3.2.
Femmes «en péplum»
Jusqu'à un certain point, la production a cultivé
le souci d'authenticité. Les documents sont rédigés
sur du vrai papyrus (au contraire de Rome
(HBO)), etc. Pourtant, entre les lacunes de la documentation,
le manque de moyens parfois, mais également la volonté
de résultats et le respect de la ligne scénaristique,
on ne saurait veiller à tout. Un des incontournables travers
des péplums, toutes catégories confondues, sera
de montrer la femme dans des autours «les plus glamours
possibles». La tenue que porte l'esclave Nævia, la
suivante favorite de la domina Lucretia, donne le ton.
Le plus souvent elle revêt une sorte d'exomide qui laisse
nu le sein droit - tel le vêtement que la statuaire grecque
attribue habituellement aux Amazones. Avec un petit plus toutefois
: une fine bande de gaze fait le tour de son torse et dissimule
à peu près le mamelon. Ce n'est pas du tout un soutien-gorge
dans le genre de ces strophium, capitium et autres fasciæ
mamillares que connaissaient les femmes romaines, plutôt
un accessoire coquin
car elle ne soutient rien du tout.
Ilithyia met en valeur ses meilleurs arguments
dans des atours assez improbables pour la Rome antique.
|
S'il y a eu de tous temps et dans toutes les races des femmes
à la poitrine plus ou moins généreuse, une
gorge arrogante n'était absolument pas dans les canons
esthétiques du temps, lequel affectionnait plutôt
les silhouettes androgynes. Grecques et Romaines antiques se comprimaient
les seins avec une bande d'étoffe (strophium,
tænia, fascia; en grec mastodeton, apodesme, sthéthodesme,
zona) pour paraître plus plates (1).
Admirons donc ces audacieux décolletés.
Très glamours, nous l'avons dit. La stola romaine
était à peu près comme celles ci-dessus et
ci-dessous. Sauf que les femmes portaient à même
la peau une tunica qui leur venait au ras du cou ou des
clavicules, faisant office de sous-vêtement. Et par-dessus
une stola, comme celle que l'on voit ici. Dans la rue,
elles ajoutaient par-dessus tout cela une palla, sorte
de châle ou d'étole qui tenait lieu de manteau et
leur couvrait la tête.
Sur cette fresque érotique trouvée
à Pompéi non pas dans un lupanar mais dans
une maison privée, la Maison du Centenaire, l'épouse
(?) s'est complètement dénudée mais
a conservé son strophium (soutien-gorge) (d'après
J.R. Clarke, Op. cit., p. 22) |
Lucretia (robe rouge), Ilithyia (robe azur)
et leur amies patriciennes...
au diable les préjugés et la bienséance
! |
Lucretia en tunica de soie transparente...
ou en «déshabillé sexy» ? Nous
laissons à votre appréciation. Dans ses étreintes
avec Crixus, Lucy Lawless porte parfois des petits disques
de métal collés sur le bout des seins. Pudiques
? Erotiques ? Archéologiques ? Allez savoir... De
la sexualité des Romain(e)s et de leurs accessoires/bijoux
sexuels, nous savons sans doute beaucoup de choses, mais
pas tout. Loin de là. |
En fait, il n'y avait pas de «grands» couturiers
chez les Romains. Les robes étaient des espèces
de sacs, avec une simple couture sur le côté. Une
belle robe se reconnaissait à la qualité de l'étoffe
(laine, lin, soie, broderies)... et au talent des servantes qui
la moulaient sur le corps de leur maîtresse au moyen de
tout un savant réseau de rubans qui se croisaient entre
les seins (anamaskalister [2]),
passaient sous la poitrine et corsetaient la taille... histoire
de leur galber une certaine silhouette puisqu'on ne connaissait
pas les textiles élastiques. Inutile de dire qu'au cinéma
ou au théâtre, c'est une perte de temps que d'agencer
tout ceci; alors on fait des robes taillées, aux drapés
cousus...
La mode romaine vue par sir Lawrence Alma-Tadema
: un savant corsetage au moyen de rubans
(Les Thermes de Caracalla (1899), détail;
Du Colisée (1896) détail)... |
... par l'histoire du costume de Friedrich
Hottenroth (1883) (3) |
C'est ainsi qu'au cinéma, au lieu de superposer une stola
sur une tunica, on superpose plutôt deux stola
de tailles légèrement différentes...
... et par l'archéostyliste Christiane
Casanova |
Même si les esclaves des deux sexes étaient
aussi des objets sexuels à la disposition du maître,
on peut douter que les femmes-esclaves de l'époque tardo-républicaine
aient vaqué à leurs occupations dans des tenues
aussi légères que dans la série. Il est vrai
que le couple formé par Lucretia et Batiatus est très
«émancipé» (par rapport à l'Antiquité
ou par rapport à nous ?, nous ne nous prononcerons pas),
et que la profession méprisée de lanista
assimile ce dernier au leno. Batiatus est un avant-gardiste
prêt à tout pour entrer dans la vie politique, qui
laisse sa femme organiser des rencontres pour patriciennes en
quête de sensations
entre des bras vigoureux de gladiateurs. Mais, quelles que soient
ses illusions ou ses prétentions, il est tout sauf un Romain
honorable drapé dans sa dignitas !
Pour un geste aussi banal
que d'enfiler une tunique, Batiatus se fait aider par des
chambrières-esclaves aux seins nus. «Vous
n'êtes pas dans le monde moderne, déclarera
Lucy Lawless. Et cela nous enseigne beaucoup à
propos des esclaves. C'est également très
bizarre de s'habituer à avoir un esclave dans son
«espace vital». Nous faisons partie d'une société
moderne, dans laquelle nous tenons beaucoup à cet
espace justement. Mais on finit par s'y habituer et réaliser
que pour les Romains, les esclaves étaient comme
une extension de leur main, de leur volonté, et c'est
pourquoi ils pouvaient les tuer et en acheter des nouveaux
pour les remplacer. Ce sont des personnes déshumanisées.»
Notons le collier d'esclave qu'elles portent au cou, avec
une plaque identifiant le propriétaire |
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