site peplums
 
logo peplums

De La Chute de l'Empire romain
à Gladiator

Page 3/16

 

Pages précédentes :

De La Chute de l'Empire romain à Gladiator

I — VOIES PARALLÈLES

1. Introduction

2. Deux films

3. A propos de La Chute de l'Empire romain

4. A propos de Gladiator

 

Sur cette page :

II — LES PROTAGONISTES

5. Les protagonistes historiques

5.1. Marc Aurèle

5.1.1. Le «gentil» et le «méchant»...
5.1.2. Et Jésus...
5.1.3. Un successeur tout désigné...
5.1.4. Cherchez l'empoisonneur

5.2. Commode

5.2.1. La mauvaise réputation
5.2.2. Commode vu par les historiens romains
Arme pointue
Commode fait une grande consommation de préfets du prétoire

5.3. Lucilla

5.3.1. La conspiration de Lucilla
5.3.2. Frères et sœurs de Commode

5.4. Lucius Verus

 

Pages suivantes :

5.5. et alii...

6. Les protagonistes cinématographiques

Conclusion

III — ANNEXES

7. A propos de la bataille contre les Germains dans Gladiator

8. A propos des combats de gladiateurs (1) :
De l'archéologie au mythe

9. A propos des combats de gladiateurs (2) :
Les gladiateurs au cinéma

10. Bibliographie historique

IV — FICHES TECHNIQUES

11. La Chute de l'Empire romain

12. Gladiator

V — CHRONOLOGIE

13. Chronologie du déclin de l'Empire romain

VI — FILMOGRAPHIE

14. Filmographie des gladiateurs

 

II. LES PROTAGONISTES

5. Les protagonistes historiques

Mis à part Marc Aurèle, Lucilla et Commode, tous les autres personnages de Gladiator comme de La Chute de l'Empire romain sont romanesques ou remodelés, de simples prête-noms.
Partant, le sens même de l'histoire est infléchi puisqu'est posée la question emblématique de l'uchronie, parfois rebaptisée par les amateurs de SF anglo-saxons «steampunk» : «Que se serait-il passé... si Marc Aurèle avait déshérité son fils Commode ?»

La réponse est implicite, informulée. Un Livius, un Maximus - personnages responsables et d'une grande intégrité morale - auraient, au moins provisoirement, enrayé le processus de décadence (sic) de l'Empire romain...

5.1. Marc Aurèle

Marcus Aurelius Antoninus, naquit à Rome, en 121, et décéda à Vindobona (Vienne, en Autriche), en 180.
Il s'appela d'abord Catilius Severus puis, son père décédé (130), et après son adoption par son grand-père paternel : M. Aurelius Verus (ou M. Annius Verus ?). Enfin, adopté par Antonin le Pieux, il devient M. Ælius Aurelius Verus, voire M. Ælius Aurelius Verus Antoninus philosophus.
Nous avouons être un peu perdu dans ces patronymes et cognomens empilant les adoptions (pas étonnant qu'il fut devenu stoïcien !) où, entre les Ælius, Aurelius et Antoninus interchangeables, les Verus deviennent facultatifs...

 
marc aurele - alec guinness marc aurele marc aurele - richard harris

Depuis Hadrien, les empereurs-romains adoptaient volontiers le look «græculus» du philosophe barbu. Ci-dessus Marc Aurèle (buste : Musée archéologique de Naples, ph. Roger-Violet), flanqué à gauche de sir Alec Guinness, au nom bien irlandais, qui l'incarne dans La chute de l'Empire romain, et à droite de son compatriote Richard Harris, le pochetron qui en éclusait douze chaque jour, plus deux bouteilles de vodka...

 

Donc, le 17 mars 180, à Vindobona, sur les bords du Danube, Marc Aurèle décédait, non pas empoisonné ou étranglé comme au cinéma, mais victime d'une épidémie de peste qui ravageait alors toute l'armée.
L'histoire n'a nulle part noté que l'Empereur ait jamais eu l'intention de se trouver un autre successeur que son fils Commode. Marc Aurèle songea-t-il à léguer son empire à un autre que Commode ? C'est peu probable : après le décès de Lucius Verus (169), ne l'avait-il pas choisi pour coempereur (177) deux ans avant sa mort ?
La thèse du film de S. Bronston (reprise par Ridley Scott) est donc que Marc Aurèle, ayant tardivement compris l'indignité de son fils, aurait songé à se conformer à l'antonin principe de l'adoption, ce au bénéfice d'un collaborateur éprouvé (ici le tribun Livius, là le général Maximus - personnages de fiction - ou l'usurpateur Avidius Cassius chez Renouvier). Pour être plausible, puisque se positionnant dans la logique des Antonins, elle ne repose - en fait - sur aucun indice ou fait historique connu.
Le scénario du film suggère, qu'en cherchant à évincer Commode (qui, dès lors, le fait assassiner ou s'en charge lui-même et, par cette fin prématurée, empêche Marc Aurèle de mener à bien son œuvre pacificatrice), Marc Aurèle aurait accéléré le mécanisme de corruption qui précipita l'empire vers sa désagrégation...

Hélas, le film n'est pas vraiment explicite quant à la leçon d'histoire à retenir par le spectateur. Comme toutes les autres grandes machines historiques, l'amour et l'aventure prennent le pas sur l'information ou l'analyse, et le spectateur non averti serait bien incapable de raccorder à un quelconque contexte historique, en l'occurrence la fin des Antonins, les excès du «tyran de service» - Commode.

5.1.1. Le «gentil» et le «méchant»...

Commode est «cruel» et Marc Aurèle est «gentil». Qu'on se rappelle tout de même que le martyre de sainte Blandine (passée à la rôtissoire avant d'être livrée aux cornes d'un taureau), en 177, à Lyon, eut lieu sous le règne du très philosophe Marc Aurèle même si sa condamnation fut le fait de magistrats locaux qui ne faisaient qu'appliquer les lois en vigueur (1) !
Mais il faut aussi préciser que les martyrs de Lyon étaient des Montanistes, secte fanatique aspirant au martyre. Et sans doute que si Marc Aurèle, qui était stoïcien, eut un peu mieux connu la doctrine chrétienne, il eut trouvé des points de convergence plutôt que des points de désaccord avec la secte réprouvée. Marc Aurèle fut sans doute victime des préjugés de son temps, un peu comme Hergé - catholique traditionaliste - ne pouvait voir malice dans son antisémitisme conventionnel...

Ne chipotons pas : dans l'affaire de sainte Blandine, tout le monde était content. Les Romains parce qu'ils s'étaient débarrassés d'une bande de trublions. Et les chrétiens - des montanistes ! des hérétiques ! - parce qu'ils avaient connu le martyre auquel toutes les fibres de leur chair profane aspirait...

5.1.2. Et Jésus...

Il paraît (notez que nous n'avons pas écrit «il semble») que l'armée de Marc Aurèle comptait de nombreux adeptes du Christ : la «légion Mélitine», qui combattit en Germanie, aurait été entièrement composée de chrétiens. Restons néanmoins prudents sur ce point, car ça sent l'eau bénite !

La «légion Mélitine», tire son nom de Mélitène, ville fondée par Trajan, qui devint la métropole de la Petite Arménie et le siège de cette légion chrétienne, parfois identifiée avec la XIIe Fulminata. Mourant de soif, les soldats de la Fulminata (= «Frappée par la foudre») avaient prié le Christ pour qu'il envoie à eux la pluie - et la foudre et la grêle sur l'ennemi (2). Ce qu'il advint. Cet épisode est également mentionné par Tertullien : «Marc Aurèle aussi, dans son expédition contre les Germains, obtint, par les prières des soldats chrétiens, une pluie bienfaisante qui sauva l'armée, travaillée par la soif» (TERT., Scapula, IV, 462-463).
Méfions-nous tout de même ce que qui semble une belle légende hagiographique, une récupération a posteriori.

5.1.3. Un successeur tout désigné...

Il est douteux que Marc Aurèle n'ait pas souhaité se voir succéder à l'Empire par son fils Commode. Marc Aurèle n'eut jamais la moindre intention d'aligner son attitude sur ses prédécesseur les Antonins en choisissant son dauphin en dehors de sa famille. D'emblée, il lui conféra le titre de César... à l'âge de cinq ans (166). En 176, il l'associa à son «Triomphe», le fit consul en 177, et coempereur la même année (trois ans avant sa mort). Commode a alors 19 ans. L'année suivante, le père et le fils partirent ensemble à la guerre contre les Barbares du Nord et ils en partagèrent les fatigues. Injustifiées nous paraissent les insinuations distillées par La chute de l'Empire romain et Gladiator, qui nous montrent Commode venant en touriste visiter le front, dans l'espoir de s'y faire proclamer coempereur (ce qu'il était déjà). «J'ai manqué la bataille ?» s'exclame Commode-Joaquin Phoenix, débarquant de son mobil-home comme un carabinier d'Offenbach. «Tu as surtout manqué la guerre», lui répond son père, avec une pointe d'amertume. Enfin, Marc Aurèle, au moment de rendre l'âme n'admit que son fils à son chevet. Mais, en somme, le film de Ridley Scott ne dit rien d'autre : Commode fut bien le dernier à avoir vu l'empereur vivant...

Si presque toutes les filles de Marc Aurèle atteignirent l'âge adulte et se marièrent (quatre sur six, au moins), Commode - lui - fut le seul de ses sept frères à survivre aux épidémies et à l'effroyable mortalité infantile endémique à son temps.
Le jeune Commode cristallisait sur sa personne l'unique espoir de continuité d'un père. S'interrogeant sur l'indulgence du père quant aux écarts du fils, que l'on s'en souvienne avant de le trop sévèrement juger.

5.1.4. Cherchez l'empoisonneur

Pour régner seul, Marc Aurèle aurait empoisonné son très dissipé frère adoptif Lucius Verus, en partageant avec lui une vulve de truie qu'il découpa avec un couteau dont un côté de la lame était empoisonné (Hist. Aug., M. Aurèle, XV, 5).

La chute de l'Empire romain, comme souvent au cinéma, prend le contre-pied des textes : c'est Marc Aurèle lui-même qui est victime de sa propre malignité, et qui meurt victime d'un aliment coupé en deux avec une lame empoisonnée. Comme on dit chez nous : «(Les scénaristes) ont entendu braire un âne, mais ils ne savent plus dans quelle étable...»

5.2. Commode

L. Ælius Aurelius Commodus (ou L. Aurelius Antoninus Commodus) (Lanuvium, 31 août 161 - Rome, 31 décembre 192), empereur de 180 à 192.

L. Ælius Commodus succède à son père Marc Aurèle, qui fut donc le premier des Antonins à avoir éludé le principe de l'adoption (ce qui fait également de lui le dernier de sa «dynastie»). Le 17 mars 180, le dernier des sages Antonins, légua donc l'Empire à son fils Commode, un jeune homme de dix-neuf ans, brutal, paresseux et grossier. Toutefois, plutôt que les marches et contremarches sur le front, le jeune Lucius Ælius Commodus préfère la vie de plaisir à Rome et la fréquentation des gladiateurs avec lesquels il aimait tirer l'épée. Il fait donc la paix avec les Germains, et les légions reviennent sur les anciennes frontières.

 
commode - christopher plummer commode commode - joaquin phoenix

Dans sa jeunesse Commode arborait un style très romain : glabre, le cheveux court. Christopher Plummer avec son court collier de barbe et Joaquin Phoenix, malgré son bec de lièvre, peuvent faire illusion

 

vommode en hercule

Mais plus tard, devenu empereur, pour cultiver sa ressemblance avec son père Marc Aurèle, ou plus probablement mieux s'identifier à Hercule avec la peau de lion et la massue duquel il aimait se pavaner et se faire statufier, il se laissera pousser barbe et cheveux (Commode, Musée du Capitole (Rome)

 

Commode était un colosse blond, bouclé et barbu (ni Christopher Plummer, ni Joaquin Phoenix ne sont très ressemblants...), qui se prenait pour la réincarnation d'Hercule et aimait à s'affubler d'une peau de lion et d'une massue. C'est dans cette tenue qu'il parut un jour dans l'arène pour massacrer des «monstres» - des vieillards, malades et estropiés. Comment ne pas faire de rapprochement avec certain dictateur de l'Ouganda qui liquidait lui-même des opposants... à coup de batte de base-ball ?
Il aimait également participer à des venatio et, habile archer comme son modèle Hercule, un jour décapita «héroïquement» cinquante autruches avec cinquante flèches dont le large fer était en forme de croissant...

Le fils de Marc Aurèle aimait avidement le pouvoir et «persécuta» les élites susceptible de lui en disputer une part - c'est-à-dire la classe sénatoriale que son père se serait efforcé de rétablir dans ses anciennes prérogatives républicaines (belle légende que ceci !).

Commode avait épousé la fille de C. Bruttius Præsens (consul 153 et 180). Mais, débauché, il eut commerce avec ses sœurs. Il «épousa» trois cents femmes et autant de garçons, mais sa favorite était Marcia, une concubine chrétienne qui compensait son existence dévergondée par la protection qu'elle étendait sur la communauté. Beaucoup de chrétiens ou sympathisants entouraient Commode, tel Carpophore, l'affranchi égyptien et chambellan Eclectus, le Phrygien Cléandre qui devint son préfet du prétoire, l'esclave Proculus (dont parle Tertullien), et un autre chambellan nommé Prosénès. Il était à ce point attaché à Marcia - qui partageait ses fantasmes érotiques en paraissant aux côtés d'«Hercule» déguisée en «Omphale, reine de Lydie» ou en «Hippolyte, reine des Amazones» - qu'il l'éleva, suprême honneur, au rang d'Augusta. Marcia obtiendra de lui la grâce du futur pape Calixte, condamné au mines en Sardaigne par un magistrat local. Car il n'y eut pas, du fait du Prince, de persécutions des chrétiens sous Commode - ce qui n'empêchait pas les «lois néroniennes» d'être toujours en vigueur (3), même si elles étaient rarement appliquées.

Les affaires de l'Etat, quant à elles, étaient abandonnées à des affranchis, coquins habiles à se remplir les poches et celles de leurs affidés. En 186, l'un d'eux - le préfet du prétoire Perennis - paraissant trop riche, Commode le condamne à la décapitation. En 189, Cléandre, son successeur, qui a négligé de se ménager les chefs militaires, connaît la même fin. Inquiets des impériaux caprices qui les menacent perpétuellement, quelques membres de l'entourage de Commode - parmi lesquels il trouvait les boucs émissaires de la conjoncture politique - décidèrent de prendre les devants. De ce nombre étaient sa favorite chrétienne, Marcia «l'Amazonienne», son troisième préfet du prétoire Lætus, et son chambellan christianophile Eclectus...

Quant à Commode, il fut victime d'une conspiration d'officiers inquiets par l'exécution de plusieurs préfets du prétoire, comme Perennis et Cléandre. En effet, ne faisant plus confiance en ses prétoriens, l'empereur avait annoncé son intention de désormais dormir au Ludus Magnus, la caserne des gladiateurs - seul endroit où il se sentit en sécurité. Flairant une épuration de la cour, le nouveau préfet, Q. Æmilius Lætus, prit les devants et, avec la complicité de l'affranchi Eclectus, persuada à sa favorite chrétienne Marcia de le faire empoisonner. Comme il tardait à mourir, un athlète nommé Narcisse, qui était son entraîneur, l'acheva en l'étranglant dans son lit, la nuit du 31 décembre 192 au 1er janvier 193. Il avait vécut 31 ans et 154 jours et régné onze ans et neuf mois. Lætus et ses prétoriens offrirent le trône au préfet de Rome, Pertinax, lequel régna... moins de trois mois.

Commode ne périt donc pas dans un combat singulier dans l'arène comme on le voit spectaculairement dans les films, qu'il s'agisse de La chute de l'Empire romain, Gladiator ou leurs épigones italiens ou autres.

 

commode et maximus

 

La vie de Commode fut une vraie bande dessinée. Hérodien rapporte qu'un légionnaire gaulois déserteur, Maternus, avait pris le maquis dans les landes de Bretagne et tenait toute une région incontrôlée de l'Empire, d'où il lançait des razzias dévastatrices. L'Empereur s'en inquiéta et fit le nécessaire pour que ces bandes fussent détruites, envoyant contre eux Pescennius Niger (en 185). Traqués, Maternus et ses derniers complices vinrent à Rome, et, déguisés en prétoriens, s'introduisirent dans le palais impérial afin de régler son compte à celui qui gênait leur «petit commerce». Heureusement pour Commode, ils furent démasqués et arrêtés à temps; et Maternus fut condamné à être décapité.

A l'écran
Dans
Gladiator il se venge de son père Marc Aurèle qui avait (sic) interdit les combats de gladiateurs, sa distraction favorite, en décrétant «en sa mémoire» 150 jours de jeux du cirque. Le scénariste s'est souvenu que Titus, inaugurant l'Amphithéâtre flavien (le Colisée), avait donné 100 jours de jeux d'affilée, au cours desquels 9.000 animaux auraient été tués, et que Trajan en avait offert 122, au cours desquels périrent 11.000 hommes et 10.000 animaux.

5.2.1. La mauvaise réputation

Sitôt connue la mort de Commode, les invectives fusèrent : «Le bourreau du Sénat, l'ennemi des dieux, le parricide du Sénat, le gladiateur au spoliaire ! Le meurtrier du Sénat, qu'il soit traîné avec un croc» (4). De qui émanaient-elles ? Sûrement pas de la populace. Plutôt des élites dont l'empereur avait jugulé les prérogatives.
«Si Commode (a répandu) le sang et la mort dans Rome, l'empire n'a pas (eu) à souffrir de sa folie. L'administration fonctionne. Les centres de décision dans les provinces décident. La paix règne dans l'empire. Les extravagances de Commode ne mettent pas en péril les finances publiques (5). Passionné de religions orientales, il ignore superbement les chrétiens qui ne subissent aucune persécution, contrairement au temps de Marc Aurèle. Il renforce systématiquement le limes rhénan, rhétique et danubien.
Le règne de Commode est, quoi qu'en aient dit ses biographes, mal connu. A bien examiner leurs accusations, ils ne font que reprendre la liste des tares d'un Caligula, d'un Néron, d'un Domitien. Et si Commode se conduit avec la rage sanguinaire qu'on lui prête, pourquoi un empereur aussi solide que Septime Sévère se déclare-t-il son frère ?»
résument François Zosso et Christian Zingg (6).

Il fit retoucher à sa ressemblance le colosse de Néron, érigé devant le «Colisée», et graver sur sa stèle «Commode, le premier des gladiateurs, qui vainquit seul 12.000 hommes de sa main gauche», rappelle Science & Vie-Junior dans un dossier publié à l'occasion de la sortie de Gladiator (7) (tandis que l'Histoire Auguste proclame plus sobrement qu'il revendiqua la légende : «Gladiateur et Homosexuel» [8]). Et de même que Néron voulu rebaptiser sa capitale «Néropolis», le fils de Marc Aurèle aurait envisagé de renommer la sienne Colonia Commodia : la «colonie de Commode» !
S'il ne trouva des gens pour chercher à réhabiliter Néron et même Caligula, il n'y en eut guère pour repêcher Commode. François Fontaine toutefois, dans ses Douze autres Césars et, surtout, dans ses Mémoires de T. Pompeianus a fait valoir que Commode avait été fort mal entouré par de vénaux affranchis, censés être ses éducateurs. Sans chercher à nier la prodigalité et les débauches de Commode, Charles Parain - pour sa part - montre que les mœurs des vertueux sénateurs étaient dignes de celles de leur prince. Ainsi ce vieux consulaire qui s'exhibait en public dans un pantomime en compagnie d'une courtisane qui imitait la panthère (9) ! Un de ses généraux, Septime Sévère qui avait servi sous Marc Aurèle et n'allait pas tarder à s'emparer du trône impérial, dénonça l'hypocrisie des sénateurs : «Vous avez couvert Commode d'opprobre et beaucoup d'entre vous vivent d'une manière plus infâme. Est-il possible de pousser plus loin la fausseté et l'injustice ?» (10).
Fort de l'appui de ses légions provinciales, Septime Sévère remit les pendules à l'heure et les sénateurs au pas, et décréta la divinisation de Commode et de son successeur Pertinax (mais non de Didius Julianus dont la désignation à l'empire, par les prétoriens achetés, avait provoqué sa révolte). Bien sûr, Septime Sévère a laissé le souvenir d'un général capable, sobre et ennemi du faste, mais aussi brutal et cruel, ennemi du sénat foyer de corruption qu'il purgea en même temps qu'il licencia les arrogants prétoriens (dont il avait jadis été un préfet, soit dit en passant).
Premier d'une longue série d'«empereurs-soldats», Septime Sévère s'inscrivit en fait dans la lignée de la monarchie absolutiste anti-sénatoriale, développant le fiscus (cassette personnelle de l'empereur) au détriment de l'ærarium (trésor public), l'Empire devenant ainsi - en quelque sorte - la propriété privée de l'Empereur.

A l'écran
Selon l'
Histoire Auguste (11), Commode serait né d'un adultère de Faustina avec un gladiateur. On sait le bon usage que les scénaristes de La chute de l'Empire romain firent de cette rumeur, plausible après tout.

 

verulus

Lorsqu'il apprend qu'il n'est pas le fils de Marc Aurèle, mais d'un gladiateur nommé Verulus - amant de sa mère dissolue -, Commode réduit celui-ci immédiatement au silence (La chute de l'Empire romain)

 

Déplorons que La chute... ait négligé de mettre en scène les «exploits» de Commode dans l'amphithéâtre, ou certains curieux personnages de son entourage comme sa pittoresque concubine chrétienne Marcia, l'Omphale auprès de laquelle il se sentait Hercule. Les péplums italiens ont retenu ces deux aspects, quoique Marcia n'y apparaisse que comme une «méchante» fort conventionnelle. Renvoyons nos visiteurs aux excellents romans de François Fontaine et de Gilbert Sinoué, cités dans la bibliographie (CLICK).

5.2.2. Commode vu par les historiens romains

La biographie de Commode nous est connue principalement à travers les œuvres de cinq auteurs : ÆLIUS LAMPRIDIUS, Vie de Commode (Histoire Auguste) (CLICK), AURELIUS VICTOR, De Cæsaribus, XVII (CLICK), DION CASSIUS, Histoire romaine, LXXII (CLICK), EUTROPE, Abrégé d'Histoire romaine, VIII, 15 (CLICK) et HÉRODIEN, Histoire romaine, I (CLICK). La relation de Lampride, dans L'Histoire Auguste, est particulièrement haineuse et bien dans l'esprit de Suétone : Commode ne commit que crimes et débauches; il était haï par le peuple autant que le Sénat. «Dès sa plus tendre enfance il fut impudique, méchant, cruel, libidineux, et il souilla jusqu'à sa bouche. Il s'appliqua à des choses qui ne conviennent guère à la majesté impériale, comme à modeler des coupes, à danser, à chanter, à siffler, enfin à exceller dans l'art des gladiateurs et des bouffons» (LAMPRIDIUS, Commode (Hist. Aug.), 1). Cependant, il nous rappelle non sans dépit que «l'empereur [Septime] Sévère, qui était tel de nom et d'effet, décida, sans doute en haine du sénat, que Commode serait mis au rang des dieux; et il lui donna le flamine que celui-ci avait lui-même choisi de son vivant, sous le nom d'Herculéen Commodien» (LAMPRIDIUS, Commode (Hist. Aug.), 18).
Plus neutre est Hérodien qui signale, à propos de la conspiration du rebelle Maternus : «Il [Maternus] savait que ce prince [Commode] était aimé du peuple et des soldats prétoriens». Et il rappelle également combien il fut applaudi par le peuple et par les sénateurs, retour du front danubien : «Lorsqu'il approcha de Rome, le sénat et le peuple s'empressant à l'envi, et tâchant de se prévenir, sortirent de la ville portant des branches de laurier et des couronnes de fleurs, et allèrent fort loin au-devant de lui, pour voir les premiers leur empereur, que sa jeunesse rendait aussi aimable que la noblesse de son extraction le rendait illustre. Ils avaient pour lui une singulière affection, parce qu'il avait été élevé au milieu d'eux, qu'il était d'une maison fort ancienne, et comptait plusieurs empereurs entre ses aïeux : car l'impératrice Faustina, sa mère, était fille d'Antonin le Pieux, petite-fille d'Hadrien, et arrière-petite-fille de Trajan. Tels étaient les ancêtres de Commode, qui joignait à une fort grande jeunesse une beauté qui n'était pas moindre : il avait la taille bien prise; son air n'avait rien d'efféminé; son regard était doux et vif tout ensemble, ses cheveux frisés et fort blonds; lorsqu'il marchait au soleil, ils jetaient un éclat si éblouissant, qu'il semblait qu'on les eût poudrés avec de la poudre d'or. Quelques-uns disaient que ces rayons naturels étaient une marque ou un heureux présage de sa divinité. Les Romains, charmés de voir un prince si accompli, le reçurent avec toute sorte d'acclamations et de cris de joie, et semèrent de festons de fleurs les chemins par où il devait passer.» Il est vrai que dans les premières années de son règne, Commode passa pour un empereur tout-à-fait respectable, encadré par les anciens collaborateurs de son père Marc Aurèle. Ce ne fut qu'avec le temps que ses propres créatures finirent par le manipuler et le corrompre. Hérodien dénonce sans ambages la malignité des affranchis qui entouraient le prince.

Les quelques lignes que lui consacre Eutrope ne prennent pas de grands risques, quoique négatives («... on le déclara même après sa mort ennemi du genre humain»). Tout aussi réprobateur, quoique plus mesuré, est Aurelius Victor. Seul Dion Cassius, historien considéré comme le plus sérieux, pèsera de tout son poids dans la balance pour rétablir un portrait acceptable : «Commode, de sa nature, était sans méchanceté, sans malice, autant qu'homme du monde; mais sa grande simplicité et [aussi] sa timidité le rendirent l'esclave de ceux qui l'approchaient; et l'erreur où ils le tinrent, en lui laissant tout d'abord ignorer le bien, l'entraîna à devenir débauché et cruel par habitude, puis par caractère. [Marc-Antonin me semble aussi l'avoir prévu.] Commode avait dix-neuf ans lorsque son père mourut, lui laissant pour curateurs plusieurs des membres les plus considérables du sénat, dont il abandonna les conseils et les avertissements pour revenir en hâte à Rome, après avoir fait la paix avec les barbares» (DION CASSIUS, Hist. rom., LXXII, 1).

maximus et commode

 

Arme pointue
Le stylet que Commode dissimule sur lui pour frapper traîtreusement Maximus dans le film semble inspiré d'Aurelius Victor : «Il était d'un naturel si féroce et si cruel, que souvent il tuait des gladiateurs, en feignant de se battre contre eux. Il se servait pour cela d'un fer pointu, quand ces malheureux n'avaient pour se défendre qu'un glaive de plomb, arrondi à l'extrémité. Déjà il en avait tué un grand nombre de cette manière, lorsqu'un d'entre eux, nommé Scéva, homme hardi, vigoureux et habile dans son art, le détourna de ce métier. Jetant un regard de mépris sur l'arme avec laquelle il ne pouvait se défendre : «La vôtre, dit-il à l'empereur, nous suffira à tous deux.» A ces paroles, Commode, craignant que Scéva ne lui arrachât son glaive en combattant, et ne le perçât lui-même, le fit retirer. Devenu plus craintif, dès ce moment, à l'égard des autres gladiateurs, il tourna sa rage contre les bêtes féroces» (AURELIUS VICTOR, De Cæs., XVII).

Commode fait une grande consommation de préfets du prétoire
Etre le préfet du prétoire de Commode n'était pas de tout repos; c'était même assez périlleux. L'empereur se défiait d'eux, c'est pourquoi, après avoir liquidé Perennis, il dédoubla la fonction : «Commode créa ensuite deux préfets des gardes prétoriennes, dans la pensée qu'il y avait trop de danger à mettre une charge si importante sur une seule tête, et qu'il valait mieux affaiblir cette puissance en la partageant» (HÉRODIEN, Hist. rom., I). En fait, ils furent même, parfois, jusqu'au nombre de trois lorsque l'affranchi Cléandre prit à son tour la fonction.

Le premier en ordre de fonction fut Paternus, déjà en place sous Marc Aurèle. Mais Paternus eut le tort de tremper dans la conspiration de Lucilla, en 185 :

«Sa cruauté détermina Quadratus et Lucilla, aidés des conseils du préfet du prétoire, Tarutinus Paternus, à former une entreprise contre sa vie. L'exécution en fut confiée à son parent Claudius Pompeianus, qui, entrant chez Commode un glaive à la main, s'ingéra, au lieu de le frapper de suite, de lui dire : 'Le sénat t'envoie ce poignard',

écrit Lampride, qui conclut l'épisode de la conspiration manquée de Lucilla par l'anecdote suivante :

Les préfets du prétoire, voyant la haine que l'on portait à Commode, à cause de sa passion pour Antérus, et ne pouvant supporter le pouvoir de ce favori, imaginèrent de l'attirer, pour une cérémonie religieuse, hors du palais; puis, au moment où il revenait dans ses jardins, ils le firent tuer par des vivandiers.
Commode fut plus sensible à cette mort qu'à un attentat contre sa propre vie. Paternus, un des meurtriers d'Antérus, et, autant qu'on pouvait le conjecturer, un des complices de la conjuration formée contre Commode, dont il avait tout fait pour sauver les auteurs, fut écarté de la préfecture, à l'instigation de Tigidius, et il reçut le laticlave. Peu de jours après, l'empereur l'accusa de conspirer contre lui, et prétendit qu'il n'avait promis sa fille au lit de Julien que dans le but de placer celui-ci sur le trône. Il fit donc périr aussitôt Paternus, Julien et Vitruvius Secundus, intime ami de Paternus et secrétaire impérial. La famille des Quintilius fut immolée tout entière»
etc. etc. (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 4).

Le Julien qui, selon Lampride, périt en même temps que Paternus, était sans doute son collègue préfet : «Commode, pour respirer après les plaisirs et les divertissements, versait le sang et mettait à mort citoyens illustres : parmi eux fut Julianus, préfet du prétoire, qu'il serrait dans ses bras et embrassait en public, et à qui il donnait le nom de père» (DION CASSIUS, Hist. rom., LXXII, 14). Sa fin fut misérable : «Il fit jeter dans un vivier, en présence de tous les officiers du palais, et avec sa toge, le préfet du prétoire Julianus. Il le força aussi à danser nu devant ses concubines, en jouant de la cimbale et le visage barbouillé» (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 11).

Ensuite ce fut au tour de Perennis de passer à la trappe, en 185. «Perennis, qui avait succédé à Paternus dans le commandement de la garde prétorienne, fut tué par les soldats révoltés. (...) «Nous venons, parce que Perennis conspire contre toi, et pour faire son fils empereur», déclarèrent à Commode leur délégation. Il ajouta foi à leurs discours; et, pressé d'ailleurs par Cléandre, qui, arrêté dans ses entreprises par Perennis, lui portait une haine violente, il livra le préfet aux soldats qu'il commandait et n'osa pas mépriser quinze cents soldats, lorsqu'il avait à sa disposition un bien plus grand nombre de prétoriens. Les soldats battirent Perennis de verges et lui coupèrent la tête, puis ils mirent aussi à mort sa femme, sa sœur et ses deux fils» (DION CASSIUS, Hist. rom., LXXII, 9).

Après Perennis, ce fut Ebutien qui encourut l'impériale défaveur. «Byrrus, beau-frère de l'empereur, ayant blâmé hautement et dénoncé à celui-ci [les crimes de Cléandre, ce dernier] l'accusa d'aspirer au trône, l'en rendit suspect, et le fit périr, avec beaucoup d'autres qui étaient dans ses intérêts. Le préfet Ebutien fut de ce nombre. Cléandre fut mis à sa place, ainsi que deux autres qu'il choisit lui-même. On vit alors, pour la première fois, trois préfets du prétoire, et parmi eux un affranchi qui fut appelé le secrétaire du poignard» (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 6).

C'est donc Cléandre qui, désormais, fait la pluie et le beau temps à Rome. Par paresse, Commode s'en remettait un peu trop facilement à ses affranchis qui le manipulaient sans vergogne. Ainsi, son préfet du prétoire Cléandre, pire que son prédécesseur Perennis dont il avait précipité la chute, «avait, comme on l'a dit, remplacé celui-ci, et la préfecture du prétoire avait été donnée à Niger, qui ne conserva, dit-on, ses fonctions que six heures. Les préfets du prétoire étaient changés d'une journée, d'une heure à l'autre; et Commode se montrait plus cruel que jamais. Martius Quartus ne fut que cinq jours préfet du prétoire. Ceux qui se succédaient dans ce poste y étaient ou maintenus ou tués, selon la volonté de Cléandre. D'un mot, il élevait des affranchis au rang de sénateurs et de patriciens» (12) (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 6). Ayant par ses prévarications et autres injustices soulevé la colère populaire, Commode se vit contraint d'abandonner son mauvais conseiller et de le faire décapiter (189-190). La fonction de préfet du prétoire est donc éminemment précaire, comme le rappelait Lampride : Commode «ne supporta pas longtemps les préfets Paternus et Perennis, et de tous ceux à qui il donna ces fonctions, aucun ne les garda trois ans : ils périrent presque tous par le glaive ou par le poison. Il changeait aussi facilement les préfets de la ville» (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 14). Et plus loin : «Il empoisonna avec des figues le préfet du prétoire Motilène» (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 9).

Après Cléandre, ce fut le tour de Q. Æmilius Lætus (ou Q. Ælius Lætus). Commode «avait ordonné aussi d'incendier Rome, comme étant sa Colonia Commodia; et l'ordre eût été exécuté, si le préfet du prétoire, Lætus, ne le lui eût fait révoquer» (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 15). Sans doute Lætus dut-il réfléchir à la mort de Cléandre et de ses prédécesseurs. En tout cas, lorsqu'il apparut que Commode avait dilapidé le trésor de l'Etat, «son préfet Quintus Ælius Lætus et sa concubine Marcia formèrent, quoique trop tard, une conjuration pour le tuer. Ils lui donnèrent d'abord du poison; mais comme il n'opérait pas assez vite, ils le firent étrangler par un athlète avec lequel il avait coutume de s'exercer» (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 17).

5.3. Lucilla

Fille de Marc Aurèle, Galeria Lucilla (149-182), naquit jumelle d'un petit Marcus mort-né. Il est remarquable de noter que sa mère, l'impératrice Faustina, sur les 13 ou 14 enfants qu'elle donna à son mari, eut trois fois des jumeaux (voir ci-dessous).

Lorsque son père accéda à l'Empire en compagnie de son frère adoptif, Lucilla avait d'abord été à 12 ans (13) l'épouse du coempereur Lucius Verus (qu'elle empoisonna peut-être [14] en 169) - et non d'un roi d'Arménie ! Elle fut donc ainsi co-impératrice de 160 à 169.
A peine refroidies les cendres de Lucius Verus, Lucilla fut remariée avec le vieux et vertueux général Ti. Claudius Pompeianus (170). Après une brève liaison incestueuse avec son frère Commode, qui finit par la délaisser, elle s'adonna à la débauche avec frénésie. En 185, ayant conspiré contre son empereur - non qu'elle se fut révoltée contre un tyran, mais parce que ses intérêts et ambitions ne concordaient pas avec les siens -, elle fut exilée à Capri, puis condamnée à mort. Elle avait alors 35 ans.
Contrairement, donc, à ce que le cinéma suggère, elle ne survécut pas à son frère Commode puisque c'est ce dernier qui la fit périr, lui-même étant assassiné des années plus tard (192).

 

lucilla - sophia loren

5.3.1. La conspiration de Lucilla

Hérodien nous renseigne sur la nature de la conspiration contre Commode de sa sœur Lucilla : «Lucilla, l'aînée de ses sœurs, avait épousé en premières noces Lucius Verus que Marc Aurèle avait associé à l'empire, et à qui il avait donné sa fille pour se l'attacher plus étroitement par cette alliance. Après la mort de Lucius Verus, son père la maria à Pompeianus, sans lui ôter les marques et les honneurs d'impératrice; Commode les lui conserva aussi : au théâtre, elle était assise sur un trône; et dans les rues, on portait le feu devant elle. Mais lorsque Commode eut épousé Crispine, il fallut lui céder le pas. Lucilla en fut piquée, et ne put se résoudre à marcher même après la femme de l'empereur. Elle savait que Pompeianus, son mari, avait une fidélité et un attachement inviolables pour Commode; ainsi elle ne lui communiqua rien de ses pernicieux desseins; mais elle s'adressa à un jeune patricien fort riche nommé Quadratus, avec qui on la soupçonnait d'être en commerce de galanterie. Elle le sonda peu à peu; et commençant par se plaindre qu'on lui eût ôté son rang, elle l'engagea insensiblement dans une entreprise aussi fatale au sénat qu'elle le fut à lui-même. Il fit entrer dans sa conjuration quelques-uns des sénateurs les plus distingués, et entre autres Quintianus, jeune homme hardi et entreprenant, » etc.
Désigné pour exécuter leur projet, Quintianus se présenta devant Commode le poignard à la main en se prévalant d'être commandité par le sénat. Ainsi averti par ce vain discours, l'empereur-gladiateur n'eut aucun mal à se défendre contre son piètre assassin. Dès lors - précise Hérodien -, Commode conçu pour cette noble institution une haine farouche. Quant à Lucilla, «il fit des informations exactes de cette conjuration; la sœur de l'empereur et tous les complices furent condamnés à perdre la tête. On punit avec eux du dernier supplice plusieurs personnes contre qui on n'avait que de fort légers soupçons» (HÉRODIEN, Hist. rom., I).

 

chute empire romain

5.3.2. Frères et sœurs de Commode

Faustina donna à Marc Aurèle six filles et sept garçons, dont Pierre Grimal a établi la liste que nous reproduisons ci-dessous. Nous n'ignorons pas que les spécialistes ne sont pas tout-à-fait d'accord entre eux quant à l'ordre de ces naissances, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants morts en bas-âge (des sept fils de Marc Aurèle, seul Commode parvint à l'âge adulte !), aussi renverrons-nous nos visiteurs à un courrier de Gricca, sur le site associé des Empereurs-romains où il reproduit les listes chronologiques de la progéniture de Marc Aurèle selon Anthony Birley (Marcus Aurelius, B.T. Batsford Ltd, Londres, 2e éd., révisée 1987) (14 enfants) et selon Clive Foss (Roman Historical Coins, Seaby, Londres, 1990) (13 enfants).

1) Fille : Galeria Faustina [Annia Aurelia Galeria Faustina], née en 147, dix-huit mois environ après le mariage de ses parents. Epouse du philosophe péripatéticien Claudius Severus.
2-3) Fille et fils jumeaux : Lucilla [Annia Aurelia Galeria Lucilla], née le 7 mars 149 (ou 150 ?); son frère Marcus ne vécut pas.
4) Fils : T. Aurelius Antoninus.
5) Fils : T. Ælius Aurelius.
6) Fils : Hadrianus.
7) Fille : Domitia Faustina.
8) Fille : Fadilla (née en 159 ?). Epousera M. Peducæus Plautius Quintillus (consul en 177).
9) Fille : Cornificia, née en 160 (?), épouse de M. Petronius Sura Mamertinus (consul en 182), exécuté par Commode. Remariée. Mise à mort par Caracalla.
10-11) Fils jumeaux en 161 : T. Aurelius Fulvus Antoninus, qui décéda à l'âge de quatre ans, et Commode [L. Aurelius Commodus].
12) Fils : M. Annius Verus Cæsar (né en 162; mort en 169).
13) Fille : Vibia Aurelia Sabina (née en 171 ou 172), épouse vers 183 le commandant des cohortes urbaines L. Antistius Burrus (consul en 181), puis L. Aurelius Agaclytus, chevalier romain.

A l'écran
La VF de
La chute de l'Empire romain a fort curieusement rebaptisé Lucilla «Antonia». Et non moins bizarrement, l'auteur de la «notice historique» figurant à la fin de la novélisation française parue chez Marabout, fait de Lucilla la sœur (et non la fille) de Marc Aurèle, et lui prête 45, voire 50 ans en 180 - ce qui lui aurait donné pas loin de soixante ans au moment de la mort de Commode, lorsqu'elle tombe - pulpeuse Sophia Loren ! - dans les bras du beau Livius-Stephen Boyd. Qu'on en juge d'après la liste ci-avant : Marc Aurèle eut au moins six filles, Lucilla étant la seconde, née semble-t-il en 149. Elle devait donc avoir 31 ans à la mort de son père, quand s'ouvre le film (180) et, le compte est vite fait, née en 1934 Sophia Loren avait, en 1964, 30 ans...
Marc Aurèle n'eut jamais eu de sœur répondant au nom de Lucilla, lequel fut porté par sa mère, Domitia Lucilla.

On notera que pour les nécessités du cinématographe, qui a besoin d'une héroïne innocente à placer dans les bras robustes du héros, la peu édifiante Lucilla a été singulièrement «blanchie» ! A l'écran, le personnage historiquement négatif de Lucilla, emprunte ses quelques traits positifs à la personnalité de... Marcia, la concubine chrétienne de Commode.

5.4. Lucius Verus

L. Aurelius Ceionius Commodus Verus (ROBERT 2) ou L. Ælius Aurelius Ceionius Commodus (BOUILLET, Dict., s.v.). Né à Rome, en 130 - décédé à Altinum, Vénétie, en 169. Coempereur romain (161-169).
Adopté par Antonin en même temps que Marc Aurèle, dont il devint en outre le gendre en épousant à Ephèse sa fille Lucilla (164).
Alors que Marc Aurèle était un jeune homme grave et réfléchi, Lucius Verus était plutôt du genre bon vivant, peu enclin à endurer les longues fatigues de la guerre. Après la guerre parthique qui avait menacé la partie de l'Empire relevant de sa juridiction et qu'il supervisa depuis sa résidence d'Ephèse (et pendant laquelle Avidius Cassius, son légat, se couvrit de gloire), il accompagna son frère dans la guerre contre les Marcomans (167-169). Retour du front du Danube, il mourut à Altinum, près de Padoue (169).

Il circule différentes opinions au sujet de sa mort, qui incriminent tantôt son épouse Lucilla, tantôt l'impératrice Faustina qui aurait été sa maîtresse (15). Mais on murmure aussi que, pour avoir les mains libres, «le philosophe» Marc Aurèle - caractère retors et dissimulé - se serait ainsi débarrassé de ce «frère» débauché et incapable.

A l'écran
Dans
La Chute de l'Empire romain, ce personnage a été complètement effacé et remplacé par celui du roi d'Arménie, Sohamus, qui par ce mariage avec la fille de l'empereur consacre son alliance avec Rome. Il semble toutefois qu'avant ces épousailles Lucilla-Sophia Loren semblait difficilement se remettre de quelque peine sentimentale et était prête à «entrer au couvent», c'est-à-dire se retirer chez les Vestales (sic) (16) : il s'agissait peut-être de pallier un «inconsolable» veuvage d'avec Lucius Verus.
Dans
Gladiator, par contre, il est plusieurs fois fait allusion au défunt coempereur Lucius Verus - en amour heureux rival de Maximus - qui se prolonge à travers Lucius Verus junior, le fils de Lucilla (Connie Nielsen).

 

lucilla et sohamus

Pour consolider l'Empire, Lucilla (Sophia Loren) épouse Sohamus (Omar Sharif), roi d'Arménie (La chute de l'Empire romain)

Suite…

NOTES :

(1) Le martyre de sainte Blandine, assise de force sur une chaise de fer chauffée à blanc dans l'amphithéâtre de Lyon, a été mis en scène d'une manière on ne peut plus réaliste dans un récent docufiction The Gospel of Judas - The Lost Version of Christ's Betrayal) (James Barrat, BBC, 2006 - L'évangile selon Judas, RTL-TVI, dimanche 23 mars 2008) (CLICK). [Evocation de saint Irénée de Lyon, qui classa comme hérétique l'Evangile de Judas.] - Retour texte

(2) Hist. Aug., éd. Bouquins, p. 152, n. 1 - citant DION CASSIUS, LXXI, 8-10. - Retour texte

(3) Qu'on se rappelle tout de même que le martyre de sainte Blandine, à Lyon, eut lieu en 177, sous le règne du très philosophe Marc Aurèle ! - Retour texte

(4) Ch. PARAIN, Marc Aurèle (1957), Bruxelles, Ed. Complexe, coll. «Le Temps & les Hommes», 1982, p. 196. - Retour texte

(5) C'est nous qui soulignons. - Retour texte

(6) F. ZOSSO et Ch. ZINGG, Les empereurs romains (27 av. J.-C. - 476 ap. J.-C.), Errance, 2002, p. 60. - Retour texte

(7) Science & Vie-Junior, n­ 130, juillet 2000, p. 54. - Retour texte

(8) Nous nous fions ici à la traduction de Chastagnol, n'ayant pas vu le texte latin original. Normalement le mot «homosexuel» n'existait pas dans l'Antiquité, ayant été forgé en Allemagne au XIXe s. Le texte original devait sans doute porter «inverti» (cinædicus) ou «pédéraste». - Retour texte

(9) Charles PARAIN, Marc-Aurèle (1957), Bruxelles, Ed. Complexe, coll. «Le Temps & les Hommes», 1982, p. 196-197. - Retour texte

(10) Cf. Ch. PARAIN, Marc Aurèle, op. cit., p. 196. - Retour texte

(11) Hist. Aug., M. Aurèle, XIX, 1-4 et 6. - Retour texte

(12) «On vit pour la première fois vingt-cinq consuls dans une même année. Toutes les provinces furent mises à l'encan», ajoute Lampride. - Retour texte

(13) La plupart de nos sources consultées font naître Lucilla le 7 mars 149 (ou 150). Lorsque Marc Aurèle et Lucius Verus montent sur le trône le 7 mars 161, elle a donc 12 ans. Certains ouvrages lui en donnaient 13, voir 16 ! - Retour texte

(14) On soupçonna également l'impératrice Faustina, qui aurait été sa maîtresse, et Marc Aurèle lui-même - soucieux de se débarasser du calamiteux personnage, notoirement incompétent dans les affaires de l'Empire. - Retour texte

(15) P. GRIMAL, op. cit., p. 199. - Retour texte

(16) Le scénariste n'avait manifestement aucune idée des conditions d'admission parmi le collège des vestales, ou bien il s'en moquait. Ou plus probablement usait-il ici d'un moyen terme intelligible pour les spectateurs non spécialistes : «entrer chez les Vestales» équivalant à entrer au couvent. En fait, nous ne voyons guère à citer de péplum qui en aurait donné une image sérieuse - et ce n'est pas I Claudius (1937), Hannibal (1960) ou Le Forum en Folie (1966) qui en apporteront la preuve contraire. Et pas davantage - quoique, Camane... - la série TV ABC Empire. - Retour texte