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De La Chute de l'Empire romain
à Gladiator
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II.
LES PROTAGONISTES
5. Les protagonistes historiques
Mis à part Marc Aurèle, Lucilla et Commode, tous
les autres personnages de Gladiator comme de La Chute
de l'Empire romain sont romanesques ou remodelés, de
simples prête-noms.
Partant, le sens même de l'histoire est infléchi
puisqu'est posée la question emblématique de l'uchronie,
parfois rebaptisée par les amateurs de SF anglo-saxons
«steampunk» : «Que se serait-il passé...
si Marc Aurèle avait déshérité son
fils Commode ?»
La réponse est implicite, informulée. Un Livius,
un Maximus - personnages responsables et d'une grande intégrité
morale - auraient, au moins provisoirement, enrayé le processus
de décadence (sic) de l'Empire romain...
5.1. Marc Aurèle
Marcus Aurelius Antoninus, naquit à Rome, en 121,
et décéda à Vindobona (Vienne, en Autriche),
en 180.
Il s'appela d'abord Catilius Severus puis, son père
décédé (130), et après son adoption
par son grand-père paternel : M. Aurelius Verus
(ou M. Annius Verus ?). Enfin, adopté par Antonin
le Pieux, il devient M. Ælius Aurelius Verus, voire
M. Ælius Aurelius Verus Antoninus philosophus.
Nous avouons être un peu perdu dans ces patronymes et cognomens
empilant les adoptions (pas étonnant qu'il fut devenu stoïcien
!) où, entre les Ælius, Aurelius et Antoninus
interchangeables, les Verus deviennent facultatifs...
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Depuis Hadrien, les empereurs-romains
adoptaient volontiers le look «græculus»
du philosophe barbu. Ci-dessus Marc Aurèle (buste
: Musée archéologique de Naples, ph. Roger-Violet),
flanqué à gauche de sir Alec Guinness, au
nom bien irlandais, qui l'incarne dans La chute de
l'Empire romain, et à droite de son compatriote
Richard Harris, le pochetron
qui en éclusait douze chaque jour, plus deux bouteilles
de vodka...
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Donc, le 17 mars 180, à Vindobona,
sur les bords du Danube, Marc
Aurèle décédait, non pas empoisonné
ou étranglé comme au cinéma, mais victime
d'une épidémie de peste qui ravageait alors toute
l'armée.
L'histoire n'a nulle part noté que l'Empereur ait jamais
eu l'intention de se trouver un autre successeur que son fils
Commode. Marc Aurèle songea-t-il à léguer
son empire à un autre que Commode ? C'est peu probable
: après le décès de Lucius Verus (169), ne
l'avait-il pas choisi pour coempereur (177) deux ans avant sa
mort ?
La thèse du film de S. Bronston (reprise par Ridley Scott)
est donc que Marc Aurèle, ayant tardivement compris l'indignité
de son fils, aurait songé à se conformer à
l'antonin principe de l'adoption, ce au bénéfice
d'un collaborateur éprouvé (ici le tribun Livius,
là le général Maximus - personnages de fiction
- ou l'usurpateur Avidius Cassius chez Renouvier). Pour être
plausible, puisque se positionnant dans la logique des Antonins,
elle ne repose - en fait - sur aucun indice ou fait historique
connu.
Le scénario du film suggère, qu'en cherchant à
évincer Commode (qui, dès lors, le fait assassiner
ou s'en charge lui-même et, par cette fin prématurée,
empêche Marc Aurèle de mener à bien son uvre
pacificatrice), Marc Aurèle aurait accéléré
le mécanisme de corruption qui précipita l'empire
vers sa désagrégation...
Hélas, le film n'est pas vraiment explicite quant à
la leçon d'histoire à retenir par le spectateur.
Comme toutes les autres grandes machines historiques, l'amour
et l'aventure prennent le pas sur l'information ou l'analyse,
et le spectateur non averti serait bien incapable de raccorder
à un quelconque contexte historique, en l'occurrence la
fin des Antonins, les excès du «tyran de service»
- Commode.
5.1.1. Le «gentil» et le «méchant»...
Commode est «cruel» et Marc Aurèle est «gentil».
Qu'on se rappelle tout de même que le martyre de sainte
Blandine (passée à la rôtissoire avant d'être
livrée aux cornes d'un taureau), en 177, à Lyon,
eut lieu sous le règne du très philosophe Marc Aurèle
même si sa condamnation fut le fait de magistrats locaux
qui ne faisaient qu'appliquer les lois en vigueur (1)
!
Mais il faut aussi préciser que les martyrs de Lyon étaient
des Montanistes, secte fanatique aspirant au martyre. Et sans
doute que si Marc Aurèle, qui était stoïcien,
eut un peu mieux connu la doctrine chrétienne, il eut trouvé
des points de convergence plutôt que des points de désaccord
avec la secte réprouvée. Marc Aurèle fut
sans doute victime des préjugés de son temps, un
peu comme Hergé - catholique traditionaliste - ne pouvait
voir malice dans son antisémitisme conventionnel...
Ne chipotons pas : dans l'affaire de sainte Blandine, tout le
monde était content. Les Romains parce qu'ils s'étaient
débarrassés d'une bande de trublions. Et les chrétiens
- des montanistes ! des hérétiques ! - parce qu'ils
avaient connu le martyre auquel toutes les fibres de leur chair
profane aspirait...
5.1.2. Et Jésus...
Il paraît (notez que nous n'avons pas écrit «il
semble») que l'armée de Marc Aurèle comptait
de nombreux adeptes du Christ : la «légion Mélitine»,
qui combattit en Germanie, aurait été entièrement
composée de chrétiens. Restons néanmoins
prudents sur ce point, car ça sent l'eau bénite
!
La «légion Mélitine»,
tire son nom de Mélitène, ville fondée par
Trajan, qui devint la métropole de la Petite Arménie
et le siège de cette légion chrétienne, parfois
identifiée avec la XIIe Fulminata. Mourant de soif,
les soldats de la Fulminata (= «Frappée par
la foudre») avaient prié le Christ pour qu'il envoie
à eux la pluie - et la foudre et la grêle sur l'ennemi
(2).
Ce qu'il advint. Cet épisode est également mentionné
par Tertullien : «Marc Aurèle aussi, dans son
expédition contre les Germains, obtint, par les prières
des soldats chrétiens, une pluie bienfaisante qui sauva
l'armée, travaillée par la soif» (TERT.,
Scapula, IV, 462-463).
Méfions-nous tout de même ce que qui semble une belle
légende hagiographique, une récupération
a posteriori.
5.1.3. Un successeur tout désigné...
Il est douteux que Marc Aurèle n'ait pas souhaité
se voir succéder à l'Empire par son fils Commode.
Marc Aurèle n'eut jamais la moindre intention d'aligner
son attitude sur ses prédécesseur les Antonins en
choisissant son dauphin en dehors de sa famille. D'emblée,
il lui conféra le titre de César... à l'âge
de cinq ans (166).
En 176, il l'associa à son «Triomphe»,
le fit consul en 177,
et coempereur la même
année (trois ans avant sa mort). Commode a alors 19 ans.
L'année suivante, le père et le fils partirent
ensemble à la guerre contre les Barbares du
Nord et ils en partagèrent les fatigues. Injustifiées
nous paraissent les insinuations distillées par La chute
de l'Empire romain et Gladiator, qui nous montrent
Commode venant en touriste visiter le front, dans l'espoir de
s'y faire proclamer coempereur (ce qu'il était déjà).
«J'ai manqué la bataille ?» s'exclame
Commode-Joaquin Phoenix, débarquant de son mobil-home comme
un carabinier d'Offenbach. «Tu as surtout manqué
la guerre», lui répond son père, avec
une pointe d'amertume. Enfin, Marc Aurèle, au moment de
rendre l'âme
n'admit que son fils
à son chevet. Mais, en somme, le film de Ridley Scott ne
dit rien d'autre : Commode fut bien le dernier à avoir
vu l'empereur vivant...
Si presque toutes les filles de Marc Aurèle atteignirent
l'âge adulte et se marièrent (quatre sur six, au
moins), Commode - lui - fut le seul de ses sept frères
à survivre aux épidémies et à l'effroyable
mortalité infantile endémique à son temps.
Le jeune Commode cristallisait sur sa personne l'unique espoir
de continuité d'un père. S'interrogeant sur l'indulgence
du père quant aux écarts du fils, que l'on s'en
souvienne avant de le trop sévèrement juger.
5.1.4. Cherchez l'empoisonneur
Pour régner seul, Marc Aurèle aurait empoisonné
son très dissipé frère adoptif Lucius Verus,
en partageant avec lui une vulve de truie qu'il découpa
avec un couteau dont
un côté de la lame était empoisonné
(Hist. Aug., M. Aurèle, XV, 5).
La chute de l'Empire romain, comme souvent au cinéma,
prend le contre-pied des textes : c'est Marc Aurèle lui-même
qui est victime de sa propre malignité, et qui meurt victime
d'un aliment coupé en deux avec une lame empoisonnée.
Comme on dit chez nous : «(Les scénaristes) ont entendu
braire un âne, mais ils ne savent plus dans quelle étable...»
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5.2. Commode
L. Ælius Aurelius Commodus (ou L. Aurelius Antoninus
Commodus) (Lanuvium, 31 août 161 - Rome, 31 décembre
192), empereur de 180 à 192.
L. Ælius Commodus succède à son père
Marc Aurèle, qui fut donc le premier des Antonins à
avoir éludé le principe de l'adoption (ce qui fait
également de lui le dernier de sa «dynastie»).
Le 17 mars 180, le dernier des sages Antonins, légua donc
l'Empire à son fils Commode,
un jeune homme de dix-neuf ans, brutal, paresseux et grossier.
Toutefois, plutôt que les marches et contremarches sur le
front, le jeune Lucius Ælius Commodus préfère
la vie de plaisir à Rome et la fréquentation des
gladiateurs avec lesquels il aimait tirer l'épée.
Il fait donc la paix avec les Germains, et les légions
reviennent sur les anciennes frontières. |
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Dans sa jeunesse Commode
arborait un style très romain : glabre, le cheveux
court. Christopher Plummer avec son court collier de barbe
et Joaquin Phoenix, malgré son bec de lièvre,
peuvent faire illusion
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Mais plus tard, devenu empereur,
pour cultiver sa ressemblance avec son père Marc
Aurèle, ou plus probablement mieux s'identifier à
Hercule avec la peau de lion et la massue duquel il aimait
se pavaner et se faire statufier, il se laissera pousser
barbe et cheveux (Commode, Musée du Capitole (Rome) |
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Commode était un colosse blond,
bouclé et barbu (ni Christopher Plummer, ni Joaquin Phoenix
ne sont très ressemblants...), qui se prenait pour la réincarnation
d'Hercule et aimait à s'affubler d'une peau de lion et
d'une massue. C'est dans cette tenue qu'il parut un jour dans
l'arène pour massacrer des «monstres» - des
vieillards, malades et estropiés. Comment ne pas faire
de rapprochement avec certain dictateur de l'Ouganda qui liquidait
lui-même des opposants... à coup de batte de base-ball
?
Il aimait également participer à des venatio
et, habile archer comme son modèle Hercule, un jour décapita
«héroïquement» cinquante autruches avec
cinquante flèches dont le large fer était en forme
de croissant...
Le fils de Marc Aurèle aimait avidement le pouvoir et
«persécuta» les élites susceptible de
lui en disputer une part - c'est-à-dire la classe sénatoriale
que son père se serait efforcé de rétablir
dans ses anciennes prérogatives républicaines (belle
légende que ceci !).
Commode avait épousé la fille
de C. Bruttius Præsens (consul 153 et 180). Mais, débauché,
il eut commerce avec ses surs. Il «épousa»
trois cents femmes et autant de garçons, mais sa favorite
était Marcia, une concubine chrétienne qui compensait
son existence dévergondée par la protection qu'elle
étendait sur la communauté. Beaucoup de chrétiens
ou sympathisants entouraient Commode, tel Carpophore,
l'affranchi égyptien et chambellan Eclectus,
le Phrygien Cléandre
qui devint son préfet du prétoire, l'esclave Proculus
(dont parle Tertullien), et un autre chambellan nommé Prosénès.
Il était à ce point attaché à Marcia
- qui partageait ses fantasmes érotiques en paraissant
aux côtés d'«Hercule» déguisée
en «Omphale, reine de Lydie» ou en «Hippolyte,
reine des Amazones» - qu'il l'éleva, suprême
honneur, au rang d'Augusta. Marcia obtiendra de lui la grâce
du futur pape Calixte,
condamné au mines en Sardaigne par un magistrat local.
Car il n'y eut pas, du fait du Prince, de persécutions
des chrétiens sous Commode - ce qui n'empêchait pas
les «lois néroniennes» d'être toujours
en vigueur (3),
même si elles étaient rarement appliquées.
Les affaires de l'Etat, quant à elles,
étaient abandonnées à des affranchis, coquins
habiles à se remplir les poches et celles de leurs affidés.
En 186, l'un d'eux - le préfet du prétoire Perennis
- paraissant trop riche, Commode le condamne à la décapitation.
En 189, Cléandre,
son successeur, qui a négligé de se ménager
les chefs militaires, connaît la même fin. Inquiets
des impériaux caprices qui les menacent perpétuellement,
quelques membres de l'entourage de Commode - parmi lesquels il
trouvait les boucs émissaires de la conjoncture politique
- décidèrent de prendre les devants. De ce nombre
étaient sa favorite chrétienne, Marcia «l'Amazonienne»,
son troisième préfet du prétoire Lætus,
et son chambellan christianophile Eclectus...
Quant à Commode, il fut victime d'une conspiration d'officiers
inquiets par l'exécution de plusieurs préfets du
prétoire, comme Perennis et Cléandre. En effet,
ne faisant plus confiance en ses prétoriens, l'empereur
avait annoncé son intention de désormais dormir
au Ludus Magnus, la caserne des gladiateurs - seul endroit
où il se sentit en sécurité. Flairant une
épuration de la cour, le nouveau préfet, Q. Æmilius
Lætus, prit les devants et, avec la complicité de
l'affranchi Eclectus, persuada à sa favorite chrétienne
Marcia de le faire empoisonner. Comme il tardait à mourir,
un athlète nommé Narcisse,
qui était son entraîneur, l'acheva en l'étranglant
dans son lit, la nuit du 31 décembre 192 au 1er janvier
193. Il avait vécut 31 ans et 154 jours et régné
onze ans et neuf mois. Lætus et ses prétoriens offrirent
le trône au préfet de Rome, Pertinax, lequel régna...
moins de trois mois.
Commode ne périt donc pas dans un combat singulier dans
l'arène comme on le voit spectaculairement dans les films,
qu'il s'agisse de La chute de l'Empire romain, Gladiator
ou leurs épigones
italiens ou autres. |
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La vie de Commode
fut une vraie bande dessinée. Hérodien rapporte
qu'un légionnaire gaulois déserteur, Maternus, avait
pris le maquis dans les landes de Bretagne et tenait toute une
région incontrôlée de l'Empire, d'où
il lançait des razzias dévastatrices. L'Empereur
s'en inquiéta et fit le nécessaire pour que ces
bandes fussent détruites, envoyant contre eux Pescennius
Niger (en 185). Traqués, Maternus et ses derniers complices
vinrent à Rome, et, déguisés en prétoriens,
s'introduisirent dans le palais impérial afin de régler
son compte à celui qui gênait leur «petit commerce».
Heureusement pour Commode, ils furent démasqués
et arrêtés à temps; et Maternus fut condamné
à être décapité.
A l'écran
Dans Gladiator il se venge de son père Marc Aurèle
qui avait (sic) interdit les combats de gladiateurs, sa
distraction favorite, en décrétant «en sa
mémoire» 150 jours de jeux du cirque. Le scénariste
s'est souvenu que Titus, inaugurant l'Amphithéâtre
flavien (le Colisée), avait donné 100 jours de jeux
d'affilée, au cours desquels 9.000 animaux auraient été
tués, et que Trajan en avait offert 122, au cours desquels
périrent 11.000 hommes et 10.000 animaux.
5.2.1. La mauvaise réputation
Sitôt connue la mort de Commode, les invectives fusèrent
: «Le bourreau du Sénat, l'ennemi des dieux, le
parricide du Sénat, le gladiateur au spoliaire ! Le meurtrier
du Sénat, qu'il soit traîné avec un croc»
(4).
De qui émanaient-elles ? Sûrement pas de la populace.
Plutôt des élites dont l'empereur avait jugulé
les prérogatives.
«Si Commode (a répandu) le sang et la mort
dans Rome, l'empire n'a pas (eu) à souffrir de sa
folie. L'administration fonctionne. Les centres de décision
dans les provinces décident. La paix règne dans
l'empire. Les extravagances de Commode ne mettent pas en péril
les finances publiques (5).
Passionné de religions orientales, il ignore superbement
les chrétiens qui ne subissent aucune persécution,
contrairement au temps de Marc Aurèle. Il renforce systématiquement
le limes rhénan, rhétique et danubien.
Le règne de Commode est, quoi qu'en aient dit ses biographes,
mal connu. A bien examiner leurs accusations, ils ne font que
reprendre la liste des tares d'un Caligula, d'un Néron,
d'un Domitien. Et si Commode se conduit avec la rage sanguinaire
qu'on lui prête, pourquoi un empereur aussi solide que Septime
Sévère se déclare-t-il son frère ?»
résument François Zosso et Christian Zingg (6).
Il fit retoucher à sa ressemblance le colosse de Néron,
érigé devant le «Colisée», et
graver sur sa stèle «Commode, le premier des gladiateurs,
qui vainquit seul 12.000 hommes de sa main gauche»,
rappelle Science & Vie-Junior dans un dossier publié
à l'occasion de la sortie de Gladiator (7)
(tandis que l'Histoire Auguste proclame plus sobrement
qu'il revendiqua la légende : «Gladiateur et Homosexuel»
[8]). Et de même
que Néron voulu rebaptiser sa capitale «Néropolis»,
le fils de Marc Aurèle aurait envisagé de renommer
la sienne Colonia Commodia : la «colonie de Commode»
!
S'il ne trouva des gens pour chercher à réhabiliter
Néron et même Caligula, il n'y en eut guère
pour repêcher Commode. François Fontaine toutefois,
dans ses Douze autres Césars et, surtout, dans ses
Mémoires de T. Pompeianus a fait valoir que Commode
avait été fort mal entouré par de vénaux
affranchis, censés être ses éducateurs. Sans
chercher à nier la prodigalité et les débauches
de Commode, Charles Parain - pour sa part - montre que les murs
des vertueux sénateurs étaient dignes de celles
de leur prince. Ainsi ce vieux consulaire qui s'exhibait en public
dans un pantomime en compagnie d'une courtisane qui imitait la
panthère (9)
! Un de ses généraux, Septime Sévère
qui avait servi sous Marc Aurèle et n'allait pas tarder
à s'emparer du trône impérial, dénonça
l'hypocrisie des sénateurs : «Vous avez couvert
Commode d'opprobre et beaucoup d'entre vous vivent d'une manière
plus infâme. Est-il possible de pousser plus loin la fausseté
et l'injustice ?» (10).
Fort de l'appui de ses légions provinciales, Septime Sévère
remit les pendules à l'heure et les sénateurs au
pas, et décréta la divinisation de Commode et de
son successeur Pertinax (mais non de Didius Julianus dont la désignation
à l'empire, par les prétoriens achetés, avait
provoqué sa révolte). Bien sûr, Septime Sévère
a laissé le souvenir d'un général capable,
sobre et ennemi du faste, mais aussi brutal et cruel, ennemi du
sénat foyer de corruption qu'il purgea en même temps
qu'il licencia les arrogants prétoriens (dont il avait
jadis été un préfet, soit dit en passant).
Premier d'une longue série d'«empereurs-soldats»,
Septime Sévère s'inscrivit en fait dans la lignée
de la monarchie absolutiste anti-sénatoriale, développant
le fiscus (cassette personnelle de l'empereur) au détriment
de l'ærarium (trésor public), l'Empire devenant
ainsi - en quelque sorte - la propriété privée
de l'Empereur.
A l'écran
Selon l'Histoire Auguste (11),
Commode serait né d'un adultère de Faustina avec
un gladiateur. On sait le bon usage que les scénaristes
de La chute de l'Empire romain firent de cette rumeur,
plausible après tout.
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Lorsqu'il apprend qu'il n'est
pas le fils de Marc Aurèle, mais d'un gladiateur
nommé Verulus - amant de sa mère dissolue
-, Commode réduit celui-ci immédiatement au
silence (La chute de l'Empire romain) |
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Déplorons que La chute...
ait négligé de mettre en scène les «exploits»
de Commode dans l'amphithéâtre, ou certains curieux
personnages de son entourage comme sa pittoresque concubine chrétienne
Marcia, l'Omphale auprès de laquelle il se sentait Hercule.
Les péplums italiens ont retenu ces deux aspects, quoique
Marcia n'y apparaisse que comme une «méchante»
fort conventionnelle. Renvoyons nos visiteurs aux excellents romans
de François Fontaine et de Gilbert Sinoué, cités
dans la bibliographie (CLICK).
5.2.2. Commode vu par les historiens romains
La biographie de Commode nous est connue principalement à
travers les uvres de cinq auteurs : ÆLIUS LAMPRIDIUS,
Vie de Commode (Histoire Auguste) (CLICK),
AURELIUS VICTOR, De Cæsaribus, XVII (CLICK),
DION CASSIUS, Histoire romaine, LXXII (CLICK),
EUTROPE, Abrégé d'Histoire romaine, VIII,
15 (CLICK)
et HÉRODIEN, Histoire romaine, I (CLICK).
La relation de Lampride, dans L'Histoire Auguste, est particulièrement
haineuse et bien dans l'esprit de Suétone : Commode ne
commit que crimes et débauches; il était haï
par le peuple autant que le Sénat. «Dès
sa plus tendre enfance il fut impudique, méchant, cruel,
libidineux, et il souilla jusqu'à sa bouche. Il s'appliqua
à des choses qui ne conviennent guère à la
majesté impériale, comme à modeler des coupes,
à danser, à chanter, à siffler, enfin à
exceller dans l'art des gladiateurs et des bouffons»
(LAMPRIDIUS, Commode (Hist. Aug.), 1). Cependant, il nous
rappelle non sans dépit que «l'empereur [Septime]
Sévère, qui était tel de nom et d'effet,
décida, sans doute en haine du sénat, que Commode
serait mis au rang des dieux; et il lui donna le flamine que celui-ci
avait lui-même choisi de son vivant, sous le nom d'Herculéen
Commodien» (LAMPRIDIUS, Commode (Hist. Aug.),
18).
Plus neutre est Hérodien qui signale, à propos de
la conspiration du rebelle Maternus : «Il [Maternus]
savait que ce prince [Commode] était aimé
du peuple et des soldats prétoriens». Et il rappelle
également combien il fut applaudi par le peuple et par
les sénateurs, retour du front danubien : «Lorsqu'il
approcha de Rome, le sénat et le peuple s'empressant à
l'envi, et tâchant de se prévenir, sortirent de la
ville portant des branches de laurier et des couronnes de fleurs,
et allèrent fort loin au-devant de lui, pour voir les premiers
leur empereur, que sa jeunesse rendait aussi aimable que la noblesse
de son extraction le rendait illustre. Ils avaient pour lui une
singulière affection, parce qu'il avait été
élevé au milieu d'eux, qu'il était d'une
maison fort ancienne, et comptait plusieurs empereurs entre ses
aïeux : car l'impératrice Faustina, sa mère,
était fille d'Antonin le Pieux, petite-fille d'Hadrien,
et arrière-petite-fille de Trajan. Tels étaient
les ancêtres de Commode, qui joignait à une fort
grande jeunesse une beauté qui n'était pas moindre
: il avait la taille bien prise; son air n'avait rien d'efféminé;
son regard était doux et vif tout ensemble, ses cheveux
frisés et fort blonds; lorsqu'il marchait au soleil, ils
jetaient un éclat si éblouissant, qu'il semblait
qu'on les eût poudrés avec de la poudre d'or. Quelques-uns
disaient que ces rayons naturels étaient une marque ou
un heureux présage de sa divinité. Les Romains,
charmés de voir un prince si accompli, le reçurent
avec toute sorte d'acclamations et de cris de joie, et semèrent
de festons de fleurs les chemins par où il devait passer.»
Il est vrai que dans les premières années de son
règne, Commode passa pour un empereur tout-à-fait
respectable, encadré par les anciens collaborateurs de
son père Marc Aurèle. Ce ne fut qu'avec le temps
que ses propres créatures finirent par le manipuler et
le corrompre. Hérodien dénonce sans ambages la malignité
des affranchis qui entouraient le prince.
Les quelques lignes que lui consacre Eutrope ne prennent pas
de grands risques, quoique négatives («... on
le déclara même après sa mort ennemi du genre
humain»). Tout aussi réprobateur, quoique plus
mesuré, est Aurelius Victor. Seul Dion Cassius, historien
considéré comme le plus sérieux, pèsera
de tout son poids dans la balance pour rétablir un portrait
acceptable : «Commode, de sa nature, était sans
méchanceté, sans malice, autant qu'homme du monde;
mais sa grande simplicité et [aussi] sa timidité
le rendirent l'esclave de ceux qui l'approchaient; et l'erreur
où ils le tinrent, en lui laissant tout d'abord ignorer
le bien, l'entraîna à devenir débauché
et cruel par habitude, puis par caractère. [Marc-Antonin
me semble aussi l'avoir prévu.] Commode avait dix-neuf
ans lorsque son père mourut, lui laissant pour curateurs
plusieurs des membres les plus considérables du sénat,
dont il abandonna les conseils et les avertissements pour revenir
en hâte à Rome, après avoir fait la paix avec
les barbares» (DION CASSIUS, Hist. rom., LXXII,
1). |
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Arme pointue
Le stylet que Commode dissimule sur lui pour frapper traîtreusement
Maximus dans le film semble inspiré d'Aurelius Victor :
«Il était d'un naturel si féroce et si
cruel, que souvent il tuait des gladiateurs, en feignant de se
battre contre eux. Il se servait pour cela d'un fer pointu, quand
ces malheureux n'avaient pour se défendre qu'un glaive
de plomb, arrondi à l'extrémité. Déjà
il en avait tué un grand nombre de cette manière,
lorsqu'un d'entre eux, nommé Scéva, homme hardi,
vigoureux et habile dans son art, le détourna de ce métier.
Jetant un regard de mépris sur l'arme avec laquelle il
ne pouvait se défendre : «La vôtre, dit-il
à l'empereur, nous suffira à tous deux.»
A ces paroles, Commode, craignant que Scéva ne lui arrachât
son glaive en combattant, et ne le perçât lui-même,
le fit retirer. Devenu plus craintif, dès ce moment, à
l'égard des autres gladiateurs, il tourna sa rage contre
les bêtes féroces» (AURELIUS VICTOR, De
Cæs., XVII).
Commode fait une grande consommation de préfets du prétoire
Etre le préfet du prétoire de Commode n'était
pas de tout repos; c'était même assez périlleux.
L'empereur se défiait d'eux, c'est pourquoi, après
avoir liquidé Perennis,
il dédoubla la fonction : «Commode créa
ensuite deux préfets des gardes prétoriennes, dans
la pensée qu'il y avait trop de danger à mettre
une charge si importante sur une seule tête, et qu'il valait
mieux affaiblir cette puissance en la partageant» (HÉRODIEN,
Hist. rom., I). En fait, ils furent même, parfois,
jusqu'au nombre de trois lorsque l'affranchi Cléandre prit
à son tour la fonction.
Le premier en ordre de fonction fut Paternus,
déjà en place sous Marc Aurèle. Mais Paternus
eut le tort de tremper dans la conspiration de Lucilla, en 185
:
«Sa cruauté détermina Quadratus et Lucilla,
aidés des conseils du préfet du prétoire,
Tarutinus Paternus, à former une entreprise contre sa
vie. L'exécution en fut confiée à son parent
Claudius Pompeianus, qui, entrant chez Commode un glaive à
la main, s'ingéra, au lieu de le frapper de suite, de
lui dire : 'Le sénat t'envoie ce poignard',
écrit Lampride, qui conclut l'épisode de la conspiration
manquée de Lucilla par l'anecdote suivante :
Les préfets du prétoire, voyant la haine que
l'on portait à Commode, à cause de sa passion
pour Antérus, et ne pouvant supporter le pouvoir de ce
favori, imaginèrent de l'attirer, pour une cérémonie
religieuse, hors du palais; puis, au moment où il revenait
dans ses jardins, ils le firent tuer par des vivandiers.
Commode fut plus sensible à cette mort qu'à un
attentat contre sa propre vie. Paternus, un des meurtriers
d'Antérus, et, autant qu'on pouvait le conjecturer, un
des complices de la conjuration formée contre Commode,
dont il avait tout fait pour sauver les auteurs, fut écarté
de la préfecture, à l'instigation de Tigidius,
et il reçut le laticlave. Peu de jours après,
l'empereur l'accusa de conspirer contre lui, et prétendit
qu'il n'avait promis sa fille au lit de Julien que dans le but
de placer celui-ci sur le trône. Il fit donc périr
aussitôt Paternus, Julien et Vitruvius Secundus,
intime ami de Paternus et secrétaire impérial.
La famille des Quintilius fut immolée tout entière»
etc. etc. (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 4).
Le Julien qui, selon Lampride, périt
en même temps que Paternus, était sans doute son
collègue préfet : «Commode, pour respirer
après les plaisirs et les divertissements, versait le sang
et mettait à mort citoyens illustres : parmi eux fut
Julianus, préfet du prétoire, qu'il serrait
dans ses bras et embrassait en public, et à qui il donnait
le nom de père» (DION CASSIUS, Hist. rom.,
LXXII, 14). Sa fin fut misérable : «Il fit jeter
dans un vivier, en présence de tous les officiers du palais,
et avec sa toge, le préfet du prétoire Julianus.
Il le força aussi à danser nu devant ses concubines,
en jouant de la cimbale et le visage barbouillé»
(LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 11).
Ensuite ce fut au tour de Perennis
de passer à la trappe, en 185. «Perennis, qui
avait succédé à Paternus dans le commandement
de la garde prétorienne, fut tué par les soldats
révoltés. (...) «Nous venons, parce que
Perennis conspire contre toi, et pour faire son fils empereur»,
déclarèrent à Commode leur délégation.
Il ajouta foi à leurs discours; et, pressé d'ailleurs
par Cléandre, qui, arrêté dans ses entreprises
par Perennis, lui portait une haine violente, il livra le préfet
aux soldats qu'il commandait et n'osa pas mépriser quinze
cents soldats, lorsqu'il avait à sa disposition un bien
plus grand nombre de prétoriens. Les soldats battirent
Perennis de verges et lui coupèrent la tête, puis
ils mirent aussi à mort sa femme, sa sur et ses deux
fils» (DION CASSIUS, Hist. rom., LXXII, 9).
Après Perennis, ce fut Ebutien qui encourut l'impériale
défaveur. «Byrrus, beau-frère de l'empereur,
ayant blâmé hautement et dénoncé à
celui-ci [les crimes de Cléandre, ce dernier] l'accusa
d'aspirer au trône, l'en rendit suspect, et le fit périr,
avec beaucoup d'autres qui étaient dans ses intérêts.
Le préfet Ebutien fut de ce nombre. Cléandre fut
mis à sa place, ainsi que deux autres qu'il choisit lui-même.
On vit alors, pour la première fois, trois préfets
du prétoire, et parmi eux un affranchi qui fut appelé
le secrétaire du poignard» (LAMPRIDE, Hist.
Aug., Vie de Commode, 6).
C'est donc Cléandre
qui, désormais, fait la pluie et le beau temps à
Rome. Par paresse, Commode s'en remettait un peu trop facilement
à ses affranchis qui le manipulaient sans vergogne. Ainsi,
son préfet du prétoire Cléandre, pire que
son prédécesseur Perennis dont il avait précipité
la chute, «avait, comme on l'a dit, remplacé celui-ci,
et la préfecture du prétoire avait été
donnée à Niger, qui ne conserva, dit-on,
ses fonctions que six heures. Les préfets du prétoire
étaient changés d'une journée, d'une heure
à l'autre; et Commode se montrait plus cruel que jamais.
Martius Quartus ne fut que cinq jours préfet
du prétoire. Ceux qui se succédaient dans ce poste
y étaient ou maintenus ou tués, selon la volonté
de Cléandre. D'un mot, il élevait des affranchis
au rang de sénateurs et de patriciens» (12)
(LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 6). Ayant par ses
prévarications et autres injustices soulevé la colère
populaire, Commode se vit contraint d'abandonner son mauvais conseiller
et de le faire décapiter (189-190). La fonction de préfet
du prétoire est donc éminemment précaire,
comme le rappelait Lampride : Commode «ne supporta pas
longtemps les préfets Paternus et Perennis, et de tous
ceux à qui il donna ces fonctions, aucun ne les garda trois
ans : ils périrent presque tous par le glaive ou par le
poison. Il changeait aussi facilement les préfets de la
ville» (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode,
14). Et plus loin : «Il empoisonna avec des figues le
préfet du prétoire Motilène»
(LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 9).
Après Cléandre, ce fut le tour de Q.
Æmilius Lætus (ou Q. Ælius Lætus).
Commode «avait ordonné aussi d'incendier Rome,
comme étant sa Colonia Commodia; et l'ordre eût
été exécuté, si le préfet du
prétoire, Lætus, ne le lui eût fait révoquer»
(LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie de Commode, 15). Sans doute
Lætus dut-il réfléchir à la mort de
Cléandre et de ses prédécesseurs. En tout
cas, lorsqu'il apparut que Commode avait dilapidé le trésor
de l'Etat, «son préfet Quintus Ælius Lætus
et sa concubine Marcia formèrent, quoique trop tard, une
conjuration pour le tuer. Ils lui donnèrent d'abord du
poison; mais comme il n'opérait pas assez vite, ils le
firent étrangler par un athlète avec lequel il avait
coutume de s'exercer» (LAMPRIDE, Hist. Aug., Vie
de Commode, 17). |
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5.3. Lucilla
Fille de Marc Aurèle, Galeria Lucilla (149-182),
naquit jumelle d'un petit Marcus mort-né. Il est remarquable
de noter que sa mère, l'impératrice Faustina, sur
les 13 ou 14 enfants qu'elle donna à son mari, eut trois
fois des jumeaux (voir ci-dessous).
Lorsque son père accéda à l'Empire en compagnie
de son frère adoptif, Lucilla avait d'abord été
à 12 ans (13)
l'épouse du coempereur Lucius Verus (qu'elle
empoisonna peut-être [14]
en 169) - et non d'un roi d'Arménie ! Elle fut donc ainsi
co-impératrice de 160 à 169.
A peine refroidies les cendres de Lucius Verus, Lucilla fut remariée
avec le vieux et vertueux général Ti. Claudius Pompeianus
(170). Après une brève liaison incestueuse avec
son frère Commode, qui finit par la délaisser, elle
s'adonna à la débauche avec frénésie.
En 185, ayant conspiré contre son empereur - non qu'elle
se fut révoltée contre un tyran, mais parce que
ses intérêts et ambitions ne concordaient pas avec
les siens -, elle fut exilée à Capri, puis condamnée
à mort. Elle avait alors 35 ans.
Contrairement, donc, à ce que le cinéma suggère,
elle ne survécut pas à son frère Commode
puisque c'est ce dernier qui la fit périr, lui-même
étant assassiné des années plus tard (192). |
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5.3.1. La conspiration de Lucilla
Hérodien nous renseigne sur la nature de la conspiration
contre Commode de sa sur Lucilla : «Lucilla, l'aînée
de ses surs, avait épousé en premières
noces Lucius Verus que Marc Aurèle avait associé
à l'empire, et à qui il avait donné sa fille
pour se l'attacher plus étroitement par cette alliance.
Après la mort de Lucius Verus, son père la maria
à Pompeianus, sans lui ôter les marques et les honneurs
d'impératrice; Commode les lui conserva aussi : au théâtre,
elle était assise sur un trône; et dans les rues,
on portait le feu devant elle. Mais lorsque Commode eut épousé
Crispine, il fallut lui céder le pas. Lucilla en fut piquée,
et ne put se résoudre à marcher même après
la femme de l'empereur. Elle savait que Pompeianus, son mari,
avait une fidélité et un attachement inviolables
pour Commode; ainsi elle ne lui communiqua rien de ses pernicieux
desseins; mais elle s'adressa à un jeune patricien fort
riche nommé Quadratus, avec qui on la soupçonnait
d'être en commerce de galanterie. Elle le sonda peu à
peu; et commençant par se plaindre qu'on lui eût
ôté son rang, elle l'engagea insensiblement dans
une entreprise aussi fatale au sénat qu'elle le fut à
lui-même. Il fit entrer dans sa conjuration quelques-uns
des sénateurs les plus distingués, et entre autres
Quintianus, jeune homme hardi et entreprenant, » etc.
Désigné pour exécuter leur projet, Quintianus
se présenta devant Commode le poignard à la main
en se prévalant d'être commandité par le sénat.
Ainsi averti par ce vain discours, l'empereur-gladiateur n'eut
aucun mal à se défendre contre son piètre
assassin. Dès lors - précise Hérodien -,
Commode conçu pour cette noble institution une haine farouche.
Quant à Lucilla, «il fit des informations exactes
de cette conjuration; la sur de l'empereur et tous les complices
furent condamnés à perdre la tête. On punit
avec eux du dernier supplice plusieurs personnes contre qui on
n'avait que de fort légers soupçons» (HÉRODIEN,
Hist.
rom., I). |
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5.3.2. Frères et surs
de Commode
Faustina donna à Marc Aurèle six filles et sept
garçons, dont Pierre Grimal a établi la liste que
nous reproduisons ci-dessous. Nous n'ignorons pas que les spécialistes
ne sont pas tout-à-fait d'accord entre eux quant à
l'ordre de ces naissances, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants
morts en bas-âge (des sept fils de Marc Aurèle, seul
Commode parvint à l'âge adulte !), aussi renverrons-nous
nos visiteurs à un courrier
de Gricca, sur le site associé des Empereurs-romains
où il reproduit les listes chronologiques de la progéniture
de Marc Aurèle selon Anthony Birley (Marcus Aurelius,
B.T. Batsford Ltd, Londres, 2e éd., révisée
1987) (14 enfants) et selon Clive Foss (Roman Historical Coins,
Seaby, Londres, 1990) (13 enfants).
1) |
Fille : Galeria Faustina [Annia Aurelia Galeria
Faustina], née en 147, dix-huit mois environ après
le mariage de ses parents. Epouse du philosophe péripatéticien
Claudius Severus. |
2-3) |
Fille et fils jumeaux : Lucilla [Annia Aurelia
Galeria Lucilla], née le 7 mars 149 (ou 150 ?);
son frère Marcus ne vécut pas. |
4) |
Fils : T. Aurelius Antoninus. |
5) |
Fils : T. Ælius Aurelius. |
6) |
Fils : Hadrianus. |
7) |
Fille : Domitia Faustina. |
8) |
Fille : Fadilla (née en 159 ?). Epousera M.
Peducæus Plautius Quintillus (consul en 177). |
9) |
Fille : Cornificia, née en 160 (?), épouse
de M. Petronius Sura Mamertinus (consul en 182), exécuté
par Commode. Remariée. Mise à mort par Caracalla. |
10-11) |
Fils jumeaux en 161 : T. Aurelius Fulvus Antoninus,
qui décéda à l'âge de quatre ans,
et Commode [L. Aurelius Commodus]. |
12) |
Fils : M. Annius Verus Cæsar (né en
162; mort en 169). |
13) |
Fille : Vibia Aurelia Sabina (née en 171 ou
172), épouse vers 183 le commandant des cohortes urbaines
L. Antistius Burrus (consul en 181), puis L. Aurelius Agaclytus,
chevalier romain. |
A l'écran
La VF de La chute de l'Empire romain a fort curieusement
rebaptisé Lucilla «Antonia». Et non moins bizarrement,
l'auteur de la «notice historique» figurant à
la fin de la novélisation française parue chez Marabout,
fait de Lucilla la sur (et non la fille) de Marc Aurèle,
et lui prête 45, voire 50 ans en 180 - ce qui lui aurait
donné pas loin de soixante ans au moment de la mort de
Commode, lorsqu'elle tombe - pulpeuse Sophia Loren ! - dans les
bras du beau Livius-Stephen Boyd. Qu'on en juge d'après
la liste ci-avant : Marc Aurèle eut au moins six filles,
Lucilla étant la seconde, née semble-t-il en 149.
Elle devait donc avoir 31 ans à la mort de son père,
quand s'ouvre le film (180) et, le compte est vite fait, née
en 1934 Sophia Loren avait, en 1964, 30 ans...
Marc Aurèle n'eut jamais eu de sur répondant
au nom de Lucilla, lequel fut porté par sa mère,
Domitia Lucilla.
On notera que pour les nécessités du cinématographe,
qui a besoin d'une héroïne innocente à placer
dans les bras robustes du héros, la peu édifiante
Lucilla a été singulièrement «blanchie»
! A l'écran, le personnage historiquement négatif
de Lucilla, emprunte ses quelques traits positifs à la
personnalité de... Marcia,
la concubine chrétienne de Commode.
|
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5.4. Lucius Verus
L. Aurelius Ceionius Commodus Verus (ROBERT 2) ou L.
Ælius Aurelius Ceionius Commodus (BOUILLET, Dict.,
s.v.). Né à Rome, en 130 - décédé
à Altinum, Vénétie, en 169. Coempereur romain
(161-169).
Adopté par Antonin en même temps que Marc Aurèle,
dont il devint en outre le gendre en épousant à
Ephèse sa fille Lucilla (164).
Alors que Marc Aurèle était un jeune homme grave
et réfléchi, Lucius Verus était plutôt
du genre bon vivant, peu enclin à endurer les longues fatigues
de la guerre. Après la guerre parthique qui avait menacé
la partie de l'Empire relevant de sa juridiction et qu'il supervisa
depuis sa résidence d'Ephèse (et pendant laquelle
Avidius Cassius,
son légat, se couvrit de gloire), il accompagna son frère
dans la guerre contre les Marcomans (167-169). Retour du front
du Danube, il mourut à Altinum, près de Padoue (169).
Il circule différentes opinions au sujet de sa mort, qui
incriminent tantôt son épouse Lucilla, tantôt
l'impératrice Faustina qui aurait été sa
maîtresse (15).
Mais on murmure aussi que, pour avoir les mains libres, «le
philosophe» Marc Aurèle - caractère retors
et dissimulé - se serait ainsi débarrassé
de ce «frère» débauché et incapable.
A l'écran
Dans La Chute de l'Empire romain, ce personnage a été
complètement effacé et remplacé par celui
du roi d'Arménie, Sohamus, qui par ce mariage avec la fille
de l'empereur consacre son alliance avec Rome. Il semble toutefois
qu'avant ces épousailles Lucilla-Sophia Loren semblait
difficilement se remettre de quelque peine sentimentale et était
prête à «entrer au couvent», c'est-à-dire
se retirer chez les Vestales (sic) (16)
: il s'agissait peut-être de pallier un «inconsolable»
veuvage d'avec Lucius Verus.
Dans Gladiator, par contre, il est plusieurs fois fait
allusion au défunt coempereur Lucius Verus - en amour heureux
rival de Maximus - qui se prolonge à travers Lucius Verus
junior, le fils de Lucilla (Connie Nielsen).
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Pour consolider l'Empire, Lucilla (Sophia
Loren) épouse Sohamus (Omar Sharif), roi d'Arménie
(La chute de l'Empire romain)
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|
Suite… |
NOTES :
(1) Le martyre de sainte Blandine,
assise de force sur une chaise de fer chauffée à
blanc dans l'amphithéâtre de Lyon, a été
mis en scène d'une manière on ne peut plus réaliste
dans un récent docufiction The Gospel of Judas - The
Lost Version of Christ's Betrayal) (James Barrat, BBC, 2006
- L'évangile selon Judas, RTL-TVI, dimanche 23
mars 2008) (CLICK).
[Evocation de saint Irénée de Lyon, qui classa
comme hérétique l'Evangile de Judas.] - Retour
texte
(2) Hist. Aug., éd.
Bouquins, p. 152, n. 1 - citant DION CASSIUS, LXXI, 8-10. -
Retour texte
(3) Qu'on se rappelle tout de même
que le martyre de sainte Blandine, à Lyon, eut lieu en
177, sous le règne du très philosophe Marc Aurèle
! - Retour texte
(4) Ch. PARAIN, Marc Aurèle
(1957), Bruxelles, Ed. Complexe, coll. «Le Temps &
les Hommes», 1982, p. 196. - Retour
texte
(5) C'est nous qui soulignons. - Retour
texte
(6) F. ZOSSO et Ch. ZINGG, Les
empereurs romains (27 av. J.-C. - 476 ap. J.-C.), Errance,
2002, p. 60. - Retour texte
(7) Science & Vie-Junior,
n 130, juillet 2000, p. 54. - Retour texte
(8) Nous nous fions ici à la
traduction de Chastagnol, n'ayant pas vu le texte latin original.
Normalement le mot «homosexuel» n'existait pas dans
l'Antiquité, ayant été forgé en
Allemagne au XIXe s. Le texte original devait sans doute porter
«inverti» (cinædicus) ou «pédéraste».
- Retour texte
(9) Charles PARAIN, Marc-Aurèle
(1957), Bruxelles, Ed. Complexe, coll. «Le Temps &
les Hommes», 1982, p. 196-197. - Retour
texte
(10) Cf. Ch. PARAIN, Marc
Aurèle, op. cit., p. 196. - Retour
texte
(11) Hist. Aug., M. Aurèle,
XIX, 1-4 et 6. - Retour texte
(12) «On vit pour la première
fois vingt-cinq consuls dans une même année. Toutes
les provinces furent mises à l'encan», ajoute
Lampride. - Retour texte
(13) La plupart de nos sources consultées
font naître Lucilla le 7 mars 149 (ou 150). Lorsque Marc
Aurèle et Lucius Verus montent sur le trône le
7 mars 161, elle a donc 12 ans. Certains ouvrages lui en donnaient
13, voir 16 ! - Retour texte
(14) On soupçonna également
l'impératrice Faustina, qui aurait été
sa maîtresse, et Marc Aurèle lui-même - soucieux
de se débarasser du calamiteux personnage, notoirement
incompétent dans les affaires de l'Empire. - Retour
texte
(15) P. GRIMAL, op. cit.,
p. 199. - Retour texte
(16) Le scénariste n'avait
manifestement aucune idée des conditions d'admission
parmi le collège
des vestales, ou bien il s'en moquait. Ou plus probablement
usait-il ici d'un moyen terme intelligible pour les spectateurs
non spécialistes : «entrer chez les Vestales»
équivalant à entrer au couvent. En fait, nous
ne voyons guère à citer de péplum qui en
aurait donné une image sérieuse - et ce n'est
pas I Claudius (1937), Hannibal (1960) ou Le
Forum en Folie (1966) qui en apporteront la preuve contraire.
Et pas davantage - quoique, Camane... - la série TV ABC
Empire. - Retour
texte
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