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De La Chute de l'Empire romain
à Gladiator
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3.
A propos de La Chute de l'Empire romain |
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3.1. Le siècle
des «Empereurs adoptés»
On appelle aussi les Antonins : les «Adoptés».
Car, à l'opposé de ce qui se pratiquait sous les
dynasties précédentes, la transmission du pouvoir
ne se fait plus par la filiation ou le degré de parenté,
mais par l'adoption par l'empereur d'un collaborateur qui a fait
ses preuves. C'est devenu un lieu commun que de considérer
le règne des Antonins (96-192) comme l'âge d'or de
l'Empire romain. Après les dynasties julio-claudienne et
flavienne - brocardées par le pamphlétaire Suétone
dans sa Vie des douze Césars - une série
d'empereurs (Nerva,
Trajan,
Hadrien,
Antonin
le Pieux, Marc
Aurèle) va révéler des administrateurs
avisés, qui consolident l'Empire, lequel connaît
sous leur règne sa plus grande extension. En tout cas,
les Antonins ont prouvé qu'ils avaient de meilleurs publics
relations (Tacite, Suétone) que les premiers Césars,
d'Auguste à Domitien.
Un seul parmi les Antonins aura la faiblesse de déroger
à cette règle : Marc Aurèle. Le dernier des
Antonins. Après avoir associé à son règne
un coempereur incapable, son frère adoptif Lucius
Verus, (1)
qui était aussi son gendre, l'époux de sa fille
Lucilla, celui-ci
léguera son trône à un autre non moins «incapable»,
son propre fils Commode.
Le règne de Commode ne sera qu'un hiatus de 12 ans dans
une période de relative stabilité politique, à
défaut de paix sur les frontières, qui va se perpétuer
sous les premiers Sévères... Pourtant, faiblesse
ou sagesse, Commode
- une fois empereur - s'était empressé de faire
la paix sur le limes germanique. Ici encore, l'historien
peut s'interroger sur la nature de cette paix. Car Commode n'a
pas eu bonne presse : en tant que populiste, il s'aliéna
les classes dirigeantes de l'Empire, donc les intellectuels, ceux
qui écrivent l'Histoire (cf. infra Commode).
Le limes. — Désormais la
frontière entre la Magna Germania indépendante
et l'Empire romain descend des côtes de la mer du Nord,
remonte la basse vallée du Rhin, passe par le Westerwald
et le Taunus jusqu'au Main, dont elle suit partiellement le cours.
De là, passant par l'Odenwald, elle continue vers le Neckar
et le Danube.
Au début, le limes n'est qu'un fossé de 548
km de long et surveillé par des miradors. Les fortifications
seront complétées par Trajan (98-117) et Hadrien
(117-138) : 1.000 miradors et 100 fortins en ponctueront le tracé,
ne laissant passer que les commerçants, refoulant les indésirables.
Pour ce qui concerne l'époque de Marc Aurèle,
les textes ne nous ont laissé que des indications fragmentaires
sur la conduite des opérations militaires romaines sur
le front du Danube. Et la colonne de Marc Aurèle, Piazza
Colonna à Rome - bande dessinée à l'imitation
de celle de Trajan pour les guerres daciques -, n'en a pas la
lisibilité (2).
Tout commença, semble-t-il, lorsque Furtius roi des Quades
et allié des Romains, fut déposé par un certain
Ariogeasus, guerrier remuant qui entreprend des raids en direction
de l'Italie. La contre-attaque de Marc Aurèle ne se fit
pas attendre (pour le déroulement des guerres germaniques,
voir Chronologie).
Mais en 174, après quatre années de guerre, Marc
Aurèle considère que le Danube n'est plus une frontière
suffisante. En effet, entre Aquincum (Budapest) et Sirmium (3),
le fleuve creuse une boucle dans le dispositif Romain, une poche
délimitée par le Danube et la Tisza, dans laquelle
Tibère naguère avait permis aux Sarmates de s'installer.
L'empereur rêve d'absorber cette poche, de soumettre les
Iazyges (Sarmates) et d'ainsi créer une nouvelle province,
la Sarmatie, limitée au Nord par les Carpates. Auparavant
toutefois, il lui faut réduire les Marcomans et reporter
le limes sur les montagnes au nord de la Moravie et dans
les Monts Métalliques. Ainsi seulement l'Empire romain
offrira-t-il des deux Pannonies à la Dacie une frontière
droite, plus facile à défendre. |
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3.2. Le contexte
historique
La thèse du film
Un communiqué de presse nous renseigne sur la thèse
historique illustrée par le scénario du film.
«(Après la mort de Marc Aurèle), en
moins de quatre-vingt-dix ans... quatre-vingt-dix empereurs ou
prétendants à la pourpre impériale devaient
se succéder sur le trône de Rome ! Parmi cette lignée
des artisans du désastre figurent notamment, après
ce fou vicieux et sanguinaire de Commode, Septime Sévère,
Caracalla, Héliogabale qui, originaires d'Afrique ou de
Syrie, s'empressèrent de substituer aux Romains aux postes
de commande des étrangers ignorant, pour la plupart, l'usage
même du latin. Un Thrace, Maximien, fut même le premier
barbare qui eut le privilège de revêtir la toge impériale,
longtemps après que la dignité d'empereur eut été...
vendue aux enchères à l'acquéreur qui offrirait
la plus forte solde aux gardes prétoriens !
Les territoires pacifiés par Marc Aurèle furent
perdus. Les vertus qui avaient fait la grandeur de Rome disparurent
pour faire place à la débauche, à la résignation,
puis à la lâcheté, en même temps que
se déchaînaient les persécutions contre les
chrétiens. Les barbares s'introduisirent dans l'Empire,
préparant dès 375 - après la capitulation
de Valentinien Ier devant leurs incursions -, le début
des grandes invasions germaniques qui recouvrent de ténèbres
sanguinaires le début du Moyen-Age» (4)
La chute est encore loin !
Samuel Bronston et Anthony Mann «ont vraisemblablement
voulu illustrer la fameuse thèse de Renan», qui
voyait dans la mort de Marc Aurèle «le moment
décisif où la ruine de la vieille civilisation fut
décidée» (5).
«Le jour de la mort de Marc Aurèle peut être
pris comme le moment décisif où la ruine de la vieille
civilisation fut décidée, écrivait Renan.
Maintenant, c'est après le plus grand effort de rationalisme
gouvernemental, après quatre-vingt-quatre ans d'un régime
excellent, après Nerva, Trajan, Hadrien, Antonin, Marc
Aurèle que le règne du mal recommence, pire que
jamais. Adieu, vertu; adieu, raison. Puisque Marc Aurèle
n'a pu sauver le monde, qui le sauvera ?» «Entreprise
non dénuée d'intérêt, même pour
un public américain ignorant l'anachronisme d'une telle
thèse», note le critique de la Saison cinématographique
(6).
»Pourquoi - ajoute encore ce dernier - la mort
de Marc Aurèle marque-t-elle la chute d'un empire qui ne
s'écroulera réellement que deux siècles plus
tard ? Là encore les auteurs se sont contentés d'une
ébauche, reculant devant une explication honnête,
alors qu'il aurait fallu dépeindre la décomposition
morale généralisée qui régnait alors
et souligner l'aspect périmé d'une organisation
économique et sociale. Que nous offre-t-on ? Des intrigues
de palais, quelques légions en révolte, un peuple
qui danse pourvu qu'on lui lance des pièces d'or ? Quelle
saisissante ellipse» (7).
Enfin, comme le souligne Claude
Aziza, «en 192, l'Empire est bien loin de sa fin
! Bien plus, même si quelques signes inquiétants
se font sentir ça et là, il est encore au sommet
de sa puissance.
Il est temps de tordre le cou à un mythe tenace,
celui de la «décadence» et par là,
de la chute de l'Empire. Image d'Epinal, véhiculée
par deux tendances contradictoires : |
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la républicaine pure et dure; |
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celle des Pères de l'Eglise qui auraient bien
voulu que l'âge du Christ coïncide avec le glas
de Rome. En fait, les IIIe et IVe s. seront des siècles
de mutations non de déclin. Et si l'on admet que l'Empire
romain d'Occident cesse d'exister après la prise de
Rome par Odoacre (8)(476),
il perdure, sous d'autres formes, dans l'Empire byzantin.»
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Edward Gibbon (1737-1794)
De nombreux films historiques sont tirés de romans
célèbres (Ben Hur, Quo Vadis, Spartacus).
Dans le cas présent, les scénaristes de Samuel Bronston
sont partis d'un livre illustre chez les Anglo-Saxons : L'histoire
du déclin et de la chute de l'Empire romain d'Edward
Gibbon, auquel ils emprunteront partiellement le titre. Cependant,
il ne s'agit plus cette fois de littérature romanesque,
mais d'un ouvrage historique du XVIIIe s. encore bien !
Gibbon naquit en 1737 à Putney, près de Londres,
dans une famille de petite noblesse que les affaires avaient enrichie.
S'étant converti au catholicisme à 15 ans, il fut
contraint de quitter Oxford, où il faisait ses études,
et les poursuivit à Lausanne, où le Dr Pavillard
lui servit de tuteur. Gibbon vivra la plupart du temps à
Lausanne. En 1793, il retournera à Londres, où il
mourra un an plus tard.
C'est en visitant Rome en 1764, à l'âge de 27 ans,
qu'il concevra le projet d'écrire The History of the
Decline and Fall of the Roman Empire, dont les premiers volumes
paraîtront 12 ans plus tard - le dernier en 1788, un an
avant le déclenchement de la Révolution française.
«Il n'était pas rare de rencontrer, au siècle
dernier, en Angleterre et aux Etats-Unis - écrit D.
Charlan -, des gens qui, dans toute leur vie, n'avaient lu
que deux livres : la Bible et Gibbon. Pendant deux siècles
au moins, tous les intellectuels, tous les hommes politiques anglo-saxons,
subirent l'influence de Gibbon. Le cas est unique. Dans aucun
pays, un livre d'histoire ne prit une telle importance. C'est
au point qu'on a pu dire que pour vraiment comprendre les politiques
anglaise et américaine, et les conceptions du monde d'où
découlent ces politiques, et ce jusqu'à nos jours,
il est utile de connaître Gibbon.
»(...) [C']était un curieux personnage. De
taille minuscule, obèse, excentrique dans l'habit comme
dans le comportement, suprêmement intelligent mais absurdement
borné à certains points de vue, individualiste et
anticonformiste mais, en même temps, réactionnaire
et même rétrograde, d'un jugement large s'efforçant
toujours de se baser sur une connaissance précise, mais,
à la fois, d'une partialité butée en matière
de religion, Gibbon personnifie assez bien un type d'humaniste
anglais du XVIIIe s. qui ne survécut pas aux guerres napoléoniennes.
»Nourri de lectures classiques, ami de Voltaire, d'Helvétius
et de quelques autres philosophes français, ayant vécu
plus de la moitié de sa vie en Suisse et en France, parlant
d'ailleurs le français de préférence à
l'anglais, Edward Gibbon n'était pas tourné vers
l'avenir, mais plutôt vers le passé. Il siégeait
au Parlement à l'époque de la guerre d'Indépendance
des Etats-Unis et ne comprit visiblement rien à ce qui
se passait dans le Nouveau-Monde. Il n'entrevit rien des évolutions
sociales et économiques qui s'annonçaient, pour
son pays et pour l'Europe. Pour lui, une société
humaine idéale avait existé, au temps de la splendeur
de l'Empire romain, sous l'empereur Trajan, en particulier. Le
déclin de cet empire était le déclin de l'humanité
entière. C'était, en somme, un pessimiste rétrograde.
»C'est lui qui, entre 1776 et 1788, publia cette gigantesque
Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain qui
raconte, en douze cents pages, l'évolution de l'Empire,
depuis Auguste jusqu'à la prise de Constantinople par les
Turcs, en 1453. Les historiens, aujourd'hui, y relèvent
des erreurs en masse - car, Gibbon n'a pas très bien compris
les causes de la chute de Rome et, en particulier, fort mal interprété
le développement du christianisme -, mais c'était
le premier essai de description et d'explication globale de cette
période de l'Histoire. C'était la première
fois qu'un écrivain utilisait ainsi toutes les sources
connues pour brosser un tableau complet.
»Cette somme apparemment complète et définitive
devait plaire, devait flatter - tout autant que la nostalgie de
la puissance impériale, d'un ordre universel que l'incurie
des successeurs de Trajan avait laissé se corrompre - les
bourgeois anglais du temps de Victoria (alors que se créait
l'Empire britannique), les gentilshommes sudistes (qui maintenaient
un autre empire), voire les bourgeois yankees (finançant
la «marche vers l'ouest»), qui trouvaient dans Gibbon
des mises en garde, des exemples - surtout des exemples à
ne pas suivre -, et un esprit, un idéal, ou faut-il dire
un orgueil de caste.»
Il est à noter que si le film d'Anthony Mann ne fait qu'une
très mince allusion aux chrétiens (le stoïcien
Timonidès est, en fait, un crypto-chrétien comme
le révèle la petite croix qu'il serre dans ses vêtements
lorsque Livius découvre son cadavre), celui de Ridley Scott
n'est guère plus explicite. Quelques plans de chrétiens
conduits aux fauves avaient bien été prévus,
qui tombèrent au montage final, étant jugés
hors sujet et superfétatoires. Jusqu'alors, les péplums
américains «s'inspiraient du conflit entre paganisme
et christianisme, tel qu'on l'imaginait au XIXe s. Mais, au contraire
de Gibbon qui considérait le christianisme comme une des
causes décisives de l'affaiblissement de l'Empire, la Rome
hollywoodienne, elle, s'employa à le valoriser comme source
de renouveau», remarquera Glen Bowersock (9),
professeur à l'Institute for Advanced Study de Princeton.
C'est un des grands mérites du film de Scott, de ne pas
ramener une prédication chrétienne sonnant le glas
de l'Empire encore loin d'être en décadence, mais
au contraire de lui substituer le code d'une morale stoïcienne
ouverte sur une vision de l'Empire et de la société
à venir.
Quarante ans plus tôt, Anthony Mann avait tiré une
toute autre carte en jouant sur la similitude apparente du christianisme
et du stoïcisme. En réalité, le stoïcien
Marc Aurèle, partageant les préjugés de son
temps vis-à-vis de ces «ennemis du genre humain»,
en aurait été fort surpris !
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4. A propos de Gladiator
Le succès public de Gladiator fut immédiat,
comme en témoigna toute une série d'imitations
aussitôt mises en chantier (dont une trilogie hardcore
et un soft
de derrière les fagots), des projets de «suite»,
ou tout simplement un regain d'intérêt pour les films
à sujet antique - ce, tant pour le grand que pour le petit
écran : Troie,
La Passion, 300,
la série Rome
et d'innombrables docufictions.
Aussi la critique «professionnelle» dut-elle s'incliner
sous le poids de l'évidence, non sans raideur parfois.
Tandis que des latinistes érudits donnaient leur point
de vue, scrutaient en doctes épigraphes les inscriptions
sur les bâtiments (10)
ou les dérapages
linguistiques, on se gaussa un peu facilement d'une erreur de
date dans un carton du générique (180 avant ou après
J.-C. ? Ah ces Amerloques !) ou on salua - un rien méprisant
- le succès logistique
typiquement made in Hollywood; plus, l'on déplora
le rythme précipité,
le montage à l'esbroufe
des combats contre les Germains ou entre gladiateurs; un certain
triomphe de l'art pompier,
mais comment pouvait-il en être autrement étant parti
d'une toile du Maître de Vesoul (?); l'inévitable
abus des poncifs, tandis
que d'autres au contraire - plus perspicaces - soulignèrent
telle notable transgression au genre, comme le refus du happy
end ou en saluèrent les litotes et les trouvailles
: pas d'orgie ni de chrétiens (11)
mais, bien au contraire, l'éloge du stoïcisme romain.
Ne s'agissait-il, en somme, que d'un film pop-corn tout juste
bon pour un public américain
ou qui ne séduirait qu'un public masculin... de moins de
16 ans ? Un «film
pour hommes», ce qui est un comble si l'on songe à
tout le mal que se donnèrent les scénaristes pour
emporter l'adhésion de ces 50 % de public féminin
convoités - objectif du reste rondement atteint, comme
en témoigna le site fanique de Dominique
Charlier qui publia une série de romans composés
par d'enthousiastes jeunes femmes comme Aurore Dolbec, la canadienne
Susan Spicer, l'argentine Hebe Bianco, l'italienne Ilaria Dotti
ou la japonaise Kumiko Ikeda etc. On constatera assez banalement
que le péplum est un cinéma
de genre et un laboratoire
privilégié pour l'industrie cinématographique,
illustrant les prouesses du virtuel et de l'infographie qui trouva
même le moyen de «ressusciter» l'acteur Oliver
Reed décédé avant la fin du tournage.
Avec une bonne dose de mauvaise foi, Gladiator ne serait
qu'un film de pur divertissement, ne contenant aucun
message. Ce qui exige une sérieuse dose de cécité
: centré sur le Colisée, le film de Ridley Scott
est bel et bien une pertinente réflexion sur le pouvoir
des médias, du spectacle qui détourne le public
des vrais problèmes de la société où
il vit ! A notre avis, ce critique grincheux était tellement
enthousiasmé par le show qu'il en perdît les
pédales...
Certes Ridley Scott obéit à la seule loi du show-business
: la reconstitution d'un monde romain crédible lui
suffit. Usant de sa licence poétique, il peut se passer
d'une vaine «évocation historico-archéologique
plausible», idéal de toute manière jamais
atteint, même avec la meilleure volonté : par exemple,
une description fiable des us et rituels de l'amphithéâtre.
On songe à Blaise Cendrars sarcastique : «Qu'est-ce
que ça peut te foutre de savoir si j'ai réellement
pris l'Orient-Express, puisque moi je te l'ai fait prendre
!» Car il sait parfaitement, Ridley Scott, que monté
sur le trône impérial à dix-neuf ans, le jeune
empereur Commode fut plutôt une victime de l'Histoire, et
probablement pas le monstre
que l'on a dit; que les catapultes romaines ne
portaient pas à un kilomètre; que la couleur
des bandes laticlaves sur la toge des sénateurs était
le rouge, non le noir;
ou que certaines armes
imaginées pour le film étaient à dessein
fantaisistes ou, comme le casque
à visière rentrante du gladiateur Tigris, s'inspiraient
de sources aussi inavouables que le modèle actuellement
en dotation chez les sapeurs-pompiers français...
4.1. Pollice verso
Dans notre manuel de latin de VIe, il y avait une reproduction
en noir et blanc de la fameuse toile de Gérôme, Pollice
verso (1872). Un gladiateur bedonnant, le corps couturé
de cicatrices, pressait de son pied la gorge d'un jeune rétiaire
terrassé, dont le doigt tendu implorait grâce. A
côté de la loge impériale, les vestales, baissant
le pouce (pollice uerso) réclamaient la mort du
maladroit. Les vestales... ces vierges pudiques consacrées
au culte de la déesse du foyer semblaient ici des fauves
hystériques assoiffés de sang, qui ont droit de
vie ou de mort, insiste le chrétien Prudence, qui nous
a conservé l'anecdote (PRUD., Contre Symmaque, 11,
1098-9). La connotation sexuelle ne vous aura pas échappé
: celles dont la virginité ne sera pas déflorée
aspirent à voir le sang du jeune homme gicler de sa carotide
tranchée : Jugula !, «Egorge-le... Tranche-lui
la jugulaire !» Avec une précision hyperréaliste,
l'artiste avait noté les traits de lumière filtrant
par les ouvertures des velaria, ces larges panneaux de
toile tendus au-dessus des spectateurs pour les protéger
des ardeurs du soleil. |
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Naïvement, nous nous interrogions
à propos du photographe qui avait pris ces... instantanés...
Nous savons aujourd'hui que cela aurait pu être l'auteur
de Gladiator - voyageant à bord de la Machine à
remonter le Temps - Ridley Scott, à qui le producteur exécutif
et codirecteur de DreamWorks, Walter Parkes, et le producteur,
Douglas Wick, montrèrent une reproduction de cette toile,
actuellement conservée au Phoenix Art Museum, Arizona.
C'est, en effet, à partir de cette toile du Maître
de Vesoul - et quelques autres de ses uvres comme Dernières
prières des martyrs chrétiens (1883), Ave
Cæsar, morituri te salutant (1859), etc.(12)
- que fut conçu Gladiator.- On en retrouve l'ambiance
chromatique et jusqu'au moindre détails.
... Dans notre manuel, la légende sous la photo précisait
que, bien que n'étant plus de première jeunesse,
ce gladiateur possédait suffisamment de «métier»
pour venir à bout d'adversaires débutants, plus
impulsifs. C'est à peu près le même langage
que tient le laniste, le maître de gladiateurs Proximo (Oliver
Reed) à sa recrue Russell Crowe lorsqu'il lui reproche,
après son premier combat, d'avoir un peu trop rapidement
«expédié» ses adversaires : les spectateurs
n'en ont pas eu pour leur argent !
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Sur l'écran large, Rome -
la maîtresse du Monde - s'ouvre sur une image décolorisée
du Colisée, avec une vaste esplanade où sont impeccablement
alignées les légions. Ce plan un peu incongru dans
un film Technicolor fait référence d'image d'archive,
qui n'est pas sans nous rappeler certain Congrès de Nuremberg.
Car la Rome de Commode est la Rome du Pain et des Jeux, le règne
de la démagogie où il suffit au Prince, c'est-à-dire
à l'Empereur, de flatter des plus vils instincts de la
populace pour contrer l'uvre éclairée des
professionnels de la politique, du Sénat garant - paraît-il
- des institutions républicaines. Bref, des classes «éduquées».Bien
sûr, cette prise de position se discute (revoyez votre Histoire
Romaine), mais en attendant, le sang jaillit, des fragments de
cervelle volent à travers la salle obscure : Maximus n'y
va pas de main morte dans sa volonté de venger sa famille
massacrée et d'honorer sa promesse faite à l'Empereur
mourant Marc Aurèle.
Le film de Ridley Scott n'est pas qu'un hommage
à Jean Léon Gérôme, c'en est aussi
un à La Chute De L'Empire Romain (1964) d'Anthony
Mann et au Spartacus (1960) de Kubrick. Nous ne sachons
pas que Marc Aurèle ait interdit les combats de gladiateurs,
mais il est vrai qu'il les embrigada massivement pour aller combattre
Quades et Marcomans : ils formaient le corps des Obsequentes
(les «Suivants»). L'empereur-philosophe décédé,
Commode préféra négocier avec les Marcomans
afin de pouvoir regagner au plus vite Rome et ses plaisirs...
En cette fin du IIe s., les Romains avaient tendance à
prendre des raclées des Germains, et plutôt intérêt
à négocier...
Russell Crowe, qui interprète Ælius Maximus avec
une sobriété exemplaire et manie le glaive avec
dextérité (le cinéma de Hong Kong des années
'70 est passé par là), n'est pas sans faire songer,
cinématographiquement, à ce général
Livius qu'incarna Stephen Boyd dans le précité film
d'Anthony Mann. Historiquement, il nous rappelle peut-être
qu'à cette même bataille évoquée au
début du film, participa un certain Marius
Maximus, tribun à la légion III Italica
qui, d'une certaine manière, est un peu le narrateur de
notre aventure puisque l'Histoire Auguste serait un condensé
de son uvre d'historien (13).
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4.2. Panem et
circenses
Partant de la toile fameuse de Jean Léon Gérôme
(1824-1904), Pollice Verso, le réalisateur de Gladiator,
peintre de formation, se livre à une réflexion sur
la relation du pouvoir et des spectacles de masse. Son peuple
rassasié de pain (la société de consommation
?) et anesthésié par les jeux, est oublieux de la
peste qui ravage les quartiers populaires de Rome (id. est
le sida, les aliments génétiquement modifiés,
le réchauffement climatique, la pollution de la nappe phréatique,
etc.). Aussi Commode peut à son aise, en despote accompli,
juguler la classe politique... Ironie, tandis que le film sortait
sur nos grands écrans (juin 2000), la petite lucarne de
la TV relayait l'événement sportif qui passionnait
toute l'Europe, avec son cortège de violences «hooliganiques»
et le quadrillage policier qui en est le corollaire ! |
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Où
deux conceptions s'affrontent, aussi diamétralement
opposées que l'être et le paraître
:
le Forum politique dans La Chute de l'Empire romain
et le Colisée médiatique dans Gladiator |
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Il est amusant de noter que, autant
Bronston avait soigné sa reconstitution du Forum romain,
autant Ridley Scott s'en est peu soucié. La colossale main
de bronze, ci-dessus, qui dominait le Forum bronstonien et semblait
le bénir, est remplacée par un pied géant,
de marbre, qui semble écraser ce Forum «reconstitué»
dans un angle du fort Ricasoli, à Malte, où le film
fut tourné. Ce pied serait-il supposé être
un vestige du «Colosse de Néron» auquel le
Colisée est redevable de son nom ? En tout cas, le peuple
romain n'y est qu'une masse de lilliputiens sous la botte de Commode.
Le Forum scottien n'est qu'un recoin populeux au-dessus duquel
plane en arrière-plan le panorama contemporain de Malte
(on aperçoit du reste, sur les photos, quelques clochers
d'église) dans lequel on a injecté quelques bâtiments
néo-classiques londoniens, dont le British Museum, comme
le rapporte Laurent Hugueniot, superviseur de l'infographie 3D
(14).
L'autre face du «Forum» consiste en une aire gigantesque
adossée (sic) au Colisée avec d'immenses
colonnades (qui paraissent d'autant plus énormes que le
char de Commode est en réalité un modèle
réduit, filmé de loin). Clin d'il au cinéma
de Leni Riefenstahl : la couleur virée au noir et blanc
pour donner l'impression d'images d'archives d'un passé
pas si éloigné que cela, en fin de compte...
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Cinéma d'évocation
donc, non de reconstitution. Sauf le Colisée
qui vraiment en impose. Partiellement reconstruit, mais complété
par infographie. Le spectateur a vraiment l'impression que des
parties de la toile de Gérôme ont été
purement et simplement scannées, tant est remarquable la
restitution de ses ambiances chromatiques, avec les rais de lumière
tombant des velaria.
«Notre objectif commun se résuma à un mot
: «authenticité», déclarera Ridley
Scott. Nous n'avions aucunement l'intention de tourner un documentaire
archéologique, mais nous tenions à restituer fidèlement
l'esprit du temps. J'ai disposé pour cela d'une excellente
équipe qui s'est documentée et rendue sur place.
Ils ont accompli un travail extraordinaire : on respire l'ambiance
de la ville, de l'arène, on se sent transporté à
l'époque romaine.» De fait, on peut discuter
quantité de détails, qu'il s'agisse des costumes
(15),
de la tactique militaire
ou des usages de la gladiature
- les combats dans l'amphithéâtre étaient
strictement codifiés, ce dont Ridley Scott n'a eu cure
! Mais il convient d'être prudent : après tout, l'archéologie
nous apprend que les camps légionnaires de Jules César
avaient rarement, sinon jamais, la forme rectangulaire idéale
que nos manuels montrent en exemple (16)...
En fait d'anachronismes... comment y échapper, au cinéma
? Ca démarre avec, par exemple, le bouchon de gourde que
l'on dévisse (comme si l'Antiquité produisait industriellement
des pas filetés, même si Archimède avait depuis
longtemps inventé le principe de la vis) et ça remonte
jusqu'aux plastrons de légionnaire formés de trois
disques (vieux modèle samnite parfaitement obsolète
au IIe s. de n.E.) pour La chute de l'Empire romain. Et
cela revient avec le casque de gladiateur à masque facial
rentrant (inspiré des modèles contemporains pour
pilotes ou pompiers) en passant par des allusions spectaculaires
au national-socialisme, mais en faisant, au passage, ses choux
gras du panorama contemporain de La Valette sous réserve
de quelques incrustations néo-classiques comme nous venons
de le voir pour Gladiator. |
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4.3. Uchronie La mort de Marc
Aurèle, frappé par la peste à Vindobona,
mit fin à l'Age d'Or que l'Empire romain avait connu sous
le règne des Antonins. Sous le gouvernement de ces derniers
- nous l'avons dit - la transmission du pouvoir n'était
pas héréditaire. L'empereur choisissait son successeur
parmi ses proches collaborateurs, sage formule qui, après
les fureurs sanguinaires de Domitien, avait valu à Rome
84 ans d'administration sans faille, sous les règnes de
Nerva (96-98), Trajan
(98-117), Hadrien (117-138),
Antonin (138-161) et
Marc Aurèle
(161-180). Après la mort de ce dernier, celui de Commode
(178-193) aurait été le règne d'Ubu-Roi.
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Marc Aurèle s'éteint,
entouré de Livius et de Lucilla (Antonia, VF). Hélas,
aucun témoin digne de foi ne pourra confirmer son
intention de léguer l'Empire romain à son
général, plutôt qu'à son fils...
(La chute de l'Empire romain) |
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Le dauphin de Marc Aurèle
Les historiens se sont interrogés sur ce dérapage.
En 1857, le philosophe français Charles Renouvier (1815-1903)
fit paraître sous forme de roman un essai philosophique
intitulé Uchronie (17)
(seconde édition, révisée, en 1876). Sur
la fin de son règne, postulait-il, au lieu du cruel Commode,
son fils, l'empereur Marc Aurèle choisissait pour successeur
le sévère général Avidius Cassius.
Ensemble, ils rédigent une constitution nouvelle, émancipent
les esclaves, instaurent davantage de liberté démocratique
et - surtout - relèguent les chrétiens en Orient.
Homme fort sage et clairvoyant, Avidius Cassius fait appliquer
cette ligne politique révolutionnaire, conduisant à
un essor considérable dans les arts et les progrès
technologiques. Avec pour conséquence que la religion chrétienne
devenait sans lendemain, faute d'un Constantin pour l'imposer.
Après leur disparition, Pertinax poursuit leur uvre.
Pertinax mort, on assiste à l'avènement d'une nouvelle
République après un règne de Commode écourté.
Septime Sévère n'accédera jamais à
l'empire, ni bien sûr Théodose que le lecteur croisera
cependant, simple consul.
La fin d'Uchronie vire totalement au pamphlet anti-catholique.
Dans deux appendices, écrits soi-disant en 1658 et en 1709,
puis en 1715. Renouvier délaisse totalement l'uchronie
pour confronter son imaginaire à la réalité.
Réalité dont il accable à nouveau l'Eglise,
génératrice des tous les maux : l'Inquisition, les
dragonnades de Louis XIV sur lesquelles il insiste spécialement.
Qui fut en réalité cet Avidius Cassius ? Dans
l'Histoire Auguste, Avidius
Cassius était un excellent chef militaire, qui avait
conduit de main de maître la guerre contre les Parthes (18).
En 175, alors que la santé de Marc Aurèle était
au plus mal, il se proclama empereur avec - a-t-on dit - la complicité
de l'impératrice Faustina. Avidius, en effet, aurait convenu
avec l'épouse de Marc Aurèle de l'épouser,
sitôt veuve. Malheureusement pour le félon, l'empereur
se rétablit ! Le règne de l'usurpateur, en Egypte,
n'avait duré que trois mois. Il prit fin à l'initiative
d'un simple centurion qui l'assassina et envoya sa tête
à Rome. Etranger à sa mort, Marc Aurèle -
qui le tenait en haute estime - lui pardonna à titre posthume
ainsi qu'à ses partisans, priant le Sénat de ne
point persécuter la famille d'Avidius, demeurée
à Rome (19).
Comme il a été dit plus haut, le mot «uchronie»
fut expressément créé à l'occasion
d'une extrapolation historique prenant sa source dans la succession
de Marc Aurèle. Mais le terme a aujourd'hui été
récupéré par la science fiction pour désigner
toute espèce de jeu avec l'Histoire, du genre : «Que
se serait-il passé... si Hitler avait envahi l'Angleterre
? si le général Lee avait écrasé le
Nord à Gettysburg ? si Napoléon avait vaincu en
Russie ou à Waterloo ? si les Carthaginois avaient gagné
les Guerres puniques ? ou... si le Prince des vampires transylvaniens
avait, en 1895, épousé Sa Gracieuse Majesté
?» Et la SF d'imaginer voyages dans le Temps, univers
parallèles, paradoxes temporels qui s'enchevêtrent.
Particulièrement savoureuse est, par exemple et par parenthèse,
l'uchronie gothique mêlée de satire politique de
Kim Newman, Anno Dracula. Et si, au lieu de séduire
l'épouse d'un notaire de campagne, Dracula - dans son désir
de conquérir l'Angleterre - avait plus logiquement visé
à la tête, avait vampirisé la reine Victoria
(20)
?
Le héros
«Que se serait-il donc passé si un autre empereur
philosophe avait succédé à Marc Aurèle
?» Selon Charles Renouvier, anticlérical convaincu,
l'Occident se serait donc épargné l'obscurantisme
chrétien et aurait progressé beaucoup plus vite.
Le cinéma hollywoodien élude, bien évidemment,
ce genre de prospective «gibbonienne» remettant en
question l'apport du christianisme, pour nous livrer des fresques
chamarrées comme ce Gladiator (2000) ou, trente-cinq
ans auparavant, La Chute de l'Empire romain (1964). Gladiator
- comme c'est le cas, toujours, au cinéma - c'est avant
tout de l'Histoire réécrite, synthétisée.
L'Histoire avec un grand «H» propose une pléthore
de personnages qui rendraient inintelligible le scénario.
Difficile de concevoir un film ramassant en 155' un compte rendu
scrupuleux du règne de Commode, qui dura quand même
onze ans et neuf mois, pendant lesquels il eut à réprimer
plusieurs conspirations dirigées contre lui. Il importe
assez peu de savoir qui aurait pu être, historiquement ce
général rebelle, amant de Lucilla : Gaius
Livius Metellus, incarné jadis par Stephen Boyd et
Ælius Maximus,
aujourd'hui campé par Russell Crowe sont des personnages
de fiction qui synthétisent plusieurs protagonistes historiques.
Soit, outre le général Avidius
Cassius, le préfet du prétoire Tarruntenus
Paternus, qui remporta la dernière grande victoire
de Marc Aurèle sur les Germains, en 179; le vieux général
Ti. Claudius Pompeianus,
qui épousa Lucilla en 173; ou peut-être l'historien
Marius Maximus,
plusieurs fois mentionné dans les Pensées pour
moi-même et qui était un confident de Marc Aurèle.
Comme son homonyme de celluloïd, ce Maximus participa lui
aussi à cette dernière bataille contre les Germains.
Sa carrière toutefois - dans notre univers temporel,
s'entend - fut bien plus paisible que celle du héros de
Gladiator, puisqu'il survécut au règne de
nombreux empereurs... A l'évidence, le héros fictionnel
des films de 1964 et 2000 emprunte à chacun d'eux : à
qui ses succès militaires, son éviction, ses complots,
un mariage ou l'éventualité d'un mariage avec...
Lucilla ou Faustina, à qui encore sa familiarité
de confident de Marc Aurèle.
Le complot
On s'interroge encore à propos du manque de perspicacité
du philosophe-empereur Marc Aurèle, qui rompit avec la
règle d'adoption des Antonins. De là à imaginer
un complot... quelle
aubaine pour les scénaristes ! Dans l'uchronie cinématographique,
Marc Aurèle ne meurt pas de la peste, mais assassiné
avant d'avoir pu officialiser le choix d'un «dauphin»,
au détriment de Commode. C'était l'argument suivi
par Anthony Mann en 1964, et il est repris sans discussion par
Ridley Scott. La référence à Mann est d'autant
plus évidente que dans les deux films Commode périt
en gladiateur, dans l'arène, alors qu'en réalité
il mourut dans son lit, étranglé par un esclave
ancien gladiateur !
Voilà les éléments qui, retriturés
par les scénaristes, vont donner sa trame au film : une
spectaculaire bataille contre les Barbares, une femme amoureuse
et un peu comploteuse (Lucilla), Maximus, qui échappe au
glaive du centurion que Commode a chargé de son exécution,
etc. Remontés dans le désordre, certaines données
étant inversées, tous ces éléments
historiques créent une uchronie, une histoire parallèle
à la grande Histoire, qui se développe dans une
autre dimension désormais, celle du «roman historique».
C'est ainsi que disparaissent purement et simplement certains
protagonistes de première grandeur, telle la concubine
chrétienne de Commode, Marcia
: ils n'ont jamais existé dans cette dimension parallèle.
«Dans une autre Histoire», pour paraphraser
Kipling !
L'honneur d'un capitaine
Quelques mois après la sortie du film de Ridley Scott,
un documentaire consacré aux sous-marins nucléaires
russes occupés à pourrir en rade de la mer de Barents
- sinon dans ses profondeurs, comme le Koursk - s'achevait
sur quelques phrases musicales empruntées à la B.O.
du film (Arte - dimanche 19 novembre 2000). Le message subliminal
passe bien. La musique de Hans Zimmer exprime la souffrance des
soldats trahis, les éternels perdants de toutes les guerres
- lesquelles ne seraient jamais que de simples opérations
politiciennes, comme le rappelait si bien Clausewitz («La
guerre est le prolongement de la politique»). Les harkis
de la Guerre d'Algérie, abandonnés par la France
ingrate... Les G.I.'s revenus du Viêt-nam, couverts de l'opprobre
de la «sale guerre», désavoués par la
Patrie qui les y avait envoyés...
Maximus ne rêvait que de cultiver sa terre, auprès
de sa femme et de son fils. La guerre et son prolongement, la
politique, lui ont tout pris, et il connaîtra toutes les
déchéances avant que la mort le libère. La
conclusion de Gladiator ? C'est Lucilla (Connie Nielsen)
qui la tirera : «Rome mérite-t-elle la vie d'un
homme si brave ? Nous l'avons cru autrefois. A vous de faire que
nous puissions le croire encore ! (Temps. Impérative
:) C'était un soldat de Rome. Honorez-le !»
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«C'était un soldat de Rome.
Honorez-le !»
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Suite… |
NOTES :
(1) Marc Aurèle et Lucius
Verus étaient tous les deux, par adoption, fils d'Antonin
le Pieux. - Retour texte
(2) P. GRIMAL, Marc Aurèle,
Fayard, 1991, p. 205. - Retour texte
(3) Sirmich, ville de Pannonie II,
au confluent de la Save (Savus) et du Bozzeut (Bacuntius)).
- Retour texte
(4) «Douze années qui
changèrent la face du monde», source perdue, pp.
60-62. - Retour texte
(5) C.C., La saison cinématographique
1964, pp. 59-60. - Retour texte
(6)
Et C.C. d'ajouter : «Si les auteurs avaient eu,
sous couvert de grand spectacle, l'intention d'élaborer
quelque chose de sérieux [Kubrick avec des impératifs
commerciaux semblables est bien parvenu à faire un
Spartacus !]... Or il n'en est rien.» (Et d'énumérer
quelques «erreurs» historiques.
A cette critique, il convient de faire remarquer deux choses
: |
1. |
Les impératifs commerciaux de Spartacus
et de La chute... n'étaient pas les mêmes.
Bronston a, avant tout, voulu faire du spectacle. A preuve
le superbe décor du Forum dont on chercherait en
vain l'équivalent dans Spartacus. Kirk Douglas,
producteur de ce second film, avait pour principale préoccupation
de «faire passer» un message politique. Rappelons
que c'est également Anthony Mann qui avait commencé
le tournage de Spartacus, et que K. Douglas le remplacera
très rapidement par S. Kubrick, preuve de l'inadéquation
intellectuelle des deux hommes; |
2. |
Il resterait à démontrer que la conception
marxiste du personnage de Spartacus (si mal connu historiquement),
soit autre chose que du roman historique anachronique. -
Retour texte |
(7) C.C., La saison cinématographique
1964, pp. 59-60. - Retour texte
(8) A propos d'Odoacre mettant fin
à l'Empire romain d'Occident en déposant le petit
Romulus Augustule : voir le très romanesque La
dernière légion de Doug Lefler (2006).
- Retour texte
(9) G. BOWERSOCK, «De Gibbon
à Gladiator - Les prophètes de la décadence»,
L'Histoire, n° 254, mai 2001. - Retour
texte
(10) Ces inscriptions, qui sont -
sans plus - censées donner un cachet d'authencité,
ne font que se faire brièvement entrevoir lorsque l'on
suit le film. Mais si vous vous sentez une âme d'épigraphiste,
nous recommandons le documentaire Strength
and Honor, qui occupe le DVD 2 de l'édition longue
en trois disques, où certains plans les captent parfaitement
et lisiblement. - Retour texte
(11) Quoique ces derniers... on y
a échappé de peu : cf. les scènes coupées.
- Retour texte
(12) Toutes reproduites dans J.-Cl.
GOLVIN et Ch. LANDES, Amphithéâtres et Gladiateurs,
C.N.R.S., 1990; ainsi que dans «Les amphithéâtres
de la Gaule», Dossiers Histoire et Archéologie,
n° 116, mai 1987. - Retour texte
(13) Comme le rappelle F. Fontaine
dans ses Douze autres Césars. - Retour
texte
(14) SFX, n° 83, juin 2000,
p. XXVII. - Retour texte
(15) Pour les scènes de la
vie privée, décorateurs et costumiers se sont
également inspirés des toiles splendides d'Alma-Tadema
[1836-1912]. - Retour texte
(16) Jacques Harmand les qualifie
de trapézoïdaux ou subtrapézoïdaux (J.
HARMAND, Vercingétorix, Fayard, 1984, p. 59).
- Retour texte
(17) Ch. RENOUVIER, Uchronie.
L'Utopie dans l'Histoire (1876), rééd. Fayard,
coll. Corpus des uvres de philosophie en langue française,
1988; cf. aussi : Eric B. HENRIET, L'Histoire revisitée.
Panorama de l'Uchronie sous toutes ses formes, Amiens, Ed.
Encrage, 1999. - Retour texte
(18) Hist. Aug., coll. Bouquins,
pp. 187-191. - Retour texte
(19) Plus tard, Commode fera brûler
vifs sa femme et ses enfants. Le scénariste de Gladiator
semble s'en être souvenu. - Retour
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(20) De 1888 à 1998, quatre
romans couvrent un siècle d'histoire britannique revisitée...
au vitriol - des premiers mouvements socialistes à l'apothéose
du conservatisme thatchérien ! - le vampirisme étant
à lire selon différents niveaux, notamment comme
métaphore socio-politique. - Retour
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