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Hannibal, l'ennemi de Rome
(Richard Bedser, 2005)

Hannibal, le cauchemar de Rome
(Edward Bazalgette, 2005)

(Page 1/3)

 

Sur cette page :

I. Hannibal, le Cannibale des Légions

1. Hannibal, l'ennemi de Rome

1.1. Les légionnaires romains

2. Hannibal, le cauchemar de Rome

2.1. Mercenaires de Carthage et légionnaires romains
2.2. Les éléphants

II. Encyclopédie

Pages suivantes :

III. Fiches techniques

IV. Chronologie des trois Guerres Puniques (et des périodes intermédiaires)

hannibal - tamer hassan

Tamer Hassan incarne le fils d'Hamilcar Barca
dans le docu-fiction Hannibal, l'ennemi de Rome (Richard Bedser, 2005)

Hannibal,
le Cannibale des Légions

Le «Cannibale des Légions»... petit clin d'œil à Hannibal Lecter, le serial-killer du film de Ridley Scott, lequel après le tournage de Gladiator nous avait donné de faux espoirs de retrouver, sous sa houlette, le grand capitaine de la Deuxième Guerre punique. Celui que G.P. Baker (1) surnommait le «Magicien», le stratège invincible en rase campagne, quoique peut-être moins brillant dans la guerre de siège (Sagonte, Rome [2]), qui expédia ad patres près de la moitié des fils de Rome aptes à combattre, saignée démographique sans précédent. Cet Hannibal qu'interprétèrent à l'écran l'ineffable Victor Mature (Hannibal, C.L. Bragaglia - 1959) et Howard Keel qui poussait la chansonnette aux côtés de la naïade Esther Williams (La chérie de Jupiter, George Sidney - 1954); et avant eux, Emilio Vardannes (Cabiria, 1913) et Camillo Pilotto (Scipion l'Africain, 1937)...

 

hannibal - victor mature

Victor Mature dans le rôle du général borgne
(Hannibal, C.L. Bragaglia, 1959)

 
Ces dix dernières années ont vu fleurir quantité de projets relatifs à Hannibal : fictions, docu-fictions et documentaires confondus. En 1996 déjà, le syrio-américain Mustapha Akkad (Le Message) avait envisagé le tournage d'une superprode épique, Hannibal; plus récemment, Alberto Negrin (Le Secret du Sahara) annonça un projet de téléfilm (2001) tandis que la 20th Century-Fox offrit le rôle du conquérant carthaginois à l'acteur noir-américain Denzel Washington (CLICK COURRIER et CLICK)(Glory) (sic), projet heureusement demeuré sans suite (2001).
Depuis lors, il est question d'un autre «epic» avec Vin Diesel dans le rôle-titre et produit par One Race Prods (Vin Diesel et George Zakk) pour Revolution Studios, filiale du groupe Sony. Sony a, en effet, acquis les droits sur le controversé roman de l'écrivain écossais Ross Leckie (que l'on voit intervenir comme «historien» dans le docu-fiction Hannibal, l'ennemi de Rome). Dès juillet 2002, Ridley Scott en fut pressenti comme réalisateur; le scénario devant être confié à David Franzoni (Gladiator), d'après le roman de Leckie donc. A en croire IMDb, ce film serait toujours en pré-production. Croisons les doigts !
 
hannibal - ross leckie scipio - ross leckie

Deux romans de Ross Leckie, consacrés aux généraux antagonistes : Hannibal et Scipion

 
Deux films à l'ordre du jour, présentement : Hannibal, l'ennemi de Rome, de Richard Bedser (2005) à la TV, et Hannibal, le cauchemar de Rome, d'Edward Bazalgette (2005) en DVD. Bedser a tourné son film dans les décors romains des studios Sindbad Productions de Tunis, la même année que - sinon parallèlement avec - la version de Bazalgette, l'un et l'autre pour différents départements de la BBC (National Geographic Channel & Discovery Channel). Rappelons que les studios Sindbad Productions ont, ces dernières années, accueilli le tournage de nombreux docu-fictions pour la TV comme The Pleasure of Ancient Rome (Peter Swain, prod. Principal TV - 2005), Pompei (prod. BBC Interactive Films - 2003), Last Days of Pompeii (Le dernier jour de Pompéi) (Peter Nicholson, prod. Ailsa Orr et BBC - 2003), Colosseum (prod. BBC Interactive Films - 2003), Colosseum : Arena of Death (Les gladiateurs) (Tilman Remme, prod. BBC - 2003), et Carthage (Janne Read, prod. RDF / Channel 4 - 2003) (3).

1. Hannibal, l'ennemi de Rome

La particularité du film de Richard Bedser est que, si ses techniciens sont majoritairement européens, tous ses interprètes sont arabes, même pour les rôles de Romains - Meurtre à Rome, autre récent docu-fiction tourné au Maroc, proposait des comédiens anglo-saxons pour les principaux rôles romains, entourés de figurants maghrébins : dichotomie gênante. Hannibal est interprété par le comédien tunisien Tamer Hassan. Seuls les décors romains et la bataille de Zama ont été tournés en Tunisie, les paysages italiens étant filmés en Slovénie et le passage des Alpes... dans les Alpes suisses. La production National Geographic Channel (BBC) ne disposait que de trois éléphants femelles, plus dociles; l'infographie les démultiplia jusqu'à neuf ou douze dans la même image, reprise en deux ou trois plans.

 

hannibal - elephants

Pour son docu-fiction, R. Bedser a filmé des éléphantes dans les Alpes suisses

 

Plusieurs personnalités universitaires viennent parler d'Hannibal : le Prof. Barry Strauss de l'Université de Cornell; le Dr. Adrian Goldsworthy, historien; le déjà cité Ross Leckie, «historien»; Gregory Daly de l'Université de Manchester, qui juge surfaite l'importance militaire accordée aux éléphants d'Hannibal, lesquels pour la plupart périrent en route et donc ne servirent à rien; enfin, Philip Matyszak de l'Université de Cambridge. Bien sûr, on s'émerveillera toujours de l'assurance de spécialistes qui peuvent affirmer : «Hannibal était obsédé par telle idée; Scipion par telle autre.» Qui peut dire à quoi songeait exactement Hannibal, lorsqu'après Cannes il renonça à marcher sur Rome ? Chacun a bien sûr sa petite hypothèse : Hannibal ne voulait pas détruire Rome, seulement la neutraliser géopolitiquement; Hannibal, quoique stratège habile, n'avait ni la compétence ni les moyens matériels d'assiéger Rome (les deux ensemble, ou seulement un des deux); Hannibal était amoureux d'une belle Romaine et ne voulait pas passer à ses yeux pour un barbare sanguinaire («hypothèse» qui n'a jamais connu que la faveur des cinéastes, évoquée comme telle, non sans humour, dans le documentaire Time-Life de 1994). Néanmoins, le docu-fiction de Richard Bedser propose une assez bonne vulgarisation, qui s'attarde peut-être un peu trop sur la traversée des Alpes, mais qui se livre à une très intéressante analyse stratégique de la bataille de Cannes, ce classique de la manœuvre d'encerclement étudiée depuis par tous les stratèges. Un siècle auparavant, Alexandre le Grand avait traversé l'Hindou-kouch - autre chose que le col du Grand Saint-Bernard ! -, sans éléphants il est vrai, mais avec une armée bien plus conséquente, sans compter tous les accompagnateurs civils : marchands, prostituées...). Selon les historiens romains, Hannibal s'allégea au maximum, n'acceptant aucune femme dans les fourgons de son armée, pas même la sienne. A en croire les historiens romains, Hannibal essuya des pertes effroyables tant dans les Pyrénées que dans les Alpes - prenons les chiffres avec prudence. Parti d'Espagne, Hannibal mit cinq mois pour arriver en Italie, dont quinze jours pour traverser les Alpes. Il déboula dans la plaine du Pô «vers l'époque où les Pléiades se couchent», dit Polybe (POL., III, 2. 54), c'est-à-dire fin septembre ou début octobre. On ne sait pas par où exactement passa Hannibal : il y a un demi-siècle, un historien recensait 350 publications sur cette question. Six cols ont été proposés : le Mont-Cenis, le Petit-Saint-Bernard, le Grand-Saint-Bernard, et, plus plausibles : le Mont-Genèvre, le col d'Argentière ou le col de la Traversette. Les images de neige et de tempête, les histoires d'engelures et de morts de froid dont font état le docu de Bedser ne seraient elles pas quelque peu exagérées ? En cette saison encore ensoleillée de l'année, il y a, selon les cols, de la neige, et surtout des restes de neige... Le docu de Bedser, qui - lui - situe la traversée des Alpes fin octobre, lorgne vers la version Bragaglia (1959) laquelle traitait le passage des Alpes de manière fort elliptique ce qui n'empêchait pas que ses bourrasques de neige dans l'été finissant étaient carrément comique pour qui connaît le terrain. Un facteur de pertes humaines est l'hostilité naturelle et une très sérieuse méconnaissance du terrain. Napoléon, lui, avait au moins des chemins à disposition, utilisés régulièrement par les moines du Saint-Bernard, les villageois etc. Toutefois Polybe insiste sur le fait qu'Hannibal s'était préalablement très bien renseigné sur les difficultés des Alpes, aussi s'était-il entouré de guides locaux, et fait oberver qu'avant lui, plusieurs armées gauloises avaient traversé ces mêmes montagnes pour envahir l'Italie. G.P. Baker (4) évoque surtout les démêlés de l'armée punique avec les Allobroges, et signale un passage enneigé. Tandis que Gilbert Charles-Picard (5) se borne à mentionner la traversée des montagnes, sans ajouter le moindre commentaire. Le blanc manteau hivernal est un effet dramatique qui renvoie à la mémoire collective - la Grande Armée, puis la Wehrmacht décimées par le Général Hiver (6).

 

scipion - cannes

Scipion erre sur le champ de bataille de Cannes :
la pire défaite qu'aient eu à subir les aigles de Rome

1.1. Les légionnaires romains
Pierre d'achoppement de tous les films historiques : les costumes. Nous ne nous arrêterons pas aux Carthaginois, qui adoptent un profil bas : engoncés dans des manteaux aux couleurs terreuses, les reflets métalliques de leur casques nous les désignent de toute façon comme étant des soldats. Les panoplies militaires romaines méritent quelques commentaires. Les casques de type «impérial gaulois» et les boucliers rectangulaires et bombés (scuti) sont du Haut-Empire (Ier s. de n.E.). Des casques du type Montefortino, des modèles étrusco-corinthiens ou attiques eussent évidemment été préférables, de même, pour les boucliers, le clipeus ovale et plat. Les cuirasses romaines, des cottes de mailles, sont relativement bien observées même si, en fait, il leur manque les protèges-épaules qui viennent par dessus... Le film ne tient pas non plus compte du fait que les légionnaires ne sont pas tous armés de la même façon : les deux premières vagues sont celles des hastati et des principes, chacun armé de deux pila, et la troisième, en réserve, est celle des triarii armés de la lance (hasta). Au IIIe s., les légionnaires ne possédaient pas tous une cotte de maille, beaucoup se contentaient d'une plaque de poitrine, de forme carrée. Empruntées à leurs ennemi Celtes (7) établis en Cisalpine depuis le IVe s., les chemises de mailles sont en train de se répandre dans l'armée romaine, mais valent des fortunes. Le docu-fiction est d'ailleurs assez discret à propos du ralliement à Hannibal de certaines tribus gauloises comme les Boïens et les Insubres. Turin, la capitale des Insubres, n'était «Romaine» que depuis six ans environ lorsque le conquérant carthaginois y fit sa première étape.

 
hannibal - bedser hannibal - Bazalgette

A gauche, Hannibal vu par Richard Belser. A droite, sur son éléphant, vu par Edward Bazalgette

2. Hannibal, le cauchemar de Rome

Parallèlement au précédent, les Studios Sindbad ont accueillis une autre production BBC (Discovery Channel), dirigée par Edward Bazalgette et Alisa Orr, mais disposant de davantage de moyens, et - partant - d'un casting plus étoffé. Des acteurs européens dans les rôles romains, notamment Ben Cross - déjà vu dans le rôle de Titus Glabrus (Spartacus, TV, 2004) et du félon Prince Malagant (First Knight, 1995) -, qui incarne ici le dictateur Fabius Maximus «le Temporisateur» (Cunctator); mais aussi de nombreux comédiens bulgares dans les seconds rôles, tandis que l'acteur anglo-soudanais Alexander Siddig (CLICK, CLICK et CLICK) prête ses traits à Hannibal. Alexander Siddig, alias Siddig El Fadil ou Sid El Fadil, est né au Soudan un 21 novembre 1965, d'un père soudanais, mais sa mère, qui est anglaise, n'est autre que la sœur de... Malcolm McDowell. On l'a vu dans Star Trek : Deep Space Nine, Reign of Fire, Kingdom of Heaven, Syriana - et on le retrouvera bientôt sous les traits de Theodorus Andronikos dans The Enchanted Sword / The Last Legion (Doug Lefler, 2007), d'après le roman de Valerio Manfredi, La dernière légion, actuellement en postproduction.

Rien à redire du contenu, sauf peut-être le regret que Bazalgette se soit contenté d'évoquer le franchissement du Rhône, mais sans le montrer, et qu'il n'ait pas suffisamment insisté sur la brillante stratégie d'encerclement à Cannes (il y reviendra en détail dans le Making Of). En revanche on voit aussi le passage des Pyrénées, les embuscades des montagnards; le docu-fiction met en valeur les frères d'Hannibal (Hasdrubal et Magon) ainsi que le chef de sa cavalerie Maharbal. Et le fait que Scipion l'Africain n'a vaincu Hannibal qu'en copiant sa stratégie : «Les Romains sont tellement prévisibles.» Il m'a semblé que Zama était un peu bâclé, et le film n'a guère évoqué la loyauté des Italiques vis-à-vis de Rome, alors que les Grecs au Sud finirent par passer dans le camp carthaginois (quid du siège de Syracuse ?). Au Nord en revanche, après un moment d'hésitation, les Boïens et les autres Celtes, après le Tessin, passent avec enthousiasme dans le camp punique.

hannibal - bazalgette

Nous le savons tous, il est impossible de tout mettre, et a fortiori de tout dire dans un film. C'est donc le choix de ce qui a été retenu qu'il est intéressant d'inventorier.

2.1.Mercenaires de Carthage et légionnaires romains
Quand aux costumes, ils sont aussi beaux que dans les planches de Peter Connolly ou d'Angus McBride. Fatigués, usés, patinés. Sauf les mercenaires espagnols, aux cuirasses d'écailles et casque caractéristiques, les panoplies des «Carthaginois» ne sont pas vraiment terribles, et l'espèce de tablier d'Hannibal nous a un peu cueilli à froid, de même que les pantalons bouffants, qui connotent le Maghreb de même que les croissants de lune sur les enseignes (davantage le croissant de l'Islam que celui de Tanit [il manque la silhouette stylisée de la déesse orante], pérennité des civilisations sémites femelles ?).
On appréciera en revanche, chez les précités Espagnols, l'interprétation de ce casque bizarre - dont on n'a retrouvé aucun exemplaire mais qui est connu par ses représentations figurées -, avec un couvre-nuque qui semble pendre souplement, un peu comme la «casquette Bigeard» des paras français (8). Il y a aussi le chef Celtibère et son casque conique piqué de quelques plumes blanches (La Tène, fin Ve s. av. n.E. (9), et le chef Boïen avec un aigle de bronze en guise de cimier, d'après un exemplaire connu (La Tène, IIIe-IIe s. av. n.E. (10).

Les Romains en revanche sont un pur bonheur : certes leurs officiers restent très «romains» stéréotypes avec leurs cuirasses musclées en laiton, mais rien de vraiment choquant. Aucune objection. La troupe légionnaire, en revanche, se partage en porteurs de cotte de maille (malheureusement, il s'agit de ficelle tricotée, teinte en noir et frottée d'argent, et ça se voit) et en porteurs de plaque de poitrine. Hélas ce n'est pas la plaque carrée des Romains, mais les trois disques typiques des Samnites. Mais comme dans ce conflit les Samnites sont demeurés fidèles à Rome, ça ne gène pas outre mesure. Les casques sont parfois attiques, mais surtout celtiques (Montefortino et Coolus avec adjonction de paragnathides) : de simples pots, sans visière, avec un couvre-nuque très court, et un tuyau en apex dans lequel sont fichées deux plumes noires et une rouge (11). On a envie de parler de «l'effet Oliver Stone», dont les costumiers s'étaient enfin donné la peine de créer les casques thraco-phrygiens et des linothorax pour les Macédoniens.
On voit aussi les vélites romains coiffés de sortes de torchons censés être des peaux de loup ou de renard. Pas trop mal, pour des figurants d'arrière plan !

2.2. Les éléphants
Edward Bazalgette, qui a précédemment réalisé un autre docu-fiction BBC, Gengis Khan (DVD sorti en France le 7 septembre 2005) a planté ses caméras dans un petit village nommé Platschow, près de Sofia, où avec 400 figurants il a reconstitué la traversée des Alpes par les pachydermes d'Hannibal, avec le concours des éléphants (CLICK et CLICK) Timba, Mala et Kenia du Cirque Frankello - Sonni et Nadja Frankello servant de cornacs.

S'agissait-il des trois mêmes pachydermes que ceux de L'ennemi de Rome ? Nous n'en savons rien, mais après tout cela n'aurait rien d'étonnant, question de synergie (12)...

Hannibal, le cauchemar de Rome est sorti en DVD, en France, le 26 avril 2006.

 
hannibal - bazalgette hannibal - bazalgette

Un tournage épique (Edward Bazalgette, Hannibal, le cauchemar de Rome, 2005)

II. Encyclopédie

De tous leurs ennemis, Hannibal fut sans doute celui qui frappa le plus l'imagination des Romains. «Fils du suffète Hamilcar Barca, Hannibal naquit en 247 avant n.E. Son père lui avait fait dès l'âge le plus tendre jurer sur les autels une haine implacable aux Romains. Ayant obtenu la permission d'aller rejoindre son oncle, qui commandait en Espagne les armées carthaginoises après la mort d'Hamilcar, il servit trois ans sous ses ordres, et se fit admirer par toutes les qualités qui forment un bon soldat et un grand général.
A la mort d'Hasdrubal il fut proclamé unanimement général en chef de l'armée carthaginoise en Espagne, quoiqu'à peine âgé de 25 ans, et étendit dans ce pays la domination de Carthage. Il prit et détruisit Sagonte, ville alliée des Romains, avec lesquels Carthage était alors en paix, et par cette infraction volontaire aux traités ralluma la guerre entre les deux républiques rivales.

Annibal, persuadé que les Romains ne pouvaient être vaincus que dans Rome même, résolut de faire de l'Italie le théâtre de la guerre. Il leva trois armées puissantes, en fit passer une en Afrique, laissa l'autre en Espagne, et lui-même prit avec la troisième le chemin de l'Italie. Après avoir combattu et soumis sur sa route tous les peuples de l'Espagne et des Gaules, qui s'opposaient à sa marche, et en avoir fait entrer un grand nombre dans son parti, il arriva au pied des Alpes, et se disposa à les franchir, malgré les difficultés qui semblaient insurmontables.
Après neuf jours de marche à travers des précipices et des rochers, où il eut à souffrir des éléments et des hommes tout ce qui pouvait décourager un autre que lui, il parvint au sommet des Alpes. Cinq autres jours lui suffirent pour descendre le revers des montagnes et malgré les pertes considérables qu'avait éprouvées son armée, il s'empara presque aussitôt de Turin
(Taurasia).
C. Scipion et Sempronius l'attendaient au débouché des montagnes. Il les défit l'un sur le Tesin
(Ticinus), et l'autre sur la Trébie (Trebia), franchit les Apennins et envahit l'Etrurie. L'année suivante il battit Flaminius sur les bords du lac Trasimène.

Tout pliait devant lui lorsque la sage lenteur de Fabius Maximus vint arrêter quelque temps ses progrès. L'imprudence de Tér. Varron et de son collègue Paul Emile lui rendit la victoire, et l'an 216 av. J.-C. il gagne près de Cannes (CLICK et CLICK) cette bataille fameuse qui mit Rome à deux doigts de sa perte. Quarante mille Romains restèrent sur le champ de bataille; le consul Paul Emile fut du nombre des morts. Annibal fit chercher son corps après le combat, et lui rendit le honneur de la sépulture.
S'il avait marché droit à Rome après cette victoire, peut-être s'en fût-il rendu maître à la faveur de la consternation qui y régnait; mais ses délais laissèrent à la république le temps de revenir de sa terreur, et de se préparer à une nouvelle résistance.
Il alla passer l'hiver à Capoue, où ses troupes s'amollirent dans les délices et dans le repos. Quand il se présenta aux portes de Rome il inspira si peu de frayeur qu'on vendit la terre même sur laquelle il était campé.

Cependant Annibal se maintint encore plusieurs années en Italie; il remporta des victoires, prit des villes, et s'il ne put achever sa conquête, c'est que Rome fit des efforts incroyables; c'est qu'elle leva dans une seule année jusqu'à dix-huit légions, et qu'Annibal, calomnié dans sa patrie par une faction ennemie que son absence rendait puissante, ne reçut presque aucun secours de Carthage, et fut toujours obligé de se soutenir par lui-même en Italie.
Marcellus, sans remporter aucun avantage décisif, lui livra plusieurs combats qui l'affaiblirent. Enfin, le théâtre de la guerre ayant été transporté d'Italie en Afrique, Carthage fut obligée de rappeler Annibal, sa dernière espérance.
Ce grand homme ne put, sans verser des pleurs, s'arracher de cette Italie, que depuis seize ans il regardait comme sa conquête. Arrivé en Afrique, il eut avec Scipion une entrevue où il tenta vainement de retarder la ruine de sa patrie. Ses propositions ayant été rejetées, il livra bataille près de Zama 202 ans av. J.-C., et fut vaincu, quoique de l'aveu de Scipion même, il ne se fut jamais montré plus grand capitaine (LIV., 30, 35). Annibal s'échappa à la faveur du tumulte, et se réfugia à Adrumète. Mais bientôt, inquiété par les Romains, il quitta l'Afrique, et se réfugia d'abord chez Antiochus, roi de Syrie, et ensuite chez Prusias, roi de Bithynie.

Fidèle à la haine qu'il avait vouée au nom romain, il arma ces deux princes contre la république; et si Antiochus eût voulu suivre ses conseils, peut-être Rome l'eût-elle vu de nouveau sous ses murs avec des forces plus redoutables, et animé par la vengeance et par la honte de sa défaite. Annibal, ne se croyant plus en sûreté à la cour de Prusias, où un consul, député par le sénat romain, était venu demander sa mort, avala un poison s'il portait toujours dans le chaton de sa bague, et délivra Rome d'un ennemi dont le nom seul lui inspirait une terreur, qui se perpétua d'âge en âge, plusieurs siècles après lui. Annibal mourut à Libyssa en Bithynie, âgé de 64 ans, 183 ans av. J.-C.

Quoique Annibal ne fut pas totalement exempt des vices qu'on reprochait à sa nation, cependant on ne peut pas se dissimuler que Tite-Live, dans le portait qu'il a tracé de ce général, ne se soit laissé dominer par la haine héréditaire que lui portaient les Romains. Un courage et une fermenté au-dessus des plus grands dangers, l'art difficile de maintenir la subordination dans une armée composée de vingt peuples divers, et de la faire subsister dans un pays ennemi; une activité sans égale; enfin la hardiesse même d'une entreprise dont les chances de succès ne pouvaient être conçues que par un homme de génie, et qui est resté vingt siècles sans imitateurs, tout a placé Annibal au premier rang parmi les plus grands généraux de l'univers» (N. Bouillet [13]).

 
hannibal hannibal

Deux portraits supposés d'Hannibal. Celui de droite, le plus connu, est des plus hypothétiques…

 

Après avoir énuméré ses qualités de chef, son énergie, sa tempérance, sa rusticité de soldat et sa bravoure au combat, Tite-Live ne manqua pas en effet de dénoncer les défauts du capitaine ennemi : «De grands vices égalaient de si brillantes vertus : une cruauté excessive, une perfidie plus que punique, rien de vrai, rien de sacré pour lui, nulle crainte des dieux, nul respect des serments, nulle religion» (LIV., XXI, 4).

Si l'on s'en tient aux chiffres des recensements, près de la moitié des citoyens romains mobilisables périrent au cours des quinze années pendant lesquelles il ravagea l'Italie. Aussi Hannibal ne risquait pas de se voir brosser un portrait élogieux de la part d'ennemis qu'il fit tant souffrir. D'ennemis qui écrivent l'Histoire. On peut toutefois nuancer. Sandrine Crouset rappelle que le fils d'Hamilcar, éduqué par deux précepteurs grecs, était pétri d'hellénisme. Dès 215, les Romains ayant compris à quel point la politique du général carthaginois était dangereuse, «Fabius Pictor, sénateur versé dans les lettres grecques, (prit) la contre-offensive sur le terrain culturel, en écrivant une histoire de Rome délibérément antipunique. Hannibal prétend fonder ses alliances sur la confiance ? Mais les Puniques sont depuis longtemps réputés pour leur mauvaise foi : quelle confiance alors lui accorder, même dans le domaine politique ? Hannibal est aussi décrit comme un être impie et cruel» (14).

Suite…

NOTES :

(1) G.P. BAKER, Annibal (247-183 av. J.-C.), Payot, coll. «Bibliothèque Historique», 1952. - Retour texte

(2) Ce n'était certainement pas parce qu'une jolie romaine lui avait conté fleurette - comme l'exposent les films de 1954 et 1960 - mais parce qu'ayant «ramé» devant Sagonte qu'il mit huit mois à prendre, Hannibal pourtant vainqueur à Cannes n'osa pas s'en prendre directement à Rome et à ses solides murailles, préférant s'en remettre aux «délices de Capoue». «Tu sais vaincre Hannibal, mais tu ne sais pas profiter de ta victoire.»
Simple arithmétique : au milieu de ses alliés de l'Italie centrale qui lui restèrent loyaux, Rome était une place puissamment fortifiée, qui renfermait 270.000 citoyens mobilisables au recensement de 225 (mais guère plus de 140.000 à celui de 209 (!)), sans compter les esclaves, affranchis, étrangers, etc. qui pouvaient être enrôlés, ce dont les Romains ne se privèrent pas (ainsi, deux légions d'esclaves furent constituées). Le Cannibale savait mesurer ses limites ! Il est vrai qu'avec seulement 26.000 hommes...
Jules César - le «pro» de la poliorcétique - en aura plus du double pour réduire Alésia !- Retour texte

(3) En revanche Brûlez Rome ! fut tourné en Tunisie, aux Studios Carthago, et Meurtre à Rome au Maroc (Dune Film). - Retour texte

(4) G.P. BAKER, Annibal, op. cit. - Retour texte

(5) G. CHARLES-PICARD, Hannibal, Hachette, 1967. - Retour texte

(6) Sans doute ce qui a amené Jacques Martin à dessiner la reddition de Vercingétorix sous la neige (Alix - Le Sphinx d'Or). Or Alésia tomba au début de l'automne et aucun des peintres pompiers qui en avaient fait le sujet de leurs toiles et dont Martin s'inspirait visiblement, mieux documentés, n'a montré le camp de César enneigé ! - Retour texte

(7) Si la cotte de maille équipa les Celtes et les Romains, ainsi que les Orientaux, jamais elle n'eut de succès en Grèce. - Retour texte

(8) Cf. les planches d'Angus McBride, Spanish Armies 218BC-19BC, chez Osprey. - Retour texte

(9) Angus McBRIDE (ill.) & Peter WILCOX, Rome's Ennemies (2) : Gallic and British Celts, Osprey, planche A1. - Retour texte

(10) Angus McBRIDE (ill.) & Peter WILCOX, Rome's Ennemies (2) : Gallic and British Celts, Osprey, planche B3. - Retour texte

(11) En fait, ce détail est emprunté à Polybe, qui indique que les légionaires de son époque décoraient leurs casques de plumes noires ou pourpres. - Retour texte

(12) Encore que... l'un tourna ses extérieurs dans les Alpes suisses, l'autre en Bulgarie. - Retour texte

(13) N. BOUILLET, Dict. class. de l'Antiquité sacrée et profane, 1841, s.v. - Retour texte

(14) Sandrine CROUZET, «Hannibal : l'homme qui a fait trembler Rome», in L'Histoire, n­ 308, avril 2006. - Retour texte