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De La Chute de l'Empire romain
à Gladiator

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De La Chute de l'Empire romain à Gladiator

I — VOIES PARALLÈLES

1. Introduction

2. Deux films

3. A propos de La Chute de l'Empire romain

4. A propos de Gladiator

II — LES PROTAGONISTES

5. Les protagonistes historiques

6. Les protagonistes cinématographiques

Conclusion

III — ANNEXES

7. A propos de la bataille contre les Germains dans Gladiator

8. A propos des combats de gladiateurs (1) :
De l'archéologie au mythe

8.1. Le tournage de Gladiator

8.2. Morituri te salutant

 

Sur cette page :

8.3. Demandez le programme !

8.3.1. Les jeux du matin (ludi matutini)

8.3.2. L'heure méridienne

8.3.3. Les munera

a. La pompa
b. Les échauffements
c. Les combats
Stans missus ou rudarius ?
Jouer n'est pas tuer...
Sine missio

 

Pages suivantes :

8.4. Armes des gladiateurs

8.5. Les armaturæ à l'écran

8.6. Qui sont les gladiateurs ?

9. A propos des combats de gladiateurs (2) :
Les gladiateurs au cinéma

10. Bibliographie historique

IV — FICHES TECHNIQUES

11. La Chute de l'Empire romain

12. Gladiator

V — CHRONOLOGIE

13. Chronologie du déclin de l'Empire romain

VI — FILMOGRAPHIE

14. Filmographie des gladiateurs

 

8.3. Demandez le programme !

En règle, le programme des jeux est le suivant :
1) venatio la matinée (ludi matutini). Les bestiaires affrontent les fauves, souvent dans des décors évoquant un paysage sauvage. Parfois des scènes de domptage. D'autres fois, opposition de fauves contre d'autres fauves.
2) l'heure méridienne. A midi ont lieu les exécutions publiques de criminels. Parfois elles sont intégrées dans des numéros comiques, des pantomimes mythologiques comme celle d'Icare. Ses ailes fondues en s'approchant du soleil, «Icare» propulsé dans les airs par une machine de guerre vient se fracasser sur la piste. C'est aussi l'heure des «gladiateurs pour rire», comme les laquearii armés de lassos et de bâtons.
3) L'après-midi ont lieu les munera. Après un défilé (pompa), suivi d'exercices d'échauffement avec des armes de bois, se déroulent les duels proprement dits, sous le contrôle d'arbitres.

 

annonce gladiateurs

Voici le texte et sa traduction (1) :

D. Lucreti / Satri Valentis flaminis Neronis Cæsaris Aug. fili / perpetui gladiatorum paria XX, et D. Lucretio Valentis fili glad. paria X, pug. Pompeis VI V IV III pr. idus Apr. venatio legitima / et vela erunt [scr. / Æmilius / Celer sing. / ad luna]

«Vingt paires de gladiateurs appartenant à Decimus Lucretius Satrius Valens, flamine perpétuel de Néron César fils d'Auguste et dix paires de gladiateurs appartenant à Decimus Lucretius Valens le fils combattront à Pompéi le six, le cinq, le quatre, le trois et la veille des ides d'avril. Il y aura une chasse conforme aux règles et des vela [pour se protéger du soleil].
Æmilius Celer l'a écrit à la clarté de la lune.»

 

Pour toutes sortes de raisons évidentes - le cinéma n'a aucune vocation pédagogique, et les cinéastes n'ont qu'une vision caricaturale et sulpicienne, bref entertainment, de la gladiature - le film omettra quantité de détails superfétatoires pour privilégier l'action. Un bon point, néanmoins, pour Jerzy Kawalerowicz qui dans son Quo Vadis (2000) non seulement a montré une pompa, sans toutefois trop s'appesantir sur les détails; mais il a laissé entrevoir certains acteurs religieux comme ces valets déguisés en Mercure qui cognent aux portes de la mort (libitinensis porta) par où on emportait les gladiateurs tués (2).

 

messaline - carmine gallone

Dans Messaline (Carmine Gallone, 1951), les gladiateurs défilent en rangs dans le Cirque Maxime à Rome. Il n'y manque que quelques éléments (prêtres, acolytes, musiciens, arbitres etc.) pour que ça soit une pompa parfaite !

 

«Séparés à l'époque républicaine, venationes et munera sont intégrés dans un même spectacle dès l'époque augustéenne. A partir du règne de Tibère, il est difficile de comptabiliser séparément munus et venatio. Sous l'Empire, le programme du munus classique comprend trois moments : chasse le matin et combats de gladiateurs l'après-midi, séparés par un intermède vers la mi-journée, les meridiani (les jeux de midi)» (3).

8.3.1. Les jeux du matin (ludi matutini)
Le matin, donc, ont lieu les venationes, les «chasses aux fauves». Les jeux commençaient à l'aube et s'achevaient parfois, comme sous Domitien, à la nuit tombée. Ils commençaient par toutes sortes d'exhibitions, de mimes, de dressage de fauves, de combats de fauves (ours contre buffles, rhinocéros contre éléphants) dont Martial nous a conservé le souvenir étonné.

Les bestiaires sont-ils des gladiateurs ? Au niveau des armaturæ certainement pas, ce de par la nature même de leurs démonstrations. Comment, en effet, pratiquer une escrime codifiée, avec arbitre, lorsqu'un des adversaires est une bête ?
A noter que sous l'empire chrétien, le combat contre la bête symbolisera la lutte contre les ténèbres. Les bestiaires survécurent aux gladiateurs. Interdits une première fois par Constantin Ier en 325, puis par l'empereur Honorius en 404, réitéré par son neveu Valentinien III en 438 les gladiateurs ne disparurent définitivement que vers la fin du Ve s.
Les courses de chars, quant à elles, se maintinrent sous l'Empire byzantin au moins jusqu'au XIIe s.

gladiateurs - victor mature

Dans Les gladiateurs (Delmer Daves, 1954), Victor Mature affronte un fauve dans l'arène de Caligula

 

Dans Les gladiateurs (Demetrius and the Gladiators, Delmer Daves, 1954), Victor Mature affronte un tigre royal sous les yeux de Caligula. Sa bravoure lui vaudra d'être, à leur demande, incorporé dans les prétoriens (on peut néanmoins douter que ces membres de la petite noblesse provinciale aient voulu d'un ancien esclave grec dans leurs rangs !).

barabbas - venatio

Décor de venatio reconstitué dans l'amphithéâtre de Vérone pour le film de Richard Fleischer, Barabbas. Le praticable où combattent en mêlée les gladiateurs (catervarii) enjambe des enclos de fauves, des brasiers et des étangs (à crocodiles ?). Au fond sur la gauche, une exhibition d'éléphants; sur leur droite, combat d'amazones et de nains - difficiles à reconnaître sur cette photo. A noter que les bas-reliefs nous ont conservé le souvenir du pontarius, gladiateur juché sur un pont qu'il défend contre un adversaire en contrebas...

 

Pour les venationes - qui plus tard finiront par se confondre avec les munera - il était fréquent de construire un décor exotique, avec toutes sortes de plantations, de collines, de sentiers. Dans Barabbas (Richard Fleischer, 1962) on a combiné venatio et munera dans cet étonnant décor reconstitué dans l'amphithéâtre de Vérone. Les «gladiateurs» sont des catervaires qui s'affrontent en groupes sur un quadruple pont enjambant des fossés emplis de fauves, d'éléphants, de crocodiles barbotant dans des mares artificielles, séparés par des brasiers... Gare à ceux qui y tombent ! A noter la présence d'une bande d'amazones affrontant une armée de nains (idée reprise du Signe de la Croix, C.B. DeMille, 1932). Ce décor semble avoir resservi dans la séquence prégénérique des Sept gladiateurs (Pedro Lazaga, 1962); un autre du même genre avait été conçu, dans ce même amphithéâtre de Vérone, pour Fabiola (Alessandro Blasetti, 1948).

 
crucifixions ad bestias

Crucifixion ou livraison aux fauves de condamnés à mort, sous le coup de midi (J. Kawalerowicz, Quo Vadis, 2001)

 

8.3.2. L'heure méridienne
Lorsque le soleil est au plus haut, entre la venatio du matin et les munera de l'après-midi, vient l'heure des exécutions de criminels et de bouffonneries en tout genre. Un des moments favoris des péplums sulpiciens (les exécutions, pas les bouffonneries !).

 

fabiola

A l'heure méridienne : pendaisons, crucifixions et exécutions en tout genre de condamnés à morts - ici des chrétiens, ces «ennemis du genre humain» - dans les décors de la venatio non encore démontés (Fabiola, A. Blasetti, 1948)

 

Donc vers midi - à l'heure méridienne - avaient lieu les exécutions capitales : voleurs et assassins étaient mis à mort selon leur condition. La décapitation pour les citoyens, la crucifixion, le bûcher ou les fauves pour les esclaves ou les non-citoyens. Sous la république, elles se déroulaient sur le Forum, ad metalla, par le fer, c'est-à-dire qu'ils étaient purement et simplement égorgés par des gladiateurs, généralement des rétiaires, la catégorie la plus méprisée (4); ad bestias, par les bêtes; ou encore noxii ad gladium ludi damnati, c'est-à-dire qu'ils devaient affronter désarmés un autre condamné armé, qui passait ensuite ses armes à un autre chargé de le tuer lui aussi (SÉNÈQUE, Ep. Lucillius, 7). Nous avons vu quelles catégories de condamnés étaient livrées aux fauves, ajoutons-y - relevant du droit commun - les parricides, le crime le plus affreux qui puisse se concevoir, et les «ennemis du genre humain», c'est-à-dire ces chrétiens dont l'athéisme affiché, menaçant l'équilibre cosmique, ne pouvait qu'attirer le malheur sur l'Empire. Car même si de munera sacrés, organisés à l'occasion de funérailles, les combats de gladiateurs sont devenus des ludi profanes, la symbolique des jeux reste religieuse. Ainsi les courses de chars symbolisant la marche des saisons.
Mais il importe peu aux cinéastes d'exposer le comment et le pourquoi, encore moins d'expliciter les phases du spectacle, ni ses catégories. Le cinéma va directement à l'essentiel, en fonction du scénario.

 
revolte des esclaves
 
revolte des esclaves

La révolte des esclaves (Nunzio Malassoma, 1960)

 

C'est donc sur le coup de midi que l'on exécute les criminels et les ennemis de l'Etat. Les citoyens ont droit à la décapitation par le glaive. Le sort des étrangers et des esclaves est moins enviable : pour eux, c'est la crucifixion, les fauves ou le bûcher. Dans ce remake de Fabiola, un évêque chrétien est, comme chef d'une secte interdite, condamné au bûcher (La révolte des esclaves, Nunzio Malasomma, 1960)...

 
 

La révolte des esclaves (Nunzio Malassoma, 1960)

 

... Il échoit à des «gladiateurs», en général des rétiaires, de parfois faire office de bourreaux, et de descendre dans l'arène égorger purement et simplement les condamnés. Ici ce seront des mercenaires africains qui cribleront de javelots les «ennemis du genre humain», les chrétiens condamnés à mort (La révolte des esclaves, Nunzio Malasomma, 1960). Dans Les derniers jours de Pompéi (Mario Bonnard & Sergio Leone, 1959) ce seront les lions, ou plutôt un seul malheureux lion. Celui-ci n'ayant pas faim, des gladiateurs seront dépêchés pour cribler de flèches les pauvres chrétiens.
Dans Quo Vadis ?, Lygie fera les frais d'un pantomime contant la mort d'une cruelle marâtre de la mythologie, Dircé, qui fut attachée à la queue d'un taureau furieux (5)...

 

spartacus - naumachie

Une galère non pas pour une naumachie, mais décor d'un ballet mythologique qui doit s'achever sous les crocs des lions. Filmé dans l'amphithéâtre de Vérone censé être le Colisée de Rome (Spartacus, Riccardo Freda, 1952)

 

... Car l'heure méridienne, c'est aussi celle du snuff-movie à l'antique. Des acteurs jouent des pantomimes à l'issue desquelles un condamné à mort est substitué au comédien incarnant le personnage censé mourir. Par exemple le brigand Laureolus, triste héros d'un pantomime célèbre, à l'issue duquel il est crucifié et étripé par un ours.
Riccardo Freda a saisi cet instant un peu hors contexte dans Spartacus (1952), filmé lui aussi dans l'amphithéâtre de Vérone. Une galère-décor suggère de prime abord des images de naumachie. En fait, c'est d'un ballet qu'il s'agit. La danseuse Amytis, femme de Spartacus, mime le ballet des Néréides sous les yeux du rebelle enchaîné. Sur ces entrefaites, des lions lâchés vont alors déchiqueter cette malheureuse sous les yeux de son amant impuissant, avant de s'occuper de celui-ci. C'est du moins ce qu'espère l'organisateur...

revolte des esclaves

Sur une passerelle entourée de pièges mortels, le combat bouffon des laquearii devient un jeu dangereux dans La révolte des esclaves (Nunzio Malasomma, 1960)

 

... Mais l'heure méridienne, c'est aussi les combats burlesques, où s'affrontent les gladiatores meridiani, des combattants armés d'un lassos et d'un bâton, les laquearii, ou d'un gourdin et d'un fouet, les pægnarii. Avec son costume rembourré, il est d'ailleurs bien malaisé de considérer le pægnarius comme un gladiateur. Dans La révolte des esclaves (Nunzio Malasomma, 1960), ces combattants armés de fouets qui s'affrontent sur un pont léger, font songer à ces pægnarii (6) que les cinéastes auraient ici combinés avec les pontarii («ceux qui se battent sur un pont»).
L'idée de ces combattants armés de fouet, juchés sur une étroite plate-forme d'où ils essaient mutuellement de se faire chuter... de préférence sur des braises ardentes, revient dans plusieurs films : Fabiola (A. Blasetti, 1948), Pompéi (Warrior Queen, Chuck Vincent, 1986)...

 
gladiateur laquearius gladiateur paegniarius

Laquearius (à gauche) et pægnarius (à droite), «gladiateurs pour rire» qui - tout au plus - risquaient de se prendre un méchant coup de bâton ou de fouet, animaient les intermissions par leurs facéties

 

8.3.3. Les munera
Les condamnés à mort expédiés, on peut enfin - l'après-midi - passer aux choses sérieuses. Ceux que leurs affaires ont retenus le matin ont rejoint les gradins, et la foule est maintenant comble.

a. La pompa
Le premier jour des combats, dans l'après midi, un cortège triomphal (pompa) se rendait à l'amphithéâtre avec l'editor. Les gladiateurs appelés à combattre y participaient, revêtus de luxueux vêtements de parade. «Derrière les magistrats, revêtus de pourpre et accompagnés des licteurs, les gladiateurs pénétraient dans l'arène par la porta triumphalis. Ils défilaient en grande tenue avec leurs casques de parade et leurs armes rutilantes. Des porteurs de pancartes indiquaient le palmarès des meilleurs d'entre eux. Les condamnés aux bêtes suivaient en titubant, mains liées et attachés les uns aux autres. Le cortège se déplaçait au son d'une musique puissante où dominaient les cors et les trompettes» (7). «Les gladiateurs, conduits [en chariot] du ludus magnus au Colisée, mettaient pied à terre en arrivant devant l'amphithéâtre, et faisaient le tour de l'arène en ordre militaire, vêtus de chlamydes teintes de pourpre et brodées d'or. Ils marchaient l'allure dégagée et les mains libres, suivis de valets qui portaient leurs armes» (8). Par analogie avec la pompa circences qui ouvrait les jeux du cirque, c'est-à-dire les courses de chars, on peut imaginer également participant au cortège une délégation de la jeunesse romaine, des prêtres et des chars où ont pris place les dieux, et bien sûr des artistes, jongleurs, danseurs appelés à se produire dans les interludes.

b. Les échauffements
Le spectacle débutait par des exercices d'échauffement à armes mouchetées (prolusio). Les amateurs pouvaient descendre dans l'arène et essayer avec les «pros» quelques passes d'escrime.

Les afficionados étaient ensuite invités à réintégrer les gradins. Alors les armes réelles étaient soumises au contrôle (probatio armorum) de l'editor, et l'on tirait au sort les adversaires pour constituer des paires. Leurs noms et performances étaient écrits sur les pancartes que des præcones (hérauts) présentaient à la vue du public. Les combattants revêtaient alors de leurs armes, aidés par des assistants (ministri).

orgue hydraulique

La musique d'un orgue hydraulique comme celui-ci accompagnait les combats des gladiateurs. Reconstitution du Musée archéologique d'Aquincum (Budapest, Hongrie, pochette du 45 t vinyl)

 

c. Les combats
Ces préliminaires achevés, une musique martiale - cors, trompettes, orgue hydraulique - annonçait le début des affrontements qu'ils ponctueraient en rythme, tel qu'on peut les voir sur la mosaïque de Zlitten (Lybie, IIIe s. de n.E.). Accompagnés de leur arbitre (summa rudis) et de gardes armés de fouets (lorarii) - pour stimuler des ardeurs défaillantes -, chaque paire de gladiateurs gagnait son emplacement. Les duels pouvaient commencer aussitôt que l'éditeur des jeux donnait le signal des combats (signum pugnæ).

Le combat consistait à essayer de percer la défense de l'adversaire, le fatiguer, lui infliger de légères blessures, bref à marquer des points selon un code bien précis que comptabilisait l'arbitre. Finalement, celui qui se déclarait (ou était déclaré) vaincu posait ses armes et tendait sa gorge, stoïque.

Levant le bras, l'index pointé, il demandait grâce. Moment très attendu du public qui admirait le mépris de la mort et appréciait la sérénité du perdant. Selon le cas, il huait le maladroit (Jugula !, «Egorge-le !») ou applaudissait le courage malheureux (Mitte !, «Renvoyez-le [vivant] !»). Toutefois la décision finale dépendait de l'éditeur des jeux. Il faut tordre le cou à la légende du pouce baissé, ce Pollice verso qui a donné son nom à la fameuse toile de Gérôme. Il est plus probable que les spectateurs - dont le suffrage exprimé avec les doigts ne devait guère être visible à l'autre bout de l'amphithéâtre - soulignaient l'injonction «Jugula !» en tournant le pouce vers leur propre gorge, en un geste menaçant bien connu. Quant au pouce levé, par opposition au baissé, il n'est attesté dans aucune source ancienne.

 

gladiator - pollice verso

Commode fait durer le suspense : admirez la technique imparable du pouce horizontal... se relèvera ou s'abaissera ? Que demande le Peuple ? L'empereur romain, toujours généreux, hume la foule, scrute son attente...

 

Stans missus ou rudarius ?
Il appartenait donc à l'éditeur, qui offrait les jeux - l'empereur, ou un magistrat -, de décider si le vaincu devait être stans missus (9) («renvoyé debout»), c'est-à-dire momentanément renvoyé, ou recevrait la rudis, le glaive de bois qui le libérerait définitivement de l'arène, l'acquittait de son engagement.
En fait, les rudarii quittaient rarement le monde de la gladiature : ils y restaient comme instructeurs (doctors); d'autres rempilaient une fois, deux fois et devenaient ainsi des prima rudis, secunda rudis etc.

Jouer n'est pas tuer...
Le gladiateur n'a en principe pas le droit de tuer froidement son adversaire sans l'injonction expresse de l'éditeur des jeux. Pour des professionnels bien entraînés, le duel à mort risquerait d'être court, donc sans intérêt. L'arbitre (summa rudis), dont la tunique s'orne de deux bandes de tissu noir, verticales, une de chaque côté de la poitrine, veille à les rappeler à l'ordre. Martial parle de combats ad digitum, qui s'arrêtent «au premier sang», c'est-à-dire quand celui qui s'estime vaincu jette son bouclier et lève le doigt pour faire sa soumission... et obtenir sa grâce.
Toutefois il a pu arriver que dans l'intensité de l'action, les combattants ne retiennent plus leurs coups. Et même s'entre-tuent : ainsi à Pergame, le provocator Nympheros et le mirmillon Kallimorphos (10).

 

combat de gladiateurs

Sur cette mosaïque romaine du IIes. de n.E., trouvée dans la villa de Nennig (Sarre), on voit très bien entre les combattants le doctor (arbitre) avec sa tunique ornée de deux bandes noires verticales. La présence d'un arbitre est attestée par d'autres documents figurés

 
Sine missio
Bien sûr, ce que nous venons de décrire, ne concerne que les combats classiques, normaux. Il pouvait arriver que des combattants soient engagés dans des duels sine missio («sans renvoi», c'est-à-dire sans merci), dont la mort serait obligatoirement l'issue. Il s'agissait alors d'une forme de condamnation à mort, appliquée à des individus jugés dangereux pour la sécurité publique (11). Mais ici on sort des règles de la gladiature proprement dite, puisque l'issue en a été réglée d'avance. Le condamné affrontera les uns après les autres autant d'adversaires que nécessaire, jusqu'à sa défaite inéluctable.
Suite…

NOTES :

(1) Corpus inscr. lat., suppl. IV, II, n­ 3884; H. DESSAU, Inscr. lat. selectæ, II, n­ 5145. - Retour texte

(2) Cette pompa, ce défilé de gladiateurs, les Charon et les Mercure - qui achèvent les blessés et tirent leurs corps jusqu'au spoliaire - sont évoqués dans le roman de Sienkiewicz, Chapitre LVI : «Les jeux matutinaux», dont Kawalerowicz fut l'adaptateur scrupuleux. - Retour texte

(3) GOLVIN & LANDES, Amphithéâtres et gladiateurs, op. cit., p. 189. - Retour texte

(4) Teyssier & Lopez s'insurgent contre cette opinion en citant Juvénal (JUV., Sat., 197-210). En dehors des equites et des femmes, qui sont toujours tunicati - revêtus d'une tunique -, le rétiaire traditionnellement torse nu porte parfois une tunique, ce qui suggérerait que des citoyens comme celui dont parle Juvénal se commettaient parfois dans cette armatura... prestigieuse (TEYSSIER & LOPEZ, Glad., op. cit., p. 58). - Retour texte

(5) Le roman comme les différentes versions filmiques éluderont la référence au pantomime de Dircé, contexte logique de ce genre d'exécution. S'inspirant du roman de son ami Sienkiewicz pour peindre, en 1897, sa célèbre toile Dircé chrétienne, le peintre Henryk Siemiradzki en témoigne à l'évidence. - Retour texte

(6) Notons que ces curieux pægnarii ne portent pas non plus leur justaucorps ni leurs culottes matelassées... - Retour texte

(7) Ch. LANDES et J.-Cl. GOLVIN, Amphithéâtres..., op. cit., p. 194. - Retour texte

(8) J. CARCOPINO, La vie quotidienne à Rome, Hachette, p. 277. - Retour texte

(9) Pluriel : stantes missi. - Retour texte

(10) L. ROBERT, Hellinica, VIII, 335 - cité par LANDES & GOLVIN, op. cit., p. 195. - Retour texte

(11) Il s'agissait d'une forme alternative de la peine capitale. On sait que le droit romain ne se souciait pas de l'égalité dans l'application du prononcé. Peu importait la manière plus ou moins expéditive ou cruelle dont mourait le condamné, pourvu qu'il mourut pour l'édification de tous : dans un show live, déguisé en personnage mythologique, ou brûlé vif, crucifié, empalé. Ou les armes à la main, s'il en avait la capacité.
Evidemment, on ne condamnait à ce genre de peine que des individus capables de chèrement défendre leur peau, et d'ainsi fournir un spectacle intéressant ! - Retour texte