ovale (clipeus).
Notez le glaive court accroché au ceinturon -
dessin de Peter CONNOLLY, L'Armée romaine,
Chantecler, 1976.
B. Le légionnaire du Haut-Empire (+30). Avec
son casque «impérial gaulois» à
large couvre nuque, sa cuirasse à bandes métalliques
articulées (lorica segmentata) et son grand
bouclier quadrangulaire (scutum), ce type de légionnaire
apparaît vers l'époque de Tibère (emp.
14-37). La cuirasse faite de larges plaques de métal
est plus économique à réaliser (une
chemise de mailles étant faite de quelque 40.000
anneaux de fer rivetés un à un) tombe à
peu près droite sur les hanches. Notez le glaive
suspendu à un baudrier (balteus) - doc. Ermine
Street Guard.
C. Le légionnaire de la Colonne trajane (campagnes
de Trajan en Dacie : 101-102 et 105-106 de n.E.). Il
porte lui aussi la lorica segmentata, mais son scutum
est beaucoup plus petit et à peine bombé.
Notez son casque caractéristique avec sa médiocre
protection de la nuque et son renfort cruciforme, sommé
d'un anneau de fixation - extr. d'Albert MALET, L'Antiquité.
L'Orient, la Grèce, Rome - Classe de sixième,
Hachette, 1916. |
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Trois aspects du légionnaire
romain. Depuis la fondation de Rome (-753), jusqu'à sa chute
en +476, l'équipement du légionnaire - dans l'imaginaire
collectif - n'aurait jamais évolué... Il n'en est
rien, bien évidemment. C. est le légionnaire
romain type, tel que l'a fixé la vision «romantique»
(?) du Second Empire et les modèles de Saint-Germmain-en-Laye,
puis popularisé par les «Histoire du Costume»
(Hottenroth, 1883, Racinet, 1876-1888). Notez la lorica élégamment
cintrée, les protèges-épaules étroits,
les couvre-joues menus. Pendant un siècle - de 1865 à
1973 - on n'imaginera pas les Romains autrement : en BD, c'est celui
des «Alix» de Jacques Martin (1ère manière)
et des aventures d'Astérix. Au cinéma, on va le retrouver
dans les péplums tant américains qu'italiens (Perruzzi,
Bermans & Nathans). Dans les réserves de Cinecittà,
on en trouve des modèles «façon métal»,
aussi «façon cuir» (dont on ne voit pas l'intérêt
mais, soit...). B. Dans le courant des années
'70, sous l'impulsion des travaux de Robinson Russell, ce modèle
impérial - qui correspond à la conquête de la
Grande-Bretagne, sous Claude - rencontre la faveur des groupes de
reconstitutions comme la XX Legio Valeria Victrix, l'«Ermine
Street Guard». Inusable, on va le retrouver à l'écran
dans les films des années '80 (Masada) et suivantes.
Dans Vercingétorix et Astérix et Obélix
contre César, il coexiste avec C. (niveau casques). On
le trouve également dans Gladiator (sauf que les casques
avec la visière dans le prolongement du bord et le couvre-nuque
façon «queue d'écrevisse» factice, font
davantage songer à la Guerre Civile anglaise (la grille faciale
en moins) qu'à l'Empire romain). A. Le modèle
que l'on devrait voir dans tous les films consacrés à
l'époque de Jules César, si le cliché de la
lorica segmentata n'était si incontournablement figé
dans l'imagination du grand public (sans oublier la circonstance
de l'impondérable économique, encore qu'il soit possible
de faire des cottes de mailles factices à bon marché,
en cordelette tricotée). |
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Les légionnaires romains... façon
Second Empire de Vercingétorix ! |
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Jacques Dorfmann et Maratier, son armurier,
ont-ils voulu perpétuer l'imagerie napoléonienne de
la Guerre des Gaules ? Peu probable. Ils se sont plus vraisemblablement
inclinés devant des impératifs économiques
en réutilisant le matériel déjà disponible
chez les costumiers. Leurs légionnaires portent du reste
le casque de type «impérial gaulois», à
large couvre-nuque, très différent de ceux que l'on
voit aux modèles de Saint-Germain-en-Laye proposés
par les archéologues officiels du Second Empire (10).
De toute évidence, le producteur-réalisateur de Vercingétorix
a surtout voulu célébrer le mythe républicain
issu de la Révolution française. Dans son «Commentaire
audio» sur le DVD, il se réfère : 1) aux clichés
scolaires de son enfance; 2) à son interprétation
personnelle des événements. Jusqu'avant la
Révolution, le chef arverne n'avait été qu'un
obscur protagoniste de l'Histoire romaine. Avec la chute de l'Ancien
Régime, l'Histoire de France cessa toutefois de commencer
avec son premier roi, Clovis, mais ajouta un nouveau chapitre «Les
Gaulois». Autant dire que l'épopée de la Guerre
des Gaules allait désormais évoluer dans une autre
dimension. Avec le «mythe des races», les révolutionnaires
de 1789 allaient distinguer les descendants des Gaulois (le peuple)
des descendants des Francs oppresseurs (l'aristocratie). Bientôt,
Amédée Thierry célébrerait Vercingétorix
comme un jeune héros «romantique», tandis que
Michelet le priverait de son nom (vercingétorix, le
«roi des grands guerriers» aurait été
un titre de chef de guerre, un peu comme vergobret). Mais
après l'épisode de Napoléon III, le mythe de
Vercingétorix - tout en restant populaire - s'écailla
un peu. |
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Localisations du
site d'Alésia
Par esprit de contradiction, en effet, les opposants politiques
au maître du défunt Second Empire prirent parti pour
l'une ou l'autre identification d'Alésia, qui ne pouvait
avoir été Alise Sainte-Reine ! On en dénombra
plus d'une demi-douzaine dont Alès dans le Gard (!), Izernore
dans l'Ain, Novalaise en Savoie, Aluze en Saône-et-Loire,
Auxonne en Côte-d'Or, Luxeuil dans la Haute-Saône et
Salins dans le Jura, toutes plus improbables les unes que les autres
- mais qu'est-ce que c'est bon de dénigrer l'archéologie
officielle du «tyran» ! |
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Neuf «Alésia»
hypothétiques, parmi d'autres : il manque Syam-Cornu,
en Franche-Comté (1962). Néanmoins, à
ce jour Alise-Sainte-Reine est demeurée incontournable
! (extr. Préhistoire et archéologie, n° 37, décembre 1981, p. 26) |
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Défendue par le fameux Georges
Colomb - sous le pseudonyme de Christophe, auteur du «Sapeur
Camembert» et de «La Famille Fenouillard» -,
l'identification d'Alésia avec Alaise, dans le Doubs, eut
la vie dure. Et à peine Jérôme Carcopino croyait-il
l'avoir définitivement réfutée (11)
que, last but not least, une nouvelle théorie voyait
le jour en 1962, localisant cette fois Alésia à
Syam (Jura) (12). S'érigeant
contre la discutable hypothèse de Carcopino - qui avait
dû imaginer des «Séquanes de l'Est» pour
justifier l'identification «officielle» d'Alésia
avec Alise-Sainte-Reine (13)
-, André Berthier s'appuyait sur l'examen minutieux des
cartes d'état-major. En fait, faute de permis de fouilles,
l'on ignore aujourd'hui encore si les vestiges pressentis sont
romains ou mérovingiens.
C'est cependant la IIIe République qui porta Vercingétorix
au pinacle de la popularité patriotique. Sublimant la défaite
française de 1870, la reddition puis la mort du héros
arverne lui conférèrent l'aura du martyr. Le vaincu
d'Alésia incarna désormais l'esprit français
de sacrifice, et l'espérance d'une revanche contre ces
Prussiens dont la cavalerie, au temps de César déjà,
avait à maintes reprises brisé les espoirs gaulois
de liberté. La peinture officielle va alors célébrer
Vercingétorix : Henri-Paul Motte (1860), Francis Ehrmann
(1869), Lionel Royer (1899). De nombreux autres sujets gaulois
seront traités par Evariste Luminais, Jean Lecomte de Nouÿ,
Octave Penguilly-L'Haridon, Alphonse Cornet, F. Schutzenberger,
etc.
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Henri-Paul Motte, Vercingétorix
se rendant au camp de César (1860) (couv. A.
de LESELEUC, Vercingétorix, Archipel, 2000);
François Ehrmann, «Vercingétorix appelle
les Gaulois à la défense d'Alaise» (1869)
(Musée des Beaux-Arts, Clermont Ferrand - extr. M.
REDDÉ, Alésia, op. cit.); Lionel Royer,
Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César
(1899) (Musée Crozatier, Le Puy-en-Velay - couv.
Georges Bordonove, Vercingétorix, PressesPocket) |
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En 1900, Camille Jullian bétonne
définitivement la figure du héros sacrifié
dans un ouvrage enfin scientifique où il célèbre
le rêve d'une union des tribus gauloises. C'était
le discours que voulait entendre la France irrédentiste.
Leurs moustaches gauloises au vent, les «poilus» de
14 iront à l'hécatombe en réclamant la restitution
de l'Alsace et de la Lorraine. La Grande Guerre finie, plus d'un
monument aux morts figurera le héros arverne.
Arrive la Guerre 40-45, qui fera planer une certaine ambiguïté
sur notre personnage car, si tout naturellement la figure de Vercingétorix
inspire la Résistance (d'autant que par une curieuse coïncidence,
à Londres, c'est un certain général «de
Gaulle» qui lance l'appel du 18 juin), Vichy ne se fait
pas faute de s'en réclamer elle-aussi. «En 1942,
rappelle Patrick Girard (14),
lors d'une cérémonie sur le site historique de
Gergovie, le maréchal Pétain, qui avait, lui aussi,
fait don de sa personne à la France, évoquait, à
l'appui de sa politique de rapprochement avec l'Allemagne,
«le sacrifice salvateur de Vercingétorix qui a permis
aux Gaulois de sortir du marasme en collaborant avec le vainqueur».»
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Les principaux peuples du centre de la
Gaule (extr. Dossiers d'Archéologie, n° 305) |
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V. La Guerre des Gaules revue et corrigée
Les causes de la guerre
Il est bon de le rappeler, la conquête romaine fut d'abord
une guerre civile entre Gaulois. Ce sont les Eduens (Bourgogne),
depuis plus d'une demi-siècle «amis et alliés
du peuple romain» (-120), qui à la demande de
leur druide Diviciacos ont appelé Jules César en
Gaule pour qu'il les débarrasse des Germains d'Arioviste.
Or ces Germains avaient été appelés contre
eux par les Séquanes et les Arvernes, leurs ennemis héréditaires.
Le «roi» des Arvernes, Celtill, et Catamantal roi
des Séquanes, avaient lancé contre les Eduens le
Suève Arioviste et sa horde de 120.000 âmes. Le «barbare
germain» - qui soit-dit en passant pouvait lui aussi se
prévaloir du titre d'ami des Romains - occupa sans façons
le territoire des Eduens et, tant qu'à faire, une partie
de celui des Séquanes !
Il ne restait plus aux Eduens qu'à solliciter les secours
de leurs amis, les Romains. Durant de longues années, le
Sénat ne voulut rien entendre. Jusqu'à ce jour de
-58 où entra en fonction un nouveau proconsul des Gaules
cisalpine et transalpine et d'Illyrie, Jules César. En
quête de quelqu'action d'éclat, celui-ci les écouta
favorablement. «Toutes les catastrophes avaient surgi
depuis la chute de Bituit (15)
: querelles politiques, guerres fratricides, appel aux étrangers
germains ou romains. L'alliance des trois rois [le riche aristocrate
éduen Dumnorix (16),
Orgetorix roi des Helvètes et Casticus fils de Catamantal,
roi déchu des Séquanes] pouvait sauver la Gaule
de l'anarchie, défendre son autonomie face à la
menace germaine au nord et empêcher Diviciacos d'introduire
en terre celte les légions romaines», écrira
A. de Leseleuc (17).
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Les frontières des
peuples du Centre-Est de la Gaule : on y voit entre les
Arvernes au S.-O. et les Séquanes à l'E.,
le territoire des Héduens ou Eduens. Et, au N.-E.,
celui des Lingons sur le plateau de Langres. Eduens et Lingons
sont, tous deux, pro-romains comme c'est souvent le cas
chez les tribus par où passe l'axe commercial rhodanien.
Entre Eduens et Lingons : Alésia et le territoire
des Mandubiens, peuple satellite. Séquanes et Arvernes
avaient appelé Arioviste et ses Germains pour occuper
le territoire des Eduens, avec la complicité du chef
du parti républicain-aristocratique Dumnorix, gendre
du roi des Helvètes. D'où l'appel à
l'aide du frère de Dumnorix, le druide Diviciac,
chef du parti populiste - appel que Rome mit, tout de même,
dix-sept ans à entendre ! Comme dans la fable
de La Fontaine, les plaideurs en furent pour leurs frais,
et le conflit gallo-gaulois se termina par l'annexion par
Rome.
(D'après un dessin de Ph. Barral dans Territoires
Celtiques. Actes du XXIVe Colloque international de l'AFEAF
(D. Garcia & F. Verdin éd.), Errance, 2002 -
extr. M. REDDÉ, Alésia, op. cit.) |
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La
Guerre des Gaules revisitée
Reste la problématique scénaristique d'imaginer
un «point de vue» gaulois en se basant sur l'unique
source, César (et ceux qui s'en sont inspirés).
Du haut des murs de Gergovie, les Gauloises se dénudent
la poitrine pour s'offrir à la pitié des vainqueurs
(G.G., VII, 47); dans le film, c'est pour narguer la virilité
des Romains, les ralentir, qu'elles se dévêtent avec
des gestes provocants.
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Lors du siège d'Avaricum,
comme les défenseurs s'apprêtaient à
subrepticement évacuer la ville, abandonnant femmes
et enfants à la discrétion des légionnaires
romains, celles-ci n'eurent d'autre ressource que l'alerter
l'ennemi romain en criant du haut des murailles afin que
ceux-ci empêchassent leurs hommes de quitter la ville
(G.G., VII, 26).
A Gergovie, le scénario fut un peu différent.
Tandis que s'avançaient les Romains, «les
mères de famille jetaient du haut des murs des étoffes
et de l'argent et, le sein découvert, penchées
et tendant leurs mains ouvertes, elles suppliaient les Romains
de les épargner, de ne pas les massacrer, comme ils
avaient fait à Avaricum (...); plusieurs,
se suspendant aux mains de leurs compagnes et se laissant
glisser, venaient se rendre aux soldats» (G.G.,
VII, 47). César n'en dit pas plus, mais nombre d'historiens
ont rapproché cet épisode de récits
irlandais - par exemple lorsque les femmes d'Emain Macha
se dénudent pour arrêter l'enfant Cûchulainn,
qui alors pudiquement détourne la tête -, où
il est question de femmes qui, troussant leurs jupes, montrent
leur sexe dans le but de décontenancer l'ennemi,
de lui jeter une sorte de «mauvais il».
Les auteurs de bandes dessinées ont aimé à
en faire un épisode paillard : les femmes exhibent
leurs parties naturelles en se moquant des Romains, les
défiant de venir les rejoindre. Elles espèrent
ainsi les voir rompre leurs formations. Dans la BD de Mitton
et Rocca, Væ Victis, elles finissent même
par descendre de leurs murs, armes à la main, et
se mêler aux combattants. Le film de J. Dorfmann a
bien entendu lui aussi tiré parti de la croustillante
anecdote.
(Jean-Yves MITTON & Simon ROCCA, Critovax, au-delà
de l'ignominie ! (Væ Victis/14), Toulon, Soleil
éd., 2004) |
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Le jeu des scénaristes va
consister à systématiquement dire noir quand Jules
avait dit blanc, ou l'inverse. A passablement le diaboliser, aussi.
Ainsi le César du film justifie-t-il - en les endossant
cyniquement - les accusations de Dumnorix, du reste rapportées
par le César historique dans ses «commentaires»
(18).
Mieux, dans le film, le proconsul romain envoie en Grande-Bretagne
les seuls Gaulois, restant lui-même tranquillement sur le
continent avec ses légions (?). Faut pas pousser ! César
enjolivait peut-être la relation de ses exploits militaires,
mais pas au point de falsifier des faits dont pouvaient témoigner
ses officiers (19).
Donc, s'il a écrit avoir débarqué en Grande-Bretagne
avec deux légions et 2.000 cavaliers gaulois, c'est qu'il
l'avait réellement fait !
Du point de vue césarien, Dumnorix était un traître
avéré : préfet de la cavalerie auxiliaire
éduenne, cet anti-romain convaincu était le frère
et protégé du druide pro-romain Diviciacos. En outre,
il était le gendre du roi des Helvètes, Orgétorix.
De connivence avec eux, Dumnorix s'était délibérément
laissé battre par ceux-ci à Montmort, manquant de
conduire au désastre l'armée de César (-58)
(G.G., I, 18-20).
Bon prince mais nullement dupe, le proconsul romain ne le ménageait
que pour ne pas se mettre à dos son frère Diviciacos,
pion majeur de sa stratégie. Mais c'était un peu
comme si en 1944 les Américains auraient confié
le commandement de la 101e Airborne à Sepp Dietrich !
Nous l'avons vu, le péplum italien nous avait habitué
à une certaine désinvolture avec Vercingétorix,
lequel, d'un point de vue transalpin, n'est - après tout
- qu'un chef barbare parmi d'autres. On était toutefois
en droit d'espérer un peu plus de fidélité
de la part de la réplique française. Bien sûr,
on ne peut pas faire un film en mettant bout-à-bout une
demi-douzaine de batailles rangées (20).
Aussi fallait-il s'attendre à quelques ellipses, quelques
simplifications de sa déjà courte existence. Entre
le moment où Vercingétorix se met à la tête
des révoltés et celui de sa reddition, à
peine neuf mois se sont écoulés... On pouvait aussi
s'attendre à ce que soient gommées les atrocités
qu'il commit à l'encontre de ses compatriotes récalcitrants
(yeux crevés, membres tranchés, bûchers) (21)
ou des Romains qui eurent la malchance de tomber entre ses mains
ou entre celles de ses alliés... César a évoqué
les cruautés de Vercingétorix sans chercher à
dissimuler celles de ses propres légions (p. ex. G.G.,,
VI, 28, 34 [22],
44; VIII, 44 [23]). Les
guerres d'autrefois appliquaient la loi du talion, et il n'est
pas si éloigné le temps où tout un chacun
applaudissait aux tapis de bombes lancées sur des objectifs
civils comme Dresde. Mais à l'heure du droit international
et des soldats humanitaires en Casque Bleu, allez montrer au grand
public que le héros «résistant» appliquait
les mêmes méthodes que l'«occupant».
On ose espérer qu'Anne de Leseleuc avait fourni un scénario
historiquement fidèle : malheureusement la vérité
historique ne suffit pas à faire un bon film et les deux
scénaristes «professionnels» qui furent appelés
à la rescousse s'en donnèrent à cur
joie, s'employant à rendre Jules César plus noir
qu'il était, au mépris de toute vraisemblance d'ailleurs.
«Norman Spinrad, auteur de science-fiction, a apporté
au film la touche qui en fait une uvre contemporaine»,
reconnaîtra Anne de Leseleuc.
Le cinéaste doit louvoyer entre les idées reçues
et les réalités archéologiques. Ainsi cette
vaste caverne sous Gergovie, qui sert de salle du conseil à
Celtill, est ornée de macabres trophées, des crânes
humains placés dans des niches (on en voit aussi décorant
les portes de la ville), qui rappellent le sanctuaire salyen de
Roquepertuse (Bouches-du-Rhônes), mais aussi ceux de Nages
et Entremont. Elle contraste avec le palais du chef arverne, lequel
dans sa conception n'a rien à envier à l'architecture
romaine. Egalement ce fanum (24)
que l'on aperçoit au centre de Bibracte, et qui nous semble
un peu en avance sur son temps : ce «temple gaulois,
apparaît à la moitié du Ier s. av. J.-C.»,
explique J. Dorfmann. Tout dans le film concourt à donner
l'impression que, malgré sa rusticité, la civilisation
gauloise n'avait pas grand chose à envier aux Romains.
Pourtant, rencontrant Vercingétorix sur le chantier d'une
route romaine en construction, l'Archidruide Guttuart remarque
avec amertume : «(C'est) un véritable glaive
de pierre en plein cur de la Gaule». Occupé
à se battre, César construisit-il des routes empierrées
à travers le pays ? En tout cas, le celtisant Yann Brékilien
(25),
était pour sa part d'avis que les Gaulois disposaient déjà
d'un remarquable réseau routier, lequel en permettant aux
Romains de déplacer facilement les légions, aurait
facilité leur conquête. Mais ces fameuses routes
romaines n'étaient-elles pas un parfait symbole de cette
«mondialisation», comme ces aqueducs, ces échanges
commerciaux, ce progrès dont parle César ?
C'est dans la même séquence que César et
Vercingétorix se rencontrent pour la première fois.
Par hasard. A moins que ce soit le Destin. Vercingétorix
vient de quitter l'école des Druides - ces farouches opposants
à Rome - et porte encore leurs braies et leur tunique de
toile blanche, au lieu du tartan aux couleurs du clan. Comment
croire que César, rencontrant le fils de ce Celtill dont
il a six ans plus tôt provoqué la perte (26),
et sachant pertinemment qui il est, lui propose tout de go la
royauté sur les Arvernes et la citoyenneté romaine,
et pour les Gaulois la moitié du butin s'ils consentent
à l'accompagner en Grande-Bretagne ? Et même, pourquoi
pas - renchérit-il -, la royauté sur toute
la Gaule (27)
?
Mais le plus gros reste, sans doute, l'excès de perfidie
prêtée à César, déjà
évoquée plus haut : le conquérant romain
rassemble tous les chefs gaulois et leur propose d'aller envahir
(sans lui) la Grande-Bretagne, espérant bien in petto
qu'elle serait leur tombeau, ce qui lui laisserait les mains libres
sur le continent («J'envoie les Gaulois ! [Pause.
A ses banquiers, cynique :] Il faut que m'en débarrasse...»).
Or César est bel et bien allé combattre les Bretons
dans leur île, à la tête de troupes romaines
et de cavalerie auxiliaire gauloise. Il y est même allé
à deux reprises. Un premier raid de trois semaines eut
lieu à l'automne -55, expédition de reconnaissance
au cours de laquelle des rapports diplomatiques furent établis
avec quelques tribus. Et l'année suivante, de juillet à
l'équinoxe d'automne, une seconde expédition dura
une dizaine de semaines au plus, au cours de laquelle il soumit
les tribus bretonnes du Sud-Est, obligeant le roi Cassivellaunos
à traiter avec lui.
A la suite de quoi, César réintégra le
Continent, sans laisser de garnison sur place. C'est à
cette seconde expédition que fait allusion le film. César
nous dit (G.G., V, 5 sq.) que sur les 4.000 cavaliers
gaulois qu'il avait convoqués, il en embarqua la moitié
sur dix-huit navires de transport - ceux dont il se méfiait,
histoire de les avoir à l'il en Grande-Bretagne,
précise-t-il -, ne laissant en Gaule que les cavaliers
fidèles. Ces cavaliers embarqués ne lui furent guère
de très grande utilité, car leur flottille fut séparée
de celle portant son infanterie.
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Jules César (Klaus Maria Brandauer)
pose pour la postérité |
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Opposé à son frère
Diviciacos, pro-romain, l'Eduen Dumnorix avait autrefois joui
de l'entière confiance de César, jusqu'à
ce que celui-ci apprenne que l'intrigant s'était vanté
de ce qu'il lui aurait proposé la royauté sur les
Eduens.
Dumnorix refusa catégoriquement de participer à
l'aventureuse expédition de Bretagne, alléguant
sa peur de la mer (G.G., V, 6 - cf. le film : «J'ai
le mal de mer !» [Hilarité générale.])
et se mit à colporter que César avait en réalité
l'intention, une fois en Grande-Bretagne, de massacrer sans témoins
les plus nobles des Gaulois, dont il se méfiait. César
dut faire exécuter le diffamateur (28).
Tel que nous l'avons reçu,
ce passage des Commentaires est suffisamment ambigu pour faire
le bonheur d'un scénariste, surtout s'il prétend
adopter un «point de vue gaulois» qui reste à
inventer : «Mais si César a exprimé
le point de vue romain dans sa Guerre des Gaules, nous
avons tenté d'exprimer le point de vue gaulois dans
le film» (Anne de Leseleuc).
César a fait valoir le sien dans ce qui reste notre
unique source, ses [Commentaires sur la] Guerre des Gaules.
Mais y a-t-il livré le fond de sa pensée ? Etait-ce
bien dans le but de tenir à l'il des alliés
remuants ? Chacun d'eux n'était qu'ambition, rêvait
d'augmenter son patrimoine à la faveur de la guerre,
mais était toujours prêt à courber l'échine
quand la fortune des armes souriait aux Romains, quitte à
se retourner contre eux au premier revers essuyé par
les aigles... En tout cas, les scénaristes choisirent
de développer le «point de vue» de Dumnorix,
en y rajoutant des détails gratinés : |
1) |
César n'avait pas l'intention d'aller en Bretagne
: la seconde expédition n'eut donc pas lieu pour
les légionnaires romains, seuls les cavaliers
gaulois envoyés à la mort embarquèrent,
sous le commandement de Vercingétorix - le héros
! - qui reviendra sur le Continent, en vainqueur des
Bretons (29),
pour le compte de César; |
2) |
pire encore, c'était César lui-même
qui, jadis, aurait tiré les fils de l'assassinat
de Celtill, car il redoutait le retour d'une royauté
arverne et la constitution d'un Etat fort, capable de
s'opposer à ses ambitions. Une certaine morsure
d'Epona sur le poignet d'un des hommes de mains, officier
de César - plus tard, également meurtrier
de Dumnorix - agira comme révélateur de
la duplicité romaine... mais nous pose de sérieux
problèmes de chronologie. César intriguait-il
en Gaule déjà avant son proconsulat de
-58 (le film situe en -60 l'exécution de Celtill)
?
C'est la révélation de ce complot qui
fait «craquer» Vercingétorix, lequel
bascule dans la rébellion... |
|
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|
Suite… |
NOTES :
(1) Reine des Belges selon
la documentation de presse, des Suèves selon le
CR français imprimé en Italie. Mais l'épouse
de Léopold III, Astrid de Belgique (1905-1935) n'était-elle
pas d'origine suédoise ?
(Confusion entre le latin Suevi, «Suève»
et l'italien Svèzia, «Suède»
? Certes, à part la ressemblance fortuite des noms, il
n'y a aucune continuité historique entre les Suédois
et les antiques Suèves - lesquels, vaincus par la confédération
des Chérusques fin du Ier s. av. n.E. se fixèrent
sur les bords du Danube où, sous le nom de Marcomans
ils devinrent un satellite de l'Empire romain; lors des invasions
barbares du Ve. s. de n.E., les Suèves se fixèrent
dans le sud-ouest de la péninsule ibérique...)
- Retour texte
(2) Dominique «La Môme
Vert-de-Gris» Wilms, qui incarnait Astrid, est d'origine
belge. Ce n'était peut-être pas plus compliqué
que cela ! (Cf. Ciné Zine Zone, n° 89.) En fait,
la VF n'indique pas la nationalité d'Astrid, mais bien
la documentation de presse. - Retour texte
(3) C'est ainsi, en effet, que la
princesse Gyptis choisit son époux le Grec Protis - fondateur
de Marseille (la scène, qui inspira Flaubert dans Salammbô,
est incluse en flash back dans Honoré de Marseille
de Maurice Regamey, 1956).
Elle avait également été reprise par Jean-Louis
VINCENT dans ses Veillées gauloises ou Derniers efforts
des Gaulois devant Alise contre l'invasion romaine (1839)
à propos du mariage de l'Armoricain Dumnorix. - Retour
texte
(4) En fait, adulescens désigne
un homme qui, à Rome, n'a pas encore atteint l'âge
d'entrer dans la carrière politique (30 ans). Vercingétorix
n'était donc pas nécessairement un adolescent
tel que nous l'entendons aujourd'hui, contrairement à
ce que certains romanciers ont compris. - Retour
texte
(5) Si, quand même ! Un certain
Georges Combret (Radius Film, Paris) - plus tard réalisateur
d'une Malédiction de Belphégor (1967),
médiocre séquelle du cultissime feuilleton télévisé
de 1965 - est coproducteur de Fort Alésia (1964),
dont la vedette était Richard Harrison dans le rôle
du chef du commando romain. Et au générique VF
de Jules César conquérant de la Gaule un
René Thévenet est indiqué comme producteur
associé (sans être mentionné dans le Gremese
3, toutefois). - Retour texte
(6) Constitue une heureuse exception,
mais c'est plutôt du théâtre filmé
: Les Rois Maudits, d'après Maurice Druon, dont
l'ambition déclarée avait été de
donner à la France une saga de référence,
comparable à celle dont le théâtre shakespearien
avait pourvu l'Angleterre.
Sur l'horizon d'attente de la télévision française
en matière de reconstitution historique, on se reportera
à Jacques BAUDOU et Jean-Jacques SCHLERET, Les feuilletons
historiques de la télévision française.
De Thierry la Fronde à Maria Vandamme, Huitième
Art, 1992. - Retour texte
(7) Ce huitième livre, qui
traite des événements de -51, n'est pas de la
main de César mais fut composé par son lieutenant,
Aulus Hirtius. - Retour texte
(8) Publiée anonymement en
1865-1866. Rééd. chez Errance (2001).
Les dossiers de Napoléon III disparurent au cours de
la mise à sac de son palais, le 4 septembre 1870 (quelques
mois plus tard incendié par la Commune). - Retour
texte
(9) Le même Jean-Pierre Adam
fit profiter de ses travaux à Jacques Martin qui, lui-aussi,
dessinait les légionnaires de Jules César selon
la documentation du Second Empire. Dès 1974 et Le
Fils de Spartacus, la panoplie des légionnaires romains
changea radicalement dans les «Aventures d'Alix».
Il vaut la peine de comparer ses évocations d'Alésia
respectivement dans Le Sphinx d'Or (1949) et Vercingétorix
(1985).
Depuis la fin des '70 la connaissance précise des costumes
militaires romains de toutes époques est facilement accessible
au public curieux, par le biais des nombreuses publications
uniformologiques, destinées notamment aux figurinistes
et aux fans d'archéologie expérimentale. C'est
le cas notamment de la fameuse collection Osprey, qui a popularisé
les travaux de Robinson Russell, l'armurier de la Tour de Londres,
dont se sont inspirés de nombreux groupes de reconstitutions
en Grande-Bretagne comme sur le Continent. Citons également
les ouvrages de Markus Junkelmann, Dan Peterson, Peter Connolly
et, en France, Michel Feugère. - Retour
texte
(10) Les réserves de la S.F.P.
regorgent de médiocres versions «théâtrales»
des modèles de Saint-Germain-en-Laye. Gageons que l'armurier
français Maratier, costumier de Vercingétorix,
s'est tourné plutôt vers les mêmes sources
d'approvisionnement que celles auxquelles ont recours les actuels
groupes de reconstitution d'époque impériale.
- Retour texte
(11) J. CARCOPINO, Alésia
et les ruses de César, Flammarion, 1958, 219 p. -
Retour texte
(12) On en trouvera un résumé
dans la série d'articles de Thierry SECRETAN, «Les
mystères d'Alésia», dans Libération,
lundi 13-samedi 18 août 2001. Pour plus d'explications
sur la localisation d'Alésia à Syam-Cornu, en
Franche-Comté, soutenue par André Berthier : COLLECTIF,
«Alésia», Les dossiers de l'histoire, n° 38, juillet-août 1982, n° 40, novembre-décembre
1982 et n° 43, mai-juin 1983. - Retour
texte
(13) Et voici peu (1992), un officier
à la retraite, Emile Mourey, remettait en question d'interprétation
des fortifications de César devant Alise-Sainte-Reine.
- Retour texte
(14) Marianne, n° 196, 22-28
janvier 2001, p. 69. - Retour texte
(15) Célèbre roi arverne
du IIIe s. av. n.E. - Retour texte
(16) Sur les intrigues et la déloyauté
de Dumnorix, interprété dans le film par Bernard-Pierre
Donnadieu, cf. CÉSAR, G.G., I, 3, 9, 18,
20. - Retour texte
(17) A. de LESELEUC, Vercingétorix
ou L'Epopée..., op. cit., p. 71. - Retour
texte
(18) CÉSAR, G.G., V,
6 et 7. - Retour texte
(19) Les officiers de César
n'étaient pas nécessairement de ses amis : nombre
d'entre eux étaient liés à Pompée,
à commencer par son bras doit, T. Labiénus. Quant
à Q. Cicero, il était le frère puîné
de l'orateur M. Cicero (Cicéron), son principal détracteur
au Sénat. - Retour texte
(20) Mustapha Akkad l'a fait, dans
Le Message, sans
doute plutôt par respect religieux. Mais c'est lourd,
très lourd, cinématographiquement parlant. - Retour
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(21) J. Dorfmann les évoque
d'ailleurs dans le «Commentaire audio» (bonus DVD).
- Retour texte
(22) Selon Léopold Génicot,
la soumission des Belges par César fut un véritable
génocide (L. GÉNICOT, Histoire de la Wallonie,
Univers de la France et des pays francophones, Paris, Privat,
1973, pp. 61-68 - cité par Baudouin DECHARNEUX, «De
tous les peuples de la Gaule les Belges sont les plus braves»,
in Anne MORELLI (sous la dir.), Les grands mythes de l'Histoire
de Belgique, de Flandre et de Wallonie, Bruxelles, Editions
Vie Ouvrière, coll. EVO-Histoire, 1995, p. 30). - Retour
texte
(23) VIII, 44, toutefois, est du
calame d'Hirtius. - Retour texte
(24) Temple gallo-romain. On peut
en visiter une reconstitution à l'Archéosite d'Aubechies
(Belgique). - Retour texte
(25) Yann BRÉKILIEN, La
Louve et le Sanglier. Les chemins d'Alésia, éd.
du Rocher, 1985. - Retour texte
(26) Dans la logique du film, s'entend.
- Retour texte
(27) En fait, c'est à Dumnorix
- qui s'en vantait - que César aurait promis la royauté
non pas sur toute la Gaule, mais sur les seuls Eduens, sa tribu
(G.G., V, 6). - Retour texte
(28) Dumnorix exécuté,
la Guerre des Gaules ne mentionne plus son frère
Diviciacos, le druide pro-romain des Eduens. Qu'advint-il de
lui ? Mystère. - Retour texte
(29) Le film traite toute cette partie
du scénario par ellipse. Seul le spectateur très
attentif et au courant de l'Histoire risque de réagir...
- Retour texte
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