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De La Chute de l'Empire romain
à Gladiator
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12.5. Critiques
Morituri te salutant
«Ridley Scott marche sur les traces de Spartacus.
Il vient de terminer à Malte le tournage de Gladiator.
Première superproduction de DreamWorks (budget : 100
millions de dollars), Gladiator dont le tournage vient
de se terminer à Malte sous la direction de Ridley Scott,
est un film d'aventure qui se veut porteur d'un message politique
: il faut se méfier des tyrans qui divertissent les masses
pour mieux les gouverner. Le propos est étonnant pour un
scénario lu et approuvé par le grand «entertainer»
de foules qu'est Steven Spielberg.
Pour insuffler assez de réalisme à ce film épique
dont le scénario a été écrit par David
H. Franzoni (Amistad), Scott a demandé à
la production d'organiser un gigantesque casting afin d'engager
des milliers de figurants pour les scènes de batailles
entre la légion romaine et des guerriers germaniques. Certains
figurants auront même la chance de servir de repas aux lions,
mais aussi aux tigres, panthères, hyènes et crocodiles.
Bref, à tout le gratin d'Hollywood.
Mais le plus spectaculaire reste la construction d'un Colisée
romain grandeur nature pouvant contenir une horde de spectateurs
déchaînés, décor conçu par Arthur
Max, qui a déjà exercé la même fonction
pour Scott sur GI Jane ou pour David Fincher sur Se7en.
C'est également lui qui a dirigé la construction
d'un Sénat, emblème de la grandeur et de la décadence
de Rome. Produit par deux complices de Spielberg, Branko Lustig
(La Liste de Schindler et Le Pacificateur) et Douglas
Wick (bientôt Girl Interrupted, de James Mangold,
et Memoirs of a Geisha, de Spielberg), Gladiator est
mis en musique par Hans Zimmer (La Ligne rouge), photographié
par John Mathieson et monté par Pietro Scalia (J.F.K.).
Tournage sous basse surveillance
Si les responsables de la sécurité n'ont pas pu
empêcher la mort d'Oliver Reed, survenue le 2 mai 1999 à
l'âge de 61 ans, ils n'ont pas non plus été
en mesure d'éviter la diffusion de clichés pirates
envoyés sur l'Internet par des figurants qui vont jusqu'à
profiter de leurs séances d'essayage pour se prendre eux-mêmes
en photo, le glaive à la main. Certains d'entre eux racontent
même que pour s'occuper entre chaque prise, des matches
de football sont organisés sur les champs de bataille entre
les Romains et les Germains qui prennent la tête d'un cadavre
en guise de ballon.
Tout cela est fort sympathique, mais toujours est-il qu'aucune
date de sortie n'a encore été annoncée, même
si l'on pense que le film pourrait participer à la compétition
de l'été 2000. Mais il pourrait aussi bien sortir
pour Noël prochain... A l'instar d'Anthony Hopkins, qui tourne
en ce moment dans une version du Titus Andronicus de Shakespeare,
et d'autres projets développés dans divers studios,
Hollywood redécouvre les splendeurs de Rome comme autrefois
Stanley Kubrick avec son Spartacus ou William Wyler avec
Ben Hur. Seulement voilà : ça fait bien longtemps
que Scott ne nous a pas déçus...» |
Alexandre BRILLANT (1)
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Cinemaximus
«[De LOS ANGELES] - Gladiator est un spectacle
qu'il est préférable de voir in situ, par
exemple au Cinerama Dome de Los Angeles, au milieu du public
pour lequel il a été cyniquement conçu. C'était
la première séance du premier vendredi du premier
week-end de la sortie, la queue faisait le tour du parking. C'était
le public bon enfant des émissions-castagne TV, des catcheuses
en bikini. Pour eux comme pour nous, Gladiator est le spectacle
épatant de l'année, toutes les promesses de la CGI
(computer generated imagery) enfin remplies. Tous les pouces en
haut.
Clins d'il. Le fait que le film de Ridley Scott soit aussi
glorieusement simpliste qu'excitant ne surprendra personne. Les
scénaristes s'y sont mis à trois pour concocter
une histoire arthritique qu'on a non seulement vue en 1964 (La
Chute de l'Empire romain d'Anthony Mann en citation visuelle
au début), mais dans maints westerns: patriarche préfère
son contremaître à son fils trop fin de race, contremaître
essaie d'être loyal aux deux, fils parricide prend l'affaire
en main, fait brûler le ranch du contremaître et trucider
sa famille; ce dernier, laissé pour mort, se vengera...
Tout le reste, vaseux complots sénatoriaux, empereur mou
de l'inceste, dissertations quasi situationnistes sur le pouvoir
spectaculaire et autres perspectives modernes, ne sont que distractions.
Ces tunnels de dialogues turgescents ne sont en rien désagréables
(ils font même une partie attachante du genre), mais rallongent
considérablement le film. Il y a néanmoins trop
de bonheur à prendre dans Gladiator pour chipoter
sur les détails: ne serait-ce que l'émerveillement
à l'approche des sept collines, comme au détour
d'un tableau de Poussin, ou ces survols ahurissants sur les maquettes
de Rome. Tel un Albert Speer un peu taquin, Scott ne résiste
pas aux clins d'il: Commodus place un soldat au milieu d'une
maquette du Colisée. Les références visuelles
à Leni Riefenstahl et aux congrès nazis sont aussi
attendues que bien vues.
Art du massacre. Les combats sont nombreux
dans Gladiator, mais ne se ressemblent pas. La première
bataille est de mauvais augure, une confrontation entre l'armée
de Marc Aurèle menée par son général
Maximus et une nuée de Goths plaisamment hirsutes qui font
tous du XXL en peau de bête. Le prélude est magnifique,
mais le choc lui-même pratiquement rendu illisible par le
montage Avid à l'esbroufe. Même avec tous ces moyens,
Scott ne donne qu'une copie pataude et high-tech de ce que Welles
avait réussi dans son Falstaff. Mais il ne commet
pas la même erreur pour les massacres suivants.
Le premier combat de Maximus au Colisée, dans lequel il
range ses gladiateurs comme des légionnaires contre un
déferlement d'archers sur chariots, parvient à éclipser
les prouesses orchestrées par Yakima Canutt dans Ben
Hur, mais aussi la célèbre séquence de
chariots de La Chute de l'Empire romain.
Tout ce savoir-faire serait en pure perte si Scott n'avait
trouvé en Russell Crowe un soldat moissonneur si crédible:
trapu, court sur pattes et toute racine de cheveux baissée,
Crowe nous fait accepter sa supériorité au milieu
de gabarits qui font pourtant parfois le double de lui. Il est
le parfait «général-fermier» qui sait
quoi faire pour annihiler l'ennemi, mais pense surtout à
ses récoltes. Crowe et Scott savent aussi rendre touchante
sa douleur en face d'un massacre hollywoodien typique - sa femme
et son fils violés, crucifiés, ET brûlés
vifs: juste un gros plan sur son visage, devant deux pieds calcinés.
Chaste. Il y a en revanche de l'ironie
à faire jouer Marc Aurèle à un ancien pochetron
irlandais comme Richard Harris, mais la tristesse truculente de
l'ex-homme nommé Cheval qui a du mal avec ses éperons
semble authentique. Oliver Reed est mort juste après le
tournage, mais le rôle de Proximo, l'imprésario gladiateur,
est une belle homélie: il faut le voir rouler des yeux
derrière son maquillage tel un Othello wellésien
ou vociférer contre un marchand bédouin qui lui
a refourgué deux girafes sodomites, pas terribles pour
l'élevage envisagé. On verra à peine les
bestioles se renifler le derrière, et Scott n'ira guère
plus loin dans sa peinture de la décadence, réservant
toute sa fantaisie aux casques-gargouilles des gladiateurs. Une
chasteté un peu étonnante, vu la tendance nettement
caramel de son récent film nautique homophile, White
Squall.
Commodus a beaucoup amusé les Américains: certains
critiques se gaussant de son «nom regrettable» (commode,
en anglais, veut dire chiottes), ignorant que Commodus a été
un vrai César. Celui du New Yorker a, lui, sorti
de ses classiques que Marc Aurèle a beau être connu
pour ses écrits stoïques, il restait sacrément
inventif dans la vengeance: lorsque sa femme lui avoua désirer
un certain gladiateur, il le fit mettre à mort et força
son épouse à se baigner dans son sang jusqu'à
la ceinture avant de venir partager sa couche. «De façon
incompréhensible, se lamente, un brin rhétorique,
le scribe, l'épisode n'a pas été utilisé
par les scénaristes». De même, il révèle
que Commodus aussi faisait une fixette sur les gladiateurs; mais
qu'il préférait les affronter, dans des combats
probablement truqués. La ville de Rome lui versait mille
pièces d'or à chaque gladiateur, et on dit qu'il
en a tué sept cents, avant d'être lui-même
étranglé dans son sommeil par l'un d'eux. Joaquin
Phoenix n'a pas tout à fait l'envergure de Charles Laughton,
même s'il s'est étoffé de façon alarmante
pour le rôle, mais son visage poupon cubiste semble sorti
d'une médaille romaine. Il ne joue ni fofolle, ni psychopathe,
ni véritablement diabolique - il joue malade, d'envie et
d'amour, une merveilleuse création.
Il y a évidemment beaucoup d'inconsistance chez Scott,
un mélange stylistique regrettable (qu'il nous fasse des
raccourcis Maximus à la Gus Van Sant ou des flash-backs
bleutés à la vidéo Pink Floyd), mais même
si son film semble souvent magnifiquement coulé dans le
bronze, ce n'en est pas un.» |
Philippe GARNIER (2)
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Le péplum,
genre idéal
«Le cinéma de genre est mort, paraît-il,
mais il n'en finit pas de ressusciter. Le western, le film noir,
le film de cape et d'épée, le film d'épouvante
ou le film de guerre ont longtemps été, chacun,
une petite industrie à eux tout seuls. Chaque genre avait
ses codes et ses lois, ses stars et ses metteurs en scène,
mais aussi ses amateurs et son public précis.
Dans les années '70, le début de l'effondrement
du cinéma italien, qui s'était fait une spécialité
de ces spécialisations (avec le péplum façon
Cottafavi, le western-spaghetti sauce Leone et l'horrifico-baroque
inventé par Mario Bava), a sans doute contribué
à accélérer la disparition du système
des genres. Mais le modèle économique de celui-ci
le vouait probablement à l'extinction: les murs et
les pratiques culturelles ont évolué, et la télé
a commencé de combler de son côté les demandes
spécifiques, en reformatant les genres, devenus des «grilles»
(les soap operas en milieu de journée pour les ménagères
de moins de 50 ans, les dessins animés le matin avant l'école
pour les enfants, etc.).
Néanmoins, il ne se passe pratiquement pas de saison sans
qu'un petit ou un grand malin ne se fasse remarquer pour avoir
remis en marche la machine, à l'occasion d'un one-shot,
un coup unique qui donnera quelque temps l'illusion d'une résurrection.
Avec Impitoyable, Eastwood a tenté le postwestern.
Avec Le Soldat Ryan, Spielberg a rogné le vieil
os du film de guerre. Avec Le Temps de l'innocence, Scorsese
s'est frotté au grand film romantique, etc., sans oublier
Cronenberg, visiteur familier du cinéma d'épouvante
(Videodrome, Faux Semblants...).
Laboratoire. Parmi tous les genres,
le péplum est idéal parce qu'il permet de confondre
le légendaire et le réaliste. Entre la matière
attestée historiquement et les déluges de mythologie
qu'elle fabrique, l'Antiquité perçue sous l'angle
du péplum est une brave bête malléable, un
inépuisable creuset à fictions anachroniques. Parce
qu'il induit une dimension spectaculaire, le péplum a de
surcroît toujours été un laboratoire privilégié
de l'industrie des effets spéciaux. Ben Hur ou
Le Colosse de Rhodes ont été, à leurs
époques respectives, des sommets de virtuosité technologique,
tout comme le furent, dans le registre proche du film mythologique,
Jason et les Argonautes ou Le Choc des Titans, tous
deux supervisés par le grand mæstro du trucage Ray
Harryhausen.
Des tentatives de réanimation du péplum ont été
produites à la cheville des années 70 et 80, dans
la veine érotico-frippone de l'époque, façon
Caligula, superprode-spaghetti avec Malcom McDowell, ou Messaline,
impératrice et putain, amusant défilé de
toges et talons aiguilles, et simple prétexte à
diverses orgies, qui existait aussi en version classée
X. Sans faire complètement l'impasse sur cette généalogie,
Ridley Scott la survole, préférant reprendre le
genre là où Kubrick et Spartacus l'avaient laissé.
Avec les fulgurants progrès de l'image de synthèse
accomplis ces dernières années, le péplum
délaissé a accumulé un énorme potentiel
de renouvellement visuel, très supérieur à
celui du registre de la science-fiction par exemple, régulièrement
illustré de films à la technologie dernier cri.
Il était donc très logique que le grand plasticien,
ce préraphaélite coquet qu'a toujours été
Ridley Scott, saisisse l'occasion de cette fenêtre grande
ouverte sur l'imaginaire. Mais si le déluge d'effets spéciaux,
jamais vus dans un tel contexte, est l'appât le plus séducteur
de Gladiator, d'autres principes de fabrication ont servi
à augmenter la masse musculaire du film, comme le filmage
avec d'innombrables caméras des scènes de combats
en arène, montées à un régime moyen
de 100 plans par minute, là où à l'âge
classique du péplum on s'évertuait à filmer
ces combats de loin, pour estomper l'identité des cascadeurs...
Scott, amateur de décombres. Sans que ce soit systématique,
Ridley Scott s'est souvent promené parmi les décombres
de genres plus ou moins éteints: il a bouleversé
la SF (Alien, Blade Runner), croisé le fabuleux
(Legend), réanimé le road-movie (Thelma
& Louise) ou même abordé par la marge le film
de cape et d'épée (Duellistes) et le polar
(Traquée, Black Rain). Ce n'est pas, comme le liquidateur
Kubrick, un grand flingueur de mythologies cinématographiques;
ses films ne font pas un sort définitif aux genres qu'ils
honorent (ou déshonorent parfois). Au lieu d'achever, Scott
abonde et, plutôt que de relativiser le genre péplum,
il préfère le superlativiser.» |
Olivier SÉGURET (3)
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«La sortie
de Gladiator n'est pas un événement que pour
les amis de l'Antiquité et du latin : elle intéresse
aussi les cinéphiles. Il s'agit d'une tentative de redonner
vie à un genre qu'on croyait disparu, du premier «péplum»
à grand spectacle depuis 1963, en fait depuis que les problèmes
de Cléopâtre avaient quelque peu échaudé
Hollywood. Pourtant le réalisateur déclarait au
Soir qu'il ne se sentait ni nostalgique ni «ringard»
: il a en fait cherché l'originalité, et le renouvellement
d'un cinéma américain de plus en plus stéréotypé
et mécanisé. Il est vrai que le spectateur candide
que j'ai été a d'abord apprécié que
le héros, Maximus, ne soit ni un Stallone ni un Schwarzie
de plus, mais quelqu'un comme vous et moi (ou à peu près...)
et que ce film comporte somme toute très peu de violence,
ou en tout cas de voyeurisme morbide. Le cinéphile même
très amateur aura d'autre part été frappé
aux moins par deux choses. D'abord, un pari souriant et audacieux
a été tenu : mettre à la mode 2000 l'autre
dernier grand péplum, à savoir La chute de l'empire
romain d'Anthony Mann (1963) : c'est le même cadre et pour
l'essentiel la même intrigue - avec le rythme en plus. Ensuite,
Gladiator est rempli de clins d'il que je n'ai certainement
pas remarqués tous : le laniste, par exemple, est tiré
de Fellini, et, plus étonnant, la scène finale (Maximus,
blessé à mort, n'en livre pas moins un combat victorieux),
est également empruntée à Anthony Mann, mais...
au Cid. Bien entendu, l'historien de Rome résiste
difficilement à la tentation de passer un péplum,
quelle que soit sa qualité, au crible de la vérité
historique (ou de ce que nous croyons en savoir); c'est du reste,
je suppose, ce que les lecteurs de ce bulletin attendent d'abord
de moi. Que leur dire, en se limitant
à l'essentiel ? D'abord que la vérité historique
au sens le plus concret et le plus matériel est mieux respectée
dans Gladiator que dans aucun autre des péplums que
j'ai pu voir. Même s'il reste quelques erreurs (le fameux
«morituri» apparaît deux fois, mais sans doute
est-il indéracinable...) et quelques imprécisions
(quitte à fabriquer une inscription amusante, ut Roma
cadit ita orbis terræ, autant le faire en latin correct
et dire terrarum...), j'ai noté avec satisfaction,
par exemple, la disparition des gestes pseudo-romains introduits
par les Américains dans l'entre-deux-guerres (le poing frappant
la poitrine comme équivalent de salut militaire...) ou encore
l'absence de toute scène d'«orgie». Quant au
récit, il fait songer au meilleur Dumas, en ce sens que,
mis à part le personnage de Maximus, qui est fictif (mais
dont le nom est emprunté aux Pensées), et la
mort de Commode dans l'arène, qui en découle, tout
le reste serre la vérité de près, est réel
ou plausible (Marc Aurèle mourant n'admet que Commode auprès
de lui et n'en sort pas vivant : c'est parfaitement exact, ou du
moins attesté, et l'auteur de l'Histoire auguste a
clairement voulu suggérer l'assassinat; la sur non
plus n'est pas imaginaire, etc.).
Mais le plus important, à mon sens, n'est pas là.
Ce qui fait de Gladiator, pour les professeurs de latin,
un film à voir et à montrer absolument, c'est que,
pour la première fois à ma connaissance, les valeurs
romaines (générales et non spécifiquement stoïciennes)
sont présentées dans un péplum comme positives
et motivantes, et non comme laissant un vide ou une insatisfaction
que devrait combler une idéologie plus satisfaisante, en
clair le christianisme - le premier péplum non sulpicien,
en d'autres termes, qui ne comporte d'ailleurs aucune allusion aux
Chrétiens. J'ajouterai que le réalisateur, ou son
conseiller, a vraiment lu Marc Aurèle, et de près.
Bon vent, donc, à Gladiator, en espérant que
réussisse cet essai de renouvellement, qui bénéficie
de la technique et de la sensibilité (?) actuelles : la scène
de bataille initiale, dans les forêts de Germanie, n'a ainsi
plus grand-chose de commun avec le péplum classique, pas
plus que Le soldat Ryan avec Le Jour le plus long; quant
au Colisée en images de synthèse et en quadriphonie,
je n'aurai qu'un mot : extraordinaire !» |
Michel DUBUISSON (4)
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«D'un point
de vue technologique, le film bénéficie des dernières
innovation en matière d'images de synthèse. (...)
D'un point de vue esthétique et narratif, Gladiator reconduit
les canons du genre. L'aspect grandiose est respecté, voire
magnifié. (...) Ridley Scott innove dans la façon
de représenter la femme antique, jadis réduite aux
rôles de vierges effarouchée ou de princesse cruelle.
(...) Enfin, il révolutionne carrément le genre en
refusant de souscrire à la loi du happy end.» |
Antoine DUPLAN, L'Hebdo (Lausanne), n° 23, 8 juin 2000
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«Comme
Titanic, qui remettait à l'honneur le mélodrame
à grand budget, Gladiator est une production prestigieuse,
nourrie d'effets spéciaux numériques, qui tente de
revitaliser un genre - le péplum - aujourd'hui disparu. (...)
Gladiator reprend le flambeau du genre là où il
s'était éteint, il y a 35 ans, avec La Chute de
l'Empire romain, le chef d'uvre d'Anthony Mann. (...) La
Rome numérique, reconstituée par instants de manière
époustouflante par Ridley Scott, obéit à la
seule loi du show-business. Une loi à laquelle ne
se soustrait jamais Ridley Scott.» |
Samuel BLUMENFELD, Le Monde, 21 juin
2000
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«Gladiator
marque définitivement les limites cinématographique
du cinéaste (...). Le metteur en scène britannique
pratique un art pompier, légèrement baroque et totalement
exsangue, virant à l'abstraction. De la composition décorative
à l'art de la mise en scène, il y a une marche qu'il
ne parvient décidément pas à gravir. Ce manque
d'envergure est particulièrement manifeste dans les scènes
d'action (...). Ridley Scott s'avère (...) incapable de rendre
compte de l'enjeu des combats. (...) Pour occulter son manque cruel
de point de vue, Scott nous en met plein la vue. Ainsi, malgré
son impressionnante logistique et ses beautés toutes artificielles,
la bataille de ce Gladiator, est à notre avis perdue.» |
Laurent ASSÉO, Film (Genève),
n° 11, juin-juillet 2000
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«Gladiator
est un film pour hommes; en le regardant, la plupart des femmes
auront probablement, comme moi, l'impression d'espionner la population
masculine. (...) Dans son rôle de mâle, Crowe montre
qu'au cinéma comme dans la vie, l'androgynie n'a plus sa
place; le mâle, dans toute sa force, est de retour. Le triomphe
et la tragédie de Gladiator sont dus au fait que le
film éclaire les zones sombres et enchevêtrées
de la psyché masculine dont le temps et le progrès
ne semblent pas capables de nous éloigner.» |
Barbara ELLEN, The Guardian (Londres),
21 mai 2000 (5)
|
«L'histoire
du général Maximus (...) était un matériau
assez puissant pour déboucher sur un film édifiant.
Mais Ridley Scott ne sait plus faire de cinéma. Lui qui était
passé maître dans l'art de la lenteur, de la contemplation,
du silence de la mort, voire d'une certaine métaphysique
(Alien, Blade Runner), est passé depuis longtemps à
une imagerie plus ou moins bruyante, politicarde et terre à
terre (1492), où le cadre n'est plus que prétexte
à un décorum clinquant (les armures luisantes, l'arène
numériquement reconstituée), où les scènes
s'empilent comme on enfile les perles, sans qu'on y jouisse du temps,
(...) où le jeu des acteurs (Russell Crowe excepté)
ne dépasse pas la simple parade de mimiques compassées.» |
J.S.C., Les cahiers du cinéma,
n° 547, juin 2000
|
«A mon sens,
c'est le meilleur film que Ridley Scott ait réalisé
jusqu'ici (Blade Runner et Alien ont été
très longtemps surestimés). Plutôt qu'un auteur,
ce dernier s'avère être un metteur en scène
de premier ordre qui maîtrise l'usage de la séquence-action.
Avec Gladiator, produit de studio à grand budget,
(...) il a réalisé un succès logistique difficile
à obtenir. (...) S'il y a un point commun à son uvre,
c'est bien l'intérêt porté aux héros
(...) qui risquent leur vie pour des organisations corrompues ne
méritant pas la loyauté de leurs serviteurs.» |
Leslie FELPERIN, Sight and Sound (Leicester),
juin 2000 (6)
|
«Gladiator
est un plaisir : la narration est fluide, les duels superbes,
l'interprétation de Russell Crowe formidable (...). On relèvera
bien que Marc Aurèle n'est pas mort étranglé
par son fils, mais d'une rougeole, et que jamais il n'a banni les
combats de gladiateurs. On précisera aussi que le signal
des spectateurs pour infliger la mort n'était pas le pouce
vers le sol, mais le pouce vers le ciel. Et que Commode (qui régna
de 180 à 192) n'était pas le pâle gougnafier
pervers montré dans le film, mais un play-boy superdragueur.
Peu importe : en deux heures et vingt minutes, pas une seconde d'ennui.
Gladiator retrouve l'enfance du cinéma.» |
François FORESTIER, Le Nouvel Observateur,
n° 1858, 15-21 juin 2000
|
«On ne s'ennuie
pas une minute à Gladiator, passionnant film de pirates,
non, de mille et une nuits, ou plutôt de science-fiction.
Bref, un film américain. Un vrai, un grand.» Toutefois...
«La chute de l'Empire romain était porteur
d'un message : la meilleure façon de combattre les Barbares
(comprenez les Russes), c'est encore de les faire accéder
aux joies du capitalisme. Gladiator, lui, se veut un pur
divertissement : ce qu'il est.
Comme un vague reflet, figé dans une perfection glacée,
de ces anciens péplums parfois si naïfs ou si maladroits.
Loin de faire renaître un genre aujourd'hui disparu, il en
est le fossoyeur. Mais c'est un enterrement de première classe.» |
Claude AZIZA, L'événement du
jeudi et L'Histoire (7)
|
«(...) un
cavalier, qui pourrait sortir du dernier film de Tim Burton, galope
vers les lignes romaines, dans la pénombre gothique d'une
forêt germanique en hiver. Le général Maximus,
l'apercevant, remarque avec un laconisme digne de Jules César
: «Ils disent non.» Ce cavalier sans tête
est l'émissaire qu'il avait envoyé aux Barbares
pour leur demander de capituler, et qu'ils lui renvoient attaché
à son cheval, décapité (la tête suivra).
Un des rares traits d'humour (noir, certes) d'un film par ailleurs
fertile en situations ironiques, la litote de Maximus en dit déjà
beaucoup, d'entrée de jeu, sur la sobriété
et le sang-froid d'un personnage qui va révéler
une force de caractère, des qualités tant morales
que physiques dignes d'un héros mythique. (...) Pour Ridley
Scott, qu'on pouvait croire perdu corps et bien depuis le naufrage
de son Christophe Colomb, cette séquence d'ouverture
est comme une façon de s'écrier triomphalement :
«I'm back !» On n'a pas manqué d'évoquer,
à propos de cette entrée en matière fracassante,
l'ouverture du Soldat Ryan de Spielberg, producteur de
Gladiator; comparaison oiseuse, surtout si elle prétend
suggérer une quelconque «imitation» de la part
de Scott (mieux vaudrait savoir gré à Spielberg
et ses associés de DreamWorks de lui avoir fait confiance,
malgré ses ratages récents, pour diriger le plus
gros budget risqué par la compagnie à ce jour).
(...) On peut noter, entorse majeure aux règles du
genre, l'absence des orgies de rigueur à Rome depuis DeMille;
Commode, qui ne donne pas non plus de signes d'homosexualité,
ne semble désirer que sa sur, laquelle est d'ailleurs
pratiquement le seul personnage féminin du film. Autre
manquement à la tradition du péplum, la religion
ne joue pratiquement aucun rôle dans le film. Maximus évoque
à plusieurs reprises une vie future où il retrouvera
les siens après la mort, mais cette croyance ne semble
rien devoir au christianisme. La persécution des chrétiens,
qui continuait pourtant à l'époque de l'action,
n'est jamais évoquée (8).
(...) On ne peut cependant manquer de noter une option formelle
par quoi Gladiator se distingue radicalement du péplum
des années '50-'60 (mais c'est le fait d'une évolution
esthétique qui affecte plus ou moins tous les genres et
tous les films hollywoodiens) : l'emploi systématique,
dans le traitement des combats, du plan rapproché et du
montage court, qui a pour effet paradoxal d'escamoter les actes
de violence les plus spectaculaires, les transformant en expérience
quasi subliminale pour le spectateur. Eventrements, décapitations,
jets de sang, chariots fracassés, tigres surgissants des
sous-sols, tout passe si rapidement que, le choc initial passé,
il n'en reste guère qu'une impression de flou général.
(...) Certes, le spectateur moyen d'aujourd'hui, peu familier
de l'histoire romaine, n'en aura cure; et d'ailleurs ce ne sont
pas des leçons d'histoire que nous attendons du cinéma.
Oscar Wilde, je crois, disait que notre seul devoir envers l'Histoire,
c'est de la réécrire. «Devoir» peut-être
inévitable, puisque l'histoire, on le sait bien, n'existe
pas; ou n'existe que de façon abstraite et inaccessible,
en dehors des lectures et interprétations infiniment diverses
qu'en font les époques, les individus, les modes, des idéologies...
(c'est en ce sens que Wallace Stevens pouvait dire qu'il n'est
d'histoire que moderne). Les artistes, de Shakespeare à
Oliver Stone, ne cessent, pour leur compte, de la réécrire
allégrement. Gladiator est un film très actuel,
non seulement par son style, mais par son recours insistant à
la métaphore du spectacle, particulièrement pertinente
à une époque qui tend à confondre virtuel
et réel, où les médias transforment systématiquement
l'information en divertissement.» |
Jean-Pierre COURSODON, Positif, n° 473-474,
juillet-août 2000, pp. 115-118
|
Suite… |
NOTES :
(1) Alexandre BRILLANT Photos : Jaap
Buitendijk, Première, n° 269, août-septembre
1999, pp. 98-101. - Retour texte
(2) Philippe GARNIER, «Cinemaximus
- Gladiator de Ridley Scott sort aujourd'hui en France»,
Libération, mardi 20 juin 2000. - Retour
texte
(3) Olivier SÉGURET, «Le
péplum, genre idéal - Ce registre permet tout,
dans le fond et la forme», Libération, mardi
20 juin 2000. - Retour texte
(4) Michel DUBUISSON, Bull. F.P.G.L.
(Belgique), n° 124, septembre -octobre 2000. - Retour
texte
(5) Extrait choisi et traduit par
Ghania ADAMO, Samedi culturel (Suisse), samedi 24 juin
2000, p. 13. - Retour texte
(6) Extrait choisi et traduit par
Ghania ADAMO, Samedi culturel (Suisse), samedi 24 juin
2000, p. 13. - Retour texte
(7) Cl. AZIZA, L'événement
du jeudi, n° 31, 15-21 juin 2000, p. 22, et L'Histoire,
n° 244, juin 2000, p. 14. - Retour texte
(8) Voir à ce sujet les scènes
tombées au montage (CLICK
& CLICK). - Retour
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